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Arrêt
publié le 24 novembre 2017

Extrait de l'arrêt n° 99/2017 du 19 juillet 2017 Numéro du rôle : 6487 En cause : les questions préjudicielles concernant l'article 2bis de l'ordonnance de la Région de Bruxelles-Capitale du 23 juillet 1992 relative au précompte immobilier, p La Cour constitutionnelle, composée des présidents J. Spreutels et E. De Groot, et des juges J.-(...)

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COUR CONSTITUTIONNELLE


Extrait de l'arrêt n° 99/2017 du 19 juillet 2017 Numéro du rôle : 6487 En cause : les questions préjudicielles concernant l'article 2bis de l'ordonnance de la Région de Bruxelles-Capitale du 23 juillet 1992 relative au précompte immobilier, posées par la Cour d'appel de Bruxelles.

La Cour constitutionnelle, composée des présidents J. Spreutels et E. De Groot, et des juges J.-P. Snappe, J.-P. Moerman, E. Derycke, P. Nihoul et R. Leysen, assistée du greffier P.-Y. Dutilleux, présidée par le président J. Spreutels, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet des questions préjudicielles et procédure Par arrêt du 12 novembre 2015 en cause de la Société de Développement pour la Région de Bruxelles-Capitale (SDRB) contre l'Etat belge, dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour le 28 juillet 2016, la Cour d'appel de Bruxelles a posé les questions préjudicielles suivantes : « 1. L'article 2bis de l'ordonnance du 23 juillet 1992 relative au précompte immobilier, tel que modifié par l'article 3 de l'ordonnance du 13 avril 1995, viole-t-il l'article 23, al. 3, 3° de la Constitution, en ce que cette disposition, en vue d'assurer le droit à un logement décent mais à l'encontre de cet objectif, empêche la SDRB, qui exerce une mission légale de rénovation urbaine et de construction de logements neufs, de bénéficier de l'exonération ou de la remise du précompte immobilier afférent à des immeubles improductifs destinés à être démolis en vue de la construction d'immeubles destinés à l'exécution de cette mission ? 2. L'article 2bis de l'ordonnance du 23 juillet 1992 relative au précompte immobilier, tel que modifié par l'article 3 de l'ordonnance du 13 avril 1995 viole-t-il les articles 10, 11 et 172 de la Constitution en ce qu'il traite de la même manière des contribuables qui sont dans des situations essentiellement différentes, à savoir d'une part, les personnes morales de droit public dont les investissements immobiliers sont définis par leur objet social fixé par arrêté et s'inscrivent dans une perspective de rénovation urbaine et de réhabilitation de l'habitat, et d'autre part, les personnes qui ne sont pas investies de pareille mission publique ? ». (...) III. En droit (...) Quant à la disposition en cause B.1.1. Les questions préjudicielles portent sur l'article 2bis de l'ordonnance de la Région de Bruxelles-Capitale du 23 juillet 1992 relative au précompte immobilier, inséré par l'article 3 de l'ordonnance du 13 avril 1995, qui dispose : « Par dérogation à l'article 257, 4°, du Code des impôts sur les revenus 1992, une remise ou modération proportionnelle du précompte immobilier sur le territoire de la Région de Bruxelles-Capitale n'est accordée qu'aux conditions suivantes : 1° qu'il s'agisse d'un bien immobilier bâti, non meublé, resté totalement inoccupé et improductif de revenus pendant au moins nonante jours dans le courant de l'année;2° que l'immeuble visé au 1° soit ou bien déclaré insalubre mais améliorable au sens de l'article 6 de l'arrêté de l'Exécutif de la Région de Bruxelles-Capitale du 29 mars 1990 relatif à l'octroi de primes pour la rénovation d'habitations au bénéfice des personnes physiques ou bien soit déclaré insalubre mais améliorable par le conseil communal en vertu de l'article 119 de la nouvelle loi communale ou par le bourgmestre en vertu des articles 133 et 135 de cette même loi;3° que cet immeuble, après travaux, réponde aux normes minimales d'habitabilité prévues à l'article 6 de ce même arrêté;4° que le contribuable visé à l'article 251 du même code justifie d'une occupation ininterrompue de neuf années.Les interruptions de nonante jours au maximum sont considérées comme des occupations ininterrompues; 5° que le contribuable remette au directeur régional de l'administration des contributions directes compétent pour le lieu où est situé l'immeuble déclaré insalubre mais améliorable, une attestation délivrée par l'administration du logement de la Région de Bruxelles-Capitale ou par l'administration communale selon le cas ». B.1.2. L'article 257, 4°, du Code des impôts sur les revenus 1992 (CIR 1992) dispose : « Sur la demande de l'intéressé, il est accordé : [...] 4° remise ou modération proportionnelle du précompte immobilier dans la mesure où le revenu cadastral imposable peut être réduit en vertu de l'article 15 ». B.1.3. Tel qu'il était applicable à l'exercice d'imposition en cause, l'article 15, § 1er, du même Code disposait : « Le revenu cadastral est réduit dans une mesure proportionnelle à la durée et à l'importance de l'improductivité, de l'absence de jouissance de revenus ou de la perte de ceux-ci : 1° dans le cas où un immeuble bâti, non meublé, est resté totalement inoccupé et improductif de revenus pendant au moins 90 jours dans le courant de l'année; 2° dans le cas où la totalité du matériel et de l'outillage, ou une partie de ceux-ci, représentant au moins 25 p.c. de leur revenu cadastral, est restée inactive pendant au moins 90 jours dans le courant de l'année; 3° dans le cas où la totalité soit d'un immeuble, soit du matériel et de l'outillage, ou une partie de ceux-ci représentant au moins 25 p.c. de leur revenu cadastral respectif, est détruite ».

Quant à la première question préjudicielle B.2. La Cour est invitée à examiner la compatibilité de l'article 2bis de l'ordonnance du 23 juillet 1992 précitée avec l'article 23, alinéa 3, 3°, de la Constitution, en ce que les conditions qu'il fixe pour l'obtention d'une remise ou d'une modération proportionnelle du précompte immobilier seraient impossibles à remplir par la Société de Développement pour la Région de Bruxelles-Capitale (ci-après : SDRB) relativement aux immeubles qu'elle acquiert en vue de les démolir et de reconstruire des logements neufs à leur place.

B.3.1. L'article 23, alinéa 3, 3°, de la Constitution dispose : « Chacun a le droit de mener une vie conforme à la dignité humaine.

A cette fin, la loi, le décret ou la règle visée à l'article 134 garantissent, en tenant compte des obligations correspondantes, les droits économiques, sociaux et culturels, et déterminent les conditions de leur exercice.

Ces droits comprennent notamment : [...] 3° le droit à un logement décent ». B.3.2. La disposition précitée charge les législateurs compétents, en l'espèce les législateurs régionaux, de garantir le droit à un logement décent. Il relève du pouvoir d'appréciation de chaque législateur de déterminer les mesures qu'il estime adéquates et opportunes pour réaliser cet objectif.

B.4. Considérant la remise ou la modération proportionnelle du précompte immobilier pour les immeubles bâtis non meublés prévue par l'article 257, 4°, du CIR 1992 précité comme l'un des facteurs qui ont contribué à la spéculation immobilière sur le territoire de la Région de Bruxelles-Capitale « avec ses effets néfastes pour les habitants tels que l'augmentation des loyers, la taudisation et l'abandon d'habitat » (Doc. parl., Conseil de la Région de BruxellesCapitale, 1993-1994, A-319/1, p. 1), le législateur ordonnanciel, faisant usage de sa compétence en matière de précompte immobilier, a limité la remise ou la modération proportionnelle de celui-ci aux immeubles qui ont été déclarés insalubres mais améliorables et qui, à l'issue des travaux de rénovation, satisferont aux normes minimales en matière d'habitabilité.

Cette restriction vise non seulement à lutter contre la taudisation, mais elle entend aussi inciter « un nombre important de propriétaires à mettre en location plus rapidement leurs immeubles et appartements » (ibid., p. 2). En ce sens, la disposition en cause doit être considérée « comme un moyen mis en oeuvre afin d'atteindre un but inséré lors de la dernière réforme constitutionnelle, à savoir le droit à un logement décent » (Doc. parl., Conseil de la Région de Bruxelles-Capitale, 1993-1994, A-319/2, p. 3).

B.5. La SDRB est un organisme de droit public doté de la personnalité juridique dont les missions sont fixées par l' ordonnance du 20 mai 1999Documents pertinents retrouvés type ordonnance prom. 20/05/1999 pub. 29/07/1999 numac 1999031277 source ministere de la region de bruxelles-capitale Ordonnance relative à la Société de Développement pour la Région de Bruxelles-Capitale fermer relative à la Société de Développement pour la Région de Bruxelles-Capitale. En vertu de l'article 3 de cette ordonnance, elle « accomplit des missions de développement économique et de rénovation urbaine sur le territoire de la Région ». En matière de rénovation urbaine, elle peut notamment, « dans la mesure de ses disponibilités financières, [produire] des logements et des immeubles à caractère artisanal, commercial, communautaire ou de service qui seraient nécessaires au sein d'un ensemble d'habitations » (article 5, § 1er).

Dans ce cadre, l'objectif est de réaliser « du logement dit ' moyen ', c'est-à-dire ouvert aux personnes qui n'ont pas accès au logement social mais dont les revenus ne sont pas à ce point élevés qu'ils leur permettent d'accéder aisément à des logements adaptés et de qualité sur le marché privé » (Doc. parl., Conseil de la Région de Bruxelles-Capitale, 1998-1999, A-309/1, p. 4).

L'article 22, § 1er, de la même ordonnance précise que « la SDRB est soumise au pouvoir de contrôle du Gouvernement ». En vertu de l'article 20, § 2, « le Gouvernement octroie des subsides à la SDRB pour la réalisation de sa mission de rénovation urbaine visée à l'article 5, § 1er ».

B.6.1. Tant la limitation des remises et modérations proportionnelles du précompte immobilier établie par la disposition en cause que la création de la SDRB et l'octroi à celle-ci de moyens financiers en vue de mener à bien des projets de rénovation urbaine sont des mesures prises par le législateur ordonnanciel en vue de se conformer à l'obligation que lui impose l'article 23, alinéa 3, 3°, de la Constitution en matière de droit au logement décent. Par la limitation de la remise ou modération du précompte immobilier, le législateur entend inciter les propriétaires à éviter les comportements de spéculation immobilière, à entretenir leurs biens et à les mettre en location. Par la création et le financement de la SDRB, le législateur ordonnanciel entend doter la Région de Bruxelles-Capitale d'un outil de réalisation, notamment, de logements neufs.

B.6.2. Il relève du pouvoir d'appréciation du législateur ordonnanciel de décider des mesures à adopter, en faisant usage des compétences qui lui reviennent, afin de garantir le droit au logement décent sur le territoire de la Région. Il peut, à cette fin, adopter des mesures fiscales visant à encourager certains comportements chez les propriétaires privés et à stimuler par ailleurs, par le biais d'un opérateur public, la construction de logements neufs. Il lui revient dans ce cadre de juger de la nécessité et de l'opportunité, en prenant en considération les objectifs et les effets de sa politique en matière fiscale, de prévoir une possibilité de remise ou de modération du précompte immobilier sur les immeubles acquis par la SDRB en vue de leur démolition et de la construction de logements neufs à leur place.

B.7.1. Il ne saurait être déduit de la seule constatation que la SDRB, lorsqu'elle acquiert des immeubles insalubres en vue de leur démolition, ne peut bénéficier d'une mesure fiscale visant à encourager la rénovation et la mise sur le marché locatif de logements que cette mesure ne serait pas compatible avec l'article 23, alinéa 3, 3°, de la Constitution.

B.7.2. A cet égard, il n'est pas exigé que les subsides octroyés par les autorités régionales bruxelloises soient expressément majorés du montant des précomptes immobiliers dus par la SDRB sur les immeubles insalubres qu'elle acquiert en vue de les démolir, durant la période nécessaire à l'obtention des autorisations requises à cette fin. Il revient aux autorités régionales bruxelloises de déterminer le montant des subsides qui doivent être accordés à la SDRB de manière générale pour chaque projet, compte tenu, entre autres, des charges grevant les biens qu'elle doit acquérir pour mener à bien ses missions.

B.8. Pour le surplus, les difficultés d'obtention des attestations visées au 5° de la disposition en cause, invoquées par la SDRB, sont des questions qui relèvent de l'application concrète de la disposition et qui échappent en conséquence à la compétence de la Cour.

B.9. La première question préjudicielle appelle une réponse négative.

Quant à la seconde question préjudicielle B.10. La Cour est invitée à examiner la compatibilité de l'article 2bis de l'ordonnance du 23 juillet 1992 en cause avec le principe d'égalité et de non-discrimination garanti par les articles 10, 11 et 172 de la Constitution en ce qu'il traite de la même manière tous les redevables du précompte immobilier, en les soumettant aux mêmes conditions pour obtenir une remise ou une modération du précompte pour improductivité, sans avoir égard à la mission spécifique de rénovation urbaine et de réhabilitation de l'habitat confiée par les autorités publiques à la SDRB. B.11. Le principe d'égalité et de non-discrimination n'exclut pas qu'une différence de traitement soit établie entre des catégories de personnes, pour autant qu'elle repose sur un critère objectif et qu'elle soit raisonnablement justifiée. Ce principe s'oppose, par ailleurs, à ce que soient traitées de manière identique, sans qu'apparaisse une justification raisonnable, des catégories de personnes se trouvant dans des situations qui, au regard de la mesure considérée, sont essentiellement différentes.

L'existence d'une telle justification doit s'apprécier en tenant compte du but et des effets de la mesure critiquée ainsi que de la nature des principes en cause; le principe d'égalité et de non-discrimination est violé lorsqu'il est établi qu'il n'existe pas de rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé.

B.12.1. Les conditions imposées par la disposition en cause pour l'obtention d'une remise ou d'une modération du précompte immobilier afférent à un bien inoccupé et improductif sont pertinentes pour atteindre les objectifs du législateur ordonnanciel consistant à prévenir la taudisation et à encourager la rénovation et la mise en location des immeubles destinés au logement. En effet, en limitant la remise ou la modération du précompte pour improductivité aux hypothèses dans lesquelles le propriétaire entreprend des travaux en vue de rendre l'immeuble conforme aux normes d'habitabilité immédiatement après une période d'occupation, le législateur ordonnanciel encourage les propriétaires à rénover et à mettre les biens destinés au logement en location avant que leur dégradation ne devienne irrémédiable.

B.12.2. Au regard de ces objectifs, un organisme de droit public chargé d'une mission de rénovation urbaine tel que la SDRB ne se trouve pas dans une situation essentiellement différente de celle d'autres propriétaires d'immeubles insalubres, dès lors que ceux-ci peuvent être des opérateurs immobiliers privés ayant également acquis ces biens en vue de les démolir pour construire des logements neufs à leur place.

Même si le législateur ordonnanciel peut adopter des dispositions fiscales favorisant également ce type d'opération, le respect des articles 10, 11 et 172 de la Constitution ne lui impose pas, compte tenu de son pouvoir d'appréciation tant en matière de politique fiscale qu'en matière de politique du logement, de traiter la SDRB différemment des autres redevables du précompte immobilier sur les biens sis sur le territoire de la Région de Bruxelles-Capitale.

B.13. Pour le surplus, il ressort de la réponse à la première question préjudicielle que la disposition en cause n'entraîne pas de conséquence disproportionnée pour la SDRB. B.14. La seconde question préjudicielle appelle une réponse négative.

Par ces motifs, la Cour dit pour droit : L'article 2bis de l'ordonnance de la Région de Bruxelles-Capitale du 23 juillet 1992 relative au précompte immobilier, inséré par l'article 3 de l'ordonnance du 13 avril 1995, ne viole pas les articles 10, 11, 23, alinéa 3, 3°, et 172 de la Constitution.

Ainsi rendu en langue française et en langue néerlandaise, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, le 19 juillet 2017.

Le greffier, P.-Y. Dutilleux Le président, J. Spreutels

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