publié le 12 novembre 2019
Extrait de l'arrêt n° 48/2019 du 19 mars 2019 Numéros du rôle : 6844, 6845, 6849, 6850 et 6851 En cause : les questions préjudicielles relatives à l'article 35septies, § 2, de la loi du 26 (...)
COUR CONSTITUTIONNELLE
Extrait de l'arrêt n° 48/2019 du 19 mars 2019 Numéros du rôle : 6844, 6845, 6849, 6850 et 6851 En cause : les questions préjudicielles relatives à l'article 35septies, § 2, de la loi du 26 mars 1971 sur la protection des eaux de surface contre la pollution et à l'article 28quater, § 2, alinéa 1er, 2°, du décret de la Région flamande du 24 janvier 1984 portant des mesures en matière de gestion des eaux souterraines, posées par la Cour d'appel de Gand.
La Cour constitutionnelle, composée des présidents A. Alen et F. Daoût, et des juges T. Merckx-Van Goey, P. Nihoul, T. Giet, J. Moerman et M. Pâques, assistée du greffier P.-Y. Dutilleux, présidée par le président A. Alen, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet des questions préjudicielles et procédure Par cinq arrêts du 30 janvier 2018 en cause de la SA « Tapibel » contre la « Vlaamse Milieumaatschappij », dont les expéditions sont parvenues au greffe de la Cour les 8 et 9 février 2018, la Cour d'appel de Gand a posé la question préjudicielle suivante : « L'article 35septies, § 2, de la loi du 26 mars 1971 sur la protection des eaux de surface contre la pollution et l'article 28quater, § 2.2 [lire : § 2, alinéa 1er, 2°] du décret du 24 janvier 1984 portant des mesures en matière de gestion des eaux souterraines violent-ils le principe d'égalité contenu aux articles 10 et 11 de la Constitution, combinés avec l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, si ces dispositions sont appliquées en ce sens que le débit d'eau, calculé forfaitairement en vertu de ces articles, d'un captage d'eau souterraine pour lequel la consommation n'est pas mesurée ou enregistrée et l'autorisation ne mentionne pas de débit ou qui ne dispose pas d'une telle autorisation, ne pourrait pas être contrôlé par un juge disposant d'une pleine juridiction qui puisse se prononcer sur le caractère manifestement disproportionné ou déraisonnable du calcul ? » Ces affaires, inscrites sous les numéros 6844, 6845, 6849, 6850 et 6851 du rôle de la Cour, ont été jointes. (...) III. En droit (...) B.1. La question préjudicielle porte sur l'article 35septies, § 2, de la loi du 26 mars 1971 sur la protection des eaux de surface contre la pollution et sur l'article 28quater, § 2, alinéa 1er, 2°, du décret de la Région flamande du 24 janvier 1984 portant des mesures en matière de gestion des eaux souterraines, tels qu'ils s'appliquaient en Région flamande pour les années d'imposition 2009 à 2013. Ces dispositions déterminaient les modalités de fixation de la taxe sur la pollution des eaux.
B.2.1. Pour ce qui concerne la Région flamande, les taxes d'environnement sur la pollution des eaux étaient réglées au chapitre IIIbis de la loi précitée du 26 mars 1971, intitulé « Dispositions particulières pour la Région flamande en matière de redevances [lire : taxes] sur la pollution des eaux ».
L'article 35bis, § 1er, de cette loi prévoyait que la « Vlaamse Milieumaatschappij » (ci-après : la Société flamande pour la protection de l'environnement) était chargée de l'établissement, de la perception et du recouvrement de la taxe sur la pollution des eaux, et du contrôle du respect des obligations afférentes à la taxe.
Conformément à l'article 35bis, § 3, alinéa 1er, de la même loi, était redevable de la taxe toute personne qui, en Flandre, consommait de l'eau fournie par une société publique de distribution d'eau et/ou disposait d'un captage d'eau privé et/ou déversait des eaux usées, indépendamment de la provenance de l'eau.
L'article 35ter, § 1er, disposait que le montant de la taxe était fixé comme suit : H = N x T, H étant égal au montant de la taxe due pour la pollution des eaux, N étant égal à la charge polluante exprimée en unités polluantes, calculée selon une des méthodes fixées dans les sections 3, 4, 5 et 6 de la loi, produite dans l'année précédant l'année d'imposition, et T étant égal au montant mentionné au paragraphe 2 du tarif unitaire de la taxe.
Selon la situation du redevable, la loi prévoyait plusieurs formules de calcul du nombre d'unités polluantes. Pour les « petits consommateurs », la charge polluante était en principe calculée sur la base de la consommation d'eau (article 35quater). Pour les « grands consommateurs », le calcul se faisait sur la base des résultats de mesure et d'échantillonnage des eaux usées qu'ils déversaient, c'est-à -dire en fonction de la charge polluante effective de l'eau (article 35quinquies). Si les données relatives aux eaux usées déversées qui étaient nécessaires pour l'application de cette méthode n'étaient pas disponibles ou étaient incomplètes, la charge polluante était calculée sur la base de coefficients de conversion (article 35septies).
B.2.2. La méthode de calcul forfaitaire consacrée par l'article 35septies tenait compte, pour le calcul de la charge polluante, de la consommation d'eau facturée ainsi que de l'eau obtenue d'une autre manière, dont l'eau souterraine prélevée. Conformément à l'article 35septies, § 2, alinéa 2, 2°, la quantité prélevée d'eau souterraine était en principe égale au volume mesuré à l'aide d'une mesure continue du débit avec enregistrement.
Si le redevable ne pouvait pas démontrer la quantité d'eau souterraine prélevée à l'aide d'une telle mesure du débit pour l'année entière précédant l'année d'imposition, cette quantité était présumée irréfragablement être égale au volume d'eau souterraine fixé conformément à l'article 28quater, § 2, du décret du 24 janvier 1984 précité. Conformément à cette disposition, la quantité d'eau souterraine prélevée était égale à la quantité spécifiée dans l'autorisation, ou - si le captage d'eau souterraine n'avait pas été autorisé pour l'année concernée ou si aucune quantité autorisée n'avait été mentionnée dans l'autorisation - à la somme de la capacité maximale des pompes multipliée par T, T étant égal à 2.000 pour les activités non saisonnières et pour les activités de durée illimitée.
B.2.3. Les dispositions précitées de la loi du 26 mars 1971 sur la protection des eaux de surface contre la pollution et du décret du 24 janvier 1984 portant des mesures en matière de gestion des eaux souterraines ont été abrogées, à partir du 1er janvier 2019, par les articles 4 et 6 du décret du 30 novembre 2018 « ratifiant la coordination de la réglementation relative à l'eau dans le décret du 18 juillet 2003 relatif à la politique intégrée de l'eau, et abrogeant la réglementation coordonnée ».
Cette abrogation n'a pas d'incidence sur l'objet de la question préjudicielle.
B.3. Il ressort des arrêts de renvoi que le redevable visé est un grand consommateur vis-à -vis duquel la Société flamande pour l'environnement a fait application, pour la détermination du montant de la taxe sur la pollution des eaux, de la méthode de calcul forfaitaire conformément à l'article 35septies de la loi du 26 mars 1971 et à l'article 28quater, § 2, alinéa 1er, 2°, du décret du 24 janvier 1984, sachant que la quantité d'eau souterraine prélevée est calculée sur la base de la capacité maximale des pompes, parce que pour les années d'imposition concernées, le redevable n'a démontré ni la quantité d'eaux usées déversées ni la quantité d'eau souterraine prélevée, par les données de mesurage requises, et parce qu'il ne disposait pas non plus d'une autorisation pour le captage d'eau souterraine.
B.4. La juridiction a quo demande à la Cour si l'article 35septies, § 2, de la loi du 26 mars 1971 et l'article 28quater, § 2, alinéa 1er, 2°, du décret du 24 janvier 1984 sont compatibles avec les articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, « si ces dispositions sont appliquées en ce sens que le débit d'eau, calculé forfaitairement en vertu de ces articles, d'un captage d'eau souterraine pour lequel la consommation n'est pas mesurée ou enregistrée et [dont] l'autorisation ne mentionne pas de débit, ou qui ne dispose pas d'une telle autorisation, ne pourrait pas être contrôlé par un juge disposant d'une pleine juridiction qui puisse se prononcer sur le caractère manifestement disproportionné ou déraisonnable du calcul ».
B.5. Le Gouvernement flamand conteste que les dispositions en cause relèvent du champ d'application de l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme. Il s'agirait en effet d'un litige purement fiscal ne donnant pas lieu à des sanctions pénales au sens de l'article 6 de la Convention.
B.6.1. La redevance litigieuse, qui ne représente pas la contrepartie d'un service accordé au redevable considéré isolément, constitue une taxe. Une telle taxe n'est soumise à l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme que dans la mesure où elle a le caractère d'une sanction pénale au sens de cette disposition conventionnelle.
B.6.2. En vertu de la jurisprudence de la Cour européenne des droits de l'homme, une mesure constitue une sanction pénale visée à l'article 6, paragraphe 1, de la Convention européenne des droits de l'homme si elle a un caractère pénal selon la qualification en droit interne ou s'il ressort de la nature de l'infraction, à savoir sa portée générale et le caractère préventif et répressif de la sanction, qu'il s'agit d'une sanction pénale ou encore s'il ressort de la nature et de la sévérité de la sanction subie par l'intéressé qu'elle a un caractère punitif et donc dissuasif (CEDH, grande chambre, 23 novembre 2006, Jussila c. Finlande).
La Cour examine si la taxe sur la pollution des eaux fixée forfaitairement conformément aux dispositions en cause répond aux critères précités et doit être qualifiée de pénale au sens de la Convention.
B.7.1. Les taxes d'environnement sur la pollution des eaux visent, d'une part, à limiter la pollution de l'eau et, d'autre part, à financer et répartir les charges financières résultant de la pollution de l'environnement, conformément au principe du « pollueur-payeur ».
Dans l'exposé des motifs du projet devenu le décret du 21 décembre 1990 « contenant des dispositions budgétaires techniques ainsi que des dispositions accompagnant le budget 1991 », qui a inséré l'article 35septies, en cause, dans la loi du 26 mars 1971, il a été déclaré à ce sujet : « Les taxes d'environnement ne sont donc pas seulement un moyen de financer totalement ou partiellement les mesures collectives de lutte contre la pollution de l'environnement, mais aussi et surtout un instrument politique pour inciter les pollueurs à limiter à la source la pollution dont ils sont responsables » (Doc. parl., Conseil flamand, 1990-1991, n° 424/1, p. 10).
En ce qui concerne en particulier la méthode de calcul forfaitaire consacrée par l'article 35septies, en cause, de la loi du 26 mars 1971, les travaux préparatoires du décret du 19 décembre 2003 contenant diverses mesures d'accompagnement du budget 2004 indiquent : « Afin d'obtenir un traitement égal de tous les redevables et afin de donner à l'administration chargée d'établir la taxe davantage de sécurité par rapport au débit indiqué, les grands consommateurs sont incités à prouver le débit déversé sur la base d'un enregistrement continu du débit.
Si le redevable n'applique pas ce système, il est nécessaire d'instaurer certaines présomptions. Celles-ci visent, d'une part, à avoir un effet dissuasif et à inciter les redevables de la taxe à procéder à un enregistrement continu du débit et, d'autre part, à donner à l'administration des garanties par rapport à la fiabilité des éléments à utiliser pour le calcul de la taxe.
En outre, pour obtenir une meilleure adéquation entre les taxes sur les eaux usées et les taxes sur le captage, il est prévu qu'en l'absence de compteurs, la quantité d'eau souterraine ou d'eau de surface pompée est réputée égale au volume pris en considération pour établir la taxe sur les eaux souterraines et sur le captage » (Doc. parl., Parlement flamand, 2003-2004, n° 1948/13, p. 7).
B.7.2. La mesure n'a pas été considérée comme une sanction pénale, ni sur le vu de la place occupée dans la législation par les dispositions en cause, ni sur le vu des travaux préparatoires.
Ainsi qu'il ressort des travaux préparatoires précités, les taxes d'environnement sur la pollution des eaux visent à limiter la pollution de l'eau (fonction incitative) et à financer et répartir les charges résultant de la pollution de l'environnement (fonction redistributrice), conformément au principe dit du « pollueur-payeur ».
En matière de taxes d'environnement, il apparaît généralement indissociable de l'objectif qu'il poursuit, que le législateur décrétal s'efforce d'influencer le comportement des contribuables, en vue de dissuader la pollution de l'environnement. La méthode de calcul forfaitaire vise en particulier à inciter les redevables de la taxe à installer un débitmètre, tandis que la possibilité est offerte à l'administration de fixer la base imposable forfaitairement lorsque les données de mesures requises sont manquantes. Les dispositions en cause poursuivent donc un objectif essentiellement incitatif et non répressif.
Certes, la méthode de calcul forfaitaire peut entraîner la prise en considération, lors de la détermination du montant de la taxe, d'une quantité d'eau souterraine prélevée supérieure à celle qui a été réellement captée. Mais en tenant compte, en l'absence de données de mesures requises, de l'élément objectif et individualisable de la capacité maximale de la pompe, la mesure en cause n'entraîne pas de conséquences à ce point lourdes qu'elle devrait être assimilée à une sanction pénale.
B.7.3. La mesure en cause ne peut donc pas être qualifiée de pénale au sens de l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, de sorte qu'elle ne relève pas du champ d'application de cette disposition.
B.8. Il appartient encore à la Cour d'apprécier si les dispositions en cause violent le principe d'égalité et de non-discrimination, dans l'interprétation retenue par la juridiction a quo.
B.9. Lorsqu'elle s'inspire du principe dit « du pollueur-payeur », une taxe n'obéit au principe d'égalité et de non-discrimination que si elle atteint ceux qui polluent et si elle tient compte de la mesure dans laquelle chaque redevable contribue à la nuisance contre laquelle la taxation s'efforce de lutter.
B.10.1. Dès lors, s'il n'était pas tenu compte, dans le calcul de la taxe, de la mesure dans laquelle le redevable contribue à la nuisance, la mesure serait disproportionnée à l'objectif de protection d'un environnement sain poursuivi par cette taxe.
B.10.2. En l'espèce, il peut être fait application, pour les « grands consommateurs », de différentes formules de calcul des unités de charge polluante. Ce calcul s'opère en principe sur la base des résultats de mesure et d'échantillonnage des eaux usées qu'ils déversent, c'est-à -dire en fonction de la charge polluante effective de l'eau (article 35quinquies). Les redevables qui souhaitent l'application de cette méthode de calcul doivent obtenir eux-mêmes les résultats de mesure et d'échantillonnage provenant d'une campagne de mesure exécutée de leur propre initiative par un laboratoire agréé par le Gouvernement.
Ce n'est que si ces données indispensables relatives aux eaux usées déversées ne sont pas disponibles ou sont incomplètes que la charge polluante est calculée sur la base des coefficients de conversion (article 35septies), en recourant aux formules forfaitaires qui se basent sur la consommation d'eau facturée ainsi que sur l'eau prélevée d'une autre manière. Cette méthode de calcul subsidiaire tient en principe compte de la quantité d'eau souterraine réellement prélevée, le redevable ayant à démontrer cette quantité à l'aide d'une mesure continue du débit. Si le redevable ne peut la démontrer, il est tenu compte de la quantité d'eau souterraine prélevée sur une base annuelle, telle qu'elle est indiquée dans l'autorisation. La capacité nominale maximale des pompes n'est prise en considération qu'à titre infiniment subsidiaire, à défaut d'autorisation ou si la quantité d'eau souterraine prélevée n'est pas indiquée dans l'autorisation.
B.11. Par conséquent, il est en principe tenu compte, pour le calcul de la taxe, de la mesure dans laquelle le redevable contribue aux nuisances.
La circonstance qu'il est fait usage de formules de calcul forfaitaires en cas d'absence de résultats de mesure et d'échantillonnage ou en cas de résultats incomplets sans que l'administration ou le juge puisse diminuer le montant ainsi fixé lorsque le redevable peut encore démontrer d'une autre manière la quantité réelle d'eau souterraine prélevée n'est pas de nature à ôter aux dispositions en cause leur justification raisonnable.
B.12. La question préjudicielle appelle une réponse négative.
Par ces motifs, la Cour dit pour droit : L'article 35septies, § 2, de la loi du 26 mars 1971 sur la protection des eaux de surface contre la pollution et l'article 28quater, § 2, alinéa 1er, 2°, du décret de la Région flamande du 24 janvier 1984 portant des mesures en matière de gestion des eaux souterraines ne violent pas les articles 10 et 11 de la Constitution.
Ainsi rendu en langue néerlandaise et en langue française, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, le 19 mars 2019.
Le greffier, P.-Y. Dutilleux Le président, A. Alen