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Arrêt
publié le 22 mai 2018

Extrait de l'arrêt n° 11/2018 du 1 er février 2018 Numéro du rôle : 6572 En cause : la question préjudicielle relative à l'article 347-1 du Code civil, posée par le tribunal de la famille et de la jeunesse du Tribunal de première in La Cour constitutionnelle, composée des présidents E. De Groot et J. Spreutels, et des juges L. (...)

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COUR CONSTITUTIONNELLE


Extrait de l'arrêt n° 11/2018 du 1er février 2018 Numéro du rôle : 6572 En cause : la question préjudicielle relative à l'article 347-1 du Code civil, posée par le tribunal de la famille et de la jeunesse du Tribunal de première instance d'Anvers, division Anvers.

La Cour constitutionnelle, composée des présidents E. De Groot et J. Spreutels, et des juges L. Lavrysen, A. Alen, J.-P. Snappe, J.-P. Moerman, E. Derycke, T. Merckx-Van Goey, P. Nihoul, F. Daoût, T. Giet et R. Leysen, assistée du greffier F. Meersschaut, présidée par le président E. De Groot, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet de la question préjudicielle et procédure Par jugement du 19 décembre 2016 en cause de E.V., dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour le 29 décembre 2016, le tribunal de la famille et de la jeunesse du Tribunal de première instance d'Anvers, division Anvers, a posé la question préjudicielle suivante : « L'article 347-1 du Code civil viole-t-il les articles 10 et 11 de la Constitution en ce qu'il a pour conséquence que : - dans le cas d'un enfant né avant le 1er janvier 2015 (date d'entrée en vigueur de la loi du 5 mai 2014Documents pertinents retrouvés type loi prom. 05/05/2014 pub. 07/07/2014 numac 2014009353 source service public federal justice Loi portant établissement de la filiation de la coparente fermer portant établissement de la filiation de la coparente) du mariage entre deux femmes, dont la filiation à l'égard de la coparente pouvait uniquement être établie par une adoption, une nouvelle adoption est absolument impossible tant que l'adoptante est encore en vie; - alors que dans le cas d'enfants ayant un lien de filiation ordinaire, une nouvelle adoption est possible, même si le parent est encore en vie ? ». (...) III. En droit (...) B.1. Dans la version applicable à l'instance soumise au juge a quo, l'article 347-1 du Code civil dispose : « Un enfant qui a déjà été adopté, de manière simple ou plénière, peut être adopté une nouvelle fois, de manière simple ou plénière, si toutes les conditions requises pour l'établissement de la nouvelle adoption sont remplies et que, soit : 1° l'adoptant ou les adoptants antérieurs sont décédés;2° l'adoption antérieure a été révisée ou l'adoption simple antérieure a été révoquée à l'égard de l'adoptant ou des adoptants;3° des motifs très graves commandent qu'une nouvelle adoption soit prononcée à la requête du ministère public ». B.2. Le juge a quo a posé à la Cour la question préjudicielle suivante : « L'article 347-1 du Code civil viole-t-il les articles 10 et 11 de la Constitution en ce qu'il a pour conséquence que : - dans le cas d'un enfant né avant le 1er janvier 2015 (date d'entrée en vigueur de la loi du 5 mai 2014Documents pertinents retrouvés type loi prom. 05/05/2014 pub. 07/07/2014 numac 2014009353 source service public federal justice Loi portant établissement de la filiation de la coparente fermer portant établissement de la filiation de la coparente) du mariage entre deux femmes, dont la filiation à l'égard de la coparente pouvait uniquement être établie par une adoption, une nouvelle adoption est absolument impossible tant que l'adoptante est encore en vie; - alors que dans le cas d'enfants ayant un lien de filiation ordinaire, une nouvelle adoption est possible, même si le parent est encore en vie ? ».

B.3.1. Selon le Conseil des ministres, la question préjudicielle n'appelle pas de réponse, au motif que le juge a quo partirait erronément du principe que la disposition en cause interdit une nouvelle adoption tant que l'adoptant est en vie. La disposition en cause prévoit en effet encore deux possibilités de procéder à une nouvelle adoption.

Par ailleurs, le juge a quo comparerait l'effet de la disposition en cause dans l'affaire qui lui est soumise à une situation qui ne peut se produire, étant donné qu'un enfant qui a un lien de filiation d'origine à l'égard du partenaire de la mère entre en considération pour une première adoption, à laquelle la disposition en cause n'est pas applicable.

B.3.2. Il ressort de la formulation de la question préjudicielle que le juge a quo interroge la Cour sur la compatibilité de la disposition en cause, prise dans son ensemble, avec le principe d'égalité et de non-discrimination. Il demande plus précisément à la Cour si la différence de traitement entre, d'une part, les enfants qui sont nés d'un mariage hétérosexuel et, d'autre part, les enfants qui sont nés d'un mariage entre deux femmes avant l'entrée en vigueur de la loi du 5 mai 2014Documents pertinents retrouvés type loi prom. 05/05/2014 pub. 07/07/2014 numac 2014009353 source service public federal justice Loi portant établissement de la filiation de la coparente fermer portant établissement de la filiation de la coparente est compatible avec le principe d'égalité et de non-discrimination.

Dans le premier cas, il est établi un lien de filiation d'origine entre l'enfant et le partenaire de la mère, alors que, dans le second cas, il pouvait uniquement être établi un lien de filiation par l'adoption. Par conséquent, ce n'est que dans la deuxième hypothèse que la disposition en cause est toujours applicable lorsqu'un nouveau partenaire de la mère souhaite adopter l'enfant après une adoption par la première partenaire de la mère.

La Cour examine la question préjudicielle en ce sens.

B.3.3. La loi précitée du 5 mai 2014 est entrée en vigueur le 1er janvier 2015. Pour les enfants qui, à partir de cette date, sont nés d'un mariage entre deux femmes, un lien de filiation d'origine est établi vis-à-vis de la conjointe de leur mère et il n'y a donc plus de différence de traitement par rapport aux enfants qui sont nés d'un mariage entre une femme et un homme.

B.4.1. Le principe d'égalité et de non-discrimination n'exclut pas qu'une différence de traitement soit établie entre des catégories de personnes, pour autant qu'elle repose sur un critère objectif et qu'elle soit raisonnablement justifiée.

L'existence d'une telle justification doit s'apprécier en tenant compte du but et des effets de la mesure critiquée ainsi que de la nature des principes en cause; le principe d'égalité et de non-discrimination est violé lorsqu'il est établi qu'il n'existe pas de rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé.

B.4.2. Si l'intérêt de l'enfant doit être une considération primordiale, il n'a pas un caractère absolu. Mais dans la mise en balance des différents intérêts en jeu, l'intérêt de l'enfant occupe une place particulière du fait qu'il représente la partie faible dans la relation familiale.

B.5.1. Par la disposition en cause, le législateur entendait remédier à une inconstitutionnalité, constatée par la Cour par son arrêt n° 117/2001, du 3 octobre 2001, dans l'ancien régime de l'adoption. Dans cet arrêt, la Cour a jugé : « B.7. En excluant, aux articles 346 et 368, § 3, du Code civil, les adoptions successives, le législateur a voulu garantir la stabilité des liens de parenté et de l'entourage familial de l'adopté.

En prévoyant à l'article 370, § 5, du même Code que l'adoption plénière est irrévocable, le législateur a voulu l'assimiler au lien de filiation ordinaire. La disposition ne saurait être dissociée de la règle selon laquelle tous les liens de l'enfant adopté avec sa famille d'origine sont rompus et du risque qui en découle pour l'adopté, en cas de révocation de l'adoption, de se retrouver totalement sans famille. L'irrévocabilité de l'adoption plénière vise dès lors également à la stabilité du statut de l'enfant adoptif.

Les dispositions précitées sont donc en principe conformes à l'objectif poursuivi par le législateur, qui est de privilégier l'intérêt de l'enfant en matière d'adoption.

B.8. Toutefois, en ayant pour effet que, sauf en cas de décès du ou des adoptants, un enfant ayant déjà fait l'objet d'une adoption plénière ne peut en aucun cas être adopté, les dispositions en cause font naître des effets disproportionnés à l'égard des enfants adoptés qui ont été définitivement abandonnés par leur(s) adoptant(s).

Contrairement aux autres enfants qui sont abandonnés par leurs parents, ils se voient privés de la possibilité d'être à nouveau intégrés à part entière dans une famille ».

B.5.2. La disposition en cause a été insérée par la loi du 24 avril 2003Documents pertinents retrouvés type loi prom. 24/04/2003 pub. 16/05/2003 numac 2003009435 source service public federal justice Loi réformant l'adoption fermer réformant l'adoption. Au cours des travaux préparatoires, il a été dit concernant la disposition en cause : « Il s'ensuit qu'en cas d'échec d'une première adoption plénière, celle-ci étant irrévocable, il faut attendre le décès du ou des précédents adoptants avant que l'enfant puisse être à nouveau adopté par la ou les personnes qui l'ont accueilli. Cette situation, déjà malsaine en soi, constituerait d'autre part, selon certains auteurs, une discrimination violant les articles 8 et 14 combinés de la Convention européenne des droits de l'homme (ainsi que les articles 10 et 11 de la Constitution), dans la mesure où une distinction sans fondement serait faite entre les enfants ayant déjà été adoptés et les autres [...].

Pour remédier à cette situation, l'article maintient les possibilités existantes et en crée une nouvelle (il convient de noter que le terme ' enfant ' est ici employé à dessein, comme désignant une personne de moins de dix-huit ans) : une nouvelle adoption est désormais permise, en cas de motifs très graves, alors même que les adoptants précédents sont encore vivants et que l'adoption antérieure n'a pas été révisée ou l'adoption simple antérieure, révoquée. Si la première adoption est un échec, l'enfant peut donc à nouveau être adopté si des personnes en manifestent l'intention.

Il n'est bien entendu pas question de permettre ici les adoptions ' à l'essai ' : il faut que des ' motifs très graves ' justifient la nouvelle adoption. Aussi la requête doit-elle, dans ce cas, être introduite par le ministère public, qui est à même, de la sorte, d'exercer un premier contrôle quant à l'opportunité d'une nouvelle adoption. Les motifs que l'on vise sont ceux qui pouvaient justifier la révocation de l'adoption simple sur base de l'article 367, § 1er, alinéa 1er du Code civil, et qui ont été dégagés au fil des ans, de façon très restrictive, par la jurisprudence. Il s'agit d'une manière générale d'actes ou de comportements fautifs de l'une des parties, ou de circonstances éprouvantes telles que l'impossibilité psychologique de vivre en commun ou l'échec complet de la relation éducative [...].

A titre d'exemples, peuvent être cités l'indifférence totale de l'adopté envers l'adoptant pendant une très longue période, des faits de moeurs commis par l'adoptant sur l'adopté, le refus de l'adoptant d'assurer l'entretien de l'adopté,... [...].

L'on pourrait objecter qu'il y a encore ici une discrimination entre les enfants ' biologiques ' et les enfants adoptifs dans la mesure où ces derniers ne pourraient être adoptés que lorsque des motifs très graves le justifient. Au contraire, cette prétendue discrimination s'appuie sur un objectif raisonnable qui est d'éviter les abus et les adoptions à l'essai.

Par ailleurs, l'article tient compte de la possibilité d'adopter pour certains cohabitants.

Les 1°, 2° et 3° sont bien entendu des conditions alternatives et non cumulatives. Par ailleurs, il est clair que toutes les conditions requises pour la nouvelle adoption devront être remplies.

Aux 1° et 2°, on entend par ' les adoptants ' les époux ou cohabitants adoptants antérieurs.

L'article prend également en compte, à côté de la révocation de l'adoption simple, l'hypothèse d'une révision de l'adoption antérieure (possibilité introduite par l'article 351 en projet du Code civil) » (Doc. parl., Chambre, 2000-2001, DOC 50-1366/001 et DOC 50-1367/001, pp. 22-23).

B.5.3. Bien que, par suite de l'arrêt n° 117/2001 précité de la Cour, le législateur souhaitât étendre la possibilité de procéder à une nouvelle adoption, il a en même temps voulu limiter cette possibilité, afin d'éviter les « adoptions à l'essai » et d'autres abus. Il voulait ainsi également garantir la stabilité des liens de parenté et de l'entourage familial de l'adopté. Cet objectif est légitime.

B.6. La différence de traitement en cause repose sur un critère objectif, à savoir le type de filiation qui résulte d'une naissance issue d'un mariage entre deux femmes ou d'une naissance issue d'un mariage entre une femme et un homme. La Cour doit toutefois examiner si la différence de traitement est raisonnablement justifiée, compte tenu des objectifs poursuivis par le législateur.

B.7. Lorsqu'il élabore un régime légal en matière de filiation, le législateur doit en principe permettre aux autorités compétentes de procéder in concreto à la mise en balance des intérêts des différentes personnes concernées, sous peine de prendre une mesure qui ne serait pas proportionnée aux objectifs légitimes poursuivis.

Tant l'article 22bis, alinéa 4, de la Constitution que l'article 3, paragraphe 1, de la Convention relative aux droits de l'enfant imposent aux juridictions de prendre en compte, de manière primordiale, l'intérêt de l'enfant dans les procédures le concernant.

La Cour européenne des droits de l'homme a précisé que, dans la balance des intérêts en jeu, il y a lieu de faire prévaloir les intérêts de l'enfant (CEDH, 5 novembre 2002, Yousef c. Pays-Bas, § 73; 26 juin 2003, Maire c. Portugal, § § 71 et 77; 8 juillet 2003, Sommerfeld c. Allemagne, § § 64 et 66; 28 juin 2007, Wagner et J.M.W.L. c. Luxembourg, § 119; 6 juillet 2010, Neulinger et Shuruk c.

Suisse, § 135; 22 mars 2012, Ahrens c. Allemagne, § 63), bien qu'ils n'aient pas un caractère absolu, ainsi qu'il a été mentionné en B.4.2.

Par ailleurs, il n'existe pas de droit à l'adoption, ni pour l'enfant, ni pour les parents biologiques, ni pour le candidat-adoptant (CEDH, 26 février 2002, Fretté c. France; 27 avril 2010, Moretti et Benedetti c. Italie). B.8.1. La disposition en cause n'interdit pas, du vivant de l'adoptant, une nouvelle adoption de l'enfant adopté.

En vertu de l'article 347-1, 3°, du Code civil, il appartient en effet au ministère public de requérir une nouvelle adoption lorsque des « motifs très graves » le commandent. A titre d'exemple de tels motifs, il a été fait référence, au cours des travaux préparatoires, aux comportements fautifs de l'adoptant ou de l'adopté, à l'impossibilité psychologique de vivre en commun, à l'échec de la relation éducative et au refus d'assurer l'entretien de l'adopté (Doc. parl., Chambre, 2000-2001, DOC 50-1366/001 et DOC 50-1367/001, pp. 22-23).

B.8.2. Tant le ministère public que les juridictions doivent appliquer l'article 347-1, 3°, du Code civil à la lumière de l'intérêt de l'enfant, tel qu'il est garanti par l'article 22bis, alinéa 4, de la Constitution et par l'article 3, paragraphe 1, de la Convention relative aux droits de l'enfant. Par conséquent, une nouvelle adoption doit être requise et autorisée chaque fois que l'exige une mise en balance des différents intérêts en jeu, l'intérêt de l'enfant étant pris en compte de manière primordiale.

B.8.3. L'action visée à l'article 347-1, 3°, du Code civil peut certes uniquement être intentée par le ministère public, mais, en vertu de l'article 1231-24 du Code judiciaire, toute personne intéressée peut demander au ministère public d'exercer cette action.

B.9. Sous réserve de l'interprétation mentionnée en B.8.2 et B.8.3, la disposition en cause ménage un juste équilibre entre les objectifs poursuivis par le législateur et l'intérêt de l'enfant. Dans cette interprétation, elle est compatible avec le principe d'égalité et de non-discrimination.

B.10. Sous réserve de l'interprétation mentionnée en B.8.2 et B.8.3, la question préjudicielle appelle une réponse négative.

Par ces motifs, la Cour dit pour droit : Sous réserve de l'interprétation mentionnée en B.8.2 et B.8.3, l'article 347-1 du Code civil ne viole pas les articles 10 et 11 de la Constitution.

Ainsi rendu en langue néerlandaise et en langue française, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, le 1er février 2018.

Le greffier, F. Meersschaut Le président, E. De Groot

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