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Arrêt
publié le 25 février 2020

Extrait de l'arrêt n° 78/2019 du 23 mai 2019 Numéro du rôle : 6906 En cause : la question préjudicielle relative à l'article 53, 9°, du Code des impôts sur les revenus 1992, posée par la Cour d'appel de Gand. La Cour constitutionnelle, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet de la question préjudicielle et procédu(...)

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COUR CONSTITUTIONNELLE


Extrait de l'arrêt n° 78/2019 du 23 mai 2019 Numéro du rôle : 6906 En cause : la question préjudicielle relative à l'article 53, 9°, du Code des impôts sur les revenus 1992, posée par la Cour d'appel de Gand.

La Cour constitutionnelle, composée des présidents A. Alen et F. Daoût, et des juges J.-P. Snappe, T. Merckx-Van Goey, T. Giet, R. Leysen et M. Pâques, assistée du greffier P.-Y. Dutilleux, présidée par le président A. Alen, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet de la question préjudicielle et procédure Par arrêt du 10 avril 2018 en cause de la SA « Realest » contre l'Etat belge, Service public fédéral Finances, dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour le 20 avril 2018, la Cour d'appel de Gand a posé la question préjudicielle suivante : « L'article 53, 9°, du Code des impôts sur les revenus 1992 est-il compatible avec le principe constitutionnel d'égalité contenu dans les articles 10, 11 et 172 de la Constitution, s'il est interprété en ce sens qu'il est uniquement applicable aux ' frais de toute nature qui se rapportent à des résidences de plaisance ou d'agrément qui sont compris parmi les rémunérations imposables des membres du personnel au profit desquels ils sont exposés ' et non aux frais d'une habitation qui sont compris parmi les rémunérations imposables des membres du personnel au profit desquels ils sont exposés ? ». (...) III. En droit (...) B.1.1. La question préjudicielle porte sur l'article 53, 9°, du Code des impôts sur les revenus 1992 (ci-après : CIR 1992), qui dispose : « Ne constituent pas des frais professionnels : [...] 9° les frais de toute nature qui se rapportent à la chasse, à la pêche, à des yachts ou autres bateaux de plaisance et à des résidences de plaisance ou d'agrément, sauf dans l'éventualité et dans la mesure où le contribuable établit qu'ils sont nécessités par l'exercice de son activité professionnelle en raison même de l'objet de celle-ci ou qu'ils sont compris parmi les rémunérations imposables des membres du personnel au profit desquels ils sont exposés ». B.1.2. La question préjudicielle invite la Cour à se prononcer sur la compatibilité de cette disposition avec les articles 10, 11 et 172 de la Constitution, en ce qu'elle s'applique uniquement aux frais se rapportant à des « résidences de plaisance ou d'agrément » qui sont compris dans les rémunérations imposables des membres du personnel au profit desquels ils sont exposés, et non aux frais se rapportant à des habitations privées qui sont compris dans les rémunérations imposables des membres du personnel au profit desquels ils sont exposés.

B.2.1. La disposition en cause fait partie des dispositions qui ont trait à la fixation du revenu net dans le cadre de l'impôt des personnes physiques. Conformément à l'article 183 du CIR 1992, ces dispositions sont également applicables à l'impôt des sociétés. En vertu de l'article 195 du CIR 1992, les dirigeants d'entreprise sont assimilés à des travailleurs salariés pour l'application des dispositions concernant les frais professionnels.

B.2.2. L'article 49, alinéa 1er, du CIR 1992 prévoit que les seuls frais déductibles des revenus professionnels à titre de frais professionnels sont « les frais que le contribuable a faits ou supportés pendant la période imposable en vue d'acquérir ou de conserver les revenus imposables et dont il justifie la réalité et le montant au moyen de documents probants ».

B.2.3. L'article 52, 3°, du même Code prévoit que les rémunérations des membres du personnel constituent des frais professionnels pour leur employeur. Il ressort de cette disposition, lue en combinaison avec, d'une part, les articles 32 et 195 et, d'autre part, l'article 49, alinéa 1er, du même Code, que les frais qu'une société expose pour accorder à son personnel ou à ses dirigeants d'entreprise un avantage de toute nature en rémunération de l'exercice de leur activité professionnelle au sein de la société, constituent des frais professionnels déductibles sur la base de l'article 49, précité, à condition que les avantages accordés répondent à des prestations réellement fournies au profit de la société et que le contribuable en apporte la preuve (Cass., 14 octobre 2016, F.14.0203.N et F.15.0103.N).

B.2.4. L'article 53 du même Code prévoit que certaines dépenses ne constituent pas des frais professionnels. C'est en principe le cas pour les frais de toute nature qui se rapportent à la chasse, à la pêche, à des yachts ou autres bateaux de plaisance et à des résidences de plaisance ou d'agrément (article 53, 9°). Toutefois, ces frais peuvent quand même constituer des frais professionnels si le contribuable établit qu'ils sont nécessaires pour l'exercice de son activité professionnelle, en raison même de l'objet de celle-ci, ou qu'ils sont compris parmi les rémunérations imposables des membres du personnel au profit desquels ils sont exposés.

B.2.5. L'article 53, 9°, en cause, du CIR 1992 trouve son origine dans l'article 18 de la loi du 25 juin 1973 « modifiant le Code des impôts sur les revenus, en ce qui concerne, notamment, la taxation des plus-values, l'assiette et le calcul de l'impôt des sociétés et de l'impôt des non-résidents, ainsi que la répression de certaines formes de fraude et d'évasion fiscales ». Il ressort des travaux préparatoires de cette disposition que le législateur entendait « réagir contre certains abus manifestes, en rejetant la déduction de dépenses qui présentent soit un caractère somptueux en raison de leur nature même, soit un certain degré de somptuosité non nécessité par l'exercice de l'activité professionnelle » (Doc. parl., Chambre, 1972-1973, n° 521/1, p. 4). Selon le législateur, les dépenses afférentes à l'exercice non professionnel de la chasse et de la pêche, aux yachts ou aux autres bateaux de plaisance, et aux résidences de plaisance ou d'agrément constituent des « dépenses dont le caractère professionnel est, dans la plupart des cas, fort douteux » (ibid., p. 3).

Les travaux préparatoires mentionnent en outre : « 1. Les articles 15 et 27 du projet de loi tendent à prohiber a priori la déduction, au titre de dépenses ou charges professionnelles : 1° des dépenses ou charges de toute nature qui se rapportent : a) à l'exercice non professionnel de la chasse ou de la pêche [...]; b) à l'utilisation - et non à l'exploitation - de yachts ou autres bateaux de plaisance (à moteur ou à voile), ainsi que de résidences de plaisance ou d'agrément (dépenses ou charges résultant de l'acquisition, de la location ou de toute autre opération faite en vue d'obtenir la disposition de yachts, bateaux de plaisance et résidences de plaisance ou d'agrément, ainsi que de l'entretien et de l'utilisation ou de l'occupation de ces biens;en bref, frais divers ayant trait soit à la pratique de la navigation de plaisance, soit à l'occupation de résidences de plaisance ou d'agrément); 2° de toutes autres dépenses ou charges dans la mesure où elles présentent un caractère somptuaire.2. Sous réserve de ce qui est mentionné ci-après, ces dépenses ou charges ne seront plus admises en déduction, qu'il s'agisse de dépenses ou charges que le contribuable aura faites ou supportées directement comme telles ou de dépenses ou charges qu'il aura supportées indirectement sous forme d'allocations forfaitaires ou d'indemnités en remboursement de frais accordées aux membres de son personnel ou de ses organes de gestion qui les auront exposées pour son compte.3. Il y a là deux notions différentes (un texte dont l'énumération est limitative, un autre dont la portée est générale), mais dans un certain sens complémentaires dont l'insertion dans le Code des impôts sur les revenus est commandée par le souci de mettre l'administration des contributions directes en mesure tantôt de refuser purement et simplement la déduction de dépenses ou charges dont le caractère professionnel n'est pas formellement établi ou est plus ou moins contestable, tantôt de combattre des abus manifestes en la matière. II. - Dépenses résultant de la chasse, de la pêche, de yachts ou de résidences de plaisance [...] 4. Il s'agit ici de dépenses ou charges de toute nature que le contribuable supporte, directement ou indirectement, en raison du fait : - soit qu'il se livre personnellement à la chasse, à la pêche ou à la navigation de plaisance ou qu'il se réserve personnellement la disposition d'une résidence de plaisance ou d'agrément; - soit qu'il permet à toutes personnes de se livrer, individuellement ou en groupe, à la chasse, à la pêche ou à la navigation de plaisance ou d'occuper ou de disposer, individuellement ou en groupe, d'une résidence de plaisance ou d'agrément, sans qu'il faille distinguer suivant que ces autres personnes sont des membres de son personnel ou de ses organes de gestion, des représentants, des clients, des fournisseurs, des relations d'affaires, etc., ou toutes autres personnes avec lesquelles il n'entretient pas des relations d'ordre professionnel, ni suivant que ces dépenses ou charges sont ou non nécessitées par des besoins professionnels, stricto ou lato sensu.

Sous les réserves indiquées ci-après, les dépenses ou charges dont il est question ne seront dorénavant plus admises en déduction, en raison de leur nature, même si elles peuvent apparaître comme nécessitées par les besoins professionnels et même si leur montant ne dépasse pas celui qu'atteindraient d'autres dépenses qui, du point de vue professionnel, auraient le même impact, publicitaire ou autre. [...] 7. Les dépenses ou charges visées ci-avant seront cependant encore déductibles dans l'éventualité et dans la mesure où le contribuable qui les aura supportées, directement ou indirectement, établira : 1° soit que ces dépenses ou charges sont nécessitées par l'exercice de son activité professionnelle en raison même de l'objet de celle-ci, comme, par exemple : [...] d) les dépenses se rapportant à des résidences de plaisance ou d'agrément, lorsque l'activité de l'entreprise qui a acquis, construit ou pris à bail lesdites résidences consiste à les louer, les sous-louer ou les exploiter commercialement; [...] 3° soit que ces dépenses ou charges sont comprises parmi les rémunérations imposables des membres du personnel ou des organes de gestion au profit desquels elles ont été exposées et sont donc déductibles au titre des rémunérations visées à l'article 45, 3° et 8°, ou à l'article 108 du C.I.R., étant entendu que ces rémunérations doivent être reprises aux fiches et/ou relevés prescrits en vue d'assurer le contrôle de la déclaration personnelle des bénéficiaires » (Doc. parl., Chambre, 1972-1973, n° 521/7, pp. 33-36).

B.2.6. Les travaux préparatoires précisent que par « résidences de plaisance ou d'agrément » on entend : « les immeubles qui ne sont ni affectés exclusivement ou principalement à l'exercice de l'activité professionnelle proprement dite, ni mis à la disposition, à usage d'habitation principale ou exclusive, de membres du personnel ou des organes de gestion.

N'entrent pas dans cette définition, par exemple, les immeubles qui constituent en quelque sorte une extension des installations de l'entreprise, tels que les immeubles affectés à usage soit de restaurant d'entreprise réservé aux membres des organes de gestion ou du personnel de cadre et à leurs visiteurs, soit de salles de réunion, soit à tout autre usage analogue.

Sont, par contre, visés, par exemple, les immeubles où peuvent être invités à séjourner comme à l'hôtel, des membres du personnel ou des organes de gestion, des représentants, des clients, des fournisseurs, des relations d'affaires, etc., individuellement ou en groupe.

Il s'agit ici, essentiellement, d'une question de fait qui devra être tranchée eu égard aux particularités propres à chaque cas » (ibid., p. 35; voyez la même définition dans le commentaire administratif de l'article 53 du CIR 1992, nos 53/173 à 53/176).

B.3.1. Le litige porté devant le juge a quo concerne un immeuble d'une société mis gratuitement à la disposition de l'un de ses administrateurs, qui est taxé à l'impôt des personnes physiques sur cette disposition à titre d'avantage de toute nature. Le juge a quo constate que l'immeuble est occupé en permanence comme habitation privée par l'administrateur bénéficiaire et qu'il ne constitue pas une « résidence de plaisance ou d'agrément » au sens de la disposition en cause.

Il demande à la Cour si l'article 53, 9°, en cause, du CIR 1992 viole les articles 10, 11 et 172 de la Constitution, dans la mesure où cette disposition s'applique à des résidences de plaisance ou d'agrément et non à des habitations privées, de sorte que seuls les frais que le contribuable expose par rapport à des résidences de plaisance ou d'agrément seraient déductibles à titre de frais professionnels, s'ils sont compris parmi les rémunérations imposables des membres du personnel ou dirigeants d'entreprise au profit desquels ils sont exposés.

B.3.2. Comme il est dit en B.2.5, le législateur entend régler, à l'article 53, 9°, du CIR 1992, la déductibilité fiscale de frais exposés par le contribuable pour mettre des installations à la disposition de membres du personnel ou de dirigeants d'entreprise à des fins de loisirs et de vacances. Vu sous cet angle, il n'est pas dénué de justification raisonnable que cette disposition ne règle pas le traitement fiscal de frais totalement étrangers à ces fins, comme la mise à disposition d'une habitation à usage privé permanent.

B.3.3. La question préjudicielle peut toutefois être interprétée en ce sens que la Cour est interrogée sur la différence de traitement entre, d'une part, des contribuables qui, sur la base de l'article 53, 9°, du CIR 1992, pourraient déduire à titre de frais professionnels les frais se rapportant à des résidences de plaisance ou d'agrément, à condition que ces frais soient compris parmi les rémunérations imposables des membres du personnel ou dirigeants d'entreprise au profit desquels ils sont exposés et, d'autre part, des contribuables qui ne pourraient pas déduire à titre de frais professionnels les frais se rapportant à la mise à disposition de leurs membres du personnel ou dirigeants d'entreprise d'une habitation privée, même si ces frais étaient compris parmi les rémunérations imposables.

B.4.1. En vertu de la disposition en cause, les frais se rapportant à une résidence de plaisance ou d'agrément ne constituent en principe pas des frais professionnels et ne sont donc pas déductibles. Il ressort des travaux préparatoires mentionnés en B.2.5 que le législateur considère qu'en raison de leur nature même, ces frais ne sont pas nécessaires pour l'exercice de l'activité professionnelle, et qu'ils ne satisfont donc pas à la condition générale de déductibilité à titre de frais professionnels telle qu'elle est consacrée par l'article 49 du CIR 1992. De tels frais peuvent néanmoins constituer des frais professionnels si le contribuable peut établir qu'ils sont compris parmi les rémunérations imposables des membres du personnel ou dirigeants d'entreprise au profit desquels ils sont exposés.

B.4.2. Pour que ces frais soient déductibles pour le contribuable, il faut cependant encore établir qu'ils satisfont aux conditions prescrites par l'article 49 du CIR 1992. Cette disposition, qui formule les conditions générales de déductibilité des frais professionnels, ne permet en principe pas de déduire des frais qui ne correspondent pas à des prestations réelles (Cass., 14 octobre 2016, F.14.0203.N). Les frais qu'un contribuable expose pour octroyer ou accorder à son personnel ou à ses dirigeants d'entreprise un avantage de toute nature en rémunération de l'exercice de leur activité professionnelle sont déductibles s'il est établi que les avantages accordés répondent à des prestations réellement fournies au profit de la société (Cass., 14 octobre 2016, F.15.0103.N).

B.5.1. Ainsi, le législateur a prévu les mêmes conditions pour les frais qui se rapportent à des résidences de plaisance ou d'agrément qu'une société met à la disposition de son personnel ou de ses dirigeants d'entreprise et qui sont compris comme avantage de toute nature dans les rémunérations imposables des bénéficiaires, et pour les frais se rapportant à des habitations privées exposés dans les mêmes circonstances, afin que le contribuable puisse les déduire à titre de frais professionnels.

B.5.2. Dans les deux cas, le contribuable doit notamment démontrer que les avantages octroyés, qui font partie de la rémunération imposable, répondent à des prestations réellement fournies par les membres du personnel ou par les dirigeants d'entreprise concernés au profit de la société.

B.5.3. Il en ressort que la différence de traitement sur laquelle la Cour est interrogée est inexistante.

B.6. La question préjudicielle appelle dès lors une réponse négative.

Par ces motifs, la Cour dit pour droit : L'article 53, 9°, du Code des impôts sur les revenus 1992 ne viole pas les articles 10, 11 et 172 de la Constitution.

Ainsi rendu en langue néerlandaise et en langue française, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, le 23 mai 2019.

Le greffier, P.-Y. Dutilleux Le président, A. Alen

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