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Arrêt
publié le 30 avril 2020

Extrait de l'arrêt n° 89/2019 du 28 mai 2019 Numéro du rôle : 6946 En cause : la question préjudicielle relative à l'article 379, alinéa 1 er , lu en combinaison avec l'article 100ter, du Code pénal, posée par le Tribunal correctionn La Cour constitutionnelle, composée des présidents A. Alen et F. Daoût, et des juges L. Lavrysen(...)

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COUR CONSTITUTIONNELLE


Extrait de l'arrêt n° 89/2019 du 28 mai 2019 Numéro du rôle : 6946 En cause : la question préjudicielle relative à l'article 379, alinéa 1er, lu en combinaison avec l'article 100ter, du Code pénal, posée par le Tribunal correctionnel de Flandre occidentale, division Bruges.

La Cour constitutionnelle, composée des présidents A. Alen et F. Daoût, et des juges L. Lavrysen, J.-P. Snappe, J.-P. Moerman, E. Derycke, T. Merckx-Van Goey, P. Nihoul, T. Giet, R. Leysen, J. Moerman et M. Pâques, assistée du greffier P.-Y. Dutilleux, présidée par le président A. Alen, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet de la question préjudicielle et procédure Par jugement du 4 juin 2018 en cause du ministère public contre J.B., dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour le 12 juin 2018, le Tribunal correctionnel de Flandre occidentale, division Bruges, a posé la question préjudicielle suivante : « L'article 379, alinéa 1er, juncto l'article 100ter du Code pénal, viole-t-il le principe constitutionnel d'égalité inscrit dans les articles 10 et 11 de la Constitution, en ce que cet article prévoit l'incrimination de celui qui, pour satisfaire les passions d'un mineur de plus de 16 ans, incite ce mineur à la débauche, même si cet acte s'opère avec le consentement de ce mineur, alors que celui qui a des relations sexuelles avec un mineur âgé de 16 à 18 ans, avec le consentement de celui-ci, n'est pas punissable ? ». (...) III. En droit (...) B.1.1. L'article 372, alinéa 1er, du Code pénal dispose : « Tout attentat à la pudeur commis sans violences ni menaces sur la personne ou à l'aide de la personne d'un enfant de l'un ou de l'autre sexe, âgé de moins de seize ans accomplis, sera puni de la réclusion de cinq ans à dix ans ».

B.1.2. L'article 375 du Code pénal dispose : « Tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu'il soit et par quelque moyen que ce soit, commis sur une personne qui n'y consent pas, constitue le crime de viol.

Il n'y a pas consentement notamment lorsque l'acte a été imposé par violence, contrainte, menace, surprise ou ruse, ou a été rendu possible en raison d'une infirmité ou d'une déficience physique ou mentale de la victime.

Quiconque aura commis le crime de viol sera puni de réclusion de cinq ans à dix ans.

Si le crime a été commis sur la personne d'un mineur âgé de plus de seize ans accomplis, le coupable sera puni de la peine de la réclusion de dix à quinze ans.

Si le crime a été commis sur la personne d'un enfant âgé de plus de quatorze ans accomplis et de moins de seize ans accomplis, le coupable sera puni de la peine de la réclusion de quinze à vingt ans.

Est réputé viol à l'aide de violences tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu'il soit et par quelque moyen que ce soit, commis sur la personne d'un enfant qui n'a pas atteint l'âge de quatorze ans accomplis. Dans ce cas, la peine sera la réclusion de quinze à vingt ans.

Elle sera de la réclusion de vingt ans à trente ans si l'enfant était âgé de moins de dix ans accomplis ».

B.2. Aux termes de l'alinéa 1er de l'article 372 du Code pénal, tout attentat à la pudeur commis sans violences ni menaces - donc avec le consentement de l'intéressé - sur la personne ou à l'aide de la personne d'un enfant âgé de moins de seize ans accomplis est puni de la réclusion de cinq ans à dix ans.

Aux termes de l'alinéa 1er de l'article 375 du Code pénal, le viol est tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu'il soit et par quelque moyen que ce soit, commis sur une personne qui n'y consent pas. Aux termes de l'alinéa 2, il n'y a pas consentement notamment lorsque l'acte a été imposé par violence, contrainte, menace, surprise ou ruse, ou a été rendu possible en raison d'une infirmité ou d'une déficience physique ou mentale de la victime. Les alinéas suivants déterminent la peine applicable, qui est plus lourde en fonction de l'âge de la victime, une distinction étant établie entre les personnes majeures, les mineurs âgés de seize ans accomplis, les mineurs âgés de quatorze à seize ans et les mineurs n'ayant pas atteint l'âge de dix ans accomplis. L'alinéa 6 de l'article 375 du Code pénal dispose en outre qu'est réputé viol à l'aide de violences tout acte de pénétration sexuelle, de quelque nature qu'il soit et par quelque moyen que ce soit, commis sur la personne d'un enfant qui n'a pas atteint l'âge de quatorze ans accomplis.

Il découle des articles 372 et 375 du Code pénal qu'il n'y a ni attentat à la pudeur ni viol lorsque la personne concernée est âgée de seize ans accomplis et consent volontairement et consciemment aux actes sexuels.

B.3.1. L'article 379, en cause, du Code pénal dispose : « Quiconque aura attenté aux moeurs en excitant, favorisant ou facilitant, pour satisfaire les passions d'autrui, la débauche, la corruption ou la prostitution d'un mineur de l'un ou de l'autre sexe, sera puni de réclusion de cinq ans à dix ans et d'une amende de cinq cents euros à vingt-cinq mille euros.

Il sera puni de la réclusion de dix ans à quinze ans et d'une amende de cinq cents euros à cinquante mille euros si le mineur n'a pas atteint l'âge de seize ans accomplis.

La peine sera de la réclusion de quinze ans à vingt ans et d'une amende de mille euros à cent mille euros, si le mineur n'a pas atteint l'âge de quatorze ans accomplis ».

L'article 100ter du Code pénal dispose : « Lorsqu'il est fait usage du terme ' mineur ' dans les dispositions du livre II, cette notion désigne la personne n'ayant pas encore atteint l'âge de dix-huit ans ».

B.3.2. Les notions de l'élément matériel de l'infraction mentionnée en B.3.1 sont définies non pas par le législateur, mais par la jurisprudence. Selon la Cour de cassation, la notion de « débauche » du mineur comprend des actes d'une sensualité et d'une immoralité graves au sens large qui peuvent être considérés comme excessifs du point de vue social, notamment compte tenu de l'âge du mineur concerné, et la notion de « corruption » ne concerne pas un acte, mais les conséquences négatives qu'un tel acte a ou peut avoir sur la vie sexuelle du mineur (Cass., 17 janvier 2012, P.11.0871.N).

L'élément matériel de l'outrage porte donc sur la facilitation (« en excitant, favorisant ou facilitant ») du comportement qualifié (« débauche ou prostitution ») d'une personne n'ayant pas encore atteint l'âge de dix-huit ans (article 100ter du Code pénal), avec d'éventuelles conséquences négatives pour ce mineur (« corruption »).

En ce qui concerne l'élément moral, une intention spéciale de la part de l'auteur est requise, en l'occurrence celle de satisfaire les « passions d'autrui ». Selon la Cour de cassation, les termes « les passions d'autrui » figurant à l'article 379, alinéa 1er, du Code pénal doivent être entendus à l'égard de celui qui « excite, facilite ou favorise », de sorte que le mineur correspond à la notion « d'autrui » au sens de cette disposition légale (Cass., 12 février 2013, P.12.1746.N; 9 décembre 2014, P.13.079.N).

B.3.3. Il découle de ce qui précède que l'infraction d'incitation à la débauche continue d'exister, même si le mineur a consenti aux actes sexuels considérés comme de la débauche.

En ce qu'elle ne tient pas compte du consentement du mineur qui a atteint l'âge de seize ans, la disposition en cause a pour but de réprimer davantage l'incitation de mineurs à la débauche. Une telle intervention en matière pénale vise non seulement à protéger les mineurs, mais également à préserver la moralité publique, à savoir la paix sociale en matière de moeurs.

B.4. Par la question préjudicielle, il est demandé à la Cour si l'article 379, alinéa 1er, du Code pénal est compatible avec les articles 10 et 11 de la Constitution, en ce qu'une personne majeure qui a des relations sexuelles avec un mineur ayant atteint l'âge de seize ans accomplis ne peut être sanctionnée sur la base des articles 372 et 375 du Code pénal lorsque le mineur a consenti à ces actes, alors que la personne majeure qui, pour satisfaire les passions d'un mineur, incite à la débauche ce mineur qui a atteint l'âge de seize ans accomplis peut effectivement être punie sur la base de l'article 379, alinéa 1er, du Code pénal, même si le mineur était consentant.

Dans le premier cas, il est en effet tenu compte, en ce qui concerne l'incrimination de tels actes, du consentement du mineur concerné âgé de plus de seize ans (le consentement exclut l'infraction), alors que dans le second cas, il n'est pas tenu compte du consentement du mineur âgé de plus de seize ans (le consentement n'exclut pas l'infraction).

B.5. L'on peut déduire des faits du jugement a quo et de la formulation de la question préjudicielle que le juge a quo estime que des relations sexuelles consenties entre, d'une part, un mineur âgé de seize ans accomplis et, d'autre part, une personne majeure, alors qu'une grande différence d'âge les sépare, constituent une incitation d'un mineur à la débauche au sens de l'article 379, alinéa 1er, du Code pénal.

La Cour limite son examen de l'article 379, alinéa 1er, du Code pénal à l'incitation à la débauche.

B.6. Le caractère répréhensible de certains faits, le constat de ceux-ci en tant qu'infraction, la gravité de cette infraction et la sévérité avec laquelle elle peut être punie relèvent du pouvoir d'appréciation du législateur.

La Cour empiéterait sur le domaine réservé au législateur si, en s'interrogeant sur la justification des différences entre des sanctions, elle procédait chaque fois à une mise en balance fondée sur un jugement de valeur quant au caractère répréhensible des faits en cause par rapport à d'autres faits punissables commis et ne limitait pas son examen aux cas dans lesquels le choix du législateur est à ce point incohérent qu'il aboutit à une différence de traitement manifestement déraisonnable ou à une sanction manifestement disproportionnée.

B.7. Le droit au respect de la vie privée, tel qu'il est garanti par l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme, a une très large portée et touche à l'autonomie personnelle. Ce droit implique le droit d'établir et entretenir des rapports avec d'autres êtres humains et avec le monde extérieur, en ce compris dans le domaine des relations sexuelles, qui est l'un des plus intimes de la sphère privée et est à ce titre protégé par la disposition conventionnelle précitée (CEDH, 27 septembre 1999, Smith et Grady c.

Royaume-Uni, § 89).

La disposition conventionnelle précitée suppose toutefois aussi, pour l'autorité publique, l'obligation positive de prendre des mesures inhérentes à un respect effectif de la vie privée, jusque dans les relations des individus entre eux (CEDH, 27 octobre 1994, Kroon e.a. c. Pays-Bas, § 31;grande chambre, 12 novembre 2013, Söderman c.

Suède, § 78). L'autorité publique doit plus particulièrement mettre en place et appliquer un cadre juridique adapté offrant aux mineurs une protection contre les actes de violence tant physique que psychique, et contre des abus de la part d'autrui, commis dans la sphère sexuelle, et se doter de dispositions pénales efficaces à cet effet (CEDH, grande chambre, 12 novembre 2013, Söderman c. Suède, §§ 80-85).

B.8.1. Le législateur pouvait prévoir que, dans les cas où le mineur âgé de plus de seize ans accomplis a consenti valablement et pleinement à des actes sexuels, il n'y aurait pas d'infractions à l'intégrité personnelle (viol ou attentat à la pudeur). En effet, en jugeant qu'une vie sexuelle avec un mineur âgé de plus de seize ans accomplis n'est pas punissable (exclusion de l'existence des infractions précitées), le législateur a raisonnablement concilié le droit du mineur de consentir à des relations sexuelles avec d'autres personnes, en ayant le souci de protéger ce mineur, tant physiquement que psychiquement.

B.8.2. Dans le cas de l'incitation à la débauche, le législateur pouvait estimer qu'une incrimination est effectivement opportune dans le cas de l'incitation de mineurs à une vie sexuelle, qui a ou peut avoir des conséquences négatives sur le mineur et qui est considérée comme excessive par la société.

B.8.3. Il appartient au juge pénal de vérifier, sur la base de tous les éléments concrets du dossier, dont l'âge du mineur concerné, s'il est question d'une sexualité à ce point excessive et dommageable que l'incitateur doit être puni.

B.9. La question préjudicielle appelle une réponse négative.

Par ces motifs, la Cour dit pour droit : L'article 379, alinéa 1er, du Code pénal, lu en combinaison avec l'article 100ter du même Code, ne viole pas les articles 10 et 11 de la Constitution.

Ainsi rendu en langue néerlandaise et en langue française, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, le 28 mai 2019.

Le greffier, P.-Y. Dutilleux Le président, A. Alen

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