Etaamb.openjustice.be
Arrêt
publié le 09 avril 2018

Extrait de l'arrêt n° 136/2017 du 30 novembre 2017 Numéro du rôle : 6418 En cause : les questions préjudicielles concernant les articles 2, 7°, et 5, 2°, de la loi du 31 mars 2010 relative à l'indemnisation des dommages résultant de soins de La Cour constitutionnelle, composée des présidents J. Spreutels et E. De Groot, et des juges L. (...)

source
cour constitutionnelle
numac
2018201270
pub.
09/04/2018
prom.
--
moniteur
https://www.ejustice.just.fgov.be/cgi/article_body(...)
Document Qrcode

COUR CONSTITUTIONNELLE


Extrait de l'arrêt n° 136/2017 du 30 novembre 2017 Numéro du rôle : 6418 En cause : les questions préjudicielles concernant les articles 2, 7°, et 5, 2°, de la loi du 31 mars 2010Documents pertinents retrouvés type loi prom. 31/03/2010 pub. 02/04/2010 numac 2010024096 source service public federal sante publique, securite de la chaine alimentaire et environnement Loi relative à l'indemnisation des dommages résultant de soins de santé fermer relative à l'indemnisation des dommages résultant de soins de santé, posées par le Tribunal de première instance de Liège, division Huy.

La Cour constitutionnelle, composée des présidents J. Spreutels et E. De Groot, et des juges L. Lavrysen, A. Alen, J.-P. Snappe, J.-P. Moerman, E. Derycke, T. Merckx-Van Goey, P. Nihoul, F. Daoût, T. Giet et R. Leysen, assistée du greffier P.-Y. Dutilleux, présidée par le président J. Spreutels, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet des questions préjudicielles et procédure Par jugement du 18 avril 2016 en cause de B.L. contre l'Institut national d'assurance maladie-invalidité, dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour le 26 avril 2016, le Tribunal de première instance de Liège, division Huy, a posé les questions préjudicielles suivantes : - « L'article 2, 7°, de la loi du 31 mars 2010Documents pertinents retrouvés type loi prom. 31/03/2010 pub. 02/04/2010 numac 2010024096 source service public federal sante publique, securite de la chaine alimentaire et environnement Loi relative à l'indemnisation des dommages résultant de soins de santé fermer [relative à l'indemnisation des dommages résultant de soins de santé] viole-t-il les articles 10 et 11 de la Constitution en ce qu'il définit un dommage anormal comme ne devant pas se produire dans l'état actuel de la science, lorsqu'il est interprété de manière telle qu'il distingue les dommages selon qu'ils sont totalement évitables ou non dans l'état actuel de la science de sorte que les dommages liés à une infection connue dans l'état actuel de la science (comme une infection nosocomiale à staphylocoque doré) mais qui ne peut être totalement évitée (toujours en l'état actuel de la science) sont exclus du champ d'application de la loi et de la notion d'accident médical sans responsabilité, alors que les dommages liés à une infection également connue mais qui auraient pu être évités en fonction de l'état actuel de la science y sont inclus ? »; - « L'article 5, 2° viole-t-il les articles 10 et 11 de la Constitution, en ce qu'il exclut du dommage suffisamment grave défini comme étant celui qui entraîne pour le patient une incapacité temporaire de travail au moins durant six mois consécutifs ou six mois non consécutifs sur une période de douze mois, les patients qui n'exerceraient pas d'activités professionnelles ? ». (...) III. En droit (...) B.1. La Cour est interrogée sur la compatibilité, avec les articles 10 et 11 de la Constitution, des articles 2, 7°, et 5, 2°, de la loi du 31 mars 2010Documents pertinents retrouvés type loi prom. 31/03/2010 pub. 02/04/2010 numac 2010024096 source service public federal sante publique, securite de la chaine alimentaire et environnement Loi relative à l'indemnisation des dommages résultant de soins de santé fermer relative à l'indemnisation des dommages résultant de soins de santé (ci-après : la loi du 31 mars 2010Documents pertinents retrouvés type loi prom. 31/03/2010 pub. 02/04/2010 numac 2010024096 source service public federal sante publique, securite de la chaine alimentaire et environnement Loi relative à l'indemnisation des dommages résultant de soins de santé fermer).

B.2.1. L'article 2, 7°, de la loi du 31 mars 2010Documents pertinents retrouvés type loi prom. 31/03/2010 pub. 02/04/2010 numac 2010024096 source service public federal sante publique, securite de la chaine alimentaire et environnement Loi relative à l'indemnisation des dommages résultant de soins de santé fermer, en cause dans la première question préjudicielle, définit « l'accident médical sans responsabilité » comme : « un accident lié à une prestation de soins de santé, qui n'engage pas la responsabilité d'un prestataire de soins, qui ne résulte pas de l'état du patient et qui entraîne pour le patient un dommage anormal.

Le dommage est anormal lorsqu'il n'aurait pas dû se produire compte tenu de l'état actuel de la science, de l'état du patient et de son évolution objectivement prévisible. L'échec thérapeutique et l'erreur non fautive de diagnostic ne constituent pas un accident médical sans responsabilité ».

B.2.2. La loi du 31 mars 2010Documents pertinents retrouvés type loi prom. 31/03/2010 pub. 02/04/2010 numac 2010024096 source service public federal sante publique, securite de la chaine alimentaire et environnement Loi relative à l'indemnisation des dommages résultant de soins de santé fermer règle l'indemnisation des dommages résultant de soins de santé, sans préjudice du droit de la victime du dommage ou de ses ayants droit de réclamer l'indemnisation de celui-ci devant les cours et tribunaux conformément aux règles du droit commun de la responsabilité.

B.2.3. Un « Fonds des accidents médicaux » (en abrégé : FAM) a été institué au sein de l'Institut national d'assurance maladie invalidité par l'article 137ter de la loi coordonnée le 14 juillet 1994 relative à l'assurance soins de santé et indemnités.

L'article 4, 1°, de la loi du 31 mars 2010Documents pertinents retrouvés type loi prom. 31/03/2010 pub. 02/04/2010 numac 2010024096 source service public federal sante publique, securite de la chaine alimentaire et environnement Loi relative à l'indemnisation des dommages résultant de soins de santé fermer prescrit que le FAM indemnise la victime ou ses ayants droit conformément au droit commun lorsque le dommage trouve sa cause dans un accident médical sans responsabilité, pour autant que le dommage réponde à l'une des conditions de gravité prévues à l'article 5 de la loi.

B.2.4. L'article 5, 2°, de la loi du 31 mars 2010Documents pertinents retrouvés type loi prom. 31/03/2010 pub. 02/04/2010 numac 2010024096 source service public federal sante publique, securite de la chaine alimentaire et environnement Loi relative à l'indemnisation des dommages résultant de soins de santé fermer, en cause dans la seconde question préjudicielle, prévoit que le dommage est suffisamment grave lorsqu'une des conditions suivantes est remplie : « 1° le patient subit une invalidité permanente d'un taux égal ou supérieur à 25 % ; 2° le patient subit une incapacité temporaire de travail au moins durant six mois consécutifs ou six mois non consécutifs sur une période de douze mois;3° le dommage occasionne des troubles particulièrement graves, y compris d'ordre économique, dans les conditions d'existence du patient;4° le patient est décédé ». Quant au contexte des dispositions en cause B.3.1. Une première loi relative à l'indemnisation des dommages résultant de soins de santé avait été promulguée le 15 mai 2007 en vue d'indemniser les patients, ainsi que leurs ayants droit, pour les dommages résultant d'une prestation de soins de santé, de l'absence d'une prestation de soins de santé que le patient pouvait légitimement attendre compte tenu de l'état de la science ou encore d'une infection contractée à l'occasion d'une prestation de soins de santé.

Le législateur entendait mettre en place un système qui garantisse aux victimes d'un dommage résultant d'une prestation de soins de santé une indemnisation plus rapide, plus simple et plus juste, dès lors qu'il apparaissait que ces victimes étaient dans la plupart des cas dans l'impossibilité de prouver la faute d'un prestataire de soins, le dommage et le lien de causalité entre les deux, pour obtenir une telle indemnisation (Doc. parl., Chambre, 2006-2007, DOC 51-3012/1, pp. 3 et s.).

B.3.2. Constatant qu'il n'existait plus de consensus politique pour exécuter la loi du 15 mai 2007Documents pertinents retrouvés type loi prom. 15/05/2007 pub. 06/07/2007 numac 2007023065 source service public federal securite sociale Loi relative à l'indemnisation des dommages résultant de soins de santé fermer en l'état, le législateur a par après décidé de modifier le système conformément au modèle d'indemnisation des dommages médicaux en vigueur en France depuis 2002, moyennant certaines variantes et adaptations au contexte belge (Doc. parl., Chambre, 2009-2010, DOC 52-2240/001 et DOC 52-2241/001, pp. 3 et 9).

Il s'agissait, par une nouvelle loi, de mettre en place un système destiné à pallier les carences du système d'indemnisation du droit de la responsabilité médicale en permettant au patient de surmonter les nombreux obstacles qu'il peut rencontrer pour être indemnisé comme la responsabilité diffuse lorsque le dommage survient en milieu hospitalier, la charge de la preuve d'une faute qui incombe entièrement au patient, l'impossibilité d'établir clairement si un sinistre est imputable à une erreur ou à un risque médical, la difficulté d'établir un lien de causalité entre la faute et le dommage subi ou encore la perspective d'un coût financier élevé et d'un procès de longue haleine avec un résultat incertain qui pouvait dissuader de nombreux patients d'intenter une action à l'encontre d'un prestataire de soins.

Il s'agissait également d'éviter que les praticiens, davantage confrontés à une « culture des actions en justice », ne développent des comportements de médecine défensive mais aussi de remédier aux problèmes rencontrés en matière d'assurances, plusieurs assureurs s'étant retirés du marché ou ne proposant plus d'assurance pour ce type de prestations, d'autres ayant considérablement augmenté les primes (ibid., pp. 5 à 7).

B.3.3. Le législateur a entendu intégrer deux innovations majeures dans la loi du 31 mars 2010Documents pertinents retrouvés type loi prom. 31/03/2010 pub. 02/04/2010 numac 2010024096 source service public federal sante publique, securite de la chaine alimentaire et environnement Loi relative à l'indemnisation des dommages résultant de soins de santé fermer : le droit à l'indemnisation des dommages résultant d'accidents médicaux sans responsabilité, d'une part, et la création d'une procédure amiable de résolution des litiges par l'intermédiaire d'un fonds d'indemnisation des accidents médicaux, d'autre part.

B.3.4. L'exposé des motifs de la loi en cause précise, en ce qui concerne le nouveau droit à l'indemnisation en l'absence de responsabilité : « [...] [A] côté du droit commun de la responsabilité, le projet prévoit la création d'un nouveau droit subjectif en faveur du patient, qui lui permet d'être indemnisé lorsqu'il est victime non pas d'un fait engageant la responsabilité d'un prestataire, mais d'un accident médical sans responsabilité, c'est-à-dire lorsque la responsabilité d'aucun prestataire de soins de santé ne peut être engagée. Sur cette base, le patient pourra être indemnisé du dommage anormal qu'il subira à la suite d'une prestation de soins de santé, pour autant que le dommage ne résulte pas de l'état du patient. Le dommage doit être considéré comme anormal lorsqu'il n'aurait pas dû se produire compte tenu de l'état actuel de la science au moment de la prestation de soins de santé, de l'état du patient et de son évolution objectivement prévisible.

Le critère de distinction est donc le fait que le dommage engage ou non la responsabilité d'un prestataire de soins. Ce critère de 'responsabilité' a été préféré à celui de la faute, plus restrictif dès lors qu'il ne permet pas de tenir compte des cas de responsabilité du fait des choses ou d'autrui, comme cela est par exemple prévu à l'article 1384 du Code civil.

L'indemnisation quant à elle, également intégrale, sera à charge de la solidarité nationale, et sera versée à la victime par le Fonds des accidents médicaux, qui sera financé par les frais d'administration de l'INAMI. Ni les assureurs, ni les prestataires de soins n'interviennent par conséquent pour l'indemnisation de ce type de dommage.

Pour pouvoir être indemnisé par le Fonds, le dommage devra néanmoins présenter un seuil de gravité minimum, comme c'est le cas en France, précisé dans la loi, et ce afin de maintenir le budget du Fonds dans des limites réalistes et supportables par celui-ci.

Pour la même raison, il est également prévu d'exclure l'indemnisation des dommages qui trouvent leur cause dans une prestation de soins accomplie dans un but esthétique non remboursable en vertu de la loi relative à l'assurance obligatoire soins de santé et indemnités coordonnée le 14 juillet 1994. En effet, il n'apparaît pas opportun de mettre à charge de la solidarité nationale l'indemnisation de prestations qui relèvent de la pure convenance pour le patient. Le critère sera dès lors le remboursement éventuel de la prestation par l'assurance maladie invalidité.

Mais une fois que la victime entre dans les conditions pour être indemnisée, l'indemnisation est intégrale, conformément au droit commun.

L'indemnisation pourra être sollicitée soit devant le tribunal, dans le cadre d'une action judiciaire intentée directement à l'encontre du Fonds, soit par le biais de la procédure amiable devant le Fonds établie par le présent projet.

Le droit des patients à l'indemnisation d'un dommage consécutif à une prestation de soins est donc élargi de manière substantielle.

En outre, grâce à ce nouveau droit mis à la disposition de la victime, et qui est financièrement à charge de l'Etat, il sera possible de réduire sensiblement les procédures à charge des prestataires de soins. En effet, à l'heure actuelle, les victimes qui souhaitent être indemnisées n'ont pas d'autre choix que de mettre en cause la responsabilité du prestataire, en recherchant parfois le moindre élément qui pourrait s'apparenter à une faute. Dorénavant, dans les hypothèses où il apparaît que la responsabilité du prestataire ne peut pas être mise en cause, la victime pourra s'adresser directement au Fonds pour être indemnisée, sans devoir tenter par tous les moyens de démontrer une responsabilité dans le chef du prestataire de soins.

Les infections nosocomiales suivront le même régime que les autres types de dommage. Ainsi, l'infection nosocomiale pourra soit trouver son origine dans la responsabilité d'un prestataire de soins, soit trouver son origine dans un accident médical sans responsabilité. Dans la première hypothèse, elle sera indemnisée conformément au droit commun de la responsabilité par l'auteur responsable du dommage. En particulier, elle sera indemnisée intégralement, et ce quelle que soit la gravité du dommage qu'elle a occasionné. Dans la seconde hypothèse, elle fera l'objet d'une indemnisation par le Fonds si elle présente le seuil de gravité déterminé par la loi. L'indemnisation sera quant à elle toujours intégrale, conformément au droit commun » (ibid., pp. 11-12).

Quant à la première question préjudicielle B.4. Le juge a quo demande à la Cour si l'article 2, 7°, de la loi du 31 mars 2010Documents pertinents retrouvés type loi prom. 31/03/2010 pub. 02/04/2010 numac 2010024096 source service public federal sante publique, securite de la chaine alimentaire et environnement Loi relative à l'indemnisation des dommages résultant de soins de santé fermer est compatible avec les articles 10 et 11 de la Constitution, s'il est interprété de manière telle qu'il distingue les dommages selon qu'ils sont totalement évitables ou non dans l'état actuel de la science, de sorte que les dommages liés à une infection connue dans l'état actuel de la science - comme une infection nosocomiale à staphylocoque doré - mais qui ne peut totalement être évitée, sont exclus du champ d'application de la loi, alors que les dommages liés à une infection également connue mais qui auraient pu être évités en fonction de l'état actuel de la science y sont inclus.

B.5. Comme il ressort du texte de l'article 2, 7°, en cause, plusieurs conditions sont requises pour que la victime d'un dommage causé par un accident médical d'origine non fautive puisse prétendre à une indemnisation en application de la loi en cause.

B.6.1. Ces conditions ont été explicitées dans le commentaire de l'article 2 de la loi en projet. Ainsi, l'accident lié à une prestation de soins de santé ne doit pas engager la responsabilité du prestataire de soins. L'accident ne doit pas résulter de l'état de santé du patient, le dommage devant être lié à une prestation de soins et non à l'aggravation de la pathologie dont le patient souffre. Il s'agit dès lors d'indemniser les conséquences imprévisibles d'une prestation telles que l'effet secondaire imprévu ou peu probable d'un traitement (ibid., p. 24).

B.6.2. Lorsque l'accident lié à une prestation de soins de santé répond à ces deux premières conditions, une indemnisation ne peut être accordée que si l'accident a entraîné un dommage anormal pour le patient.

L'exposé des motifs de la loi en cause précise à cet égard : « Un dommage peut bien entendu découler d'une prestation de santé réalisée parfaitement. Lors d'une opération chirurgicale, une ' blessure ' est en effet la plupart du temps occasionnée au patient.

Cela ne constitue pas pour autant un dommage indemnisable en vertu du droit commun de la responsabilité médicale, pour autant que le prestataire n'ait pas commis de faute en réalisant l'opération. Il n'y a par conséquent aucune raison que ce dommage puisse être indemnisé dans un régime d'indemnisation sans responsabilité. Il est donc nécessaire que le dommage présente un caractère anormal pour pouvoir être indemnisé sur cette base. Le projet prévoit expressément deux critères à cet égard: le dommage est anormal lorsqu'il n'aurait pas dû se produire compte tenu de l'état actuel de la science, de l'état du patient et de son évolution objectivement prévisible. Ces critères peuvent être commentés comme suit : a. L'état actuel de la science : si en l'état actuel des connaissances, le dommage avait pu être évité, il devra être considéré comme anormal, puisqu'un prestataire correctement au fait de l'état de la science aurait pu prendre les mesures adéquates pour éviter qu'il se produise.Il importe de préciser que l'état de la science doit être apprécié au moment où la prestation de soins est posée. Le comportement du prestataire ne peut en effet être jugé sur base de connaissances qui n'existaient pas au moment où il a posé l'acte. b. L'état du patient et son évolution objectivement prévisible : le dommage est également anormal lorsque le dommage n'est pas dû à la situation particulière du patient, déterminée en fonction de ses antécédents, de ses prédispositions particulières telles que son âge, ses capacités physiques, mais aussi de la pathologie pour laquelle la prestation de soins est posée, d'une autre pathologie, ou encore du traitement donné pour traiter cette dernière, etc... à la date de la prestation de soins de santé incriminée ou à l'aggravation ' naturelle ' parce que prévisible et inévitable, de son état de santé initial. Le caractère normal ou non du dommage doit donc être apprécié en fonction de l'état de santé général du patient, et de ce que l'on peut raisonnablement prévoir comme évolution de celui-ci. Le décès ou un dommage grave causé à un patient en parfaite santé sera ainsi en principe plus facilement considéré comme anormal que le même dommage qui surviendrait chez un patient dont l'état de santé général est faible et déjà détérioré. Il s'agit d'une condition qui devra être appréciée au cas par cas en fonction du type de dommage allégué et des indications relatives à l'état de santé du patient.

Le Conseil d'Etat critique l'article 2, 7°, deuxième phrase, qui dispose que ' le dommage causé par un accident lié à une prestation de soins de santé d'un prestataire de soins est anormal lorsqu'il n'aurait pas dû se produire compte tenu de l'état actuel de la science, de l'état du patient et de son évolution objectivement prévisible '.

Le Conseil d'Etat croit pouvoir en déduire qu'il est fait référence ' à un dommage qui aurait pu être évité et qui découle donc d'une faute du prestataire de soins, alors que c'est précisément l'inverse que l'on semble vouloir viser '.

Le gouvernement ne partage pas cette opinion.

Lorsque la loi se réfère à ' l'état actuel de la science ', elle vise l'état actuel des connaissances scientifiques, en ce compris son niveau le plus élevé (sur ce concept, voyez par analogie CJCE, n° C-300/95, 27 mai 1997 (Commission c/ Royaume-Uni et Irlande du Nord), Rec. CJCE, 1997, I, 2649, conclusions de l'avocat général G. Tesauro).

En revanche, la faute s'apprécie en fonction des circonstances externes de temps et de lieu dans lesquelles se trouvait l'auteur de l'acte incriminé.

Si dans les hôpitaux universitaires, on peut sans doute trouver des médecins ayant accès aux connaissances scientifiques du plus haut niveau et disposant d'un matériel technique de pointe, il n'est pas évident que les mêmes conditions se trouvent réunies dans le cabinet d'un médecin de village. Il n'y a pas de faute, dans le chef de ce médecin, s'il ne met pas en oeuvre des moyens d'investigation et de soins dont il ne dispose pas. En revanche, il faut constater que le patient peut, dans ces circonstances, subir un dommage qui n'aurait pas dû se produire compte tenu de l'état actuel de la science. C'est cette hypothèse-là qui est visée par le texte de l'article 2, 7°, deuxième phrase du projet » (ibid., pp. 24 à 26).

B.6.3. En ce qui concerne les infections nosocomiales, l'exposé des motifs précise ce qui suit : « A noter que les infections nosocomiales suivront le même régime que les dommages résultant de soins de santé. Ainsi, les infections nosocomiales pourront selon les cas trouver leur origine dans la responsabilité d'un prestataire de soins, trouver leur origine dans un accident médical sans responsabilité, ou encore ne relever d'aucune de ces deux catégories. Si une infection nosocomiale trouve son origine dans la responsabilité d'un prestataire de soins, ou [si] elle répond aux conditions d'un accident médical sans responsabilité, elle sera indemnisée en fonction du régime correspondant, étant entendu que dans l'hypothèse d'un accident médical sans responsabilité, elle sera indemnisée si [elle présente] le niveau de gravité prévu à l'article 5 du projet. Le Fonds n'a donc pas pour vocation d'indemniser les infections qui ont simplement pour conséquence de prolonger l'hospitalisation de quelques jours. Il est par ailleurs évident ici que la prévention reste l'arme la plus efficace contre les infections nosocomiales » (ibid., pp. 27-28).

B.6.4. En ce qui concerne les infections nosocomiales, la ministre de la Santé publique a ajouté : « Il a été évoqué de prévoir une présomption de responsabilité des hôpitaux en matière d'infections nosocomiales. Le projet soumet les infections nosocomiales au régime général d'indemnisation : si une faute est démontrée, c'est l'assureur du prestataire qui indemnisera.

Si on peut établir un accident médical sans responsabilité, ce sera le Fonds.

En France, il existe une présomption de responsabilité de l'hôpital pour les infections nosocomiales qui occasionnent des dommages qui n'atteignent pas le seuil de gravité prévu par la loi. Au contraire, si le dommage atteint le seuil de gravité, il y a une présomption d'aléa thérapeutique, et c'est le Fonds qui intervient. La solution française permet de mieux couvrir les infections nosocomiales, en faisant supporter l'indemnisation des moins graves par les hôpitaux et leurs assureurs. Néanmoins, il s'agit du produit de l'évolution historique de la question en France, où la responsabilité des hôpitaux en la matière a été progressivement façonnée par la jurisprudence.

La situation est aujourd'hui différente en Belgique, et une telle présomption pourrait également remettre sensiblement en cause l'équilibre global du projet » (Doc. parl., Chambre, DOC 52-2240/006, pp. 86 et 87).

B.7.1. D'après le Conseil des ministres et l'Institut national d'assurance maladie-invalidité (ci-après : INAMI), le juge a quo partirait d'un présupposé erroné en relevant que la prise en compte de l'état actuel de la science dans la détermination du caractère anormal ou non du dommage reviendrait à exclure toutes les infections nosocomiales.

B.7.2. Lors des travaux préparatoires relatifs à la loi du 31 mars 2010Documents pertinents retrouvés type loi prom. 31/03/2010 pub. 02/04/2010 numac 2010024096 source service public federal sante publique, securite de la chaine alimentaire et environnement Loi relative à l'indemnisation des dommages résultant de soins de santé fermer, la question de l'indemnisation des dommages résultant d'infections nosocomiales a été abordée à plusieurs reprises. Il ressort explicitement de plusieurs déclarations mentionnées en B.6 que le législateur a voulu non pas exclure les dommages résultant d'infections nosocomiales du champ d'application de la nouvelle réglementation, mais soumettre ces dommages aux mêmes conditions que tous les autres dommages résultant de soins de santé.

B.7.3. En distinguant les dommages « selon qu'ils sont totalement évitables ou non dans l'état actuel de la science » le juge a quo attribue à la disposition en cause une distinction qu'elle n'établit pas. En effet, en ne visant que le dommage « qui n'aurait pas dû se produire compte tenu de l'état actuel de la science », cette disposition ne distingue les dommages que selon qu'ils sont évitables ou non compte tenu de l'état actuel de la science.

B.7.4. En ce qui concerne les dommages résultant d'infections, ce critère a pour conséquence que le dommage lié à une infection qui était connue dans l'état actuel de la science mais qui ne pouvait être évitée est exclu du champ d'application de la loi, alors que tel n'est pas le cas du dommage résultant d'une infection connue qui aurait pu être évitée dans l'état actuel de la science. Pour citer l'exemple d'une infection qui était connue mais qui ne pouvait être évitée, le juge a quo mentionne l'infection nosocomiale par staphylocoque doré.

B.7.5. Le juge a quo interroge donc la Cour sur la différence de traitement qui découle du fait que le législateur subordonne notamment l'octroi d'une indemnisation des dommages résultant d'un accident médical sans responsabilité, et plus spécifiquement des dommages résultant d'une infection, à l'« évitabilité » ou non de ces dommages dans l'état actuel de la science. Dès lors que, selon le juge a quo, le dommage résultant de l'infection nosocomiale par staphylocoque doré ne serait pas évitable dans l'état actuel de la science, il ne peut donner lieu à une indemnisation fondée sur la disposition en cause.

Dans sa définition de la notion de « dommage anormal », le législateur tient compte non seulement de l'« évitabilité » du dommage eu égard à l'état actuel de la science, mais aussi de l'état du patient et de son évolution objectivement prévisible. Ce dernier critère n'étant pas invoqué dans la question posée par le juge a quo, la Cour ne l'inclut pas dans son examen.

B.8. Comme il ressort des travaux préparatoires de la loi, cités en B.6.2, le dommage anormal est entendu comme celui qui aurait pu être évité par un prestataire correctement au fait de l'état actuel de la science y compris à son niveau le plus élevé et qui aurait pu dès lors prendre les mesures adéquates pour éviter que ce dommage ne se produise.

B.9.1. Ainsi qu'il ressort de la genèse de la disposition en cause, le législateur poursuivait, par la loi du 31 mars 2010Documents pertinents retrouvés type loi prom. 31/03/2010 pub. 02/04/2010 numac 2010024096 source service public federal sante publique, securite de la chaine alimentaire et environnement Loi relative à l'indemnisation des dommages résultant de soins de santé fermer, un équilibre entre des préoccupations différentes.

B.9.2. D'une part, il a voulu permettre aux victimes de dommages résultant de soins de santé d'être indemnisées, même sans que la responsabilité d'un prestataire de soins soit établie. Le droit des patients à l'indemnisation des dommages résultant de soins de santé est donc élargi. D'autre part, le législateur n'a jamais eu l'intention de prévoir une indemnisation, par le Fonds des accidents médicaux, de tous les dommages résultant de soins de santé qui n'engagent pas la responsabilité d'un prestataire de soins. Ainsi, outre d'autres limitations, il est notamment requis que le dommage soit anormal et grave.

B.9.3. Eu égard aux objectifs ainsi poursuivis, le critère distinctif utilisé par le législateur est objectif et pertinent, en ce qu'en vertu de la loi du 31 mars 2010Documents pertinents retrouvés type loi prom. 31/03/2010 pub. 02/04/2010 numac 2010024096 source service public federal sante publique, securite de la chaine alimentaire et environnement Loi relative à l'indemnisation des dommages résultant de soins de santé fermer, seuls les dommages qui étaient évitables dans l'état actuel le plus avancé de la science et, de ce fait, peuvent être considérés comme anormaux peuvent faire l'objet d'une indemnisation par le Fonds des accidents médicaux et en ce que le dommage qui ne peut être évité, même dans l'état actuel le plus avancé de la science, demeure à la charge de la personne lésée.

Ce choix tient donc non seulement compte des limites de la science médicale mais aussi des intérêts de la communauté et de la viabilité financière du nouveau système. Telle qu'elle est conçue dans la loi du 31 mars 2010Documents pertinents retrouvés type loi prom. 31/03/2010 pub. 02/04/2010 numac 2010024096 source service public federal sante publique, securite de la chaine alimentaire et environnement Loi relative à l'indemnisation des dommages résultant de soins de santé fermer, l'indemnisation des dommages résultant d'un accident médical sans responsabilité est en effet à charge de la solidarité nationale et est versée aux victimes par l'intermédiaire du Fonds des accidents médicaux, lequel est financé sur le budget des frais administratifs de l'INAMI. B.10.1. La Cour doit encore examiner si les effets de la mesure ne sont pas disproportionnés par rapport aux objectifs poursuivis par le législateur.

B.10.2. La définition du « dommage anormal », contenue dans l'article 2, 7°, de la loi du 31 mars 2010Documents pertinents retrouvés type loi prom. 31/03/2010 pub. 02/04/2010 numac 2010024096 source service public federal sante publique, securite de la chaine alimentaire et environnement Loi relative à l'indemnisation des dommages résultant de soins de santé fermer, a pour effet que seul le dommage qui ne peut être évité dans l'état actuel de la science est exclu du champ d'application de la loi. Etant donné que le législateur entendait par là faire référence à l'état le plus avancé de la science médicale, les possibilités d'indemnisation par l'intermédiaire du Fonds des accidents médicaux sont étendues. Le critère de l'« évitabilité » dans l'état actuel de la science est en outre un critère évolutif, de sorte que le dommage qui ne peut actuellement faire l'objet d'une indemnisation pourrait être indemnisé à l'avenir.

En outre, les effets de la disposition en cause valent de manière égale pour toutes les formes et toutes les personnes victimes de dommages résultant d'un accident médical sans responsabilité. Enfin, si le Fonds des accidents médicaux conclut qu'il n'y a pas lieu à indemnisation du dommage résultant d'un accident médical sans responsabilité, la personne lésée peut, sans préjudice de ses actions de droit commun, intenter, conformément au Code judiciaire, devant le tribunal de première instance, une action contre le Fonds afin d'obtenir les indemnités auxquelles elle prétend avoir droit en vertu de la loi (article 23).

B.10.3. Compte tenu de ce qui précède, les effets de la mesure ne peuvent être considérés comme disproportionnés par rapport aux objectifs poursuivis par le législateur.

B.11.1. Spécifiquement en ce qui concerne les dommages résultant d'infections, le critère d'« évitabilité compte tenu de l'état actuel de la science » pour définir l'anormalité du dommage n'a pas pour conséquence contrairement à ce que semble supposer le juge a quo d'exclure les dommages résultant d'infections nosocomiales du champ d'application de la loi; outre le fait que tel n'était pas l'objectif poursuivi par le législateur, il peut être admis que si la qualité des soins prodigués et des aptitudes des prestataires de soins n'ont pas permis d'éviter que le dommage survienne, c'est parce que l'état actuel de la science ne le permettait pas. Dans cette optique, les victimes de dommages résultant d'une infection nosocomiale ne sont pas non plus traitées différemment de toutes les autres victimes de dommages résultant d'un accident médical sans responsabilité.

Pour le surplus, la différence de traitement qui naît lors de l'indemnisation du dommage résultant d'infections connues, selon que le dommage aurait pu être évité ou non dans l'état actuel de la science, est raisonnablement justifiée par les motifs exprimés en B.9 et B.10.

B.11.2. L'article 2, 7°, de la loi du 31 mars 2010Documents pertinents retrouvés type loi prom. 31/03/2010 pub. 02/04/2010 numac 2010024096 source service public federal sante publique, securite de la chaine alimentaire et environnement Loi relative à l'indemnisation des dommages résultant de soins de santé fermer n'est dès lors pas incompatible avec les articles 10 et 11 de la Constitution, en ce qu'il définit le dommage anormal comme un dommage qui n'aurait pas dû se produire dans l'état actuel de la science, de sorte qu'il a pour conséquence que le dommage résultant d'un accident médical sans responsabilité, dont celui résultant d'une infection, peut ou non être indemnisé, selon que ce dommage pouvait ou non être évité, compte tenu de l'état actuel de la science.

B.12. La première question préjudicielle appelle une réponse négative.

Quant à la seconde question préjudicielle B.13. Par la seconde question préjudicielle, le juge a quo interroge la Cour sur la compatibilité, avec les articles 10 et 11 de la Constitution, de l'article 5, 2°, de la loi du 31 mars 2010Documents pertinents retrouvés type loi prom. 31/03/2010 pub. 02/04/2010 numac 2010024096 source service public federal sante publique, securite de la chaine alimentaire et environnement Loi relative à l'indemnisation des dommages résultant de soins de santé fermer en ce qu'il exclut du dommage suffisamment grave défini comme étant celui qui entraîne pour le patient une incapacité temporaire de travail au moins durant six mois consécutifs ou six mois non consécutifs sur une période de douze mois, les patients qui n'exerceraient pas d'activité professionnelle. Une différence de traitement discriminatoire en résulterait entre, d'une part, les victimes d'accidents médicaux sans responsabilité qui exercent une activité professionnelle et, d'autre part, celles qui n'exercent pas d'activité professionnelle.

B.14.1. Le Conseil des ministres et l'INAMI soutiennent que les catégories de personnes en cause ne sont pas comparables, dès lors que les victimes qui exercent une activité professionnelle et celles qui n'en exercent pas ne subissent pas le même dommage.

B.14.2. Dans les deux hypothèses, il s'agit de patients victimes d'accidents médicaux sans responsabilité qui ne peuvent fonder leur demande d'indemnisation sur le droit commun de la responsabilité médicale, de sorte que ces deux catégories peuvent être comparées.

B.15.1. Comme il est dit en B.2.3, il ressort de l'article 4 de la loi du 31 mars 2010Documents pertinents retrouvés type loi prom. 31/03/2010 pub. 02/04/2010 numac 2010024096 source service public federal sante publique, securite de la chaine alimentaire et environnement Loi relative à l'indemnisation des dommages résultant de soins de santé fermer que le dommage doit répondre à l'une des conditions de gravité prévues à l'article 5 de la loi pour voir intervenir le FAM. B.15.2. Quatre conditions de gravité ont été fixées à l'article 5 de la loi pour contenir le coût du système d'indemnisation du Fonds à un niveau raisonnable qui puisse garantir la pérennité du Fonds (Doc. parl., Chambre, DOC 52-2240/001 et DOC 52-2241/001, p. 36).

B.15.3. L'exposé des motifs mentionne en ce qui concerne l'article 5 : « A ce stade, il s'agit de critères largement inspirés du droit français (cf. art. L1142-1 du Code de la santé publique et art. 1 du décret du 4 avril 2003), sur base desquels s'est fondé le Centre fédéral d'expertise des soins de santé pour réaliser la dernière étude d'incidence budgétaire (cf. Indemnisation des dommages résultant des soins de santé. Phase V : impact budgétaire de la transposition du système français en Belgique, KCE Reports vol 107B).

Ces critères de gravité tiennent compte tant des conséquences du dommage sur la vie professionnelle (2° et 3°), tel que l'impact d'un déficit fonctionnel sur les capacités professionnelles de la victime, que des conséquences sur la vie privée, à savoir les difficultés à mener sa vie comme auparavant (1° et 3°).

Par ailleurs, les deux seuils d'ordre quantitatif (1° et 2°) sont nuancés par des considérations d'ordre qualitatives (3°).

Par analogie à la législation française, une indemnisation est prévue lorsque : [...] 2° le patient souffre d'une incapacité temporaire de travail d'au moins six mois consécutifs ou de six mois non consécutifs sur une période de douze mois. En droit commun, l'incapacité désigne les répercussions de l'invalidité sur l'aptitude de la victime à se livrer à des occupations d'ordre économique (incapacité professionnelle, incapacité ménagère). Une incapacité n'empêche pas nécessairement la victime de travailler. Malgré son incapacité, elle peut travailler en fournissant des efforts accrus. Elle peut aussi ne pas travailler et continuer à percevoir des revenus professionnels (en raison de son contrat de travail ou statut). A cet égard, la Cour de Cassation (Cass., 8 mars 1976, Pas., 1976, I, 740) mentionne que le dommage matériel résultant de l'atteinte à l'intégrité physique et à la capacité de travail de la victime se manifeste non seulement par la diminution de la valeur économique de la victime sur le marché du travail (indépendamment de la perte ou du maintien de ses revenus) mais aussi par la nécessité pour celle-ci de fournir un effort accru dans l'accomplissement de sa tâche normale, qui doit être indemnisé.

Il faut également relever qu'une dépression nerveuse n'implique pas d'atteinte à l'intégrité physique d'une personne, mais peut être la cause d'une incapacité de travail temporaire.

Pour le surplus, le Fonds et les tribunaux peuvent en la matière recourir à un important acquis jurisprudentiel. 3° le dommage occasionne des troubles particulièrement graves, y compris d'ordre économique, dans ses conditions d'existence. Suite à la remarque du Conseil d'Etat, le gouvernement indique que le présent critère est un critère qualitatif, qui vient nuancer les deux critères quantitatifs ci-dessus. Il s'agit ici de tenir compte des dommages qui ont un impact grave et important dans la vie de la victime, sans pour autant rencontrer l'une des deux premières conditions.

Il s'agit de tenir compte de l'impact ' situationnel ' du déficit fonctionnel, qui varie avec les conditions de vie de la victime (ex. retentissements relationnels, sensoriels, sportifs, familiaux).

Ce critère devra faire l'objet d'une appréciation individuelle, dès lors que par définition, cela variera en fonction des conditions d'existence de la victime. Cela vise donc tant la vie privée que la vie professionnelle. Il est cependant exigé que les troubles présentent un caractère de particulière gravité. Ce critère n'a pas pour objectif d'indemniser tous les dommages qui n'atteignent pas un des deux seuils visés aux points 1° et 2°. Néanmoins, il doit être possible d'intervenir, pour des dommages qui, sans répondre aux 2 critères de quantification du dommage relatifs à l'invalidité permanente ou à l'incapacité temporaire totale, affectent la victime avec une gravité telle qu'une absence d'indemnisation serait contraire à l'esprit de la présente loi » (ibid., pp. 37 à 40).

B.15.4. La ministre de la Santé publique a encore précisé lors des débats au sein de la commission compétente de la Chambre : « b) Personnes qui ne travaillent pas Comme le précise l'exposé des motifs, dans le droit commun, c'est l'incapacité qui désigne les répercussions de l'invalidité sur la faculté de la victime d'exercer des activités d'ordre économique, comme exercer sa profession ou accomplir des tâches ménagères.

Il s'agit donc d'une notion large qui a été définie au fil du temps par la jurisprudence, et qui ne vise donc pas exclusivement l'exercice d'une profession rémunérée.

Mais une personne qui n'exerce pas d'activité économique ne peut donc pas entrer en ligne de compte pour cette notion. Pour ces personnes, outre le critère relatif à l'invalidité permanente, le troisième critère de gravité pourra intervenir: il s'agira alors de cas dans lesquels le dommage a occasionné des troubles particulièrement graves, y compris d'ordre économique, dans les conditions d'existence de la victime.

Ce critère de nature qualitative a été spécialement prévu pour atténuer le caractère purement quantitatif des deux premiers critères, et pour pouvoir ainsi servir de filet de sécurité pour les victimes dont les dommages ne suffiraient pas à réunir les conditions de gravité liées à l'invalidité permanente et à l'incapacité de travail » (Doc. parl., Chambre, 2009-2010, DOC 52-2240/006, p. 91).

B.16. La différence de traitement en cause repose sur un critère objectif, à savoir l'existence ou non d'une activité professionnelle dans le chef des patients victimes d'accidents médicaux sans responsabilité. La Cour doit toutefois examiner si cette différence de traitement est raisonnablement justifiée. L'existence d'une telle justification doit s'apprécier en tenant compte du but et des effets de la mesure critiquée ainsi que de la nature des principes en cause; le principe d'égalité et de non-discrimination est violé lorsqu'il est établi qu'il n'existe pas de rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé.

B.17. Le législateur poursuit un but légitime lorsqu'il entend indemniser les patients victimes d'accidents médicaux sans responsabilité qui échappent au droit commun de la responsabilité.

Compte tenu du nombre important de dommages qui peuvent résulter de tels accidents, le législateur a pu légitimement considérer qu'il y avait lieu de restreindre le régime d'indemnisation à charge du FAM aux dommages présentant un seuil de gravité minimum afin de maintenir le budget du FAM dans des limites réalistes et supportables par celui-ci.

Le législateur a également pu considérer qu'il convenait d'adopter des critères de gravité différents pour l'évaluation des dommages subis par des personnes qui exercent une activité professionnelle et celles qui n'en exercent pas. Il n'est, en effet, pas sans justification raisonnable d'appliquer aux personnes qui exercent une activité professionnelle un critère quantitatif qui, par nature, serait difficilement transposable aux personnes qui ne perçoivent pas de revenus du travail et pour lesquelles les dommages subis sont ressentis dans la qualité de vie qui se trouverait amoindrie par le dommage dont elles sont victimes.

En excluant les victimes qui n'exercent pas d'activité professionnelle du champ d'application de l'article 5, 2°, en cause, il n'est pas porté atteinte de manière disproportionnée à leurs droits dès lors qu'elles peuvent bénéficier d'une indemnité si le dommage anormal qu'elles subissent en raison d'un accident médical sans responsabilité rencontre le seuil de gravité visé par l'article 5, 3°, qui constitue un critère qualitatif davantage adapté à leur situation.

B.18. La seconde question préjudicielle appelle une réponse négative.

Par ces motifs, la Cour dit pour droit : Les articles 2, 7°, et 5, 2°, de la loi du 31 mars 2010Documents pertinents retrouvés type loi prom. 31/03/2010 pub. 02/04/2010 numac 2010024096 source service public federal sante publique, securite de la chaine alimentaire et environnement Loi relative à l'indemnisation des dommages résultant de soins de santé fermer relative à l'indemnisation des dommages résultant de soins de santé ne violent pas les articles 10 et 11 de la Constitution.

Ainsi rendu en langue française et en langue néerlandaise, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, le 30 novembre 2017.

Le greffier, P.-Y. Dutilleux Le président, J. Spreutels

^