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Arrêt
publié le 29 octobre 2018

Extrait de l'arrêt n° 115/2018 du 20 septembre 2018 Numéro du rôle : 6720 En cause : le recours en annulation de l'article 45 du décret de la Région wallonne du 9 mars 2017 modifiant certaines dispositions du Code de la démocratie locale et d La Cour constitutionnelle, composée des présidents F. Daoût et A. Alen, et des juges L. Lavrysen(...)

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COUR CONSTITUTIONNELLE


Extrait de l'arrêt n° 115/2018 du 20 septembre 2018 Numéro du rôle : 6720 En cause : le recours en annulation de l'article 45 du décret de la Région wallonne du 9 mars 2017 modifiant certaines dispositions du Code de la démocratie locale et de la décentralisation relatives aux élections locales, introduit par la commune de Jurbise.

La Cour constitutionnelle, composée des présidents F. Daoût et A. Alen, et des juges L. Lavrysen, J.-P. Snappe, J.-P. Moerman, E. Derycke, T. Merckx-Van Goey, P. Nihoul, T. Giet et R. Leysen, assistée du greffier P.-Y. Dutilleux, présidée par le président F. Daoût, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet du recours et procédure Par requête adressée à la Cour par lettre recommandée à la poste le 23 août 2017 et parvenue au greffe le 25 août 2017, la commune de Jurbise, assistée et représentée par Me J. Laurent et Me C. Servais, avocats au barreau de Bruxelles, a introduit un recours en annulation de l'article 45 du décret de la Région wallonne du 9 mars 2017 modifiant certaines dispositions du Code de la démocratie locale et de la décentralisation relatives aux élections locales (publié au Moniteur belge du 27 mars 2017). (...) II. En droit (...) Quant à la disposition attaquée et à son contexte B.1. L'article 45 du décret de la Région wallonne du 9 mars 2017 modifiant certaines dispositions du Code de la démocratie locale et de la décentralisation relatives aux élections locales dispose : « Le Livre II de la quatrième Partie du Code de la démocratie locale et de la décentralisation est abrogé pour les communes de langue française ».

Par cette disposition, le législateur décrétal a abrogé, pour les communes de la région de langue française, les articles L4211-1 à L4261-7 relatifs au système de « vote automatisé » qui composaient le livre II intitulé « Système de vote automatisé lors des élections provinciales, communales et de conseils de secteur » de la quatrième partie du Code de la démocratie locale et de la décentralisation (ci-après : CWADEL).

Le système de « vote automatisé » prévu par le livre II de la quatrième partie du CWADEL comprenait une « urne électronique » et une ou plusieurs « machines à voter équipées chacune d'un écran de visualisation, d'un lecteur-enregistreur de cartes magnétiques et d'un crayon optique » (article L4211-2, § 1er, du CWADEL, tel qu'il était applicable avant son abrogation par la disposition attaquée).

Cette technique de vote électronique est désignée ci-après « vote électronique avec crayon optique ».

B.2.1. Lors des travaux préparatoires, il a été précisé : « La Déclaration de Politique Régionale 2014-2019 prévoit d'améliorer la dynamique démocratique en Wallonie, ce qui passe par un renforcement du rôle du Parlement et une participation plus active des citoyens à la vie publique. A ce titre, elle prévoit de supprimer le vote électronique pour les communes de langue française.

Par voie de conséquence, le Livre II de la Quatrième partie du Code est abrogé pour les communes de langue française, conformément aux avis du Conseil d'Etat du 30 mai 2016 et du 17 août 2016 qui [préconisent] la conclusion d'un accord de coopération entre la Région wallonne et la Communauté germanophone pour définir les modalités organisationnelles des deux scrutins simultanés » (Doc. parl., Parlement wallon, 2016-2017, n° 669/1, pp. 6-7).

B.2.2. Le principe de la suppression du « vote électronique avec crayon optique » avait déjà été acté dans une résolution du Parlement wallon du 3 juin 2015 demandant l'abandon du vote électronique (Doc. parl., Parlement wallon, 2016-2017, n° 669/1, p. 3; Doc. parl., Parlement wallon, 2014-2015, n° 82/4).

B.2.3. Dans son avis sur l'avant-projet de décret, la section de législation du Conseil d'Etat a observé : « L'article 37 de l'avant-projet [devenu l'article 45 du décret attaqué] vise à abroger le Livre II de la Quatrième Partie du code relatif au système de vote automatisé lors des élections provinciales, communales et de conseils de secteur.

Or, sur le territoire de la région de langue allemande, la Communauté germanophone exerce les compétences de la Région wallonne relative à l'élection des organes communaux et intracommunaux, en vertu de l'article 1er, alinéa 1er, 1°/1, du décret du 27 mai 2004 ' relatif à l'exercice, par la Communauté germanophone, de certaines compétences de la Région wallonne en matière de pouvoirs subordonnés ', modifié par les décrets du 30 avril 2009 et du 28 avril 2014.

Comme l'a rappelé la section de législation dans son avis 59.365/4 donné le 30 mai 2016 sur un avant-projet de décret de la Communauté germanophone ' portant modification du code de la démocratie locale et de la décentralisation, notamment en ce qui concerne les élections au conseil communal ' : ' D'autres difficultés surgissent du fait que les opérations électorales sont communes aux élections communales, aux élections provinciales et aux élections de secteur (article L4111-2, alinéa 1er, du Code), alors que la Communauté germanophone n'exerce que les compétences de la Région wallonne visées à l'article 6, § 1er, VIII, alinéa 1er, 4°, de la loi spéciale, " limité à l'élection des organes communaux et intracommunaux " (...).

Il s'ensuit notamment que tant que les élections communales et provinciales sont organisées concomitamment, les dispositions relatives aux bureaux électoraux et des installations de vote, aux frais électoraux, aux installations électorales et à l'accessibilité et à la police des centres et locaux de vote et de dépouillement ne peuvent être modifiées que par un accord de coopération entre la Région wallonne et la Communauté germanophone (article 92bis, § 1er, de la loi spéciale du 8 août 1980) ou par décrets conjoints (article 92bis/1, § 1er, de la loi spéciale du 8 août 1980).

Dans la même hypothèse de concomitance, il en est de même pour ce qui concerne les dispositions relatives au système de vote automatisé lors des élections provinciales, communales et de conseils de secteur (articles L4211-1 à L4261-7 du Code). En effet, selon l'actuel article L4211-1, alinéas 1er et 2, du code, lorsqu'il est décidé de faire usage ou de ne pas faire usage d'un système de vote automatisé dans les circonscriptions électorales, cantons électoraux ou les communes que le Gouvernement désigne, celui-ci est appliqué pour toutes les élections, c'est-à-dire les élections provinciales, communales et de conseils de secteur.

En conséquence, les législateurs compétents pour les élections provinciales et communales en région de langue allemande doivent décider de commun accord du système de vote (vote papier, vote automatisé, vote électronique avec preuve papier,...) '.

Par conséquent, le champ d'application ratione loci de l'article 37 de l'avant-projet [devenu l'article 45 du décret attaqué] doit être limité à la région de langue française » (Doc. parl., Parlement wallon, 2016-2017, n° 669/1, pp. 15-16).

B.3.1. Une proposition de résolution « en faveur du maintien du vote électronique pour les élections communales et provinciales » a été rejetée à l'occasion de l'adoption du décret attaqué (CRI, Parlement wallon, 8 mars 2017, n° 15, pp. 89-90).

Cette proposition de résolution était motivée notamment par les considérations suivantes : « Le bogue des élections de 2014 renforce l'opposition de celles et ceux qui plaident en faveur de l'abandon du vote électronique. La vétusté du matériel informatique (datant de 1994) et la mauvaise qualité du code utilisé dans les 39 communes wallonnes et dans 17 des 19 communes bruxelloises expliquent les difficultés techniques problématiques rencontrées uniquement dans ces 56 communes. Dans les deux autres communes bruxelloises et les 151 communes flamandes qui ont expérimenté, avec le fédéral, un nouveau système de vote automatisé, les élections se sont parfaitement déroulées. La simultanéité de plusieurs scrutins et les adaptations informatiques qui en ont découlé ont eu raison du matériel wallon. Par conséquent, ce n'est pas le principe du vote automatisé qui doit être remis en cause mais le matériel et le logiciel utilisés en Wallonie qui, depuis longtemps, auraient dû être remplacés. L'on se trompe donc de cible.

Et en agissant de la sorte, la Wallonie va donc à contre-courant des autres entités (fédérale et fédérées) du pays qui toutes ont décidé de poursuivre l'expérience du vote électronique. Elle crée même une situation ubuesque dans la mesure où la communauté germanophone, qui est compétente pour l'organisation des élections communales sur son territoire, a décidé de recourir au vote automatisé lors des élections communales de 2018. Compte tenu du fait que l'organisation du scrutin provincial est une compétence de la Région wallonne, qui compte abolir le vote électronique, cela signifie que dans les communes germanophones, les citoyens voteront électroniquement pour élire leurs représentants communaux et utiliseront le vote papier pour élire leurs représentants provinciaux.

Pour éviter un tel scénario, les représentants de la Communauté germanophone ont multiplié les rencontres avec les représentants de la Région wallonne, lesquels dans un premier temps, n'entendaient pas changer de position. Et ce, malgré une motion (relative aux modalités de vote pour le scrutin provincial d'octobre 2018 dans les 9 communes germanophones) votée à l'unanimité du conseil provincial de Liège le 24 mai 2016 pour que les deux entités se concertent sur les solutions qui pourraient être envisagées pour aboutir à simplifier la tâche des électeurs.

C'est finalement suite à un avis du Conseil d'Etat - rendu sur l'avant-projet de décret de la Communauté germanophone (avis réitéré pour l'avant-projet de décret wallon relatif aux élections locales) - indiquant que Région wallonne et Communauté germanophone doivent décider de commun accord du système de vote que, récemment, un accord est intervenu entre les deux entités pour que les citoyens germanophones puissent voter électroniquement tant aux élections communales que provinciales. Un accord de coopération devra être conclu en ce sens. La Wallonie a exigé que le surcoût engendré par l'utilisation du vote électronique pour les élections provinciales soit totalement pris en charge par la Communauté germanophone.

S'il est souhaitable que les deux entités se soient enfin entendues sur une position consensuelle, cette possibilité offerte à la Communauté germanophone de déroger, pour le scrutin provincial, à la suppression du vote électronique décidée par le Gouvernement wallon pose inévitablement la question de la rupture du principe d'égalité pour les communes wallonnes qui souhaiteraient que leurs scrutins soient organisés par vote électronique. Ne faut-il pas considérer que de la sorte la Wallonie enfreint les articles 10 et 11 de la Constitution dans la mesure où elle traiterait de manière différente des catégories de communes mais aussi d'électeurs situés sur son territoire ? » (Doc. parl., Parlement wallon, 2016-2017, n° 675/1, pp. 5-6).

B.3.2. Lors de l'examen de la proposition de résolution par la Commission des pouvoirs locaux, du logement et des infrastructures sportives, le ministre des Pouvoirs locaux, de la Ville, du Logement et de l'Energie a énuméré les raisons qui ont conduit à supprimer le « vote électronique avec crayon optique » : « - le coût plus élevé que celui du vote papier - notamment pour le matériel et sa mise à jour; - la volonté, inscrite dans la DPR, de ne pas éluder le contrôle citoyen du vote; - les problèmes rencontrés en matière de vote électronique lors des scrutins régional, fédéral et européen de 2014; - la forte opposition citoyenne au vote électronique en raison de l'absence de contrôle; - l'abandon du vote électronique par de nombreux pays européens » (Doc. parl., Parlement wallon, 2016-2017, n° 675/2, p. 35).

B.4.1. La Région wallonne et la Communauté germanophone ont conclu un accord de coopération concernant l'organisation des élections locales du 14 octobre 2018 sur le territoire de la région de langue allemande (Moniteur belge, 24 octobre 2017).

Cet accord de coopération porte sur les modalités d'organisation des élections simultanées communales et provinciales organisées conjointement par la Région wallonne et la Communauté germanophone le 14 octobre 2018 sur le territoire de la région de langue allemande (article 1er, § 1er, alinéa 1er), « sans préjudice de la compétence de la Région wallonne et de la Communauté germanophone de régler, chacune pour ce qui la concerne : 1° les dispositions de fond applicables respectivement aux élections provinciales et communales et qui ne portent pas sur l'organisation au sens strict des élections simultanées visées à l'alinéa 1er » (article 1er, § 1, alinéa 2). Il prévoit notamment que les élections simultanées communales et provinciales du 14 octobre 2018 auront lieu, sur le territoire de langue allemande, selon le « mode de scrutin électronique avec preuve papier » (article 2).

B.4.2. Par un décret du 12 octobre 2017 « portant assentiment à l'accord de coopération conclu le 30 mars 2017 entre la Région wallonne et la Communauté germanophone concernant l'organisation des élections locales du 14 octobre 2018 sur le territoire de la région de langue allemande », la Région wallonne a donné assentiment à l'accord de coopération.

B.4.3. L'intitulé du décret de la Région wallonne du 12 octobre 2017, l'article unique et l'accord de coopération y annexé portent erronément la date du 30 mars 2017 au lieu de la date du 13 juillet 2017.

Il ressort des travaux préparatoires de ce décret que l'accord de coopération joint au projet de décret est celui conclu le 13 juillet 2017 et non celui conclu le 30 mars 2017 (Doc. parl., Parlement wallon, 2016-2017, n° 874/1, pp. 6-21). Le contenu de l'accord de coopération publié au Moniteur belge correspond à celui conclu le 13 juillet 2017.

Ce décret fait l'objet d'un recours en annulation distinct, inscrit sous le numéro de rôle n° 6871.

B.4.4. La Communauté germanophone a donné assentiment à l'accord de coopération précité par un décret du 23 octobre 2017 « portant assentiment à l'Accord de coopération conclu entre la Région wallonne et la Communauté germanophone concernant l'organisation des élections locales du 14 octobre 2018 sur le territoire de la région de langue allemande ».

Quant à la recevabilité du moyen unique B.5.1. Le moyen unique est pris de la violation des articles 10, 11 et 162 de la Constitution et des articles 6, § 1er, VIII, et 92bis de la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles.

B.5.2. Le Gouvernement wallon conteste la recevabilité du moyen en ce qu'il se fonde directement sur l'article 162 de la Constitution et sur l'article L4211-1 du CWADEL. B.5.3. Il serait excessivement formaliste de déclarer le premier moyen irrecevable dans la mesure où il porte sur l'article 162 de la Constitution pour le seul motif que cette disposition constitutionnelle est invoquée directement et non en combinaison avec les articles 10 et 11 de la Constitution, alors même que ces deux derniers articles sont également visés par le moyen.

Contrairement à ce qu'indique le Gouvernement wallon, il ne ressort pas de la requête que le moyen unique est pris de la violation de l'article L4211-1 du CWADEL. B.5.4. L'exception est rejetée.

Quant au fond B.6. La partie requérante fait valoir en substance que l'article 45 du décret de la Région wallonne du 9 mars 2017 crée une différence de traitement entre les communes de langue française et les communes de langue allemande en ce qu'il ferait interdiction aux communes de la région de langue française d'organiser les élections provinciales et communales « électroniquement », alors que cette possibilité est laissée aux communes de la région de langue allemande, que cette différence de traitement est dépourvue de justification, qu'elle ne trouve pas sa source dans les règles répartitrices de compétences (en particulier, l'article 6, § 1er, VIII, et l'article 92bis de la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles) qui confient l'organisation des élections communales et provinciales aux régions et non aux communautés, et qu'elle prive les communes de leurs compétences quant au choix du mode de scrutin, en violation du principe de l'autonomie locale.

B.7.1. Etant donné que la partie requérante renonce, dans son mémoire en réponse, à invoquer la violation de l'article 92bis de la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles, la Cour ne tient pas compte de cette disposition dans son examen du moyen unique.

B.7.2. L'examen de la conformité d'une disposition législative aux règles répartitrices de compétences doit en règle précéder celui de sa compatibilité avec les dispositions du titre II de la Constitution et des articles 170, 172 et 191 de celle-ci.

En ce qui concerne l'article 6, § 1er, VIII, de la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles B.8.1. L'article 39 de la Constitution dispose : « La loi attribue aux organes régionaux qu'elle crée et qui sont composés de mandataires élus, la compétence de régler les matières qu'elle détermine, à l'exception de celles visées aux articles 30 et 127 à 129, dans le ressort et selon le mode qu'elle établit. Cette loi doit être adoptée à la majorité prévue à l'article 4, dernier alinéa ».

L'article 139 de la Constitution dispose : « Sur proposition de leurs Gouvernements respectifs, le Parlement de la Communauté germanophone et le Parlement de la Région wallonne peuvent, chacun par décret, décider d'un commun accord que le Parlement et le Gouvernement de la Communauté germanophone exercent, dans la région de langue allemande, en tout ou en partie, des compétences de la Région wallonne.

Ces compétences sont exercées, selon le cas, par voie de décrets, d'arrêtés ou de règlements ».

B.8.2. L'article 6, § 1er, VIII, alinéa 1er, 4°, de la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles dispose : « Les matières visées à l'article 39 de la Constitution sont : [...] VIII. En ce qui concerne les pouvoirs subordonnés : [...] 4° l'élection des organes provinciaux, supracommunaux, communaux et intracommunaux, ainsi que des organes des agglomérations et fédérations de communes, en ce compris le contrôle des dépenses électorales y afférentes et l'origine des fonds qui y ont été affectés : a) à l'exception des règles inscrites dans la loi communale, la nouvelle loi communale, la loi électorale communale, la loi organique des centres publics d'aide sociale, la loi provinciale, le Code électoral, la loi organique des élections provinciales et la loi organisant l'élection simultanée pour les chambres législatives et les conseils provinciaux en vertu de la loi du 9 août 1988 portant modification de la loi communale, de la nouvelle loi communale, de la loi électorale communale, de la loi organique des centres publics d'aide sociale, de la loi provinciale, du Code électoral, de la loi organique des élections provinciales et de la loi organisant l'élection simultanée pour les chambres législatives et les conseils provinciaux, telle que modifiée par la loi spéciale du 19 juillet 2012;b) à l'exception de la compétence exclusive du Conseil d'Etat pour statuer par voie d'arrêts sur les recours en dernier ressort en matière électorale;c) étant entendu que les décrets et les ordonnances ayant pour effet de diminuer la proportionnalité de la répartition des sièges par rapport à la répartition des voix doivent être adoptés à la majorité visée à l'article 35, § 3. Les régions exercent cette compétence, sans préjudice des articles 5, deuxième et troisième alinéas, 23bis et 30bis de la loi électorale communale coordonnée le 4 août 1932, et des articles 2, § 2, quatrième alinéa, 3bis, deuxième alinéa, 3novies, deuxième alinéa, et 5, troisième alinéa, de la loi organique des élections provinciales ».

B.9.1. Le Constituant et le législateur spécial, dans la mesure où ils n'en disposent pas autrement, ont attribué aux communautés et aux régions toute la compétence d'édicter les règles propres aux matières qui leur ont été transférées.

En vertu de l'article 6, § 1er, VIII, alinéa 1er, 4°, de la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles, les régions disposent d'un pouvoir étendu en matière de pouvoirs subordonnés. A ce titre, les régions sont notamment compétentes pour régler l'organisation des élections communales et provinciales et le choix de la technique de vote lors de celles-ci.

B.9.2. En application de l'article 139 de la Constitution, la Région wallonne et la Communauté germanophone ont décidé, de commun accord, que la Communauté germanophone exerce, sur le territoire de la région de langue allemande, avec effet au 1er janvier 2015, les compétences de la Région wallonne en matière de pouvoirs subordonnés visées à l'article 6, § 1er, VIII, alinéa 1er, 4°, de la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles, « limité à l'élection des organes communaux et intracommunaux, en ce compris le contrôle des dépenses électorales y afférentes et l'origine des fonds qui y ont été affectés » (article 1er, alinéa 1er, 1°/1, du décret de la Région wallonne du 27 mai 2004 « relatif à l'exercice, par la Communauté germanophone, de certaines compétences de la Région wallonne en matière de pouvoirs subordonnés », tel qu'il a été modifié par l'article 1er du décret de la Région wallonne du 28 avril 2014 « modifiant le décret du 27 mai 2004 relatif à l'exercice par la Communauté germanophone de certaines compétences de la Région wallonne en matière de pouvoirs subordonnés »; article 1er, alinéa 1er, 1.1, du décret de la Communauté germanophone du 1er juin 2004 « relatif à l'exercice, par la Communauté germanophone, de certaines compétences de la Région wallonne en matière de pouvoirs subordonnés », tel qu'il a été modifié par l'article 1er du décret de la Communauté germanophone du 5 mai 2014 « modifiant le décret du 1er juin 2004 relatif à l'exercice, par la Communauté germanophone, de certaines compétences de la Région wallonne en matière de pouvoirs subordonnés »).

B.10. Il en résulte que, depuis le 1er janvier 2015, la Communauté germanophone est compétente pour régler l'organisation des élections communales, y compris le choix de la technique de vote, dans les neuf communes de la région de langue allemande.

La Région wallonne reste compétente pour régler l'organisation des élections communales, y compris le choix de la technique de vote, dans les communes de la région de langue française. Elle est également seule compétente pour régler l'organisation des élections provinciales, y compris le choix de la technique de vote, sur l'ensemble de son territoire c'est-à-dire dans les communes de la région de langue française et dans les communes de la région de langue allemande.

B.11. Par conséquent, en abrogeant le système de « vote électronique avec crayon optique » pour les élections provinciales et communales dans les communes de la région de langue française, la Région wallonne a agi dans l'exercice de ses compétences, décrites en B.8.1 à B.10, pour régler l'organisation des élections provinciales et communales.

B.12. Le moyen unique, en ce qu'il est pris de la violation de l'article 6, § 1er, VIII, de la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles, n'est pas fondé.

En ce qui concerne les articles 10 et 11 de la Constitution, lus ou non en combinaison avec le principe de l'autonomie locale B.13. Avant son abrogation pour les communes de la région de langue française, l'article L4211-1 du CWADEL disposait : « Le Gouvernement peut, par arrêté, décider que, pour les circonscriptions électorales, les cantons électoraux ou les communes qu'il désigne, il est fait usage d'un système de vote automatisé lors des élections provinciales, communales et de conseils de secteur.

Lorsque le Gouvernement fait usage de la faculté visée à l'alinéa 1er pour les élections provinciales, le système de vote automatisé est appliqué pour les élections communales dans toutes les communes des cantons électoraux désignés.

Lorsque les communes entendent acquérir elles-mêmes un système de vote automatisé, l'arrêté du Gouvernement visé à l'alinéa 1er ne peut être pris que pour autant que les conseils de toutes les communes d'un même canton électoral en aient délibéré préalablement et décidé de faire appel à un même fournisseur agréé ».

Par conséquent, et compte tenu des compétences respectives de la Région wallonne et de la Communauté germanophone décrites en B.8.1 à B.10, depuis le 1er janvier 2015 et jusqu'à l'entrée en vigueur de la disposition attaquée, le 6 avril 2017, seul le Gouvernement wallon pouvait désigner, d'une part, les communes de la région de langue française dans lesquelles les élections communales étaient organisées au moyen du système de « vote électronique avec crayon optique » et, d'autre part, les communes de la région de langue française et les communes de la région de langue allemande dans lesquelles les élections provinciales étaient organisées au moyen du même système.

B.14. Le moyen doit donc être compris comme dénonçant une différence de traitement contraire aux articles 10 et 11 de la Constitution, lus ou non en combinaison avec le principe de l'autonomie locale, entre les communes de la région de langue française et les communes de la région de langue allemande, en ce que les communes de la région de langue française sont privées de la possibilité d'être désignées par le Gouvernement wallon pour organiser les élections provinciales et communales « électroniquement », alors que cette possibilité subsisterait pour les communes de la région de langue allemande.

B.15. La Cour examine d'abord la différence de traitement décrite en B.14, en ce qu'elle concerne l'organisation des élections communales.

B.16.1. L'organisation des élections communales dans les communes de la région de langue allemande est régie notamment par l'article L4211-1 du CWADEL, tel qu'il a été modifié par l'article 53 du décret de la Communauté germanophone du 21 novembre 2016 « portant modification du Code de la démocratie locale et de la décentralisation, notamment en ce qui concerne les élections au conseil communal », qui dispose : « Le Gouvernement peut, par arrêté, décider que, pour les circonscriptions électorales, les cantons électoraux ou les communes qu'il désigne, il est fait usage d'un système de vote électronique avec attestation papier, ci-après dénommé système de vote automatisé, lors des élections [...] communales [...].

Lorsque les communes entendent acquérir elles-mêmes un système de vote automatisé, l'arrêté du Gouvernement visé à l'alinéa 1er ne peut être pris que pour autant que les conseils de toutes les communes d'un même canton électoral en aient délibéré préalablement et décidé de faire appel à un même fournisseur agréé ».

Il en découle que le Gouvernement de la Communauté germanophone peut désigner, parmi les communes de la région de langue allemande, celles qui peuvent faire usage du « vote électronique avec attestation papier » lors des élections communales.

B.16.2. Par l'effet de la disposition attaquée, les communes de la région de langue française et les communes de la région de langue allemande sont donc traitées différemment, en ce que les premières sont privées de la possibilité d'être désignées par le Gouvernement wallon pour organiser les élections communales en utilisant le « vote électronique avec crayon optique », alors que les secondes peuvent être désignées par le Gouvernement de la Communauté germanophone pour organiser les élections communales en utilisant le « vote électronique avec attestation papier ».

B.17.1. Une différence de traitement dans des matières où les communautés et les régions disposent de compétences propres est la conséquence possible de politiques distinctes permises par l'autonomie qui leur est accordée par la Constitution ou en vertu de celle-ci; une telle différence ne peut en soi être jugée contraire aux articles 10 et 11 de la Constitution. Cette autonomie serait dépourvue de signification si le seul fait qu'il existe des différences de traitement entre les destinataires de règles s'appliquant à une même matière dans les diverses communautés et régions était jugé contraire aux articles 10 et 11 de la Constitution.

B.17.2. En ce qui concerne l'organisation des élections communales, la différence de traitement entre les communes de la région de langue française et les communes de la région de langue allemande décrite en B.14 s'explique par l'exercice des compétences respectives de la Région wallonne et de la Communauté germanophone décrites en B.8.1 à B.10.

B.17.3. En ce qu'il dénonce une différence de traitement entre les communes de la région de langue française et les communes de la région de langue allemande quant à la possibilité d'être désignées par le Gouvernement wallon ou par le Gouvernement de la Communauté germanophone pour organiser les élections communales « électroniquement », le moyen unique n'est pas fondé.

B.18. La Cour doit encore examiner si la différence de traitement décrite en B.14, en ce qu'elle concerne l'organisation des élections provinciales, est raisonnablement justifiée.

B.19.1. Comme la section de législation du Conseil d'Etat l'a constaté dans son avis mentionné en B.2.3, les compétences de la Région wallonne et de la Communauté germanophone en matière d'organisation des élections provinciales et communales simultanées sur le territoire de la région de langue allemande sont à ce point imbriquées qu'elles ne peuvent être exercées que dans le cadre d'un accord de coopération ou par décrets conjoints.

B.19.2. L'organisation des élections provinciales et celle des élections communales sont en effet des matières étroitement liées lorsque ces élections sont organisées simultanément, dès lors qu'elles ont lieu le même jour et dans les mêmes bureaux de vote.

En ce qui concerne l'organisation des élections provinciales, la différence de traitement décrite en B.14 s'explique par la nécessité pour le législateur décrétal wallon de décider de commun accord avec la Communauté germanophone de la technique de vote applicable pour les élections provinciales et communales simultanées qui se tiendront dans les communes de la région de langue allemande.

B.20. En ce qu'il dénonce une différence de traitement entre les communes de la région de langue française et les communes de la région de langue allemande quant à la possibilité d'être désignées par le Gouvernement wallon pour organiser les élections provinciales « électroniquement », le moyen unique n'est pas fondé.

B.21. Pour le surplus, comme il est dit en B.8.1 à B.10, le choix de la technique de vote lors des élections locales relève, sur le territoire des communes de la région de langue française et des communes de la région de langue allemande, de la compétence de la Région wallonne et de la Communauté germanophone, et non de celle des communes.

Cette compétence doit néanmoins s'exercer dans le respect du principe de l'autonomie locale, garanti par les articles 41, alinéa 1er, et 162, alinéa 2, 2°, de la Constitution.

B.22.1. Le principe d'autonomie locale suppose que les autorités locales puissent se saisir de tout objet qu'elles estiment relever de leur intérêt et le réglementer comme elles le jugent opportun. Ce principe ne porte cependant pas atteinte à la compétence de l'Etat fédéral, des communautés ou des régions pour juger du niveau le plus adéquat pour réglementer une matière qui leur revient. Ainsi, ces autorités peuvent confier aux collectivités locales la réglementation d'une matière qui sera mieux appréhendée à ce niveau. Elles peuvent aussi considérer, à l'inverse, qu'une matière sera mieux réglée à un niveau d'administration plus général, de façon à ce qu'elle soit réglée de manière uniforme pour l'ensemble du territoire pour lequel elles sont compétentes, ou - comme en l'espèce - pour une partie du territoire.

B.22.2. L'atteinte à la compétence des provinces ou des communes, et par conséquent au principe de l'autonomie locale, que comporte toute intervention de l'Etat fédéral, des communautés ou des régions, que celle-ci soit positive ou négative, dans une matière qui relève de leurs compétences, ne serait contraire aux dispositions citées dans le moyen, qui garantissent la compétence des communes ou des provinces pour tout ce qui concerne l'intérêt communal ou provincial, que si elle était manifestement disproportionnée. Tel serait le cas, par exemple, si elle aboutissait à priver les provinces ou les communes de tout ou de l'essentiel de leurs compétences ou si la limitation de la compétence ne pouvait être justifiée par le fait que celle-ci serait mieux gérée à un autre niveau de pouvoir.

B.23. Le législateur décrétal a pu raisonnablement estimer que l'organisation des élections locales serait mieux servie à un niveau d'intervention plus général que le niveau local, dès lors qu'à défaut d'intervention de la Région wallonne, les provinces et les communes auraient été amenées à régler elles-mêmes, chacune pour ce qui les concerne, la technique de vote à utiliser pour l'élection des organes qui les composent.

B.24. La disposition attaquée ne porte pas atteinte de manière disproportionnée au principe de l'autonomie locale.

B. 25. Le moyen unique n'est pas fondé.

Par ces motifs, la Cour rejette le recours.

Ainsi rendu en langue française, en langue néerlandaise et en langue allemande, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, le 20 septembre 2018.

Le greffier, P.-Y. Dutilleux Le président, F. Daoût

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