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Arrêt
publié le 18 juillet 2018

Extrait de l'arrêt n° 22/2018 du 22 février 2018 Numéro du rôle : 6629 En cause : les questions préjudicielles concernant l'article 35 de la loi du 3 juillet 1978 relative aux contrats de travail, posées par le Tribunal du travail du Hainaut, La Cour constitutionnelle, composée du président J. Spreutels, du président émérite E. De Groot,(...)

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Extrait de l'arrêt n° 22/2018 du 22 février 2018 Numéro du rôle : 6629 En cause : les questions préjudicielles concernant l'article 35 de la loi du 3 juillet 1978Documents pertinents retrouvés type loi prom. 03/07/1978 pub. 12/03/2009 numac 2009000158 source service public federal interieur Loi relative aux contrats de travail type loi prom. 03/07/1978 pub. 03/07/2008 numac 2008000527 source service public federal interieur Loi relative aux contrats de travail Coordination officieuse en langue allemande fermer relative aux contrats de travail, posées par le Tribunal du travail du Hainaut, division Mons.

La Cour constitutionnelle, composée du président J. Spreutels, du président émérite E. De Groot, conformément à l'article 60bis de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, et des juges L. Lavrysen, J.-P. Snappe, J.-P. Moerman, E. Derycke et R. Leysen, assistée du greffier F. Meersschaut, présidée par le président J. Spreutels, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet des questions préjudicielles et procédure Par jugement du 27 février 2017 en cause de X.-F. H. contre le Service public fédéral Finances, dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour le 1er mars 2017, le Tribunal du travail du Hainaut, division Mons, a posé les questions préjudicielles suivantes : « L'article 35 de la loi du 3 juillet 1978Documents pertinents retrouvés type loi prom. 03/07/1978 pub. 12/03/2009 numac 2009000158 source service public federal interieur Loi relative aux contrats de travail type loi prom. 03/07/1978 pub. 03/07/2008 numac 2008000527 source service public federal interieur Loi relative aux contrats de travail Coordination officieuse en langue allemande fermer relative aux contrats de travail, interprété comme faisant obstacle au droit d'un travailleur employé par une autorité publique d'être entendu préalablement à son licenciement, viole-t-il les articles 10 et 11 de la Constitution alors que ce droit est garanti aux agents statutaires en cas de révocation ? Le même article, interprété comme ne faisant pas obstacle au droit d'un travailleur employé par une autorité publique d'être entendu préalablement à son licenciement, viole-t-il les articles 10 et 11 de la Constitution ? ». (...) III. En droit (...) B.1. Les articles 32 et 35 de la loi du 3 juillet 1978Documents pertinents retrouvés type loi prom. 03/07/1978 pub. 12/03/2009 numac 2009000158 source service public federal interieur Loi relative aux contrats de travail type loi prom. 03/07/1978 pub. 03/07/2008 numac 2008000527 source service public federal interieur Loi relative aux contrats de travail Coordination officieuse en langue allemande fermer relative aux contrats de travail disposent : «

Art. 32.Sans préjudice des modes généraux d'extinction des obligations, les engagements résultant des contrats régis par la présente loi prennent fin : 1° par l'expiration du terme;2° par l'achèvement du travail en vue duquel le contrat a été conclu;3° par la volonté de l'une des parties lorsque le contrat a été conclu pour une durée indéterminée ou qu'il existe un motif grave de rupture;4° par la mort du travailleur;5° par la force majeure ». «

Art. 35.Chacune des parties peut résilier le contrat sans préavis ou avant l'expiration du terme pour un motif grave laissé à l'appréciation du juge et sans préjudice de tous dommages-intérêts s'il y a lieu.

Est considérée comme constituant un motif grave, toute faute grave qui rend immédiatement et définitivement impossible toute collaboration professionnelle entre l'employeur et le travailleur.

Le congé pour motif grave ne peut plus être donné sans préavis ou avant l'expiration du terme, lorsque le fait qui l'aurait justifié est connu de la partie qui donne congé, depuis trois jours ouvrables au moins.

Peut seul être invoqué pour justifier le congé sans préavis ou avant l'expiration du terme, le motif grave notifié dans les trois jours ouvrables qui suivent le congé.

A peine de nullité, la notification du motif grave se fait soit par lettre recommandée à la poste, soit par exploit d'huissier de justice.

Cette notification peut également être faite par la remise d'un écrit à l'autre partie.

La signature apposée par cette partie sur le double de cet écrit ne vaut que comme accusé de réception de la notification.

La partie qui invoque le motif grave doit prouver la réalité de ce dernier; elle doit également fournir la preuve qu'elle a respecté les délais prévus aux alinéas 3 et 4 ».

B.2.1. La première question préjudicielle interroge la Cour sur la compatibilité, avec les articles 10 et 11 de la Constitution, de l'article 35 de la loi du 3 juillet 1978Documents pertinents retrouvés type loi prom. 03/07/1978 pub. 12/03/2009 numac 2009000158 source service public federal interieur Loi relative aux contrats de travail type loi prom. 03/07/1978 pub. 03/07/2008 numac 2008000527 source service public federal interieur Loi relative aux contrats de travail Coordination officieuse en langue allemande fermer précitée, interprété comme faisant obstacle au droit d'un travailleur employé par une autorité publique à être entendu préalablement à son licenciement, alors que ce droit est garanti aux agents statutaires conformément à l'adage audi alteram partem.

La seconde question préjudicielle interroge la Cour sur la compatibilité avec les articles 10 et 11 de la Constitution de ce même article, interprété comme ne faisant pas obstacle au droit d'un travailleur employé par une autorité publique à être entendu préalablement à son licenciement.

B.2.2. Il ressort des motifs de la décision de renvoi que le juge a quo est saisi d'une demande introduite par un travailleur contractuel licencié pour motif grave par le Service public fédéral Finances, qui tend à la condamnation de l'Etat belge au paiement d'une indemnité compensatoire à la suite de l'absence d'audition préalable à son licenciement.

Quant à la comparabilité B.3. La circonstance que les travailleurs employés par une autorité publique et les agents statutaires se trouveraient dans les situations juridiques différentes que constituent le contrat d'emploi et le statut ne suffit pas, contrairement à ce que soutient le Conseil des ministres, à permettre de considérer que ces catégories de personnes ne pourraient être comparées : il s'agit en effet, dans les deux cas, de déterminer les conditions dans lesquelles ces personnes peuvent être valablement privées de leur emploi.

Quant à la première question préjudicielle B.4. Dans l'interprétation retenue par le juge a quo dans la formulation de la première question préjudicielle, l'article 35 de la loi du 3 juillet 1978Documents pertinents retrouvés type loi prom. 03/07/1978 pub. 12/03/2009 numac 2009000158 source service public federal interieur Loi relative aux contrats de travail type loi prom. 03/07/1978 pub. 03/07/2008 numac 2008000527 source service public federal interieur Loi relative aux contrats de travail Coordination officieuse en langue allemande fermer précitée, qui est une des modalités de la rupture du contrat de travail prévues par l'article 32, 3°, précité, autorise une autorité publique à licencier, pour motif grave, un travailleur avec lequel elle a conclu un contrat de travail, sans obliger cette autorité à entendre préalablement ce travailleur.

Il appartient en règle au juge a quo d'interpréter les dispositions qu'il applique, sous réserve d'une lecture manifestement erronée des dispositions en cause, ce qui n'est pas le cas en l'espèce. Par un arrêt du 12 octobre 2015, la Cour de cassation a d'ailleurs jugé : « 5. Les règles relatives à la cessation des contrats de travail à durée indéterminée prévue par ces dispositions légales [n'obligent] pas un employeur à entendre un travailleur avant de procéder à son licenciement.

Il ne peut être dérogé en vertu d'un principe général de bonne administration à ces règles qui, conformément à l'article 1er, alinéa 2, de la loi du 3 juillet 1978Documents pertinents retrouvés type loi prom. 03/07/1978 pub. 12/03/2009 numac 2009000158 source service public federal interieur Loi relative aux contrats de travail type loi prom. 03/07/1978 pub. 03/07/2008 numac 2008000527 source service public federal interieur Loi relative aux contrats de travail Coordination officieuse en langue allemande fermer, régissent également les contrats des travailleurs occupés par les communes, qui ne sont pas soumis à un statut » (Cass., 12 octobre 2015, Pas., 2015, n° 595).

La Cour examine en conséquence la différence de traitement, dans l'interprétation du juge a quo.

B.5. En autorisant une autorité publique à licencier un travailleur avec lequel elle a conclu un contrat de travail, sans obliger cette autorité à entendre préalablement ce travailleur, l'article 35, qui est une des modalités de licenciement prévues par l'article 32, 3°, de la loi du 3 juillet 1978Documents pertinents retrouvés type loi prom. 03/07/1978 pub. 12/03/2009 numac 2009000158 source service public federal interieur Loi relative aux contrats de travail type loi prom. 03/07/1978 pub. 03/07/2008 numac 2008000527 source service public federal interieur Loi relative aux contrats de travail Coordination officieuse en langue allemande fermer, crée une différence de traitement entre ces travailleurs et les agents statutaires qui ont le droit d'être entendus conformément au principe général de bonne administration audi alteram partem.

B.6. Les spécificités que présente le statut par rapport au contrat de travail peuvent s'analyser, selon le cas, comme des avantages (c'est notamment le cas de la plus grande stabilité d'emploi ou du régime de pension plus avantageux) ou comme des désavantages (tels la loi du changement, le devoir de discrétion et de neutralité ou le régime en matière de cumul ou d'incompatibilités).

Ces spécificités ne doivent toutefois être prises en considération que par rapport à l'objet et à la finalité des dispositions en cause. A cet égard, il n'apparaît pas que l'employé d'une autorité publique qui reçoit son congé soit dans une situation différente selon qu'il a été recruté comme agent statutaire ou comme agent contractuel, quant à l'application du principe général de bonne administration audi alteram partem.

B.7. Le principe général de bonne administration audi alteram partem impose à l'autorité publique d'entendre préalablement la personne à l'égard de laquelle est envisagée une mesure grave pour des motifs liés à sa personne ou à son comportement.

Ce principe s'impose à l'autorité publique en raison de sa nature particulière, à savoir qu'elle agit nécessairement en tant que gardienne de l'intérêt général et qu'elle doit statuer en pleine et entière connaissance de cause lorsqu'elle prend une mesure grave liée au comportement ou à la personne de son destinataire.

Le principe audi alteram partem implique que l'agent qui risque d'encourir une mesure grave en raison d'une appréciation négative de son comportement en soit préalablement informé et puisse faire valoir utilement ses observations. La différence objective entre la relation de travail statutaire et la relation de travail contractuelle ne peut justifier, pour les agents d'une autorité publique, une différence de traitement dans l'exercice du droit garanti par le principe de bonne administration audi alteram partem.

B.8.1. Il est vrai que, s'agissant du licenciement pour motif grave, l'article 35, alinéa 3, de la loi du 3 juillet 1978Documents pertinents retrouvés type loi prom. 03/07/1978 pub. 12/03/2009 numac 2009000158 source service public federal interieur Loi relative aux contrats de travail type loi prom. 03/07/1978 pub. 03/07/2008 numac 2008000527 source service public federal interieur Loi relative aux contrats de travail Coordination officieuse en langue allemande fermer dispose que « le congé pour motif grave ne peut plus être donné sans préavis ou avant l'expiration du terme, lorsque le fait qui l'aurait justifié est connu de la partie qui donne congé, depuis trois jours ouvrables au moins ».

Le Conseil des ministres soutient qu'il résulterait de ce bref délai l'impossibilité pour l'autorité administrative d'entendre le travailleur contractuel qu'elle souhaiterait licencier.

B.8.2. Il résulte toutefois de la jurisprudence de la Cour de cassation qu'au sens de l'article 35, alinéa 3, de la loi du 3 juillet 1978Documents pertinents retrouvés type loi prom. 03/07/1978 pub. 12/03/2009 numac 2009000158 source service public federal interieur Loi relative aux contrats de travail type loi prom. 03/07/1978 pub. 03/07/2008 numac 2008000527 source service public federal interieur Loi relative aux contrats de travail Coordination officieuse en langue allemande fermer, « le fait qui constitue le motif grave de rupture est connu de la partie donnant congé lorsque celle-ci a, pour prendre une décision en connaissance de cause quant à l'existence du fait et des circonstances de nature à lui attribuer le caractère d'un motif grave, une certitude suffisant à sa propre conviction et aussi à l'égard de l'autre partie et de la justice;

Que quel que soit son résultat, l'audition préalable du travailleur peut, suivant les circonstances de la cause, constituer une mesure permettant à l'employeur d'acquérir une telle certitude; que de la circonstance que le licenciement a été décidé après un entretien, sur la base de faits qui étaient connus de l'employeur avant cet entretien, il ne peut être déduit que celui-ci disposait déjà, à ce moment, de tous les éléments d'appréciation nécessaires pour prendre une décision en connaissance de cause; » (Cass., 14 octobre 1996, Pas., 1996, I, n° 380).

Ainsi, en pareil cas, le délai pour licencier ne prend cours qu'à partir de cette audition.

B.9. Il ressort de ce qui précède que l'article 35 de la loi du 3 juillet 1978Documents pertinents retrouvés type loi prom. 03/07/1978 pub. 12/03/2009 numac 2009000158 source service public federal interieur Loi relative aux contrats de travail type loi prom. 03/07/1978 pub. 03/07/2008 numac 2008000527 source service public federal interieur Loi relative aux contrats de travail Coordination officieuse en langue allemande fermer précitée, interprété comme autorisant une autorité publique à licencier un travailleur, avec lequel elle a conclu un contrat de travail, pour des motifs graves liés à sa personne ou à son comportement, sans être tenue d'entendre préalablement ce travailleur, n'est pas compatible avec les articles 10 et 11 de la Constitution.

B.10. La Cour observe toutefois que la disposition en cause peut faire l'objet d'une autre interprétation, comme celle que retient la seconde question préjudicielle.

Quant à la seconde question préjudicielle B.11. Dans l'interprétation retenue par le juge a quo dans la formulation de la deuxième question préjudicielle, l'article 35 de la loi du 3 juillet 1978Documents pertinents retrouvés type loi prom. 03/07/1978 pub. 12/03/2009 numac 2009000158 source service public federal interieur Loi relative aux contrats de travail type loi prom. 03/07/1978 pub. 03/07/2008 numac 2008000527 source service public federal interieur Loi relative aux contrats de travail Coordination officieuse en langue allemande fermer précitée n'empêche pas une autorité publique, en sa qualité d'autorité administrative, de respecter le principe général de bonne administration audi alteram partem et d'entendre le travailleur avant de procéder au licenciement, même si ce licenciement est fondé sur un motif grave.

Dans cette interprétation, la différence de traitement est inexistante et la disposition en cause n'est pas incompatible avec les articles 10 et 11 de la Constitution.

Par ces motifs, la Cour dit pour droit : - L'article 35 de la loi du 3 juillet 1978Documents pertinents retrouvés type loi prom. 03/07/1978 pub. 12/03/2009 numac 2009000158 source service public federal interieur Loi relative aux contrats de travail type loi prom. 03/07/1978 pub. 03/07/2008 numac 2008000527 source service public federal interieur Loi relative aux contrats de travail Coordination officieuse en langue allemande fermer relative aux contrats de travail, interprété comme faisant obstacle au droit d'un travailleur employé par une autorité publique à être entendu préalablement à son licenciement pour des motifs graves liés à sa personne ou à son comportement, viole les articles 10 et 11 de la Constitution. - Compte tenu de ce qui est dit en B.8.2, la même disposition, interprétée comme ne faisant pas obstacle au droit d'un travailleur employé par une autorité publique à être entendu préalablement à son licenciement pour des motifs graves liés à sa personne ou à son comportement, ne viole pas les articles 10 et 11 de la Constitution.

Ainsi rendu en langue française et en langue néerlandaise, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, le 22 février 2018.

Le greffier, F. Meersschaut Le président, J. Spreutels

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