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Arrêt
publié le 03 juin 2020

Extrait de l'arrêt n° 94/2019 du 6 juin 2019 Numéro du rôle : 6924 En cause : la question préjudicielle relative aux articles 1 er et 2 de la loi du 8 juin 1972 organisant le travail portuaire, posée par la Cour de cassation. La composée des présidents A. Alen et F. Daoût, et des juges L. Lavrysen, J.-P. Snappe, J.-P. Moerman,(...)

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COUR CONSTITUTIONNELLE


Extrait de l'arrêt n° 94/2019 du 6 juin 2019 Numéro du rôle : 6924 En cause : la question préjudicielle relative aux articles 1er et 2 de la loi du 8 juin 1972 organisant le travail portuaire, posée par la Cour de cassation.

La Cour constitutionnelle, composée des présidents A. Alen et F. Daoût, et des juges L. Lavrysen, J.-P. Snappe, J.-P. Moerman, E. Derycke, T. Merckx-Van Goey, P. Nihoul, T. Giet, R. Leysen, J. Moerman et M. Pâques, assistée du greffier F. Meersschaut, présidée par le président A. Alen, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet de la question préjudicielle et procédure Par arrêt du 16 avril 2018 en cause de la SA « Middlegate Europe » contre l'Etat belge, dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour le 11 mai 2018, la Cour de cassation a posé la question préjudicielle suivante : « Les articles 1er et 2 de la loi du 8 juin 1972 organisant le travail portuaire violent-ils les articles 10 et 11 de la Constitution, combinés ou non avec l'article 23, alinéa 2, de la Constitution et avec la liberté de commerce et d'industrie, en ce qu'ils ne limitent pas au chargement et déchargement de navires l'obligation imposée aux personnes, organismes ou entreprises qui déploient des activités dans une zone portuaire de faire appel à cette fin à des ouvriers portuaires reconnus, mais imposent également cette obligation pour des opérations qui peuvent être effectuées également en dehors des zones portuaires ? ». (...) III. En droit (...) B.1. La question préjudicielle concerne les articles 1er et 2 de la loi du 8 juin 1972 organisant le travail portuaire (ci-après : la loi du 8 juin 1972).

B.2.1. L'article 1er de la loi du 8 juin 1972 dispose : « Nul ne peut faire effectuer un travail portuaire dans les zones portuaires par des travailleurs autres que les ouvriers portuaires reconnus ».

B.2.2. L'article 2 de la loi du 8 juin 1972 dispose : « La délimitation des zones portuaires et du travail portuaire telle qu'elle est établie par le Roi en application des articles 35 et 37 de la loi du 5 décembre 1968Documents pertinents retrouvés type loi prom. 05/12/1968 pub. 22/05/2009 numac 2009000346 source service public federal interieur Loi sur les conventions collectives de travail et les commissions paritaires. - Coordination officieuse en langue allemande fermer sur les conventions collectives de travail et les commissions paritaires, régit l'application de la présente loi ».

Deux arrêtés royaux pris en exécution des articles 35 et 37 de la loi du 5 décembre 1968Documents pertinents retrouvés type loi prom. 05/12/1968 pub. 22/05/2009 numac 2009000346 source service public federal interieur Loi sur les conventions collectives de travail et les commissions paritaires. - Coordination officieuse en langue allemande fermer sur les conventions collectives de travail et les commissions paritaires définissent la notion de « travail portuaire ».

Ainsi, l'article 1er de l'arrêté royal du 12 janvier 1973 instituant la Commission paritaire des ports et fixant sa dénomination et sa compétence dispose : « Il est institué une commission paritaire, dénommée ' Commission paritaire des ports ', (compétente pour les travailleurs en général et leurs employeurs), et ce pour : tous les travailleurs et leurs employeurs qui, dans les zones portuaires : (A.) effectuent, en ordre principal ou accessoirement du travail portuaire, à savoir toutes les manipulations de marchandises qui sont transportées par des navires de mer ou des bâtiments de navigation intérieure, par des wagons de chemin de fer ou des camions, et les services accessoires qui concernent ces marchandises, que ces activités aient lieu dans les docks, sur les voies navigables, sur les quais ou dans les établissements s'occupant de l'importation, de l'exportation et du transit de marchandises, ainsi que toutes les manipulations de marchandises transportées par des navires de mer ou des bâtiments de navigation intérieure à destination ou en provenance des quais d'établissements industriels.

Il faut entendre par : 1. Toutes les manipulations de marchandises : a) marchandises : toutes les marchandises, les containers et les moyens de transport y compris, à l'exclusion uniquement : - du transport de pétrole en vrac, de produits pétroliers liquides et de matières premières liquides pour les raffineries, l'industrie chimique et les activités d'entreposage et de transformation dans les installations pétrolières; - du poisson amené par des bateaux de pêche; - des gaz liquides sous pression et en vrac. b) manipulations : charger, décharger, arrimer, désarrimer, déplacer l'arrimage, décharger en vrac, appareiller, classer, trier, calibrer, empiler, désempiler, ainsi que composer et décomposer les chargements unitaires.2. Les services accessoires qui concernent ces marchandises : marquer, peser, mesurer, cuber, contrôler, réceptionner, garder, à l'exception des services de gardiennage assurés par des entreprises relevant de la compétence de la Commission paritaire pour les services de gardiennage et/ou de surveillance pour le compte d'entreprises relevant de la Commission paritaire des ports, livrer, échantillonner et sceller, accorer et désaccorer. [...] ».

L'article 2 de l'arrêté royal du 12 août 1974 instituant des sous-commissions paritaires pour des ports, fixant leur dénomination et leur compétence et en fixant leur nombre de membres dispose : « Les sous-commissions paritaires des ports sont compétentes pour les travailleurs en général et leurs employeurs, et ce pour : tous les travailleurs et leurs employeurs qui, dans les zones portuaires : (A.) effectuent, en ordre principal ou accessoirement du travail portuaire, à savoir toutes les manipulations de marchandises qui sont transportées par des navires de mer ou des bâtiments de navigation intérieure, par des wagons de chemin de fer ou des camions, et les services accessoires qui concernent ces marchandises, que ces activités aient lieu dans les docks, sur les voies navigables, sur les quais ou dans les établissements s'occupant de l'importation, de l'exportation et du transit de marchandises, ainsi que toutes les manipulations de marchandises transportées par des navires de mer ou des bâtiments de navigation intérieure à destination ou en provenance des quais d'établissements industriels.

Il faut entendre par : 1. Toutes les manipulations de marchandises : a) marchandises : toutes les marchandises, les containers et les moyens de transport y compris, à l'exclusion uniquement : - du transport de pétrole en vrac, de produits pétroliers liquides et de matières premières liquides pour les raffineries, l'industrie chimique et les activités d'entreposage et de transformation dans les installations pétrolières; - du poisson amené par des bateaux de pêche; - des gaz liquides sous pression et en vrac. b) manipulations : charger, décharger, arrimer, désarrimer, déplacer l'arrimage, décharger en vrac, appareiller, classer, trier, calibrer, empiler, désempiler, ainsi que composer et décomposer les chargements unitaires.2. Les services accessoires qui concernent ces marchandises : marquer, peser, mesurer, cuber, contrôler, réceptionner, garder, à l'exception des services de gardiennage assurés par des entreprises relevant de la compétence de la Commission paritaire pour les services de gardiennage et/ou de surveillance pour le compte d'entreprises relevant de la Commission paritaire des ports, livrer, échantillonner et sceller, accorer et désaccorer. [...] ».

Il ressort des dispositions de ces arrêtés royaux que la notion de « travail portuaire » est circonscrite d'un point de vue tant matériel que territorial. D'un point de vue matériel, la notion de travail portuaire est définie sur la base d'activités de manipulation de marchandises et de services connexes. D'un point de vue territorial, le travail portuaire est cependant limité aux opérations ainsi circonscrites effectuées dans les zones portuaires définies géographiquement, zones qui comprennent notamment les docks, les quais, les hangars fermés, les magasins et les lieux de chargement et d'entreposage.

B.2.3. L'article 3, alinéa 1er, de la loi du 8 juin 1972 dispose : « Le Roi fixe les conditions et les modalités de reconnaissance des ouvriers portuaires, sur avis de la commission paritaire compétente pour la zone portuaire concernée ».

L'arrêté royal du 5 juillet 2004 « relatif à la reconnaissance des ouvriers portuaires dans les zones portuaires tombant dans le champ d'application de la loi du 8 juin 1972 organisant le travail portuaire » (ci-après : l'arrêté royal du 5 juillet 2004) définit les exigences à remplir pour être reconnu comme ouvrier portuaire (article 4), les effets de la reconnaissance quant au fait de figurer dans le pool des travailleurs portuaires (article 2), la validité de la reconnaissance (article 4), le retrait, la suspension de la reconnaissance et le moment où elle prend fin (articles 7 à 9), la procédure relative à la demande, à la suspension et au retrait d'une reconnaissance (articles 1er, § § 2 et 3, 10 et 11) et la composition de la commission de reconnaissance (article 1er, § 1er).

B.2.4. L'article 3bis de la loi du 8 juin 1972, inséré par la loi du 17 juillet 1985 insérant un article 3bis dans la loi du 8 juin 1972 organisant le travail portuaire et complétant l'article 4 de la même loi dispose : « Sur avis de la commission paritaire compétente pour la zone portuaire concernée, le Roi peut obliger les employeurs, occupant des ouvriers portuaires dans cette zone, à s'affilier à une organisation d'employeurs agréée par lui et qui, en qualité de mandataire, remplit toutes les obligations qui, en vertu de la législation sur le travail individuel et collectif et de la législation sociale, découlent de l'occupation d'ouvriers portuaires pour les employeurs.

Pour pouvoir être agréée, l'organisation d'employeurs, visée à l'alinéa précédent, doit déjà compter la majorité des employeurs intéressés comme membres ».

Le Roi est donc habilité à obliger les employeurs qui occupent des ouvriers portuaires à s'affilier à une organisation d'employeurs agréée. Les organisations d'employeurs agréées par zone portuaire sont la Centrale des employeurs du port de Bruxelles et de Vilvorde, la « Centrale Betaalkassen der Gentse Centrale der Zee- en Binnenvaartwerkgevers » (la Caisse centrale de la Centrale des employeurs maritimes et fluviaux du port de Gand), la « Centrale der Werkgevers Zeebrugge » (la Centrale des employeurs du port de Zeebrugge) et la « Centrale der Werkgevers aan de Haven van Antwerpen » (la Centrale des employeurs du port d'Anvers).

Compte tenu de leur agrément, elles sont les seules à pouvoir intervenir comme mandataire des employeurs qui occupent des ouvriers portuaires dans la zone portuaire (les arrêtés royaux du 20 mars 1986 portant agrément d'une organisation d'employeurs en vertu de l'article 3bis de la loi du 8 juin 1972 organisant le travail portuaire; du 29 janvier 1986 portant agrément d'une organisation d'employeurs en vertu de l'article 3bis de la loi du 8 juin 1972 organisant le travail portuaire; du 4 septembre 1985 portant agrément d'une organisation d'employeurs en vertu de l'article 3bis de la loi du 8 juin 1972 organisant le travail portuaire; du 14 juin 2017 portant agrément d'une organisation d'employeurs en vertu de l'article 3bis de la loi du 8 juin 1972 organisant le travail portuaire et abrogeant les arrêtés royaux des 10 juillet 1986 et 1er mars 1989 portant agrément d'une organisation d'employeurs en vertu de l'article 3bis de la loi du 8 juin 1972 organisant le travail portuaire).

B.2.5. L'article 4 de la loi du 8 juin 1972 dispose : « Les infractions aux dispositions de la présente loi et de ses arrêtés d'exécution sont recherchées, constatées et sanctionnées conformément au Code pénal social.

Les inspecteurs sociaux disposent des pouvoirs visés aux articles 23 à 39 du Code pénal social lorsqu'ils agissent d'initiative ou sur demande dans le cadre de leur mission d'information, de conseil et de surveillance relative au respect des dispositions de la présente loi et de ses arrêtés d'exécution ».

B.3. Il peut être déduit des dispositions mentionnées en B.2 que la loi du 8 juin 1972 repose sur quatre principes, qui consacrent un système d'emploi fermé de travailleurs dans les zones portuaires visées : (1) le travail portuaire dans les zones portuaires ne peut être effectué que par des ouvriers portuaires reconnus; (2) l'accès au marché du travail portuaire n'est possible que pour les travailleurs reconnus et figurant dans le contingent - aujourd'hui dénommé pool - des ouvriers portuaires, en fonction des besoins en main-d'oeuvre; (3) toute personne qui fait exécuter un travail portuaire dans la zone portuaire doit dès lors recruter à cette fin des ouvriers portuaires reconnus et est donc tenue de s'affilier à une organisation représentative des employeurs agréée, qui se charge de l'exécution pratique et administrative de toutes les obligations de droit social; (4) les dispositions du Code pénal social sont applicables aux infractions à ce système. B.4. L'objectif du législateur était de limiter l'accès à la qualité et au statut d'ouvrier portuaire (déterminé par les conventions collectives de travail et les usages dans les ports) en posant le principe de la reconnaissance et de protéger la profession en interdisant aux travailleurs sans reconnaissance d'exécuter un travail portuaire (Doc. parl., Chambre, 1971-1972, n° 78/1, p. 3; Chambre, 1971-1972, n° 78/2, p. 2). En conférant un ancrage légal à ce statut - qui est étroitement lié au caractère spécifique, difficile et dangereux du travail portuaire -, il cherchait à réserver les activités de manutention des marchandises dans les ports, dont la technicité évolue rapidement, exclusivement à des ouvriers ayant suivi une solide formation professionnelle évaluant autant les qualifications professionnelles que les capacités physiques et intellectuelles (Doc. parl., Chambre, 1971-1972, n° 78/2, pp. 1-2). En instaurant ce statut et le monopole de travail qui s'y attache, il voulait également répondre au souci de garantir la sécurité et d'éviter des accidents du travail, d'une part, et à la nécessité d'avoir chaque jour des ouvriers spécialisés se tenant à la disposition d'un port alliant productivité, service et compétitivité, d'autre part (Doc. parl., Chambre, 1971-1972, n° 78/1, p. 1; Chambre, 1971-1972, n° 78/2, pp. 1 et 3; Sénat, 1971-1972, n° 364, p. 1).

En dépit de l'existence de relations de travail individuelles certes variables entre un ouvrier portuaire reconnu et son employeur direct, le législateur cherchait, en imposant l'affiliation de l'employeur auprès d'une unique organisation d'employeurs agréée par zone portuaire, intervenant en qualité de secrétariat social d'encadrement, à garantir l'égalité de traitement en matière de droits sociaux entre tous les ouvriers portuaires par rapport à toutes les obligations de droit social découlant du statut d'ouvrier portuaire reconnu (Doc. parl., Sénat, 1984-1985, n° 830/2, pp. 1-2).

B.5. Le contenu détaillé du statut de l'ouvrier portuaire reconnu et les obligations de droit social qui en découlent, notamment en ce qui concerne les salaires et autres conditions de travail, sont convenus, par zone portuaire, au sein de la Commission paritaire des ports n° 301 et des sous-commissions qui en dépendent.

Ainsi, les conventions collectives de travail sont conclues entre la Fédération patronale des ports belges (confédération des organisations d'employeurs reconnues mentionnées plus haut) et les syndicats des travailleurs.

B.6. Il ressort de la lecture conjointe des dispositions mentionnées en B.2 que les ouvriers portuaires reconnus disposent d'un monopole légal sur l'exercice, dans un lien de subordination, de l'activité portuaire à l'intérieur de la zone portuaire; que dans les zones portuaires, ces ouvriers portuaires reconnus sont les seuls à pouvoir exécuter également, en plus du chargement et du déchargement de navires au sens strict, d'autres activités et que des personnes ou entreprises qui souhaitent exercer ce type d'activités dans la zone portuaire sont tenues de faire appel à ces ouvriers portuaires reconnus, en respectant les obligations de droit social applicables.

B.7. La juridiction a quo demande à la Cour d'examiner la compatibilité des articles 1er et 2 de la loi du 8 juin 1972 avec les articles 10 et 11 de la Constitution, lus ou non en combinaison avec l'article 23, alinéa 2, de la Constitution, et avec la liberté de commerce et d'industrie, en ce qu'ils obligent les employeurs des zones portuaires à faire appel, pour le travail portuaire, à des ouvriers portuaires reconnus, non seulement pour le chargement et le déchargement de navires au sens strict, mais aussi pour des activités qui pourraient également être effectuées en dehors des zones portuaires.

Cette obligation ne vaut pas à l'égard des employeurs qui font exécuter les mêmes activités, autres que le chargement et le déchargement de navires, en dehors des zones portuaires.

Ainsi, les employeurs qui font exécuter des activités qui ressortissent à la notion de travail portuaire, mais autres que le chargement et le déchargement de navires, sont traités différemment selon l'endroit où ces activités sont exécutées.

B.8.1. Il ressort des dispositions mentionnées en B.2 que le législateur a choisi de ne pas définir la notion de travail portuaire dans la loi en cause. Il s'est limité à déclarer d'application la définition qu'en donnent des arrêtés royaux (article 2 de la loi du 8 juin 1972).

B.8.2. Selon le Conseil des ministres, la question préjudicielle est irrecevable parce que la Cour serait interrogée sur la portée de l'obligation de recourir, pour du travail portuaire, à des ouvriers portuaires reconnus, alors que le travail portuaire, et donc sa portée, serait défini par les arrêtés royaux précités.

B.8.3. S'il est exact que ce sont les arrêtés royaux qui définissent la notion en cause de travail portuaire, ce sont les articles 1er et 2 de la loi du 8 juin 1972 qui, en en déclarant la définition d'application générale, introduisent le système incriminé de recrutement fermé dans les zones portuaires et donnent lieu, par voie de conséquence, à la différence de traitement en cause dans la question préjudicielle.

La question préjudicielle est recevable.

B.9. La Cour est invitée à vérifier la compatibilité des dispositions en cause avec les articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec la liberté de commerce et d'industrie et avec l'article 23 de la Constitution.

B.10.1. L'article 23, alinéas 2 et 3, 1°, de la Constitution dispose : « A cette fin, la loi, le décret ou la règle visée à l'article 134 garantissent, en tenant compte des obligations correspondantes, les droits économiques, sociaux et culturels, et déterminent les conditions de leur exercice.

Ces droits comprennent notamment : 1° le droit au travail et au libre choix d'une activité professionnelle dans le cadre d'une politique générale de l'emploi, visant entre autres à assurer un niveau d'emploi aussi stable et élevé que possible, le droit à des conditions de travail et à une rémunération équitables, ainsi que le droit d'information, de consultation et de négociation collective ». B.10.2. Il ressort des travaux préparatoires de l'article 23 de la Constitution que le Constituant n'a pas entendu consacrer la liberté de commerce et d'industrie ou la liberté d'entreprendre dans les notions de « droit au travail » et de « libre choix d'une activité professionnelle » (Doc. parl., Sénat, SE 1991-1992, n° 100-2/3°, p. 15; n° 100-2/4°, pp. 93 à 99; n° 100-2/9°, pp. 3 à 10). Une telle approche découle également du dépôt de différentes propositions de « révision de l'article 23, alinéa 3, de la Constitution, en vue de le compléter par un 6° garantissant la liberté de commerce et d'industrie » (Doc. parl., Sénat, 2006-2007, n° 3-1930/1; Sénat, SE 2010, n° 5-19/1; Chambre, 2014-2015, DOC 54-0581/001).

B.10.3. En revanche, la Cour a associé à plusieurs reprises, dans son contrôle du respect des articles 10 et 11 de la Constitution, la liberté de commerce et d'industrie telle qu'elle était autrefois garantie par le décret dit d'Allarde des 2 et 17 mars 1791 et telle qu'elle est garantie actuellement par l'article II.3 du Code de droit économique.

B.10.4. La liberté de commerce et d'industrie ne peut être conçue comme une liberté absolue. Elle ne fait pas obstacle à ce que la loi, le décret ou l'ordonnance règle l'activité économique des personnes et des entreprises. Le législateur compétent n'interviendrait de manière déraisonnable que s'il limitait la liberté de commerce et d'industrie sans aucune nécessité ou si cette limitation était disproportionnée au but poursuivi.

B.10.5. La liberté de commerce et d'industrie est étroitement liée à la liberté professionnelle, au droit de travailler et à la liberté d'entreprise, qui sont garantis par les articles 15 et 16 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne, et à plusieurs libertés fondamentales garanties par le Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (ci-après : TFUE), comme la libre prestation des services (article 56 TFUE) et la liberté d'établissement (article 49 TFUE).

B.10.6. Il résulte de ces dispositions conventionnelles que les mesures nationales qui interdisent, gênent ou rendent moins attrayant l'exercice de la libre prestation des services ou de la liberté d'établissement doivent être considérées comme des restrictions à cette liberté.

Les mesures nationales susceptibles de gêner ou de rendre moins attrayant l'exercice des libertés fondamentales garanties par le TFUE peuvent néanmoins être admises dès lors qu'elles répondent à des raisons impérieuses d'intérêt général, qu'elles sont propres à garantir la réalisation de l'objectif qu'elles poursuivent et qu'elles ne vont pas au-delà de ce qui est nécessaire pour l'atteindre (CJUE, grande chambre, 13 novembre 2018, C-33/17, Cepelnik d.o.o., point 42).

B.11. La Cour de justice de l'Union européenne a jugé que le Royaume d'Espagne n'a pas respecté les obligations lui incombant en vertu de l'article 49 TFUE « en obligeant les entreprises d'autres Etats membres souhaitant exercer l'activité de manutention de marchandises dans les ports espagnols d'intérêt général, d'une part, à s'inscrire auprès de la société anonyme de gestion des dockers (' Sociedad Anónima de Gestion de Estibadores Portuarios ') ainsi que, le cas échéant, à participer à son capital et, d'autre part, à recruter en priorité des travailleurs mis à disposition par cette société, dont un nombre minimal de ceux-ci engagé de manière permanente » (CJUE, 11 décembre 2014, C-576/13, Commission/Espagne, point 58).

Cet arrêt repose sur les motifs suivants : « 47. Il résulte d'une jurisprudence constante de la Cour que les restrictions à la liberté d'établissement, qui sont applicables sans discrimination tenant à la nationalité, peuvent être justifiées par des raisons impérieuses d'intérêt général, à condition qu'elles soient propres à garantir la réalisation de l'objectif poursuivi et qu'elles n'aillent pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre cet objectif (voir, notamment, arrêts Commission/Autriche, C-356/08, EU: C: 2009: 401, point 42, et Commission/France, EU: C: 2010: 772, point 50). 48. A cet égard, et contrairement à ce que soutient le Royaume d'Espagne, c'est non pas à la Commission, mais aux autorités nationales compétentes qu'il appartient de démontrer, d'une part, que leur réglementation est nécessaire pour réaliser l'objectif poursuivi et, d'autre part, que cette réglementation est conforme au principe de proportionnalité (voir, en ce sens, arrêts Commission/Finlande, C-54/05, EU: C: 2007: 168, point 39, et Commission/Portugal, C-438/08, EU: C: 2009: 651, point 47).49. En l'occurrence, ledit Etat membre soutient que le régime portuaire espagnol poursuit, en substance, des objectifs relatifs, d'une part, à la protection des travailleurs et, d'autre part, à la garantie de la régularité, de la continuité et de la qualité du service portuaire de manutention de marchandises, qui constituerait un service public essentiel au regard du maintien de la sécurité dans les ports.50. S'agissant de la protection des travailleurs, la Cour a reconnu qu'elle figure parmi les raisons impérieuses d'intérêt général qui peuvent justifier des restrictions à la liberté d'établissement (voir, notamment, arrêt International Transport Workers' Federation et Finnish Seamen's Union, EU: C: 2007: 772, point 77 et jurisprudence citée).51. En outre, il ressort de la jurisprudence de la Cour que l'objectif d'assurer la sécurité dans les eaux portuaires constitue également une raison impérieuse d'intérêt général (arrêt Naftiliaki Etaireia Thasou et Amaltheia I Naftiki Etaireia, EU: C: 2011: 163, point 45) et que le service de lamanage constitue un service technique nautique essentiel au maintien de la sécurité dans les eaux portuaires, qui présente les caractéristiques d'un service public (arrêt Corsica Ferries France, EU: C: 1998: 306, point 60).52. Dans ces conditions, il y a lieu de relever que de tels objectifs peuvent être légitimement poursuivis par les Etats membres.53. Toutefois, la circonstance que le régime portuaire espagnol poursuive un objectif légitime n'est pas suffisante pour justifier valablement la restriction constatée.En effet, conformément à une jurisprudence constante de la Cour, l'application d'une réglementation d'un Etat membre poursuivant un objectif légitime doit être indispensable pour garantir sa réalisation. En d'autres termes, il faut que le même résultat que celui poursuivi par cette réglementation ne puisse pas être atteint par des règles moins contraignantes que celles mises en oeuvre par celle-ci (voir, notamment, arrêts Collectieve Antennevoorziening Gouda, C-288/89, EU: C: 1991: 323, point 15, et Commission/Portugal, C-518/09, EU: C: 2011: 501, point 65). 54 En l'occurrence, force est de constater que, d'une part, le Royaume d'Espagne se borne à critiquer l'analyse effectuée par la Commission sans démontrer le caractère nécessaire des mesures adoptées au titre du régime portuaire espagnol ni le caractère proportionné de celles-ci au regard des objectifs poursuivis. 55. D'autre part, il importe de relever qu'il existe des mesures moins restrictives que celles mises en oeuvre par le Royaume d'Espagne, tout en étant de nature à assurer un résultat similaire et à garantir tant la continuité, la régularité et la qualité du service de manutention des marchandises que la protection des travailleurs.Ainsi, par exemple, il serait possible, comme le suggère la Commission, de prévoir que ce sont les entreprises de manutention de marchandises qui, étant en mesure d'embaucher librement des travailleurs permanents ou temporaires, gèrent les bureaux de placement devant leur fournir la main-d'oeuvre et organisent la formation de ces travailleurs, ou encore de créer une réserve de travailleurs gérée par des entreprises privées, fonctionnant comme des agences de travail temporaire et mettant des travailleurs à la disposition des entreprises de manutention. 56. Eu égard aux considérations qui précèdent, il y a lieu de conclure que la restriction à la liberté d'établissement qui résulte du régime portuaire espagnol faisant l'objet du recours en manquement introduit par la Commission doit être considérée comme allant au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre les objectifs poursuivis et qu'elle n'est, dès lors, pas justifiée.57. Partant, ledit recours doit être considéré comme fondé » (CJUE, 11 décembre 2014, C-576/13, Commission/Espagne, points 47-57). B.12. Le 28 mars 2014, la Commission européenne a intenté une procédure d'infraction contre la Belgique parce que le système belge relatif à l'organisation du travail portuaire apparaissait, sur certains points essentiels, comme contraire au droit de l'Union européenne, en particulier en ce qui concerne la liberté d'établissement garantie par l'article 49 du TFUE. Les infractions constatées par la Commission découlaient à la fois de la loi du 8 juin 1972, de ses arrêtés d'exécution, ainsi que des conventions collectives de travail spécifiques (dossier 2014/2088, C(2014) 1874 final). Selon la Commission, le système belge de travail portuaire n'était pas conforme à la liberté d'établissement pour les cinq motifs suivants : (1) l'interdiction de recruter des ouvriers non reconnus et l'obligation de recruter des ouvriers portuaires exclusivement à partir du pool;(2) la restriction relative au type de contrat de travail portuaire (le contrat à durée indéterminée est exceptionnellement autorisé);(3) la restriction relative à la composition des équipes;(4) l'interdiction du multitasking (répartition en catégories professionnelles);(5) la reconnaissance obligatoire de travailleurs portuaires logistiques. B.13. Après la mise en demeure de la Commission, ni la loi du 8 juin 1972, ni les principes qui la sous-tendent n'ont été modifiés. En réponse aux griefs de la Commission, un arrêté royal a été pris le 10 juillet 2016 « modifiant l'arrêté royal du 5 juillet 2004 relatif à la reconnaissance des ouvriers portuaires dans les zones portuaires tombant dans le champ d'application de la loi du 8 juin 1972 organisant le travail portuaire ».

Le 17 mai 2017, la Commission a décidé de clore par une décision conditionnelle la procédure d'infraction précitée intentée contre le Royaume de Belgique.

B.14. Compte tenu de ce qui est dit en B.3 et B.5, l'obligation imposée aux entreprises souhaitant effectuer, dans une zone portuaire, un travail portuaire - incluant les activités qui seraient étrangères au chargement et au déchargement de navires -, de ne recourir qu'à des ouvriers portuaires reconnus et de s'affilier obligatoirement à cette fin à une organisation représentative des employeurs reconnue semble restreindre, à l'égard de ces entreprises, le libre choix du personnel et la liberté de négocier les conditions de travail.

Pour pouvoir s'établir dans la zone portuaire, les personnes ou entreprises qui souhaitent développer des activités de travail portuaire sont en effet tenues de recruter des ouvriers portuaires à partir du pool, à des conditions sur lesquelles elles n'ont aucun contrôle.

B.15. Bien que l'obligation de recourir, dans les zones portuaires, à des ouvriers portuaires reconnus pour effectuer les activités qualifiées de travail portuaire, s'applique de manière identique à des entreprises ou à des personnes établies en Belgique ou dans d'autres Etats membres de l'Union européenne, étant donné ses effets en matière d'organisation du travail et en matière financière, elle semble avoir pour conséquence d'empêcher ou de décourager ces dernières de s'établir dans des zones portuaires belges pour y développer leurs activités économiques.

Dès lors, les articles 1er et 2 de la loi du 8 juin 1972 semblent impliquer une restriction à la liberté d'établissement au sens de l'article 49 du TFUE. B.16. La question se pose de savoir si, comme l'a jugé la Cour de justice dans l'arrêt précité du 11 décembre 2014 en ce qui concerne le système espagnol, l'obligation imposée à des personnes ou à des entreprises, qui découle des dispositions en cause, de recourir à des ouvriers portuaires reconnus pour effectuer des activités de travail portuaire au sens de la loi du 8 juin 1972 - incluant les activités étrangères au chargement et au déchargement de navires -, emporte une restriction injustifiée à la liberté d'établissement garantie par l'article 49 du TFUE, compte tenu des différences de réglementation et de la clôture conditionnelle précitée de la procédure d'infraction par la Commission européenne contre la Belgique. Pour répondre à cette question, la Cour doit être fixée quant à l'interprétation de l'article 49 du TFUE au regard des caractéristiques et circonstances spécifiques du cadre légal en cause en matière de travail portuaire.

B.17. L'article 267 du TFUE habilite la Cour de justice à statuer, à titre préjudiciel, aussi bien sur l'interprétation des traités et des actes des institutions de l'Union européenne que sur la validité de ces actes. En vertu du troisième alinéa de cette disposition, une juridiction nationale est tenue de saisir la Cour de justice lorsque ses décisions - comme celles de la Cour constitutionnelle - ne sont pas susceptibles d'un recours juridictionnel de droit interne. En cas de doute sur l'interprétation ou sur la validité d'une disposition du droit de l'Union européenne importante pour la solution d'un litige pendant devant une telle juridiction nationale, celle-ci doit, même d'office, poser une question préjudicielle à la Cour de justice.

Avant de statuer quant au fond, il convient dès lors de poser à la Cour de justice de l'Union européenne la première question préjudicielle figurant dans le dispositif.

B.18.1. Si la Cour de justice donnait à cette première question une réponse positive, la Cour pourrait en outre, en vertu de l'article 28, alinéa 2, de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, si elle le juge nécessaire, indiquer par voie de disposition générale les effets de dispositions jugées inconstitutionnelles qui doivent être considérés comme définitifs ou maintenus provisoirement pour le délai qu'elle détermine.

B.18.2. Comme il est dit en B.3, les articles 1er et 2 de la loi du 8 juin 1972 fixent les principes fondamentaux de l'organisation du travail portuaire dans certaines zones portuaires. Le constat de l'inconstitutionnalité de ces dispositions aurait pour conséquence que l'obligation de recourir exclusivement à des ouvriers portuaires reconnus, bénéficiant d'un statut spécifique, pour effectuer du travail portuaire dans les ports ne serait pas compatible avec les articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec la liberté de commerce et d'industrie et avec l'article 49 du TFUE. C'est au législateur qu'il appartient de mettre fin à l'inconstitutionnalité constatée.

Dans l'attente de l'intervention du législateur, le constat pur et simple de l'inconstitutionnalité des dispositions précitées pourrait avoir pour effet que des milliers d'ouvriers portuaires se trouvent inopinément, pendant un certain laps de temps, dans une situation de grande incertitude en ce qui concerne leur statut juridique sur le marché du travail, les conditions de travail et l'organisation du travail portuaire, ce qui pourrait avoir des conséquences sociales et financières néfastes pour les ouvriers portuaires. Les pouvoirs publics peuvent, dans les mêmes circonstances, être eux aussi confrontés à des conséquences graves.

Etant donné la complexité particulière de la matière, la nécessité de recourir à la concertation sociale pour prévenir le malaise social et l'effet considérable des modifications qui doivent être apportées sur les aspects socio-économiques du travail portuaire, il se pourrait que le législateur ait besoin de temps, en l'espèce, pour adapter le cadre législatif à la Constitution, lue en combinaison avec les exigences du droit de l'Union. Dans ce contexte, il est opportun et nécessaire d'attirer l'attention sur l'adaptation réalisée par étapes et étalée dans le futur du cadre légal belge existant aux exigences du droit de l'Union, qui a été autorisée par la Commission européenne dans sa lettre du 17 mai 2017.

B.18.3. Afin d'éviter, le cas échéant, l'insécurité juridique et le malaise social précités, et afin de permettre au législateur de mettre l'organisation du travail portuaire dans les zones portuaires en conformité avec les obligations découlant des articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec la liberté de commerce et d'industrie et avec l'article 49 du TFUE, la Cour pourrait, en vertu de l'article 28, alinéa 2, précité, de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, maintenir temporairement les effets des articles 1er et 2 de la loi du 8 juin 1972.

B.18.4. En vertu de l'article 267 du TFUE, une juridiction nationale telle que la Cour constitutionnelle est en principe tenue de saisir la Cour de justice afin que celle-ci puisse apprécier si, exceptionnellement, les dispositions de droit interne jugées contraires au droit de l'Union peuvent être provisoirement maintenues, au regard d'une considération impérieuse, et compte tenu des circonstances spécifiques de l'affaire dont cette juridiction nationale est saisie (CJUE, 28 juillet 2016, C-379/15, Association France Nature Environnement, point 53).

Avant de statuer quant au fond, il convient dès lors de poser à la Cour de justice de l'Union européenne la seconde question préjudicielle figurant dans le dispositif.

Par ces motifs, la Cour pose, avant de statuer quant au fond, les questions préjudicielles suivantes à la Cour de justice de l'Union européenne : 1. L'article 49 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne, lu ou non en combinaison avec l'article 56 du même Traité, avec les articles 15 et 16 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne et avec le principe d'égalité, doit-il être interprété en ce sens qu'il s'oppose à une réglementation nationale qui oblige des personnes ou entreprises qui souhaitent exercer dans une zone portuaire belge des activités portuaires au sens de la loi du 8 juin 1972 organisant le travail portuaire - dont des activités qui seraient étrangères au chargement et au déchargement de navires au sens strict - à ne recourir qu'à des ouvriers portuaires reconnus ? 2.En cas de réponse affirmative à la première question, la Cour constitutionnelle peut-elle maintenir provisoirement les effets des articles 1er et 2, en cause, de la loi du 8 juin 1972 organisant le travail portuaire afin d'éviter une insécurité juridique et un malaise social, et afin de permettre au législateur de les mettre en conformité avec les obligations découlant du droit de l'Union européenne ? Ainsi rendu en langue néerlandaise et en langue française, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, le 6 juin 2019.

Le greffier, F. Meersschaut Le président, A. Alen

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