publié le 02 décembre 2019
Extrait de l'arrêt n° 136/2019 du 17 octobre 2019 Numéro du rôle : 6742 En cause : le recours en annulation du décret de la Région flamande du 10 mars 2017 « modifiant les articles 92, 93, 95, 98 et 102bis du décret du 15 juillet 1997 contena La Cour constitutionnelle, composée des présidents F. Daoût et A. Alen, et des juges L. Lavrysen(...)
COUR CONSTITUTIONNELLE
Extrait de l'arrêt n° 136/2019 du 17 octobre 2019 Numéro du rôle : 6742 En cause : le recours en annulation du décret de la Région flamande du 10 mars 2017 « modifiant les articles 92, 93, 95, 98 et 102bis du décret du 15 juillet 1997 contenant le [Code flamand] du Logement », introduit par l'ASBL « Association de Promotion des Droits Humains et des Minorités ».
La Cour constitutionnelle, composée des présidents F. Daoût et A. Alen, et des juges L. Lavrysen, J.-P. Snappe, J.-P. Moerman, E. Derycke, T. Merckx-Van Goey, P. Nihoul, T. Giet, R. Leysen, J. Moerman et M. Pâques, assistée du greffier F. Meersschaut, présidée par le président F. Daoût, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet du recours et procédure Par requête adressée à la Cour par lettre recommandée à la poste le 6 octobre 2017 et parvenue au greffe le 11 octobre 2017, l'ASBL « Association de Promotion des Droits Humains et des Minorités », assistée et représentée par Me J. Sohier, avocat au barreau de Bruxelles, a introduit un recours en annulation du décret de la Région flamande du 10 mars 2017 « modifiant les articles 92, 93, 95, 98 et 102bis du décret du 15 juillet 1997 contenant le [Code flamand] du Logement » (publié au Moniteur belge du 11 avril 2017). (...) II. En droit (...) Quant aux dispositions attaquées et à leur contexte B.1. Il ressort de l'exposé des moyens contenu dans la requête que l'objet du recours se limite à l'article 2, 1°, du décret de la Région flamande du 10 mars 2017 « modifiant les articles 92, 93, 95, 98 et 102bis du décret du 15 juillet 1997 contenant le [Code flamand] du Logement ».
Cette disposition remplace le 6° et le 7° de l'article 92, § 3, alinéa 1er, du décret du 15 juillet 1997 « contenant le Code flamand du Logement » (ci-après : le Code flamand du logement).
B.2.1. Tel qu'il avait été remplacé par l'article 6 du décret du 15 décembre 2006 « portant modification du décret du 15 juillet 1997 contenant le Code flamand du Logement », l'article 92, § 3, alinéa 1er, 6° et 7°, du Code flamand du logement disposait : « Le locataire d'une habitation sociale de location respecte les obligations suivantes : [...] 6° pour autant que le locataire occupe une habitation sociale qui n'est pas située dans une commune [périphérique] ou de la frontière linguistique, [telle] que [mentionnée] dans les lois coordonnées du 18 juillet 1966 sur l'emploi des langues en matière administrative, avoir la volonté d'apprendre le néerlandais.Lors de l'apprentissage du néerlandais, le but est d'atteindre un niveau correspondant à la valeur directive A.1. du Cadre européen commun de [référence] pour [les langues]. Le Gouvernement flamand arrête les modalités pour constater cette volonté. Les personnes pouvant prouver qu'elles répondent déjà à cette valeur directive pour le néerlandais, sont exemptées aux conditions à arrêter par le Gouvernement flamand. Le Gouvernement flamand désigne également les catégories des personnes qui sont exemptées de cette obligation. La personne pouvant prouver à l'aide d'une attestation médicale qu'elle est grièvement malade ou qu'elle a un handicap mental ou physique l'empêchant en permanence d'obtenir la valeur directive A.1., est [en tout cas] exemptée de cette obligation; 7° pour autant que le locataire occupe une habitation sociale qui n'est pas [lire : qui est] située dans une commune [périphérique] ou de la frontière linguistique, [telle] que [mentionnée] dans les lois coordonnées du 18 juillet 1966 sur l'emploi des langues en matière administrative, sans porter préjudice aux facilités linguistiques, avoir la volonté d'apprendre le néerlandais.Lors de l'apprentissage du néerlandais, le but est d'atteindre un niveau correspondant à la valeur directive A.1. du Cadre européen commun de [référence] pour [les langues]. Le Gouvernement flamand arrête les modalités pour constater cette volonté. Les personnes pouvant prouver qu'elles répondent déjà à cette valeur directive pour le néerlandais, sont exemptées aux conditions à arrêter par le Gouvernement flamand. Le Gouvernement flamand désigne également les catégories des personnes qui sont exemptées de cette obligation. La personne pouvant prouver à l'aide d'une attestation médicale qu'elle est grièvement malade ou qu'elle a un handicap mental ou physique l'empêchant en permanence d'obtenir la valeur directive A.1., est en tout cas exemptée de cette obligation; ».
B.2.2. Par son arrêt n° 101/2008 du 10 juillet 2008, la Cour a rejeté des recours en annulation dirigés contre l'article 6 du décret du 15 décembre 2006, « sous réserve que l'obligation ' d'avoir la volonté d'apprendre le néerlandais ' et les sanctions qui s'y attachent soient interprétées comme ne s'appliquant pas aux candidats-locataires et aux locataires de logements sociaux visés par le décret [du 15 juillet 1997 contenant le Code flamand du Logement] situés dans les communes de la périphérie ou de la frontière linguistique, et qui entendent bénéficier des facilités linguistiques ».
B.2.3. L'article 2, 1°, du décret du 10 mars 2017 remplace les 6° et 7° de l'article 92, § 3, alinéa 1er, du Code flamand du logement par le texte suivant : « 6° pour autant que le locataire occupe une habitation sociale qui n'est pas située dans une commune [périphérique] ou de la frontière linguistique, telle que mentionnée dans les lois coordonnées du 18 juillet 1966 sur l'emploi des langues en matière administrative, disposer d'une aptitude linguistique [au] [néerlandais] qui correspond au niveau A1 du Cadre [européen commun de référence pour les langues]. Le Gouvernement flamand fixe la date à partir de laquelle le locataire doit répondre à l'obligation et la façon dont l'aptitude linguistique est déterminée; 7° pour autant que le locataire occupe une habitation sociale qui est située dans une commune [périphérique] ou de la frontière linguistique, telle que mentionnée dans les lois coordonnées du 18 juillet 1966 sur l'emploi des langues en matière administrative, sans porter préjudice aux facilités linguistiques, disposer d'une aptitude linguistique [au néerlandais] qui correspond au niveau A1 du Cadre [européen commun de référence pour les langues].Le Gouvernement flamand fixe la date à partir de laquelle le locataire doit répondre à l'obligation et la façon dont l'aptitude linguistique est déterminée; ».
B.2.4. L'article 2, 1°, du décret du 10 mars 2017 est entré en vigueur le 1er novembre 2017 (article 20 de l'arrêté du Gouvernement flamand du 7 juillet 2017 « modifiant diverses dispositions de l'arrêté du Gouvernement flamand du 12 octobre 2007 réglementant le régime de location sociale [en] exécution du titre VII du Code flamand du Logement »).
Quant à l'intérêt à demander l'annulation des dispositions attaquées B.3.1. La Constitution et la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle imposent à toute personne physique ou morale qui introduit un recours en annulation de justifier d'un intérêt. Ne justifient de l'intérêt requis que les personnes dont la situation pourrait être affectée directement et défavorablement par la norme attaquée; il s'ensuit que l'action populaire n'est pas admissible.
B.3.2. Lorsqu'une association sans but lucratif qui n'invoque pas son intérêt personnel agit devant la Cour, il est requis que son but statutaire soit d'une nature particulière et, dès lors, distinct de l'intérêt général; qu'elle défende un intérêt collectif; que la norme attaquée soit susceptible d'affecter son but; qu'il n'apparaisse pas, enfin, que ce but n'est pas ou n'est plus réellement poursuivi.
B.4. L'« Association de Promotion des Droits Humains et des Minorités » est une association sans but lucratif dont le but est, entre autres, « de promouvoir les droits humains tels que consacrés notamment par la Constitution », ainsi que par toutes les conventions internationales, de « dénoncer et contester toute atteinte arbitraire aux droits et libertés consacrés par les normes de droit interne ou de droit international » et « d'ester en justice [...] dans tous les litiges auxquels peut donner lieu l'application des normes de droit interne ou international relatives aux droits humains [et aux droits] des minorités » (article 3 de ses statuts, publiés aux annexes du Moniteur belge du 27 novembre 2013).
B.5.1. Ce but se distingue de l'intérêt général et relève de la défense d'un intérêt collectif.
Il n'apparaît pas, en outre, que l'association requérante ne poursuit pas réellement son but.
B.5.2. Les dispositions attaquées obligent les locataires d'un logement social à « disposer d'une aptitude linguistique [au] néerlandais ».
Elles concernent dès lors le droit à un logement décent, garanti par l'article 23, alinéa 3, 3°, de la Constitution.
Les dispositions attaquées sont donc susceptibles d'affecter directement et défavorablement le but statutaire poursuivi par l'association requérante, qui consiste notamment à promouvoir ce droit.
B.6. Celle-ci justifie de l'intérêt requis.
Quant au premier moyen En ce qui concerne la recevabilité B.7. Le premier moyen est pris, entre autres, de la violation de l'article 16bis de la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles, lu en combinaison avec les articles 10, 11 et 30 de la Constitution.
B.8. Pour satisfaire aux exigences de l'article 6 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, les moyens de la requête doivent faire connaître, parmi les règles dont la Cour garantit le respect, celles qui seraient violées ainsi que les dispositions qui violeraient ces règles et exposer en quoi ces règles auraient été transgressées par ces dispositions.
B.9. Les développements du premier moyen n'indiquent pas en quoi la disposition attaquée violerait l'article 16bis de la loi spéciale du 8 août 1980, lu en combinaison avec les dispositions de la Constitution mentionnées en B.7.
B.10. En ce qu'il est pris de la violation résultant de la lecture combinée de ces dispositions, le premier moyen est irrecevable.
En ce qui concerne le fondement du moyen B.11. Le premier moyen est pris de la violation de l'article 16bis de la loi spéciale du 8 août 1980 par l'article 92, § 3, alinéa 1er, 7°, du Code flamand du Logement, cité en B.2.3, en ce que l'obligation d'aptitude linguistique que la disposition attaquée fait aux personnes domiciliées dans une habitation sociale sise dans une commune périphérique ne respecterait pas les garanties données aux francophones domiciliés dans l'une ou l'autre de ces communes.
B.12. L'article 16bis de la loi spéciale du 8 août 1980, inséré par l'article 9 de la loi spéciale du 13 juillet 2001 puis modifié par l'article 2 de la loi spéciale du 19 juillet 2012, dispose : « Les décrets [...] des régions [...] ne peuvent porter préjudice aux garanties existantes au 14 octobre 2012 dont bénéficient les francophones dans les communes citées à l'article 7 des lois sur l'emploi des langues en matière administrative, coordonnées le 18 juillet 1966 [...] ».
L'article 7 des lois coordonnées le 18 juillet 1966, modifié par l'article 2 de la loi du 23 décembre 1970, dispose : « Sont dotées d'un statut propre, les communes de Drogenbos, Kraainem, Linkebeek, Rhode-Saint-Genèse, Wemmel et Wezembeek-Oppem.
En vue de l'application des dispositions suivantes et notamment celles du chapitre IV, ces communes sont considérées comme des communes à régime spécial. Elles sont dénommées ci-après ' communes périphériques ' ».
B.13.1. Dans l'avis qu'elle a donné sur l'avant-projet de décret qui est à l'origine du décret attaqué du 10 mars 2017, la section de législation du Conseil d'Etat remarquait que le texte qui lui était soumis ne prévoyait aucune règle particulière relative aux habitations sociales sises dans une commune périphérique et qu'à la différence de la version antérieure de l'article 92, § 3, alinéa 1er, 7°, du Code flamand du logement, le texte en projet ne précisait pas que l'obligation d'aptitude linguistique faite au locataire valait « sans porter préjudice aux facilités linguistiques » (Doc. parl., Parlement flamand, 2016-2017, n° 1045/1, p. 37).
L'exposé des motifs du projet de décret qui est à l'origine du décret du 10 mars 2017 précise que, selon la section de législation du Conseil d'Etat, il convient en principe de prévoir une exception à cette obligation d'aptitude linguistique pour les « locataires d'habitations sociales sises dans les communes périphériques [...] qui font usage des facilités linguistiques ». Le même exposé indique que c'est pour donner suite à cette observation du Conseil d'Etat que les mots « sans porter préjudice aux facilités linguistiques » utilisés dans la version antérieure de l'article 92, § 3, alinéa 1er, 7°, du Code flamand du logement ont été ajoutés dans l'article 92, § 3, alinéa 1er, 7°, inséré par le décret du 10 mars 2017 (ibid., p. 11).
B.13.2. Par son arrêt n° 101/2008, la Cour a observé que, pour que ces mots « aient une portée réelle », ils devaient être compris comme excluant l'application de la règle à laquelle ils étaient liés aux « locataires de logements sociaux [...] situés dans les communes de la périphérie ou de la frontière linguistique [...] qui entendent bénéficier de ces facilités linguistiques ».
B.13.3. Il résulte de ce qui précède que l'obligation d'aptitude linguistique énoncée par l'article 92, § 3, alinéa 1er, 7°, du Code flamand du logement, inséré par le décret du 10 mars 2017, ne s'applique pas au locataire francophone d'une habitation sociale sise dans une commune périphérique visée par l'article 16bis de la loi spéciale du 8 août 1980.
La disposition attaquée ne porte donc pas atteinte aux « garanties existantes » dont il est question dans l'article 16bis de la loi spéciale du 8 août 1980.
B.14. Sous réserve de ce qui est dit en B.13.3, le premier moyen n'est pas fondé en ce qu'il est pris de la violation de cette dernière disposition.
Quant au deuxième moyen En ce qui concerne la recevabilité Les articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec l'article 31 de la Charte sociale européenne révisée B.15. Le deuxième moyen est, entre autres, pris de la violation, par l'article 2 du décret du 10 mars 2017, des articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec l'article 31 de la partie II de la Charte sociale européenne révisée.
B.16. Il ressort de la déclaration du Royaume de Belgique consignée dans l'instrument de ratification de cette Charte, tel qu'il a été déposé le 2 mars 2004 auprès du secrétaire général du Conseil de l'Europe (Moniteur belge, 10 mai 2004, pp. 37424 et 37430), ainsi que de la notification déposée le 10 juin 2015 à la même autorité (Moniteur belge, 29 juin 2015, p. 37198), que l'Etat ne se considère pas comme lié par l'article 31 de la partie II de cette Charte.
B.17. En ce qu'il est pris de la violation de cette disposition internationale, lue en combinaison avec les articles 10 et 11 de la Constitution, le deuxième moyen est irrecevable.
Les articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec l'article 34 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne B.18. Le deuxième moyen est aussi pris de la violation, par l'article 2 du décret du 10 mars 2017, des articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec l'article 34 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne.
B.19. L'article 51, paragraphe 1, de la Charte dispose : « Les dispositions de la présente Charte s'adressent [...] aux Etats membres uniquement lorsqu'ils mettent en oeuvre le droit de l'Union.
En conséquence, ils respectent les droits, observent les principes et en promeuvent l'application, conformément à leurs compétences respectives et dans le respect des limites des compétences de l'Union telles qu'elles lui sont conférées dans les traités ».
B.20. L'article 2 du décret du 10 mars 2017 n'a pas pour objet de mettre en oeuvre le droit de l'Union européenne.
Il ne pourrait donc être jugé comme étant incompatible avec l'article 34 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne.
B.21. En ce qu'il est pris de la violation de cette disposition internationale, lue en combinaison avec les articles 10 et 11 de la Constitution, le deuxième moyen est irrecevable.
En ce qui concerne le fondement du deuxième moyen L'article 23 de la Constitution B.22. Il ressort des développements du deuxième moyen que la Cour est aussi invitée à statuer sur la compatibilité de l'article 92, § 3, alinéa 1er, 6° et 7°, du Code flamand du logement avec l'article 23, alinéa 2 et alinéa 3, 3°, de la Constitution, en ce que les dispositions attaquées obligent les personnes qui, en tant que locataires, occupent une habitation sociale sise dans une commune de la région de langue néerlandaise autre que l'une des communes de la frontière linguistique à disposer d'une aptitude linguistique au néerlandais.
Le moyen reproche à cette obligation de réduire le degré de protection du droit au logement de ces personnes en subordonnant leur droit de rester dans ce logement au respect de cette obligation.
B.23. L'article 23 de la Constitution dispose que chacun a le droit de mener une vie conforme à la dignité humaine. A cette fin, les différents législateurs garantissent, en tenant compte des obligations correspondantes, les droits économiques, sociaux et culturels et ils déterminent les conditions de leur exercice. L'article 23 de la Constitution ne précise pas ce qu'impliquent ces droits dont seul le principe est exprimé, chaque législateur étant chargé de les garantir, conformément à l'alinéa 2 de cet article, en tenant compte des obligations correspondantes.
L'article 23, alinéa 3, 3°, de la Constitution range le « droit à un logement décent » parmi les droits économiques, sociaux et culturels que les normes législatives doivent garantir.
L'article 23 de la Constitution contient une obligation de standstill qui interdit au législateur compétent de réduire significativement le degré de protection offert par la législation applicable, sans qu'existent pour ce faire des motifs d'intérêt général.
B.24. L'article 11 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels dispose : « 1. Les Etats parties au présent Pacte reconnaissent le droit de toute personne à un niveau de vie suffisant pour elle-même et sa famille, y compris [...] un logement [suffisant], ainsi qu'à une amélioration constante de ses conditions d'existence. Les Etats parties prendront des mesures appropriées pour assurer la réalisation de ce droit [...] ».
En ce qu'il reconnaît le droit de toute personne à un « logement suffisant », ce texte a une portée analogue à celle de l'article 23, alinéa 3, 3°, de la Constitution. Les garanties consacrées par ces deux textes constituent un ensemble indissociable.
La Cour peut donc tenir compte de la disposition internationale précitée lors de l'examen de la validité de la disposition législative attaquée au regard de l'article 23, alinéa 3, 3°, de la Constitution.
B.25. En ce qui concerne la personne qui, en tant que locataire, occupe une habitation sociale sise dans une commune périphérique au sens de l'article 7 des lois coordonnées le 18 juillet 1966, l'obligation critiquée d'aptitude linguistique résulte de l'article 92, § 3, alinéa 1er, 7°, du Code flamand du logement.
Comme il est dit en B.13.3, l'obligation énoncée par cette disposition ne s'applique pas au locataire francophone d'une habitation sociale sise dans une commune périphérique.
Elle ne réduit donc pas le degré de protection du droit à un logement décent de cette catégorie de locataires.
B.26.1. En ce qui concerne le locataire non francophone qui occupe une habitation sociale sise dans une commune périphérique et le locataire qui occupe une habitation sociale sise dans une commune de la région de langue néerlandaise autre que l'une des communes de la frontière linguistique, l'article 92, § 3, alinéa 1er, 7°, et l'article 92, § 3, alinéa 1er, 6°, du Code flamand du logement les obligent à disposer d'un niveau de maîtrise de la langue néerlandaise qui correspond au niveau A1 du Cadre européen commun de référence pour les langues.
Ce niveau A1 est « le niveau le plus élémentaire d'utilisation de la langue à titre personnel - celui où l'apprenant est capable d'interactions simples; peut répondre à des questions simples sur lui-même, l'endroit où il vit, les gens qu'il connaît et les choses qu'il a, et en poser; peut intervenir avec des énoncés simples dans les domaines qui le concernent ou qui lui sont familiers et y répondre également, en ne se contentant pas de répéter des expressions toutes faites et préorganisées » (Cadre européen commun de référence pour les langues, 3.6). La personne qui a atteint ce niveau peut « comprendre et utiliser des expressions familières et quotidiennes ainsi que des énoncés très simples qui visent à satisfaire des besoins concrets », « se présenter ou présenter quelqu'un et poser à une personne des questions la concernant - par exemple, sur son lieu d'habitation, ses relations, ce qui lui appartient, etc. - et [...] répondre au même type de questions » et « communiquer de façon simple si l'interlocuteur parle lentement et distinctement et se montre coopératif » (ibid., 3.3).
Les locataires précités doivent donc avoir une « connaissance de base » du néerlandais (Doc. parl., Parlement flamand, 2016-2017, n° 1045/1, pp. 3, 5-9; ibid., n° 1045/2, pp. 4-5, 9-10) qui leur permet de parler quelques mots de néerlandais. Le niveau de connaissance assez bas qui est exigé doit uniquement leur permettre de communiquer avec leurs voisins pour, par exemple, leur demander quand a lieu le ramassage public des ordures (Ann., Parlement flamand, 22 février 2017, n° 26, p. 51). B.26.2. Comme cela ressort de la version antérieure de l'article 92, § 3, alinéa 1er, 6° et 7°, du Code flamand du logement, avant l'entrée en vigueur des dispositions attaquées, les mêmes locataires n'étaient pas tenus de disposer d'un niveau de maîtrise de la langue néerlandaise correspondant au niveau A1 du Cadre européen commun de référence pour les langues.
La portée de l'obligation d'ordre linguistique prévue par ces textes était plus limitée. Ces locataires n'étaient tenus que d'« avoir la volonté d'apprendre le néerlandais » en vue d'atteindre un niveau de connaissance correspondant au niveau A1 précité. Par son arrêt n° 101/2008 du 10 juillet 2008, la Cour a relevé qu'il ne s'agissait que d'une obligation de moyen.
B.26.3. Les dispositions attaquées transforment cette obligation de moyen en une obligation de résultat (Doc. parl., Parlement flamand, 2016-2017, n° 1045/2, p. 4; Ann., Parlement flamand, 22 février 2017, n° 26, pp.50 et 53).
B.27. Pour apprécier si l'obligation décrite en B.26.1 entraîne une réduction significative du degré de protection du droit à un logement décent qui existait lorsque l'obligation décrite en B.26.2 était en vigueur, il y a lieu de tenir compte du contexte législatif des dispositions attaquées.
B.28. Avant l'entrée en vigueur des dispositions attaquées, le candidat à la location d'une habitation sociale, qui était tenu d'« avoir la volonté d'apprendre le néerlandais » ne pouvait être inscrit dans le registre des candidats du bailleur que s'il avait démontré cette volonté (article 93, § 1er, alinéa 2, 2° et 3°, du Code flamand du logement, inséré par l'article 7, 2°, du décret du 15 décembre 2006).
Depuis l'entrée en vigueur des dispositions attaquées, l'inscription d'un candidat n'est plus soumise à aucune condition d'ordre linguistique (article 93, § 1er, du même Code, tel qu'il a été modifié par l'article 3, 1°, du décret du 10 mars 2017).
Désormais, le bailleur doit seulement informer formellement le candidat de l'obligation linguistique énoncée dans les dispositions attaquées (article 93, § 1er, alinéa 5, du même Code, tel qu'il a été modifié par l'article 3, 2°, du décret du 10 mars 2017).
B.29.1. Avant l'entrée en vigueur des dispositions attaquées, une habitation sociale ne pouvait être attribuée au candidat inscrit visé en B.28 que si celui-ci avait, au préalable, démontré sa volonté d'apprendre le néerlandais (article 95, § 1er, alinéa 1er, 2° et 3°, du Code flamand du logement, inséré par l'article 8 du décret du 15 décembre 2006, puis modifié par l'article 50, 1°, du décret du 31 mai 2013 « portant modification de divers décrets relatifs au logement »).
Depuis l'entrée en vigueur des dispositions attaquées, l'attribution d'une habitation sociale à un candidat n'est plus soumise à aucune condition d'ordre linguistique (article 95, § 1er, du même Code, tel que modifié par l'article 4 du décret du 10 mars 2017).
B.29.2. Avant l'entrée en vigueur des dispositions attaquées, le bailleur d'une habitation sociale pouvait, moyennant un préavis, résilier le bail relatif à une habitation sociale en raison d'un manquement grave ou durable du locataire à son obligation d'« avoir la volonté d'apprendre le néerlandais » (article 98, § 3, alinéa 1er, 2°, du Code flamand du logement, remplacé par l'article 10 du décret du 15 décembre 2006, puis modifié par l'article 42, 4°, du décret du 14 octobre 2016 « modifiant divers décrets relatifs au logement » et par l'article 52, 10°, du décret du 31 mai 2013).
Depuis l'entrée en vigueur des dispositions attaquées, le manquement du locataire d'une habitation sociale à l'obligation linguistique précitée ne peut plus justifier la résiliation du bail (article 98, § 3, alinéa 1er, 2°, du même Code, tel qu'il a été modifié par l'article 5 du décret du 10 mars 2017).
B.29.3. Avant l'entrée en vigueur des dispositions attaquées, il ne pouvait être exigé une « volonté d'apprendre le néerlandais » du candidat à la location d'une habitation sociale ou du locataire d'une telle habitation lorsque celui-ci pouvait prouver, au moyen d'une attestation médicale, qu'il lui était durablement impossible d'acquérir une connaissance du néerlandais correspondant au niveau A1 du Cadre européen commun de référence pour les langues en raison d'une maladie grave ou d'un handicap mental ou physique (article 92, § 3, 6° et 7°, du Code flamand du logement; article 93, § 1er, alinéa 1er, 2° et 3°, du même Code, inséré par l'article 7, 2°, du décret du 15 décembre 2006; article 95, § 1er, alinéa 1er, 2° et 3°, du même Code, inséré par l'article 8 du décret du 15 décembre 2006, puis modifié par l'article 50, 1°, du décret du 31 mai 2013).
Comme il est dit en B.28, l'obligation d'aptitude linguistique énoncée par les dispositions attaquées n'est pas mise à la charge du candidat à la location d'une habitation sociale et ne concerne que le locataire d'une telle habitation. Ce dernier est cependant exempté de cette obligation, non seulement lorsqu'une maladie grave ou un handicap mental ou physique rend l'acquisition du niveau requis de connaissance du néerlandais durablement impossible, mais aussi lorsque cette impossibilité résulte d'aptitudes cognitives limitées (article 92, § 3, alinéa 3, du même Code, inséré par l'article 2, 3°, du décret du 10 mars 2007).
B.29.4. Comme il est dit en B.28, le candidat à la location d'une habitation sociale est formellement informé de l'obligation d'aptitude linguistique énoncée par les dispositions attaquées dès son inscription dans le registre des candidats, ce qui lui permet d'entreprendre dès ce moment les démarches utiles au respect de cette obligation future (Doc. parl., Parlement flamand, 2016-2017, n° 1045/1, pp. 3, 5 et 14; ibid., n° 1045/2, p. 9). Comme il est dit en B.29.1, le locataire d'une habitation sociale n'est pas pour autant tenu de disposer de la connaissance requise du néerlandais au moment de l'entrée en vigueur du contrat de location. Il dispose encore, à compter de ce moment, d'un délai pour acquérir cette connaissance (article 92, § 3, 6° et 7°, du Code flamand du logement).
En outre, si, pour des raisons professionnelles, médicales ou personnelles, il n'est temporairement pas en mesure d'acquérir le niveau de connaissance requis dans le délai imparti, il peut bénéficier d'un délai supplémentaire pour ce faire (article 92, § 3, alinéa 3, du Code flamand du logement, inséré par l'article 2, 3°, du décret du 10 mars 2007).
B.29.5. Lorsque le locataire d'une habitation sociale ne respecte pas l'obligation d'aptitude linguistique énoncée par les dispositions attaquées, le bailleur peut, à certaines conditions et si le locataire y consent, accompagner ou faire accompagner celui-ci en vue du respect de cette obligation (article 92, § 3, alinéa 2, du Code flamand du logement, inséré par l'article 2, 3°, du décret du 10 mars 2007).
B.29.6. Le locataire d'une habitation sociale a accès à une large offre de cours de néerlandais gratuits (Doc. parl., Parlement flamand, 2016-2017, n° 1045/1, pp. 4, 5 et 7-8; ibid., n° 1045/2, p. 4).
B.29.7. Enfin, la connaissance de base du néerlandais visée par les dispositions attaquées est, en tout état de cause, utile au locataire d'une habitation sociale sise en région de langue néerlandaise. Cette connaissance peut lui permettre de mieux comprendre la portée des droits et obligations qui découlent du bail conclu, de faire valoir ces droits et de respecter ces obligations, notamment en communiquant avec les personnes qui pourront, si nécessaire, l'aider à cette fin.
L'absence d'une connaissance de base du néerlandais peut compromettre la sécurité et la qualité de vie dans les immeubles d'habitations sociales en raison d'une communication déficiente entre les locataires ainsi qu'entre ces derniers et le bailleur, du fait que ces personnes ne disposeraient pas d'une langue commune. Un locataire social peut en outre être lésé parce qu'il n'est pas en mesure d'exprimer une demande en rapport avec ses droits (Doc. parl., Parlement flamand, 2016-2017, n° 1045/1, pp.3, 6 et 7).
Dans ces circonstances, la connaissance du néerlandais imposée par les dispositions attaquées contribue à la mise en oeuvre du droit à un logement décent des locataires visés par ces dispositions.
B.29.8. Il résulte de ce qui précède que, depuis l'entrée en vigueur des dispositions attaquées, l'obligation d'ordre linguistique liée à la location d'une habitation sociale n'entraîne dès lors pas une réduction du degré de protection du droit à un logement.
B.30. En ce qu'il est pris de la violation de l'article 23, alinéa 3, 3°, de la Constitution, le deuxième moyen n'est pas fondé.
Les articles 10 et 11 de la Constitution B.31. Le deuxième moyen est pris de la violation des articles 10 et 11 de la Constitution par l'article 92, § 3, alinéa 1er, 6° et 7°, du Code flamand du logement, en ce que les dispositions attaquées introduiraient une différence de traitement entre deux catégories de locataires d'une habitation sociale soumis à l'obligation de disposer du niveau requis de connaissance du néerlandais : d'une part, celui qui dispose du niveau de connaissance requis et, d'autre part, celui qui ne dispose pas encore de ce niveau de connaissance.
B.32. Les dispositions attaquées énoncent une obligation d'aptitude linguistique qui vaut pour ces deux catégories de locataires d'une habitation sociale.
Elles ne font aucune distinction entre eux. La différence de traitement critiquée est donc inexistante.
B.33. En ce qu'il est pris de la violation des articles 10 et 11 de la Constitution, le deuxième moyen n'est pas fondé.
Quant au troisième moyen B.34. Le troisième moyen est pris de la violation, par la phrase finale du 6° et du 7° de l'article 92, § 3, alinéa 1er, du Code flamand du logement, cité en B.2.3, de l'article 78 de la loi spéciale du 8 août 1980 ainsi que des articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec le principe de la sécurité juridique.
B.35. En vertu de l'article 142, alinéa 2, de la Constitution et de l'article 1er de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, la Cour est compétente pour statuer sur les recours en annulation d'une loi, d'un décret ou d'une règle visée à l'article 134 de la Constitution pour cause de violation des règles qui sont établies par la Constitution ou en vertu de celle-ci pour déterminer les compétences respectives de l'autorité fédérale, des communautés et des régions et pour cause de violation des articles du titre II (« Des Belges et de leurs droits ») et des articles 143, § 1er, 170, 172 et 191 de la Constitution.
B.36. L'article 78 de la loi spéciale du 8 août 1980 dispose : « Le Gouvernement n'a d'autres pouvoirs que ceux que lui attribuent formellement la Constitution et les lois et décrets portés en vertu de celle-ci ».
Cette règle n'a pas pour objet de déterminer les compétences respectives de l'autorité fédérale et des entités fédérées.
La Cour n'est donc pas compétente pour statuer sur le respect de cette règle.
B.37. Pour satisfaire aux exigences de l'article 6 de la loi spéciale du 6 janvier 1989, les moyens de la requête doivent faire connaître, parmi les règles dont la Cour garantit le respect, celles qui seraient violées ainsi que les dispositions qui violeraient ces règles et exposer en quoi ces règles auraient été transgressées par ces dispositions.
Cette exigence n'est pas de pure forme. Elle vise à fournir à la Cour ainsi qu'aux institutions et aux personnes qui peuvent adresser un mémoire à la Cour un exposé clair et univoque des moyens.
B.38. Le principe de la sécurité juridique interdit au législateur de porter atteinte sans justification objective et raisonnable à l'intérêt que possèdent les sujets de droit d'être en mesure de prévoir les conséquences juridiques de leurs actes.
B.39. L'exposé du troisième moyen ne permet pas de comprendre en quoi les dispositions attaquées violeraient ce principe, lu en combinaison avec les articles 10 et 11 de la Constitution.
B.40. Le troisième moyen est irrecevable.
Par ces motifs, la Cour, sous réserve de ce qui est dit en B.13.3, rejette le recours.
Ainsi rendu en langue française, en langue néerlandaise et en langue allemande, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, le 17 octobre 2019.
Le greffier, F. Meersschaut Le président, F. Daoût