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Arrêt
publié le 27 mars 2019

Extrait de l'arrêt n° 163/2018 du 29 novembre 2018 Numéro du rôle : 6654 En cause : les questions préjudicielles relatives à l'article 1 er de la loi du 2 septembre 1980 « portant approbation de la Convention entre le Royaume de Bel La Cour constitutionnelle, composée des présidents F. Daoût et A. Alen, et des juges L. Lavrysen(...)

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COUR CONSTITUTIONNELLE


Extrait de l'arrêt n° 163/2018 du 29 novembre 2018 Numéro du rôle : 6654 En cause : les questions préjudicielles relatives à l'article 1er de la loi du 2 septembre 1980 « portant approbation de la Convention entre le Royaume de Belgique et la Confédération suisse en vue d'éviter les doubles impositions en matière d'impôts sur le revenu et sur la fortune, signée à Berne le 28 août 1978 » en ce qu'il porte assentiment à l'article 15, paragraphe 3, de cette Convention, posées par le Tribunal de première instance de Liège, division Liège.

La Cour constitutionnelle, composée des présidents F. Daoût et A. Alen, et des juges L. Lavrysen, J.-P. Snappe, J.-P. Moerman, E. Derycke et R. Leysen, assistée du greffier P.-Y. Dutilleux, présidée par le président F. Daoût, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet des questions préjudicielles et procédure Par jugement du 20 avril 2017 en cause de Suzanne Goffard et Vincenzo Bastianelli contre l'Etat belge, dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour le 2 mai 2017, le Tribunal de première instance de Liège, division Liège, a posé les questions préjudicielles suivantes : « L'article 15, § 3, de la Convention préventive de double imposition signée entre la Belgique et la Suisse le 28 août 1978, signée à Berne et approuvée par la loi du 2 septembre 1980 (M.B. 14 octobre 1980) viole-t-il les articles 10, 11 et 172 de la Constitution et le principe général de sécurité juridique en ce qu'il ne prévoit pas le même régime stable et sécurisé d'exonération des rémunérations liées au trafic international d'un chauffeur routier international résident belge sous contrat avec un employeur dont le siège de direction effective se trouve au Grand-Duché de Luxembourg et expose le chauffeur routier international résident belge sous contrat avec un employeur dont le siège de direction effective se trouve en Suisse à un risque de double imposition sur tout ou partie de ses revenus et à un régime imprévisible et dépourvu de toute sécurité juridique ? L'article 15, § 3, de la Convention préventive de double imposition signée entre la Belgique et la Suisse le 28 août 1978, signée à Berne et approuvée par la loi du 2 septembre 1980 (M.B. 14 octobre 1980) viole-t-il les articles 10 et 11 de la Constitution en ce qu'il crée une discrimination selon que le transport international a lieu par mer, air ou terre et en ce qu'il entraine une exonération en Belgique des rémunérations d'origine suisse versées par un employeur dont le siège de direction effective se trouve en Suisse en contrepartie de prestations de salarié à bord d'un aéronef ou d'un bateau alors qu'il entraine une imposition en Belgique des rémunérations d'origine suisse versées par un employeur dont le siège de direction effective se trouve en Suisse en contrepartie de prestations de salarié à bord d'un train ou d'un camion ? ». (...) III. En droit (...) B.1.1. Les questions préjudicielles portent sur l'article 1er de la loi du 2 septembre 1980 « portant approbation de la Convention entre le Royaume de Belgique et la Confédération suisse en vue d'éviter les doubles impositions en matière d'impôts sur le revenu et sur la fortune, signée à Berne le 28 août 1978 » (ci-après : la Convention belgo-suisse du 28 août 1978), en ce qu'il porte assentiment à l'article 15, paragraphe 3, de cette Convention.

L'article 15 de la Convention belgo-suisse du 28 août 1978 dispose : « § 1. Sous réserve des dispositions des articles 16, 18 et 19, les salaires, traitements et autres rémunérations similaires qu'un résident d'un Etat contractant reçoit au titre d'un emploi salarié ne sont imposables que dans cet Etat, à moins que l'emploi ne soit exercé dans l'autre Etat contractant. Si l'emploi y est exercé, les rémunérations reçues à ce titre sont imposables dans cet autre Etat. § 2. Nonobstant les dispositions du paragraphe 1er, les rémunérations qu'un résident d'un Etat contractant reçoit au titre d'un emploi salarié exercé dans l'autre Etat contractant ne sont imposables que dans le premier Etat si : a) le bénéficiaire séjourne dans l'autre Etat pendant une période ou des périodes n'excédant pas au total 183 jours au cours de l'année civile, et b) les rémunérations sont payées par un employeur ou pour le compte d'un employeur qui n'est pas un résident de l'autre Etat, et c) la charge des rémunérations n'est pas supportée par un établissement stable ou une base fixe que l'employeur a dans l'autre Etat. § 3. Nonobstant les dispositions précédentes du présent article, les rémunérations reçues au titre d'un emploi salarié exercé à bord d'un navire ou d'un aéronef exploité en trafic international, ou à bord d'un bateau servant à la navigation intérieure, sont imposables dans l'Etat contractant où le siège de direction effective de l'entreprise est situé ».

B.1.2. L'article 15 de la Convention belgo-suisse du 28 août 1978 règle la répartition du pouvoir d'imposition, entre la Belgique et la Suisse, sur les salaires, traitements et autres rémunérations similaires perçus au titre d'un emploi salarié par les personnes qui sont des résidents de la Belgique, de la Suisse ou de ces deux Etats (article 1er de la même Convention).

En vertu de l'article 15, paragraphe 1, le pouvoir d'imposer les rémunérations qu'un résident d'un Etat contractant reçoit au titre d'un emploi salarié revient en premier lieu à l'Etat contractant dont le travailleur est résident. Si l'emploi est toutefois exercé dans un autre Etat, le pouvoir d'imposition est, en principe, attribué à l'Etat contractant dans lequel l'emploi est exercé.

L'article 15, paragraphe 2, prévoit une exception à la règle générale énoncée à l'article 15, paragraphe 1 : les rémunérations qu'un résident d'un Etat contractant perçoit au titre d'un emploi salarié exercé dans l'autre Etat contractant sont exclusivement imposables dans l'Etat contractant de la résidence du travailleur lorsque trois conditions sont remplies : (a) le travailleur séjourne dans l'autre Etat pendant une ou des périodes n'excédant pas au total 183 jours au cours de l'année civile, (b) les rémunérations sont payées par un employeur ou pour le compte d'un employeur qui n'est pas un résident de l'autre Etat et (c) la charge des rémunérations n'est pas supportée par un établissement stable ou une base fixe que l'employeur a dans l'autre Etat (règle dite « des 183 jours »).

Enfin, l'article 15, paragraphe 3, prévoit un régime particulier pour les rémunérations reçues au titre d'un emploi salarié exercé à bord d'un navire ou d'un aéronef exploité en trafic international, ou à bord d'un bateau servant à la navigation intérieure. Ces rémunérations sont imposables dans l'Etat contractant où le siège de direction effective de l'entreprise est situé.

B.2.1. Dans l'interprétation retenue par le juge a quo, l'exigence qu'un emploi soit exercé dans l'autre Etat contractant au sens de l'article 15, paragraphe 1, in fine, de la Convention belgo-suisse du 28 août 1978 revient à attribuer le pouvoir d'imposition à la Suisse uniquement s'il est démontré que le travailleur a une présence physique effective en Suisse.

Cette interprétation correspond à celle de la Cour de cassation qui, par un arrêt du 15 octobre 2015 (F.13.0120.N), à propos de l'article 15, paragraphe 1, de la Convention préventive de double imposition conclue le 16 octobre 1969 entre la Belgique et le Danemark rédigé en des termes quasiment identiques à ceux de l'article 15, paragraphe 1, de la Convention belgo-suisse du 28 août 1978, a jugé ce qui suit : « 1. En vertu de l'article 15, § 1er, de la Convention du 16 octobre 1969 entre la Belgique et le Danemark en vue d'éviter les doubles impositions et de régler certaines autres questions en matière d'impôts sur le revenu et la fortune, les salaires, traitements et autres rémunérations similaires qu'un résident d'un Etat contractant reçoit au titre d'un emploi salarié ne sont imposables que dans cet Etat, à moins que l'emploi ne soit exercé dans l'autre Etat contractant. Si l'emploi y est exercé, les rémunérations reçues à ce titre sont imposables dans cet autre Etat.

En vertu de cette disposition conventionnelle, le pouvoir d'imposer les rémunérations revient en premier lieu à l'Etat dont le travailleur est résident. Si l'emploi est toutefois exercé dans un autre Etat, ce qui implique la présence physique du travailleur dans cet Etat pour exercer son activité, le pouvoir d'imposition est, en principe, attribué à l'Etat dans lequel l'emploi est exercé.

En cas de transport international par camion, l'Etat dans lequel l'entreprise de transport est établie n'a le pouvoir d'imposer les rémunérations que pour les jours pendant lesquels le chauffeur de camion a effectivement travaillé dans cet Etat. 2. Les juges d'appel ont constaté que : - le premier défendeur est domicilié en Belgique; - il est occupé en tant que chauffeur de camion effectuant des transports internationaux pour une firme danoise; - des transports sont effectués dans divers pays sans qu'il existe des données détaillées du nombre d'heures prestées ou des kilomètres effectués ou des heures prestées dans chaque pays séparément; - les camions sont immatriculés au Danemark et les transports sont organisés à partir de ce pays. 3. Les juges d'appel ont considéré que : - pour déterminer la notion d'' exercice d'un emploi dans un autre état ' que l'état du domicile, le critère de la ' présence physique ' est impossible à appliquer à l'égard d'un chauffeur de camion effectuant presque quotidiennement des transports internationaux dans divers pays; - les revenus du premier défendeur pour les prestations de chauffeur de camion effectuant des transports internationaux pour une firme danoise, ne sont pas soumis aux impôts en Belgique, en application de l'article 15, § 1er, de la Convention du 16 octobre 1969. 4. Les juges d'appel, qui, en ce qui concerne les exercices 2003, 2004 et 2006, attribuent ainsi le pouvoir d'imposition, pour les revenus résultant d'un travail non-indépendant exercé partiellement dans un Etat autre que celui dans lequel le travailleur est résident, à l'Etat dans lequel l'emploi est exercé sans tenir compte de l'étendue des prestations qui ont été accomplies en-dehors du territoire de cet Etat, ont violé l'article 15, § 1er, de la Convention du 16 octobre 1969. Dans cette mesure, le moyen est fondé ».

La Cour de cassation s'est prononcée dans le même sens à propos de l'article 15, paragraphe 1, de la Convention préventive de double imposition conclue le 19 octobre 1970 entre la Belgique et les Pays-Bas (Cass., 15 octobre 2015, F.14.0083.N, non publié).

B.2.2. En vertu de l'article 15, paragraphe 1, de la Convention belgo-suisse du 28 août 1978, tel qu'interprété par le juge a quo, les rémunérations perçues par un chauffeur routier international, résident belge, sous contrat avec un employeur dont le siège de direction effective est situé en Suisse sont en principe imposables en Belgique, qui est l'Etat contractant de la résidence du travailleur (article 15, paragraphe 1, première phrase). La Suisse, qui est l'Etat contractant dans lequel l'emploi est exercé, n'a le pouvoir d'imposer ces rémunérations « que pour les jours pendant lesquels le chauffeur de camion a effectivement travaillé dans cet Etat » (article 15, paragraphe 1, deuxième phrase) (Cass., 15 octobre 2015, F.13.0120.N;

Cass., 15 octobre 2015, F.14.0083.N, non publié).

Quant à la seconde question préjudicielle B.3.1. Par la seconde question préjudicielle, la Cour est invitée à examiner la compatibilité de la disposition en cause avec les articles 10 et 11 de la Constitution, en ce qu'elle entraîne une exonération en Belgique des rémunérations d'origine suisse versées par un employeur dont le siège de direction effective est situé en Suisse, en contrepartie de prestations de salarié effectuées à bord d'un aéronef ou d'un bateau, et une imposition en Belgique des rémunérations d'origine suisse versées par un employeur dont le siège de direction effective est situé en Suisse, en contrepartie de prestations de salarié effectuées à bord d'un train ou d'un camion.

B.3.2. Le juge a quo compare la situation du travailleur salarié, résident belge, sous contrat avec un employeur dont le siège de direction effective est situé en Suisse, employé à bord d'un train ou d'un camion, à qui s'applique l'article 15, paragraphe 1, de la Convention belgo-suisse du 28 août 1978, à celle du travailleur salarié, résident belge, sous contrat avec un employeur dont le siège de direction effective est situé en Suisse, employé à bord d'un aéronef ou d'un bateau, à qui s'applique l'article 15, paragraphe 3, de la même Convention.

Par conséquent, la différence de traitement au sujet de laquelle la Cour est interrogée découle de l'article 15, paragraphe 3, de la Convention belgo-suisse du 28 août 1978, lu en combinaison avec l'article 15, paragraphe 1, de la même Convention.

B.4. Le litige au fond concerne l'imposition en Belgique des rémunérations perçues par un chauffeur routier international, résident belge, qui travaille pour le compte d'une entreprise dont le siège de direction effective est situé en Suisse.

Par conséquent, la Cour examine la différence de traitement précitée uniquement en ce qu'elle vise les chauffeurs routiers internationaux, sans examiner la situation des membres du personnel des sociétés de chemin de fer, qui est, du reste, spécialement visée à l'article 19, paragraphe 3, alinéa 2, de la Convention belgo-suisse du 28 août 1978.

B.5. Il ressort de ce qui a été dit en B.2.2, qu'en vertu de l'article 15, paragraphe 1, de la Convention belgo-suisse du 28 août 1978, tel qu'il est interprété par le juge a quo, les rémunérations perçues par un chauffeur routier international, résident belge, sous contrat avec un employeur dont le siège de direction effective est situé en Suisse sont en principe imposables en Belgique, qui est l'Etat contractant de la résidence du travailleur. Ces rémunérations sont imposables en Suisse, qui est l'Etat contractant dans lequel l'emploi est exercé, uniquement pour les jours pendant lesquels le chauffeur de camion a effectivement travaillé dans cet Etat.

En revanche, en vertu de l'article 15, paragraphe 3, de la même Convention, tel qu'il est interprété par le juge a quo, les rémunérations perçues par le travailleur salarié, résident belge, sous contrat avec un employeur dont le siège de direction effective est situé en Suisse, employé « à bord d'un navire ou d'un aéronef exploité en trafic international, ou à bord d'un bateau servant à la navigation intérieure », sont intégralement imposables en Suisse, qui est l'Etat contractant sur le territoire duquel le siège de direction effective de l'entreprise est situé.

B.6. Le contrôle de la Cour impliquant l'examen du contenu de l'article 15 de la Convention belgo-suisse du 28 août 1978, la Cour doit tenir compte de ce qu'il ne s'agit pas d'un acte unilatéral de souveraineté, mais d'une norme conventionnelle par laquelle la Belgique a pris un engagement de droit international à l'égard d'un autre Etat.

B.7.1. De même que les autres conventions préventives de la double imposition, la Convention belgo-suisse du 28 août 1978 a pour objectif premier de supprimer la double imposition internationale ou d'en atténuer les effets, ce qui implique que les Etats contractants renoncent, partiellement ou totalement, à exercer le droit que leur confère leur législation d'imposer un certain nombre de revenus. La Convention règle donc la répartition du pouvoir d'imposition entre l'Etat de la résidence du contribuable et l'Etat de la source des revenus, et ne crée pas de nouvelles obligations fiscales par rapport à leurs droits internes.

B.7.2. L'exposé des motifs du projet de loi portant approbation de la Convention précise que celle-ci s'inspire dans une large mesure du Modèle de Convention fiscale établi au niveau international par l'Organisation de coopération et de développement économiques (OCDE) (Doc. parl., Chambre, SE 1979, n° 255/1, p. 2).

B.8.1. La disposition en cause s'inspire de l'article 15, paragraphe 3, du Modèle de Convention fiscale de l'OCDE, dans sa version telle qu'elle se lisait à la date de la signature de la Convention belgo-suisse, le 28 août 1978, et ce jusqu'au 20 novembre 2017 : « Nonobstant les dispositions précédentes du présent article, les rémunérations reçues au titre d'un emploi salarié exercé à bord d'un navire ou d'un aéronef exploité en trafic international, à bord d'un bateau servant à la navigation intérieure, sont imposables dans l'Etat contractant où le siège de direction effective de l'entreprise est situé » (OCDE (2014), Modèle de Convention fiscale concernant le revenu et la fortune : Version abrégée 2014, Editions OCDE, article 15 « Revenus d'emploi », pp. 33-34).

B.8.2. Depuis la « Mise à jour 2017 du Modèle de Convention fiscale de l'OCDE » du 21 novembre 2017, l'article 15, paragraphe 3, du Modèle de Convention se lit comme suit : « Nonobstant les dispositions précédentes du présent article, les rémunérations reçues par un résident d'un Etat contractant au titre d'un emploi salarié, en tant que membre de l'équipage régulier d'un navire ou aéronef, exercé à bord d'un navire ou d'un aéronef exploité en trafic international, à l'exception d'un emploi exercé à bord d'un navire ou d'un aéronef exploité uniquement dans l'autre Etat contractant, ne sont imposables que dans le premier Etat » (OECD (2017), Modèle de Convention concernant le revenu et la fortune : version abrégée 2017, Editions OCDE, article 15, paragraphe 3, p. 39, traduction libre).

Il en résulte que, depuis le 21 novembre 2017, l'article 15, paragraphe 3, du Modèle de Convention fiscale de l'OCDE prévoit que les rémunérations perçues au titre d'un emploi salarié, en tant que membre de l'équipage régulier d'un navire ou d'un aéronef, exercé à bord d'un navire ou d'un aéronef exploité en trafic international, sont imposables, en principe, dans l'Etat contractant de la résidence du travailleur.

B.9. Les Commentaires du Modèle de Convention fiscale de l'OCDE ne sont pas contraignants pour les Etats membres de l'OCDE. Dans la mesure où ces Commentaires sont le résultat des discussions menées par les représentants des Etats membres au sein du Comité des affaires fiscales de l'OCDE, ils reflètent cependant la manière dont le texte du Modèle de Convention a été conçu par les Etats membres.

B.10. Les paragraphes 9 et 10 des Commentaires relatifs à l'article 15, paragraphe 3, du Modèle de Convention fiscale de l'OCDE, dans leur version antérieure au 21 novembre 2017, étaient libellés comme suit : « 9. Le paragraphe 3 rend applicable aux rémunérations des équipages de navires ou d'aéronefs en trafic international ou de bateaux servant à la navigation intérieure, une règle qui suit, jusqu'à un certain point, celle qui est applicable aux revenus de la navigation maritime, intérieure et aérienne, c'est-à-dire qu'elles sont imposables dans l'Etat contractant où se trouve le siège de direction effective de l'entreprise. Dans les Commentaires sur l'article 8, il est précisé que les Etats contractants peuvent convenir de conférer le droit d'imposer ces revenus à l'Etat de l'entreprise qui exploite les navires, bateaux ou aéronefs. Les raisons qui expliquent l'introduction de cette possibilité s'agissant des revenus de la navigation maritime, intérieure ou aérienne sont également valables pour ce qui est de la rémunération de l'équipage [...] ». « 10. Il est à noter que l'imposition des revenus des travailleurs frontaliers ou des salariés travaillant à bord de camions et de trains entre plusieurs Etats n'a pas fait l'objet de dispositions particulières, car il est préférable que les problèmes résultant de conditions locales soient résolus directement par les Etats intéressés » (OCDE (2014), Modèle de Convention fiscale concernant le revenu et la fortune : Version abrégée 2014, éditions OCDE, Commentaires sur l'article 15 concernant les revenus d'emploi, paragraphes 9 et 10, pp. 294-295).

B.11. Il en résulte que les Etats membres de l'OCDE ont estimé qu'il était préférable de laisser aux Etats intéressés le soin de traiter, dans les conventions bilatérales, l'imposition des revenus des salariés travaillant à bord de camions, sans qu'il soit nécessaire de prévoir une disposition spécifique concernant cette problématique dans le Modèle de Convention fiscale de l'OCDE. Ils ont par contre introduit, par le biais de l'article 15, paragraphe 3, du Modèle de Convention fiscale de l'OCDE, une disposition spécifique concernant l'imposition des revenus des équipages de navires ou d'aéronefs en trafic international ou de bateaux servant à la navigation intérieure afin d'aligner « jusqu'à un certain point » la règle applicable à ces rémunérations sur la règle applicable aux bénéfices des entreprises qui exploitent ces navires, bateaux ou aéronefs, énoncée à l'article 8 du Modèle de Convention de l'OCDE. En vertu de cette dernière disposition, les bénéfices provenant de l'exploitation, en trafic international, de navires ou d'aéronefs et les bénéfices provenant de l'exploitation de bateaux servant à la navigation intérieure ne sont imposables que « dans l'Etat contractant où le siège de direction effective de l'entreprise est situé ».

Selon le premier paragraphe des Commentaires de l'article 8 du Modèle de Convention fiscale, dans sa version telle qu'elle se lisait avant le 21 novembre 2017 : « La disposition du paragraphe 1 qui concerne les bénéfices de l'exploitation, en trafic international, de navires ou d'aéronefs a pour but d'assurer que ces bénéfices seront imposés dans un seul Etat.

La disposition est basée sur le principe suivant lequel le droit d'imposition doit être réservé à l'Etat contractant où se trouve le siège de direction effective de l'entreprise. L'expression ' trafic international ' est définie à l'alinéa e) du paragraphe 1 de l'article 3 » (OCDE (2014), Modèle de Convention fiscale concernant le revenu et la fortune : Version abrégée 2014, éditions OCDE, Commentaires sur l'article 8 concernant l'imposition des bénéfices provenant de la navigation maritime, intérieure et aérienne, paragraphe 1er, p. 190).

Avant le 21 novembre 2017, l'article 3, paragraphe 1, e), du Modèle de Convention fiscale était libellé comme suit : « Au sens de la présente Convention, à moins que le contexte n'exige une interprétation différente : [...] l'expression ' trafic international ' désigne tout transport effectué par un navire ou un aéronef exploité par une entreprise dont le siège de direction effective est situé dans un Etat contractant, sauf lorsque le navire ou l'aéronef n'est exploité qu'entre des points situés dans l'autre Etat contractant » (OCDE (2014), Modèle de Convention fiscale concernant le revenu et la fortune : Version abrégée 2014, éditions OCDE, article 3 « Définitions générales », paragraphe 1, e), p. 25).

Selon le paragraphe 5 des Commentaires de l'article 3 du Modèle de Convention fiscale, tels qu'ils étaient formulés avant le 21 novembre 2017 : « La définition de l'expression ' trafic international ' est fondée sur le principe exposé au paragraphe 1 de l'article 8 suivant lequel, étant donné le caractère spécial des opérations ainsi visées, seul l'Etat contractant où est situé le siège de direction effective de l'entreprise est en droit d'imposer les bénéfices provenant de cette forme d'exploitation de navires ou d'aéronefs [...] » (ibid., Commentaires sur l'article 3 concernant les définitions générales, p. 85).

B.12. Eu égard à la volonté d'aligner l'imposition des rémunérations des équipages de navires, bateaux ou aéronefs sur l'imposition des bénéfices des entreprises qui exploitent ces navires, bateaux ou aéronefs, le législateur a pu raisonnablement donner son assentiment à une convention internationale qui prévoit que seules les rémunérations perçues par les salariés travaillant à bord de navires ou d'aéronefs exploités en trafic international ou de bateaux servant à la navigation intérieure, et non celles perçues par les chauffeurs routiers internationaux, sont imposables dans l'Etat dans lequel est situé le siège de direction effective de l'employeur.

L'imposition des rémunérations perçues par les chauffeurs routiers internationaux fait d'ailleurs l'objet de solutions différentes dans d'autres conventions préventives de double imposition conclues par la Belgique.

La disposition en cause n'entraîne pas de conséquences disproportionnées dès lors que, si une personne estime que les mesures prises par un Etat contractant ou par les deux Etats contractants entraînent ou entraîneront pour elle une imposition non conforme aux dispositions de la Convention, l'article 26 de la Convention belgo-suisse du 28 août 1978 permet d'engager une procédure amiable dans un délai de trois ans en vue d'obtenir une révision de l'imposition non conforme à la Convention.

B.13. La seconde question préjudicielle appelle une réponse négative.

Quant à la première question préjudicielle B.14.1. Par la première question préjudicielle, la Cour est invitée à examiner la compatibilité de la disposition en cause avec les articles 10, 11 et 172 de la Constitution, lus en combinaison avec le principe de sécurité juridique, en ce que cette disposition ne prévoit pas, pour le chauffeur routier international, résident belge, sous contrat avec un employeur dont le siège de direction effective est situé en Suisse, le même régime d'exonération des rémunérations liées au trafic international que pour le chauffeur routier international, résident belge, sous contrat avec un employeur dont le siège de direction effective est situé au Grand-Duché de Luxembourg.

B.14.2. Le juge a quo compare la situation du chauffeur routier international, résident belge, sous contrat avec un employeur dont le siège de direction effective se trouve en Suisse, à qui s'applique l'article 15, paragraphe 1, de la Convention belgo-suisse du 28 août 1978, à celle du chauffeur routier international, résident belge, sous contrat avec un employeur dont le siège de direction effective est situé au Grand-Duché de Luxembourg, à qui s'applique l'article 15, paragraphe 3, de la Convention signée le 17 septembre 1970 entre la Belgique et le Luxembourg en vue d'éviter les doubles impositions et de régler certaines autres questions en matière d'impôts sur le revenu et sur la fortune, approuvée par loi du 14 décembre 1972 (ci-après : Convention belgo-luxembourgeoise du 17 septembre 1970), en ce que le premier doit apporter la preuve de sa présence physique en Suisse pour obtenir l'exemption de ses revenus professionnels à l'impôt des personnes physiques en Belgique, alors que les rémunérations perçues par le second sont considérées comme se rapportant à une activité exercée au Grand-Duché de Luxembourg et sont imposables dans cet Etat.

L'article 15, paragraphe 3, de la Convention belgo-luxembourgeoise du 17 septembre 1970, tel qu'il a été modifié par l'avenant du 11 décembre 2002 approuvé par loi du 17 décembre 2004, dispose en effet : « Par dérogation aux §§ 1 et 2 et sous la réserve mentionnée au § 1, les rémunérations au titre d'un emploi salarié exercé à bord d'un navire, d'un aéronef ou d'un véhicule ferroviaire ou routier exploité en trafic international, ou à bord d'un bateau servant à la navigation intérieure en trafic international, sont considérées comme se rapportant à une activité exercée dans l'Etat contractant où est situé le siège de la direction effective de l'entreprise et sont imposables dans cet Etat ».

B.15. La différence de traitement visée en B.14.2 s'explique par l'exercice, par les parties contractantes, de leur faculté de contracter des engagements internationaux.

Partant et compte tenu de ce qui a été dit en B.6 et en B.12, la différence de traitement est raisonnablement justifiée.

B.16. La première question préjudicielle appelle une réponse négative.

Par ces motifs, la Cour dit pour droit : L'article 1er de la loi du 2 septembre 1980 « portant approbation de la Convention entre le Royaume de Belgique et la Confédération suisse en vue d'éviter les doubles impositions en matière d'impôts sur le revenu et sur la fortune, signée à Berne le 28 août 1978 » en ce qu'il porte assentiment à l'article 15, paragraphe 3, de cette Convention, lu en combinaison avec le paragraphe 1 de la même disposition, ne viole pas les articles 10, 11 et 172 de la Constitution, lus en combinaison avec le principe de la sécurité juridique.

Ainsi rendu en langue française et en langue néerlandaise, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, le 29 novembre 2018.

Le greffier, P.-Y. Dutilleux Le président, F. Daoût

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