publié le 14 novembre 2018
Extrait de l'arrêt n° 57/2018 du 17 mai 2018 Numéro du rôle : 6634 En cause : la question préjudicielle relative à l'article 7, § 1 er sexies, alinéa 2, 2°, de l'arrêté-loi du 28 décembre 1944 concernant la sécurité sociale des La Cour constitutionnelle, composée des présidents A. Alen et J. Spreutels, et des juges L. Lavr(...)
COUR CONSTITUTIONNELLE
Extrait de l'arrêt n° 57/2018 du 17 mai 2018 Numéro du rôle : 6634 En cause : la question préjudicielle relative à l'article 7, § 1ersexies, alinéa 2, 2°, de l'arrêté-loi du 28 décembre 1944 concernant la sécurité sociale des travailleurs, tel qu'il était applicable avant le 27 avril 2015, posée par le Tribunal du travail néerlandophone de Bruxelles.
La Cour constitutionnelle, composée des présidents A. Alen et J. Spreutels, et des juges L. Lavrysen, J.-P. Snappe, J.-P. Moerman, E. Derycke et R. Leysen, assistée du greffier P.-Y. Dutilleux, présidée par le président A. Alen, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet de la question préjudicielle et procédure Par jugement du 20 février 2017 en cause de Roland St John contre l'Office national de l'emploi, dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour le 8 mars 2017, le Tribunal du travail néerlandophone de Bruxelles a posé la question préjudicielle suivante : « L'article 7, § 1ersexies, alinéa 2, 2°, de l'arrêté-loi du 28 décembre 1944 concernant la sécurité sociale des travailleurs, tel qu'il était applicable avant le 27 avril 2015, interprété en ce sens que les personnes qui, tant au 31 décembre 2013 qu'après, avaient un contrat de travail d'ouvrier et ont été licenciées après le 31 décembre 2013 ont droit à une indemnité compensatoire de licenciement, alors que les personnes qui, au 31 décembre 2013, avaient un contrat de travail d'ouvrier qui ont par la suite - bien qu'elles aient toujours continué à accomplir un travail essentiellement manuel - reçu un statut conventionnel d'employé et qui ont été licenciées après l'octroi de ce statut n'ont pas droit à cette indemnité, viole-t-il les articles 10 et 11 de la Constitution ? ». (...) III. En droit (...) B.1. L'instauration du statut unique pour ouvriers et employés a en règle pour conséquence que les ouvriers ont droit à un délai de préavis plus long. Mais ce droit ne s'applique pleinement que si le contrat de travail a débuté après le 31 décembre 2013. Un ouvrier qui a acquis son ancienneté en partie avant cette date subit encore en partie les inconvénients de l'ancienne réglementation. Le législateur a créé l'indemnité compensatoire de licenciement pour supprimer ces inconvénients.
Cette indemnité est accordée par l'Office national de l'emploi aux « travailleurs dont la durée du délai de préavis ou dont la durée de l'indemnité de congé correspondante doit, conformément à la législation, être déterminée, au moins partiellement, sur la base de l'ancienneté acquise comme ouvrier dans la période située avant le 1er janvier 2014 » (article 7, § 1er, alinéa 3, zf), de l'arrêté-loi du 28 décembre 1944 concernant la sécurité sociale des travailleurs, tel qu'il a été inséré par la loi du 26 décembre 2013Documents pertinents retrouvés type loi prom. 26/12/2013 pub. 31/12/2013 numac 2013012289 source service public federal emploi, travail et concertation sociale Loi concernant l'introduction d'un statut unique entre ouvriers et employés en ce qui concerne les délais de préavis et le jour de carence ainsi que de mesures d'accompagnement fermer concernant l'introduction d'un statut unique entre ouvriers et employés en ce qui concerne les délais de préavis et le jour de carence ainsi que de mesures d'accompagnement).
L'indemnité compensatoire de licenciement compense « la différence entre d'une part le délai de préavis ou l'indemnité de congé correspondante que l'employeur doit octroyer, et d'autre part le délai de préavis ou l'indemnité de congé correspondante que l'employeur aurait octroyé comme si l'ancienneté totale du travailleur avait été acquise après le 31 décembre 2013 » (article 7, § 1ersexies, alinéa 1er, de l'arrêté-loi précité, tel qu'il a été inséré par la loi du 26 décembre 2013Documents pertinents retrouvés type loi prom. 26/12/2013 pub. 31/12/2013 numac 2013012289 source service public federal emploi, travail et concertation sociale Loi concernant l'introduction d'un statut unique entre ouvriers et employés en ce qui concerne les délais de préavis et le jour de carence ainsi que de mesures d'accompagnement fermer).
B.2. L'article 7, § 1ersexies, alinéa 2, de l'arrêté-loi précité, tel qu'il a été inséré par la loi du 26 décembre 2013Documents pertinents retrouvés type loi prom. 26/12/2013 pub. 31/12/2013 numac 2013012289 source service public federal emploi, travail et concertation sociale Loi concernant l'introduction d'un statut unique entre ouvriers et employés en ce qui concerne les délais de préavis et le jour de carence ainsi que de mesures d'accompagnement fermer, prévoit que l'indemnité n'est accordée que si le travailleur satisfait simultanément aux conditions suivantes : « 1° la date de début de son contrat de travail ininterrompu se situe avant le 1er janvier 2014; 2° le contrat de travail visé en 1° est un contrat de travail d'ouvrier au sens de l'article 2 de la loi du 3 juillet 1978Documents pertinents retrouvés type loi prom. 03/07/1978 pub. 03/07/2008 numac 2008000527 source service public federal interieur Loi relative aux contrats de travail Coordination officieuse en langue allemande type loi prom. 03/07/1978 pub. 12/03/2009 numac 2009000158 source service public federal interieur Loi relative aux contrats de travail fermer relative aux contrats de travail, ou au sens de l'article 7bis de la loi du 20 juillet 2001 visant à favoriser le développement de services et d'emplois de proximité, ou visé par le Titre V de la loi précitée du 3 juillet 1978;3° il satisfait à l'une des conditions suivantes : a) son ancienneté dans l'entreprise au jour de la publication au Moniteur belge de la loi du 26 décembre 2013Documents pertinents retrouvés type loi prom. 26/12/2013 pub. 31/12/2013 numac 2013012289 source service public federal emploi, travail et concertation sociale Loi concernant l'introduction d'un statut unique entre ouvriers et employés en ce qui concerne les délais de préavis et le jour de carence ainsi que de mesures d'accompagnement fermer concernant l'introduction d'un statut unique entre ouvriers et employés en ce qui concerne les délais de préavis et le jour de carence ainsi que de mesures d'accompagnement, s'élève à au moins trente ans;b) son ancienneté dans l'entreprise au 1er janvier 2014 s'élève à au moins vingt ans;c) son ancienneté dans l'entreprise au 1er janvier 2015 s'élève à au moins quinze ans;d) son ancienneté dans l'entreprise au 1er janvier 2016 s'élève à au moins dix ans;e) son ancienneté dans l'entreprise au 1er janvier 2017 s'élève à moins de dix ans;4° il est licencié après le 31 décembre 2013 ». L'article 11 de la loi du 23 avril 2015Documents pertinents retrouvés type loi prom. 23/04/2015 pub. 27/04/2015 numac 2015014139 source service public federal emploi, travail et concertation sociale service public federal securite sociale Loi concernant la promotion de l'emploi fermer concernant la promotion de l'emploi a ajouté à l'article 7, § 1ersexies, alinéa 2, 2°, le membre de phrase suivant, indiqué ci-dessous en italiques : « 2° le contrat de travail visé en 1° est à la date du 31 décembre 2013 un contrat de travail d'ouvrier au sens de l'article 2 de la loi du 3 juillet 1978Documents pertinents retrouvés type loi prom. 03/07/1978 pub. 03/07/2008 numac 2008000527 source service public federal interieur Loi relative aux contrats de travail Coordination officieuse en langue allemande type loi prom. 03/07/1978 pub. 12/03/2009 numac 2009000158 source service public federal interieur Loi relative aux contrats de travail fermer relative aux contrats de travail, ou au sens de l'article 7bis de la loi du 20 juillet 2001 visant à favoriser le développement de services et d'emplois de proximité, ou visé par le Titre V de la loi précitée du 3 juillet 1978; ».
Cette modification est applicable aux personnes qui ont été licenciées à partir du 27 avril 2015 (article 20 de la loi du 23 avril 2015Documents pertinents retrouvés type loi prom. 23/04/2015 pub. 27/04/2015 numac 2015014139 source service public federal emploi, travail et concertation sociale service public federal securite sociale Loi concernant la promotion de l'emploi fermer).
Comme en attestent les faits et la procédure antérieure, la partie requérante devant le juge a quo a été licenciée le 6 mars 2014.
B.3. La question préjudicielle se rapporte à l'article 7, § 1ersexies, alinéa 2, 2°, de l'arrêté-loi précité, avant sa modification par la loi du 23 avril 2015Documents pertinents retrouvés type loi prom. 23/04/2015 pub. 27/04/2015 numac 2015014139 source service public federal emploi, travail et concertation sociale service public federal securite sociale Loi concernant la promotion de l'emploi fermer. Le juge a quo demande à la Cour si cette disposition viole les articles 10 et 11 de la Constitution, dans l'interprétation selon laquelle elle crée une différence de traitement entre deux catégories de personnes qui ont été licenciées après le 31 décembre 2013 : - les personnes qui étaient occupées sous le statut d'ouvrier tant le 31 décembre 2013 qu'après cette date; - les personnes qui étaient occupées sous le statut d'ouvrier le 31 décembre 2013, mais qui furent occupées sous le statut d'employé après cette date.
Conformément à la disposition en cause, la première catégorie a droit à l'indemnité compensatoire de licenciement. La deuxième catégorie n'a pas droit à cette indemnité.
B.4. Les articles 10 et 11 de la Constitution garantissent le principe d'égalité et de non-discrimination. Ce principe n'exclut pas qu'une différence de traitement soit établie entre des catégories de personnes, pour autant qu'elle repose sur un critère objectif et qu'elle soit raisonnablement justifiée.
L'existence d'une telle justification doit s'apprécier en tenant compte du but et des effets de la mesure critiquée, ainsi que de la nature des principes en cause; le principe d'égalité et de non-discrimination est violé lorsqu'il est établi qu'il n'existe pas de rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé.
B.5. Contrairement à ce qu'allègue le Conseil des ministres, les travailleurs visés par la question préjudicielle peuvent être comparés, au regard du principe d'égalité et de non-discrimination, lorsqu'il s'agit de déterminer s'ils peuvent bénéficier ou non de l'indemnité compensatoire de licenciement.
B.6. L'exposé des motifs justifie comme suit l'introduction de la disposition en cause par la loi du 26 décembre 2013Documents pertinents retrouvés type loi prom. 26/12/2013 pub. 31/12/2013 numac 2013012289 source service public federal emploi, travail et concertation sociale Loi concernant l'introduction d'un statut unique entre ouvriers et employés en ce qui concerne les délais de préavis et le jour de carence ainsi que de mesures d'accompagnement fermer : « L'article 97 attribue une tâche supplémentaire à l'ONEM, à savoir le paiement de l'indemnité en compensation du licenciement.
Pour les (ex-)ouvriers qui apportent la preuve d'une ancienneté située partiellement avant le 1er janvier 2014 et partiellement à partir du 1er janvier 2014, le délai de préavis ou l'indemnité de congé correspondante est en partie calculé en vertu de l'ancienne législation pour ce qui concerne l'ancienneté avant le 1er janvier 2014 et en partie en vertu de la nouvelle législation pour ce qui concerne l'ancienneté à partir du 1er janvier 2014. L'objectif n'est cependant pas que ces travailleurs subissent définitivement le ' désavantage ' de l'ancienneté avant le 1er janvier 2014. C'est pourquoi ceux-ci seront intégrés dans la nouvelle législation suivant un calendrier déterminé. A partir d'un certain moment, on va partir du principe que leur ancienneté a été entièrement acquise sous la nouvelle législation, même si celle-ci a été en partie acquise avant le 1er janvier 2014.
Dans ce cas, l'employeur n'octroiera toutefois pas un délai de préavis ou une indemnité de congé en vertu de la nouvelle législation mais continuera de faire le calcul sur la base d'une partie d'ancienneté avant le 1er janvier 2014 et d'une partie d'ancienneté à partir du 1er janvier 2014.
L'ONEM compensera la différence entre le montant payé par l'employeur et le montant auquel le travailleur a droit en vertu de la nouvelle législation, sous la forme d'une indemnité en compensation du licenciement » (Doc. parl., Chambre, 2013-2014, DOC 53-3144/001, pp. 56-57).
B.7. Comme cela ressort des travaux préparatoires précités, l'indemnité compensatoire de licenciement s'applique aux travailleurs pour lesquels la durée du délai de préavis ou l'indemnité de congé correspondante est au moins partiellement fixée sur la base de l'ancienneté acquise en tant qu'ouvrier dans la période antérieure au 1er janvier 2014 et pour lesquels il sera considéré que l'ancienneté a été entièrement acquise après cette date de manière à ce que les délais de préavis ou l'indemnité de congé correspondante soient calculés en vertu de la nouvelle législation, plus favorable à leur égard. Le législateur a considéré qu'il convenait de ne pas imposer la charge de délais plus longs ou d'indemnités de congé plus importantes au seul employeur. Ainsi ce dernier est-il autorisé à calculer l'ancienneté du travailleur et, partant, le délai de préavis ou l'indemnité de congé, partiellement sur la base de l'ancienne législation et partiellement sur la base de la nouvelle tandis que l'Office national de l'emploi doit compenser la différence entre le montant ainsi calculé et celui auquel le travailleur a droit en application de la loi nouvelle.
B.8. La différence de traitement, consécutive à la disposition en cause, entre les travailleurs qui ont été licenciés après le 31 décembre 2013, selon qu'après cette date, ils ont gardé le statut d'ouvrier ou ont acquis le statut d'employé, n'est pas pertinente au regard de l'objectif poursuivi, étant donné que les deux catégories subissent de manière parfaitement identique l'inconvénient que l'indemnité compensatoire de licenciement cherche à éliminer.
B.9. Comme il est dit en B.2, le législateur a supprimé la différence de traitement précitée en modifiant la disposition en cause par l'article 11 de la loi du 23 avril 2015Documents pertinents retrouvés type loi prom. 23/04/2015 pub. 27/04/2015 numac 2015014139 source service public federal emploi, travail et concertation sociale service public federal securite sociale Loi concernant la promotion de l'emploi fermer. Cette modification a été justifiée de la manière suivante : « Cet article règle, en introduisant une disposition dans l'article 7, § 1ersexies, alinéa 2, de l'arrêté-loi du 28 décembre 1944, une anomalie dans le cadre de l'indemnité en compensation du licenciement et plus spécifiquement pour le travailleur qui avant le 1er janvier 2014 était encore ouvrier mais qui est devenu employé après le 31 décembre 2013.
Sur base du texte actuel de l'article 7, § 1ersexies, alinéa 2, de l'arrêté-loi du 28 décembre 1944 qui énumère les conditions auxquelles une indemnité en compensation du licenciement peut être accordée, l'indemnité en compensation du licenciement ne pouvait dans ce cas être octroyée alors que l'ex-ouvrier subit toutefois un désavantage historique si son délai de préavis ou son indemnité de congé est, pour la période d'ancienneté située avant le 1er janvier 2014, encore calculé sur base de l'ancienne législation plus désavantageuse pour les ouvriers.
Cette indemnité doit compenser le désavantage historique subi par les ouvriers engagés avant le 1er janvier 2014 lorsqu'ils sont licenciés avec un délai de préavis ou une indemnité de congé. Leur délai de préavis ou indemnité de congé était en effet, avant le 1er janvier 2014, plus court que celui des employés.
Le désavantage est toutefois supprimé pour la période située après le 31 décembre 2013 suite au statut unique ouvriers-employés, mais le délai de préavis ou l'indemnité de congé des ouvriers est pour la période d'ancienneté située avant le 1er janvier 2014 toujours calculé selon l'ancienne législation plus désavantageuse pour les ouvriers » (Doc. parl., Chambre, 2014-2015, DOC 54-0960/001, p. 22).
B.10. La suppression de la différence de traitement n'est applicable qu'aux licenciements intervenus à partir du 27 avril 2015. Il n'y a pas de justification raisonnable pour la différence de traitement subie par les travailleurs qui ont été licenciés entre le 31 décembre 2013 et le 27 avril 2015.
B.11. La question préjudicielle appelle une réponse affirmative.
Par ces motifs, la Cour dit pour droit : L'article 7, § 1ersexies, alinéa 2, 2°, de l'arrêté-loi du 28 décembre 1944 concernant la sécurité sociale des travailleurs, tel qu'il a été inséré par la loi du 26 décembre 2013Documents pertinents retrouvés type loi prom. 26/12/2013 pub. 31/12/2013 numac 2013012289 source service public federal emploi, travail et concertation sociale Loi concernant l'introduction d'un statut unique entre ouvriers et employés en ce qui concerne les délais de préavis et le jour de carence ainsi que de mesures d'accompagnement fermer concernant l'introduction d'un statut unique entre ouvriers et employés en ce qui concerne les délais de préavis et le jour de carence ainsi que de mesures d'accompagnement, viole les articles 10 et 11 de la Constitution en ce que, avant sa modification par la loi du 23 avril 2015Documents pertinents retrouvés type loi prom. 23/04/2015 pub. 27/04/2015 numac 2015014139 source service public federal emploi, travail et concertation sociale service public federal securite sociale Loi concernant la promotion de l'emploi fermer concernant la promotion de l'emploi, il exclut du droit à une indemnité compensatoire de licenciement les travailleurs qui, au 31 décembre 2013, étaient occupés sous le statut d'ouvrier, mais qui, après cette date, furent occupés sous le statut d'employé.
Ainsi rendu en langue néerlandaise et en langue française, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, le 17 mai 2018.
Le greffier, P.-Y. Dutilleux Le président, A. Alen