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Arrêt
publié le 23 octobre 2017

Extrait de l'arrêt n° 95/2017 du 13 juillet 2017 Numéro du rôle : 6641 En cause : la question préjudicielle relative aux articles 343, § 1 er , b), et 353 et suivants du Code civil, lus en combinaison avec les articles 162 et 16 La Cour constitutionnelle, composée des présidents E. De Groot et J. Spreutels, et des juges J.-(...)

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COUR CONSTITUTIONNELLE


Extrait de l'arrêt n° 95/2017 du 13 juillet 2017 Numéro du rôle : 6641 En cause : la question préjudicielle relative aux articles 343, § 1er, b), et 353 et suivants du Code civil, lus en combinaison avec les articles 162 et 164 du Code civil, posée par le Tribunal de première instance du Limbourg, division Tongres.

La Cour constitutionnelle, composée des présidents E. De Groot et J. Spreutels, et des juges J.-P. Snappe, E. Derycke, T. Merckx-Van Goey, P. Nihoul et R. Leysen, assistée du greffier P.-Y. Dutilleux, présidée par le président E. De Groot, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet de la question préjudicielle et procédure Par jugement du 15 mars 2017 en cause de A.S., dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour le 17 mars 2017, le Tribunal de première instance du Limbourg, division Tongres, a posé la question préjudicielle suivante : « L'article 343, § 1er, b), du Code civil et les articles 353 et suivants du Code civil, combinés avec les articles 162 et 164 du Code civil, violent-ils les articles 10, 11 et 22bis de la Constitution et les articles 8 et 14 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales du 4 novembre 1950, en ce que l'adoption n'est possible que pour tous les cohabitants qui vivent ensemble depuis plus de trois ans et également pour des personnes vivant ensemble et unies par un lien de parenté entraînant un empêchement à mariage dont elles peuvent être dispensées, mais que les personnes vivant ensemble et unies par un lien de parenté entraînant une prohibition absolue de mariage (pour laquelle, donc, aucune dispense ne peut être accordée) sont, de manière générale et sans exception, exclues de l'adoption, alors que les personnes se trouvant dans des circonstances égales, mais pour lesquelles il n'existe pas d'empêchements au mariage peuvent, conformément à l'article 343, § 1er, b), du Code civil, adopter un enfant si elles remplissent les autres conditions et alors que les personnes vivant ensemble et unies par un lien de parenté qui se trouvent dans des circonstances égales, pour lesquelles il existe par ailleurs effectivement un empêchement à mariage, pour des raisons de parenté, mais dont elles peuvent être dispensées, peuvent, conformément à l'article 343, § 1er, b), du Code civil, adopter un enfant si elles remplissent les autres conditions ? ».

Le 29 mars 2017, en application de l'article 72, alinéa 1er, de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, les juges-rapporteurs E. Derycke et P. Nihoul ont informé la Cour qu'ils pourraient être amenés à proposer de mettre fin à l'examen de l'affaire par un arrêt rendu sur procédure préliminaire. (...) III. En droit (...) B.1. La Cour est invitée à se prononcer sur la compatibilité des articles 343, § 1er, b), et 353 et suivants du Code civil, combinés avec les articles 162 et 164 du Code civil, avec les articles 10, 11 et 22bis de la Constitution et avec les articles 8 et 14 de la Convention européenne de sauvegarde des droits de l'homme, en ce que l'adoption n'est possible que pour tous les cohabitants qui vivent ensemble depuis plus de trois ans, « pour lesquels il existe un empêchement à mariage [...] dont ils peuvent être dispensés », alors que « les personnes vivant ensemble et unies par un lien de parenté entraînant une prohibition absolue de mariage sont, de manière générale et sans exception, exclues de l'adoption ».

B.2. L'article 343, § 1er, b), du Code civil dispose : « On entend par : [...] b) cohabitants : deux personnes ayant fait une déclaration de cohabitation légale ou deux personnes qui vivent ensemble de façon permanente et affective depuis au moins trois ans au moment de l'introduction de la demande en adoption, pour autant qu'elles ne soient pas unies par un lien de parenté entraînant une prohibition de mariage dont elles ne peuvent être dispensées par le Roi ». L'article 162 du Code civil dispose : « En ligne collatérale, le mariage est prohibé entre frères, entre soeurs ou entre frère et soeur ».

L'article 164 du Code civil dispose : « Néanmoins, il est loisible au Roi de lever, pour des causes graves, la prohibition prévue pour les alliés au sens de l'article 161 et la prohibition portée au précédent article ».

B.3. Ainsi que la Cour l'a jugé par son arrêt n° 25/2017, il n'est pas raisonnablement justifié qu'en conséquence de la fin de non-recevoir absolue de l'action en adoption simple, un enfant soit totalement privé de la possibilité de bénéficier d'une adoption simple par le parent en ligne collatérale de son père ou de sa mère, sans qu'existe, pour le juge, la possibilité de tenir compte de l'intérêt des enfants qui sont candidats à l'adoption, alors que tel doit être le cas, conformément à l'article 344-1 du Code civil.

B.4. Les empêchements à mariage, et plus particulièrement l'empêchement à mariage en ligne collatérale entre frères, entre soeurs ou entre frère et soeur, se fondent sur l'interdit de l'inceste, fondé lui-même sur des raisons diverses. Une première raison, d'ordre physiologique et eugénique, est le risque accru que les enfants issus de mariages consanguins puissent naître gravement handicapés. Une deuxième raison, de nature éthique ou morale, est d'éviter que des personnes qui font partie d'un même cercle familial aient des liens qui pourraient porter atteinte à l'ordre des structures familiales existantes. En outre, à travers l'empêchement à mariage, le législateur veut garantir la place de chaque génération au sein de la famille.

B.5.1. La condition de l'absence de lien de parenté a été instaurée par l'article 2 de la loi du 24 avril 2003Documents pertinents retrouvés type loi prom. 24/04/2003 pub. 16/05/2003 numac 2003009435 source service public federal justice Loi réformant l'adoption fermer réformant l'adoption, qui permet l'adoption simple par des couples non mariés, ainsi que par les personnes qui souhaitent adopter les enfants des personnes avec qui elles cohabitent sans être mariées : « Trois conditions doivent cependant être remplies. La première est que ces personnes ne peuvent être parentes l'une de l'autre. Une personne ne peut donc être adoptée par un frère et une soeur, ou par un oncle et sa nièce.

La deuxième est une condition de stabilité. [...] [...] La troisième condition porte sur la qualité de la relation des adoptants. Il est exigé que leur union ait une nature affective » (Doc. parl., Chambre, 2000-2001, DOC 50-1366/001 et DOC 50-1367/001, p. 12). B.5.2. La première condition précitée, relative à l'absence de lien de parenté, a ensuite été précisée par l'article 241 de la loi-programme du 27 décembre 2004Documents pertinents retrouvés type loi-programme prom. 27/12/2004 pub. 31/12/2004 numac 2004021170 source service public federal chancellerie du premier ministre Loi-programme fermer.

A cet égard, les travaux préparatoires mentionnent ce qui suit : « Cette disposition vise à remplacer la définition de la notion de ' cohabitants ' contenue à l'article 343, § 1er, b), nouveau, du Code civil, remplacé par la loi du 24 avril 2003Documents pertinents retrouvés type loi prom. 24/04/2003 pub. 16/05/2003 numac 2003009435 source service public federal justice Loi réformant l'adoption fermer réformant l'adoption.

Dorénavant, pour l'application de la loi précitée, il y a lieu d'entendre par ' cohabitants ' : deux personnes de sexe différent ayant fait une déclaration de cohabitation légale ou deux personnes de sexe différent qui vivent ensemble de façon permanente et affective depuis au moins trois ans au moment de l'introduction de la demande en adoption, pour autant qu'elles ne soient pas unies par un lien de parenté ou d'alliance entraînant une prohibition de mariage dont elles ne peuvent être dispensées par le Roi [...] » (Doc. parl., Chambre, 2004-2005, DOC 51-1437/001 et DOC 51-1438/001, p. 149).

B.5.3. La condition d'absence de lien de parenté trouve sa justification dans l'interdit de l'inceste, mentionné en B.4.

Par ailleurs, il convient également de tenir compte de l'article 22bis, alinéa 4, de la Constitution, qui dispose que l'intérêt de l'enfant est pris en considération de manière primordiale, dans toute décision qui concerne celui-ci. Le législateur était conscient de l'intérêt qu'il y a à ce que l'enfant soit accueilli dans un environnement stable à caractère familial et estimait que, pour qu'elle soit admissible, une adoption par deux cohabitants légaux devait offrir la garantie d'un environnement familial normal : « La troisième condition porte sur la qualité de la relation des adoptants. Il est exigé que leur union ait une nature affective.

L'intérêt de l'adopté, de l'enfant adopté essentiellement, est de trouver une famille, au sens commun du terme. Deux amis, pour honorables que soient leurs objectifs, ne pourraient lui offrir cela (voyez à l'article 343 en projet du Code civil ce que l'on entend par ' adoptant ' et par ' cohabitant ') » (Doc. parl., Chambre, 2000-2001, DOC 50-1366/001 et DOC 50-1367/001, p. 12).

B.6.1. L'article 22bis de la Constitution dispose : « Chaque enfant a droit au respect de son intégrité morale, physique, psychique et sexuelle.

Chaque enfant a le droit de s'exprimer sur toute question qui le concerne; son opinion est prise en considération, eu égard à son âge et à son discernement.

Chaque enfant a le droit de bénéficier des mesures et services qui concourent à son développement.

Dans toute décision qui le concerne, l'intérêt de l'enfant est pris en considération de manière primordiale.

La loi, le décret ou la règle visée à l'article 134 garantissent ces droits de l'enfant ».

Si l'intérêt de l'enfant doit être une considération primordiale, il n'a pas un caractère absolu. Mais dans la mise en balance des différents intérêts en jeu, l'intérêt de l'enfant occupe une place particulière du fait qu'il représente la partie faible dans la relation familiale.

B.6.2. L'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme dispose : « 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ». B.6.3. L'article 14 de la Convention européenne des droits de l'homme dispose : « La jouissance des droits et libertés reconnus dans la présente Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l'origine nationale ou sociale, l'appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation ».

B.7. La différence de traitement en cause est fondée sur un critère objectif, à savoir l'existence ou non, entre le candidat adoptant et le parent légal des enfants faisant l'objet de l'adoption envisagée, d'un empêchement à mariage dont le Roi ne peut dispenser.

B.8.1. Dans la mesure où l'adoption simple des enfants d'un des partenaires cohabitant durablement par l'autre partenaire cohabitant n'est pas possible s'il existe entre le candidat adoptant et le parent légal des enfants un empêchement absolu à mariage dont le Roi ne peut dispenser, cette impossibilité empêche de manière absolue le candidat adoptant cohabitant de fait de lier à la relation de fait parent-enfant, durable, qui existe le cas échéant entre le candidat adoptant et les enfants de son partenaire cohabitant de fait, des effets consacrant juridiquement les engagements que le candidat adoptant est prêt à assumer à l'égard de ces enfants.

B.8.2. Il y a lieu de vérifier si la conséquence juridique de l'empêchement absolu à mariage, à savoir l'impossibilité absolue pour l'un des cohabitants de fait d'adopter les enfants de l'autre cohabitant, n'a pas d'effets disproportionnés par rapport à l'objectif poursuivi par le législateur, compte tenu de l'obligation de prendre en considération l'intérêt de l'enfant.

B.9.1. En instaurant la condition d'absence de lien de parenté, le législateur est surtout parti de l'idée qu'une adoption, par une des cohabitantes, des enfants de l'autre cohabitante qui est sa soeur, pourrait être contraire à l'intérêt de l'enfant, parce qu'une telle adoption ferait apparaître une relation incestueuse entre les parents, c'est-à-dire une relation qui donne lieu à un empêchement absolu à mariage entre les deux personnes, dont le Roi ne peut dispenser.

Or, l'article 344-1, du Code civil dispose qu'une adoption ne peut avoir lieu que « dans [l'] intérêt supérieur [de l'enfant] et dans le respect des droits fondamentaux qui lui sont reconnus en droit international ». Rien ne permet de présumer qu'il n'est jamais de l'intérêt de l'enfant qui fait l'objet de la demande d'adoption d'être adopté par le cohabitant de fait de sa mère, lorsqu'existe entre ceux-ci un empêchement à mariage dont le Roi ne peut dispenser.

B.9.2. En érigeant en fin de non-recevoir absolue de l'action en adoption simple un empêchement à mariage dont le Roi ne peut dispenser, le législateur fait prévaloir en toutes circonstances les effets juridiques d'un empêchement absolu à mariage sur d'autres intérêts qui peuvent être en cause, parmi lesquels l'intérêt des enfants qui sont candidats à l'adoption.

En conséquence de cette fin de non-recevoir absolue, l'enfant est totalement privé de la possibilité de bénéficier d'une adoption simple par le parent en ligne collatérale de son père ou de sa mère.

Il n'existe dès lors, pour le juge, aucune possibilité de tenir compte de l'intérêt des enfants qui sont candidats à l'adoption, alors que tel doit être le cas, conformément à l'article 344-1 du Code civil.

B.9.3. Une telle mesure n'est pas raisonnablement justifiée. L'article 343, § 1er, b), du Code civil, combiné avec les articles 162 et 164 du Code civil, n'est donc pas compatible avec les articles 10, 11 et 22bis de la Constitution.

B.10. La question préjudicielle appelle une réponse affirmative.

Par ces motifs, la Cour dit pour droit : L'article 343, § 1er, b), du Code civil, lu en combinaison avec les articles 162 et 164 du même Code, viole les articles 10, 11 et 22bis de la Constitution en ce qu'il n'autorise pas l'adoption simple des enfants d'un des partenaires cohabitants de fait par l'autre partenaire cohabitant lorsqu'il existe entre eux un empêchement à mariage dont le Roi ne peut dispenser.

Ainsi rendu en langue néerlandaise et en langue française, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, le 13 juillet 2017.

Le greffier, P.-Y. Dutilleux Le président, E. De Groot

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