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Arrêt
publié le 20 octobre 2017

Extrait de l'arrêt n° 96/2017 du 19 juillet 2017 Numéro du rôle : 6432 En cause : les questions préjudicielles concernant les articles 35 et 38 du décret fiscal de la Région wallonne du 22 mars 2007 favorisant la prévention et la valorisation La Cour constitutionnelle, composée des présidents J. Spreutels et E. De Groot, et des juges J.-(...)

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COUR CONSTITUTIONNELLE


Extrait de l'arrêt n° 96/2017 du 19 juillet 2017 Numéro du rôle : 6432 En cause : les questions préjudicielles concernant les articles 35 et 38 du décret fiscal de la Région wallonne du 22 mars 2007 favorisant la prévention et la valorisation des déchets en Région wallonne et portant modification du décret du 6 mai 1999 relatif à l'établissement, au recouvrement et au contentieux en matière de taxes régionales directes, posées par le Tribunal de première instance de Namur, division Namur.

La Cour constitutionnelle, composée des présidents J. Spreutels et E. De Groot, et des juges J.-P. Snappe, J.-P. Moerman, E. Derycke, P. Nihoul et R. Leysen, assistée du greffier P.-Y. Dutilleux, présidée par le président J. Spreutels, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet des questions préjudicielles et procédure Par jugement du 12 mai 2016 en cause de la SA « Tubize Plastiques » contre la Région wallonne, dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour le 27 mai 2016, le Tribunal de première instance de Namur, division Namur, a posé les questions préjudicielles suivantes : 1. « L'article 35, § 2, alinéa 1er, 1°, du décret du 22 mars 2007 favorisant la prévention et la valorisation des déchets en Région wallonne et portant modification du décret du 6 mai 1999 relatif à l'établissement, au recouvrement et au contentieux en matière de taxes régionales directes, interprété de manière telle qu'il permet d'appliquer la taxe à la détention de déchets au propriétaire d'un terrain où sont stockés des déchets abandonnés par un tiers identifié, mais non taxé en application des articles 39 et 44 [lire : 40] de ce même décret, viole-t-il les articles 10, 11, 170 et 172 de la Constitution ? »;2. « Les articles 35 et 38 du décret du 22 mars 2007 favorisant la prévention et la valorisation des déchets en Région wallonne et portant modification du décret du 6 mai 1999 relatif à l'établissement, au recouvrement et au contentieux en matière de taxes régionales directes, interprétés comme instaurant une sanction à caractère pénal plutôt qu'un impôt, violent-ils les articles 10, 11 et 172 de la Constitution, combinés avec l'article 6 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, en ce que le juge ne peut pas modérer la contribution qu'ils instaurent alors que celle-ci revêtirait un caractère pénal et que le droit pénal commun prévoit la possibilité pour le juge d'adapter la peine à la situation individuelle du prévenu et alors qu'en vertu du principe de proportionnalité, la gravité de la peine ne peut pas être disproportionnée à l'infraction ? ». (...) III. En droit (...) Quant aux dispositions en cause B.1.1. Les questions préjudicielles portent sur les articles 35 et 38 du décret fiscal de la Région wallonne du 22 mars 2007 « favorisant la prévention et la valorisation des déchets en Région wallonne et portant modification du décret du 6 mai 1999 relatif à l'établissement, au recouvrement et au contentieux en matière de taxes régionales directes » (ci-après : le décret fiscal du 22 mars 2007).

L'article 35 du décret fiscal du 22 mars 2007 dispose : « § 1er. Il est établi une taxe sur la détention de déchets en quelque endroit situé en Région wallonne et qui ne donne lieu à l'application d'aucune autre taxe établie par le présent décret.

Par dérogation à l'alinéa 1er, ne constitue pas un fait générateur de la taxe la présence de déchets dans un endroit sur lequel une personne physique ou morale a exercé ou exerce encore une activité autorisée sur la base : 1° de l'arrêté du Régent du 4 février 1946 portant approbation du Règlement général pour la protection du travail;2° du décret du 5 juillet 1985 relatif aux déchets;3° du décret du 27 juin 1996 relatif aux déchets;4° du décret du 9 mai 1988 relatif aux mines;5° du décret du 27 octobre 1988 sur les carrières;6° du décret du 11 mars 1999 relatif au permis d'environnement;7° du Code wallon de l'Aménagement du Territoire, de l'Urbanisme et du Patrimoine;8° du décret du 4 juillet 2002 sur les carrières et modifiant certaines dispositions du décret du 11 mars 1999 relatif au permis d'environnement, pour autant que les déchets présents soient prévus par les conditions de ces autorisations ou permis. § 2. La taxe n'est pas due pour autant qu'une des conditions suivantes soit remplie : 1° la présence de déchets est imputable à un tiers taxé par ailleurs pour l'abandon de déchets sur le lieu considéré;2° un projet d'assainissement a été introduit et a été déclaré recevable, à moins qu'il ne soit pas exécuté selon les prescriptions arrêtées par l'autorité compétente, notamment, le cas échéant, imposant un cautionnement, constitué pour garantir les frais d'exécution du projet d'assainissement. La présence de déchets visée au présent paragraphe redevient un élément générateur de la taxe si le projet d'assainissement n'est pas approuvé conformément aux dispositions du décret relatif à la gestion des sols sauf dans l'hypothèse visée en son article 62, alinéa 1er, si les actes et travaux d'assainissement ne sont pas entamés à la date à laquelle ils doivent l'être conformément aux dispositions du décret relatif à la gestion des sols, si les actes et travaux d'assainissement ne sont pas terminés à la date fixée et si les travaux complémentaires ne sont pas réalisés dans le délai déterminé conformément aux dispositions du décret relatif à la gestion des sols ».

Tel qu'il était applicable à l'exercice d'imposition 2011, l'article 38 du même décret disposait : « Le montant de la taxe est fixé à 50 euros/m3 pour les déchets non dangereux, et à 200 euros/m3 pour les déchets dangereux et les déchets dangereux et non dangereux en mélange. Le montant de la taxe est plafonné à 500.000 euros ».

B.1.2. La taxe en cause ne constitue nullement la contrepartie d'un service rendu au redevable considéré individuellement; il s'agit par conséquent d'un impôt.

Quant à la première question préjudicielle B.2.1. La Cour est invitée à examiner la compatibilité de l'article 35, § 2, alinéa 1er, 1°, du décret fiscal du 22 mars 2007 précité avec les articles 10, 11, 170 et 172 de la Constitution dans l'interprétation selon laquelle il permettrait d'appliquer la taxe relative à la détention de déchets au propriétaire du terrain sur lequel se trouvent des déchets qui y ont été abandonnés par un tiers, lorsque ce tiers, bien qu'identifié, n'a pas été taxé en application des articles 39 et 40 du même décret.

B.2.2. L'article 39 du décret fiscal du 22 mars 2007 dispose : « Il est établi une taxe sur l'abandon de déchets. Le redevable de la taxe est la personne qui abandonne le déchet ».

En application de l'article 40 du même décret, cette taxe s'élevait, pour l'exercice fiscal 2011, à 150 euros par m3 de déchets abandonnés et à 600 euros par m3 de déchets dangereux abandonnés.

B.3. L'exposé des motifs relatif à la disposition en cause, alors en projet, indique : « Le chapitre IX reprend le principe contenu dans le chapitre III du décret du 25 juillet 1991 relatif à la taxation des déchets en Région wallonne. Le présent projet de décret en fait une taxe ' subsidiaire ', dans la mesure où la taxe ne sera perçue que si la présence de déchets n'est pas autrement taxée en vertu des autres chapitres du projet » (Doc. parl., Parlement wallon, 2006-2007, n° 546/1, p. 4). « Le paragraphe 2 introduit par ailleurs une hiérarchie entre la taxe sur l'abandon de déchets et la taxe sur la détention de déchets : si la présence illégale de déchets est imputable à un abandon de déchets par un tiers taxé par ailleurs, la taxe sur la détention illégale de déchets n'est pas due » (ibid., p. 14).

Il est encore précisé, au sujet de la taxe sur l'abandon de déchets, qu'il « s'agit clairement d'une taxe ' sanction ' » (ibid., p. 4).

B.4. L'article 170, § 2, alinéa 1er, de la Constitution dispose : « Aucun impôt au profit de la communauté ou de la région ne peut être établi que par un décret ou une règle visée à l'article 134 ».

L'article 172 de la Constitution dispose : « Il ne peut être établi de privilège en matière d'impôts.

Nulle exemption ou modération d'impôt ne peut être établie que par une loi ».

B.5. Dans l'interprétation soumise par le juge a quo au contrôle de la Cour, l'article 35, § 2, alinéa 1er, 1°, du décret fiscal du 22 mars 2007 conférerait à l'administration le pouvoir de décider discrétionnairement de taxer soit le tiers ayant abandonné les déchets, sur la base de l'article 39 du décret, soit le propriétaire du terrain sur lesquels ils se trouvent, sur la base de l'article 35 du décret. Une telle interprétation de la disposition en cause revient à permettre à l'administration de décider discrétionnairement d'exempter le tiers ayant abandonné les déchets, alors qu'il est identifié, de la taxe sur l'abandon de déchets établie par les articles 39 et 40 du décret fiscal du 22 mars 2007.

B.6. Il se déduit des articles 170, § 2, et 172, alinéa 2, de la Constitution qu'aucun impôt ne peut être levé et qu'aucune exemption d'impôt ne peut être accordée sans qu'ait été recueilli le consentement des contribuables, exprimé par leurs représentants.

B.7.1. L'attribution à l'administration fiscale de la Région wallonne d'un pouvoir d'exemption discrétionnaire tel que décrit en B.5 aboutit à priver les contribuables concernés de cette garantie essentielle.

B.7.2. Interprété en ce sens que la taxe relative à la détention de déchets peut être mise à charge du propriétaire d'un terrain sur lequel les déchets en cause ont été abandonnés par un tiers identifié, qui aurait dû être taxé en application des articles 39 et 40 du décret fiscal du 22 mars 2007 mais qui ne l'a pas été, l'article 35, § 2, alinéa 1er, 1°, de ce décret n'est pas compatible avec les articles 170 et 172 de la Constitution.

B.8. La disposition en cause est toutefois susceptible de recevoir une autre interprétation. En effet, rien, ni dans le texte de l'article 39 du décret fiscal du 22 mars 2007, ni dans les travaux préparatoires qui s'y rapportent, ne permet d'admettre que le législateur décrétal a eu l'intention de conférer à l'administration un pouvoir discrétionnaire lui permettant, dans la mesure où le tiers qui a abandonné les déchets en cause est identifié, de décider de ne pas lui appliquer la taxe sur l'abandon de déchets. L'extrait de l'exposé des motifs cité en B.3 indique d'ailleurs que l'intention du législateur était que la personne ayant abandonné les déchets soit taxée de façon prioritaire, la taxation du propriétaire du terrain non responsable de l'abandon n'étant que « subsidiaire » à la taxation de l'auteur de l'abandon.

B.9. Interprété en ce sens que la taxe relative à la détention de déchets ne peut pas être mise à charge du propriétaire d'un terrain sur lequel les déchets en cause ont été abandonnés par un tiers identifié, même s'il n'a pas été taxé par l'administration en application des articles 39 et 40 du décret fiscal du 22 mars 2007, alors qu'il aurait dû l'être, l'article 35, § 2, alinéa 1er, 1°, du même décret est compatible avec les articles 10, 11, 170 et 172 de la Constitution.

Quant à la seconde question préjudicielle B.10. Par la seconde question préjudicielle, le juge a quo invite la Cour à examiner la compatibilité des articles 35 et 38 du décret fiscal du 22 mars 2007 avec les articles 10, 11 et 172 de la Constitution, combinés avec l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, dans l'hypothèse où il faudrait reconnaître un caractère pénal aux dispositions en cause. En ne prévoyant pas de possibilité pour le juge de modérer le taux de la taxe, alors que le droit pénal commun prévoit la possibilité pour le juge d'adapter la peine à la situation individuelle du prévenu et que le principe de proportionnalité interdit que la peine soit disproportionnée à la gravité de l'infraction, les dispositions en cause créeraient une discrimination entre les contribuables soumis à la taxe sur la détention de déchets et les justiciables poursuivis pour une infraction relevant du droit pénal commun.

B.11. L'appréciation de la gravité d'un manquement et la sévérité avec laquelle ce manquement peut être puni relèvent du pouvoir d'appréciation du législateur. Il peut imposer des peines particulièrement lourdes dans des matières où les infractions sont de nature à porter gravement atteinte aux droits fondamentaux des individus et aux intérêts de la collectivité.

C'est dès lors au législateur qu'il appartient de fixer les limites et les montants à l'intérieur desquels le pouvoir d'appréciation de l'administration et, par conséquent, celui du tribunal, doit s'exercer. La Cour ne pourrait censurer un tel système que s'il était manifestement déraisonnable, notamment parce qu'il porterait une atteinte disproportionnée au principe général qui exige qu'en matière de sanctions rien de ce qui appartient au pouvoir d'appréciation de l'administration n'échappe au contrôle du juge, ou au droit au respect des biens lorsque la loi prévoit un montant disproportionné et n'offre pas un choix qui se situerait entre cette peine, en tant que peine maximale, et une peine minimale.

Hormis de telles hypothèses, la Cour empiéterait sur le domaine réservé au législateur si, en s'interrogeant sur la justification des différences qui existent entre les nombreux textes législatifs prévoyant des sanctions pénales ou administratives, elle ne limitait pas son examen, en ce qui concerne l'échelle des peines et les mesures d'adoucissement de celles-ci, aux cas dans lesquels le choix du législateur contient une incohérence telle qu'il aboutit à une différence de traitement manifestement déraisonnable.

B.12.1. Sans qu'il soit nécessaire de se prononcer, en l'espèce, sur le caractère pénal de la taxe sur la détention de déchets instituée par les dispositions en cause, il suffit de constater que cette taxe ne revêt pas un caractère disproportionné. Son montant est en effet proportionnel au volume de déchets considérés et il est plafonné.

B.12.2. En outre, en application de l'article 35, § 2, alinéa 1er, 2°, en cause, la taxe n'est pas due lorsqu'un projet d'assainissement a été introduit et a été déclaré recevable par l'administration, de sorte qu'il est possible, pour le contribuable, d'échapper à la taxe en assainissant le terrain sur lequel se trouvent les déchets.

B.13. Dès lors que la taxe prévue n'est pas disproportionnée, le législateur décrétal n'était pas tenu de permettre au juge de la moduler en fonction de la situation individuelle du contribuable ou de la gravité de la faute commise.

B.14. La seconde question préjudicielle appelle une réponse négative.

Par ces motifs, la Cour dit pour droit : 1. - L'article 35, § 2, alinéa 1er, 1°, du décret fiscal de la Région wallonne du 22 mars 2007 « favorisant la prévention et la valorisation des déchets en Région wallonne et portant modification du décret du 6 mai 1999 relatif à l'établissement, au recouvrement et au contentieux en matière de taxes régionales directes », interprété en ce sens que la taxe relative à la détention de déchets peut être mise à charge du propriétaire d'un terrain sur lequel les déchets en cause ont été abandonnés par un tiers identifié, qui aurait dû être taxé en application des articles 39 et 40 du même décret mais qui ne l'a pas été, viole les articles 170 et 172 de la Constitution. - Interprétée en ce sens que la taxe relative à la détention de déchets ne peut pas être mise à charge du propriétaire d'un terrain sur lequel les déchets en cause ont été abandonnés par un tiers identifié, même s'il n'a pas été taxé par l'administration en application des articles 39 et 40 du même décret, alors qu'il aurait dû l'être, la même disposition ne viole pas les articles 10, 11, 170 et 172 de la Constitution. 2. Les articles 35 et 38 du même décret ne violent pas les articles 10, 11 et 172 de la Constitution, combinés avec l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme. Ainsi rendu en langue française et en langue néerlandaise, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, le 19 juillet 2017.

Le greffier, Le président, P.-Y. Dutilleux J. Spreutels

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