publié le 30 juin 2017
Extrait de l'arrêt n° 58/2017 du 18 mai 2017 Numéros du rôle : 6332, 6333 et 6334 En cause : les recours en annulation des articles 39 et 40 du décret flamand du 3 juillet 2015 contenant diverses mesures d'accompagnement de l'ajustement du bu La Cour constitutionnelle, composée des présidents E. De Groot et J. Spreutels, et des juges L. (...)
COUR CONSTITUTIONNELLE
Extrait de l'arrêt n° 58/2017 du 18 mai 2017 Numéros du rôle : 6332, 6333 et 6334 En cause : les recours en annulation des articles 39 et 40 du décret flamand du 3 juillet 2015 contenant diverses mesures d'accompagnement de l'ajustement du budget 2015, introduits par l'ASBL « Belgisch Fonds voor de Inzameling en Verwerking van Elektrohuishoudtoestellen » et autres, par l'ASBL « Bebat » et autres et par l'ASBL « Recybat » et l'ASBL « Confédération belge du Commerce et de la Réparation automobiles et des secteurs connexes ».
La Cour constitutionnelle, composée des présidents E. De Groot et J. Spreutels, et des juges L. Lavrysen, A. Alen, J.-P. Snappe, J.-P. Moerman, E. Derycke, T. Merckx-Van Goey, P. Nihoul, F. Daoût, T. Giet et R. Leysen, assistée du greffier P.-Y. Dutilleux, présidée par le président E. De Groot, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet des recours et procédure a. Par requête adressée à la Cour par lettre recommandée à la poste le 13 janvier 2016 et parvenue au greffe le 14 janvier 2016, un recours en annulation de l'article 39 du décret flamand du 3 juillet 2015 contenant diverses mesures d'accompagnement de l'ajustement du budget 2015 (publié au Moniteur belge du 15 juillet 2015) a été introduit par l'ASBL « Belgisch Fonds voor de Inzameling en Verwerking van Elektrohuishoudtoestellen », l'ASBL « Recupel AV », l'ASBL « Recupel SDA », l'ASBL « Recupel ICT », l'ASBL « Recupel E.T. & Garden », l'ASBL « LightRec », l'ASBL « MeLaRec », l'ASBL « Recupel », l'ASBL « FEE », l'ASBL « Agoria », l'ASBL « Fedagrim » et l'ASBL « Imcobel », assistées et représentées par Me A. Visschers et Me D. Lagasse, avocats au barreau de Bruxelles. b. Par deux requêtes adressées à la Cour par lettres recommandées à la poste le 13 janvier 2016 et parvenues au greffe le 14 janvier 2016, des recours en annulation de l'article 40 du même décret ont été introduits respectivement par l'ASBL « Bebat », l'ASBL « FEE » et l'ASBL « Federauto » et par l'ASBL « Recybat » et l'ASBL « Federauto », assistées et représentées par Me A.Visschers et Me D. Lagasse.
Ces affaires, inscrites sous les numéros 6332, 6333 et 6334 du rôle de la Cour, ont été jointes. (...) II. En droit (...) Quant aux dispositions attaquées et à leur contexte B.1.1. Les dispositions attaquées font partie du chapitre 5 (« Environnement, Nature et Energie »), section 3 (« Environnement et Nature »), du décret flamand du 3 juillet 2015 contenant diverses mesures d'accompagnement de l'ajustement du budget 2015.
B.1.2. L'article 39 du décret précité dispose : « § 1. Sur le propre patrimoine des organismes de gestion, tels que visés à l'article 3.2.2.1 de l'arrêté du Gouvernement flamand du 17 février 2012 fixant le règlement flamand relatif à la gestion durable de cycles de matériaux et de déchets, dans le cadre de l'obligation d'acceptation d'appareils électriques et électroniques mis au rebut, conformément à la sous-section 3.4.4 du même arrêté, tel qu'il paraît du bilan des comptes annuels pour l'année 2013, une redevance de 3 % est effectuée pour les années budgétaires 2015 à 2019 incluse. Cette redevance est payée à la Région flamande au plus tard le 30 septembre de chaque année. § 2. Cette redevance ne peut pas être répercutée sur la cotisation environnementale, telle que visée à l'article 3.2.2.1 de l'arrêté du Gouvernement flamand du 17 février 2012 fixant le règlement flamand relatif à la gestion durable de cycles de matériaux et de déchets. § 3. Le Gouvernement flamand arrête les modalités relatives à la déclaration, au paiement et à la perception de la redevance et désigne les fonctionnaires et membres du personnel contractuels chargés de la perception et du recouvrement de la redevance et du contrôle du respect des obligations relatives à la redevance, et détermine les modalités relatives à leurs compétences ».
Par l'article 170 du décret du 18 décembre 2015 portant diverses dispositions en matière d'environnement, de nature, d'agriculture et d'énergie, le législateur décrétal a ajouté un alinéa 2 à l'article 39, § 1er, qui dispose : « Par dérogation au premier alinéa, la redevance de l'année 2015 est versée pour le 15 décembre ».
Cet ajout est sans incidence sur les recours en annulation.
B.1.3. L'article 40 du même décret dispose : « § 1. Sur le propre patrimoine des organismes de gestion, tels que visés à l'article 3.2.2.1 de l'arrêté du Gouvernement flamand du 17 février 2012 fixant le règlement flamand relatif à la gestion durable de cycles de matériaux et de déchets, dans le cadre de l'obligation d'acceptation de piles et accumulateurs usagés, conformément à la sous-section 3.4.5 du même arrêté, tel qu'il paraît du bilan des comptes annuels pour l'année 2013, une redevance de 3 % est effectuée pour les années budgétaires 2015 à 2019 incluse. Cette redevance est payée à la Région flamande au plus tard le 30 septembre de chaque année. § 2. Cette redevance ne peut pas être répercutée sur la cotisation environnementale, telle que visée à l'article 3.2.2.1 de l'arrêté du Gouvernement flamand du 17 février 2012 fixant le règlement flamand relatif à la gestion durable de cycles de matériaux et de déchets. § 3. Le Gouvernement flamand arrête les modalités relatives à la déclaration, au paiement et à la perception de la redevance et désigne les fonctionnaires et membres du personnel contractuels chargés de la perception et du recouvrement de la redevance et du contrôle du respect des obligations relatives à la redevance, et détermine les modalités relatives à leurs compétences ».
B.2.1. En vue de stimuler la prévention, la réutilisation, le recyclage et d'autres applications utiles des déchets, le législateur décrétal flamand a prévu qu'une « responsabilité élargie du producteur » peut être imposée « à toute personne physique ou morale qui développe, produit, traite, vend ou importe [professionnellement] des produits » (article 21, § 1er, alinéa 1er, du décret du 23 décembre 2011 relatif à la gestion durable de cycles de matériaux et de déchets).
Le législateur décrétal entendait ainsi assurer la transposition partielle de la directive 2008/98/CE du Parlement européen et du Conseil du 19 novembre 2008 relative aux déchets et abrogeant certaines directives (article 2 du même décret) et contribuer en même temps à la réalisation des objectifs relatifs au développement durable, tels que visés à l'article 7bis de la Constitution (article 4 du même décret).
B.2.2. La politique de l'Union européenne dans le domaine de l'environnement vise un niveau de protection élevé, en tenant compte de la diversité des situations dans les différentes régions de l'Union. Elle est fondée sur les principes de précaution et d'action préventive, sur le principe de la correction, par priorité à la source, des atteintes à l'environnement et sur le principe du pollueur-payeur (article 191.2 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne).
La directive précitée 2008/98/CE fait référence au principe du « pollueur-payeur » en tant que principe directeur aux niveaux européen et international. Conformément à ce principe, le coût de l'élimination des déchets doit être supporté par le détenteur des déchets, les détenteurs antérieurs ou les producteurs du produit générateur de déchets (considérant 1). Le producteur des déchets et le détenteur des déchets doivent les gérer d'une manière propre à assurer un niveau de protection élevé pour l'environnement et la santé humaine (considérant 26). L'introduction de la responsabilité élargie du producteur est l'un des moyens de soutenir la conception et la fabrication de produits selon des procédés qui prennent pleinement en compte et facilitent l'utilisation efficace des ressources tout au long de leur cycle de vie, y compris en matière de réparation, de réemploi, de démontage et de recyclage, sans compromettre la libre circulation des marchandises dans le marché intérieur (considérant 27). Les coûts doivent être attribués de manière à traduire le coût environnemental réel de la production et de la gestion des déchets (considérant 25).
Les coûts de la gestion des déchets sont supportés, conformément au principe du « pollueur-payeur », par le producteur de déchets initial ou par le détenteur actuel ou antérieur des déchets (article 14.1 de la directive). Les Etats membres peuvent décider que les coûts de la gestion des déchets doivent être supportés en tout ou en partie par le producteur du produit qui est à l'origine des déchets et faire partager ces coûts aux distributeurs de ce produit (article 14.2).
B.2.3. Tant les équipements électriques et électroniques mis au rebut que les piles et accumulateurs usagés font partie des déchets auxquels s'applique une forme de responsabilité élargie du producteur (article 3.1.1 de l'arrêté du Gouvernement flamand du 17 février 2012 fixant le règlement flamand relatif à la gestion durable de cycles de matériaux et de déchets). Pour ces deux catégories de déchets, la responsabilité étendue du producteur est concrétisée par « l'obligation d'acceptation [lire : de reprise] » (articles 3.4.4.1 et 3.4.5.1 du même arrêté).
L'obligation de reprise implique pour le vendeur final que si un consommateur achète un produit, il est tenu de réceptionner gratuitement le produit correspondant dont le consommateur se défait.
Les intermédiaires sont tenus d'accepter gratuitement les déchets réceptionnés par les vendeurs finaux, proportionnellement aux fournitures de produits qu'ils effectuent aux vendeurs finaux. Les producteurs sont tenus de réceptionner gratuitement les déchets reçus par les vendeurs finaux ou par les intermédiaires et de s'assurer de leur valorisation ou de leur élimination proportionnellement aux fournitures de produits qu'ils effectuent aux vendeurs finaux ou intermédiaires. Même si le consommateur ne se procure pas de produits substitutifs, le vendeur final, l'intermédiaire et le producteur doivent en principe réceptionner gratuitement les déchets soumis à une obligation de reprise (article 3.2.1.1, §§ 1er et 2, du même arrêté).
Les modalités d'observation de l'obligation de reprise sont arrêtées soit dans un plan individuel de prévention et de gestion des déchets qui est soumis pour approbation à la « Openbare Vlaamse Afvalstoffenmaatschappij » (OVAM) par les producteurs, soit dans une convention environnementale telle qu'elle est prévue dans le titre VI du décret du 5 avril 1995 contenant des dispositions générales concernant la politique de l'environnement (article 3.2.1.2, § 1er, du même arrêté).
B.2.4. Les organismes de gestion sont des associations sans but lucratif qui se chargent, dans le cadre d'une convention environnementale telle que mentionnée en B.2.3, de la collecte d'équipements électriques et électroniques mis au rebut ou de piles et accumulateurs usagés. Ils sont financés par les cotisations dites environnementales que les producteurs adhérents obligataires de reprise leur paient par appareil, pile ou accumulateur lors de la commercialisation du produit concerné, et par les cotisations de membre des producteurs adhérents.
B.2.5. Les deux dispositions attaquées instaurent une redevance sur le « propre patrimoine » des organismes de gestion concernés, avec pour seule différence que l'article 39 s'applique dans le cadre de l'obligation de reprise d'appareils électriques et électroniques mis au rebut, alors que l'article 40 s'applique dans le cadre de l'obligation de reprise de piles et accumulateurs usagés. Les deux dispositions sont pour le reste en tous points identiques.
Les recours en annulation des dispositions attaquées sont eux aussi en grande partie convergents, de sorte qu'ils sont examinés conjointement.
Quant à la compétence territoriale B.3. La Cour examine d'abord le deuxième moyen, qui concerne principalement la compétence territoriale de la Région flamande en matière fiscale. Ce moyen est pris de la violation des articles 143, § 1er, et 170, § 2, de la Constitution, de l'article 1erter de la loi spéciale du 16 janvier 1989 relative au financement des communautés et des régions, et du principe de la loyauté fédérale. Les parties requérantes font valoir que les dispositions attaquées instaurent un impôt qui ne présente aucun lien exclusif ou nécessaire avec le territoire de la Région flamande (première branche), et qui, parce qu'il a été instauré de façon unilatérale, perturberait l'équilibre de la construction fédérale (seconde branche).
B.4.1. L'article 170, § 2, de la Constitution dispose : « Aucun impôt au profit de la communauté ou de la région ne peut être établi que par un décret ou une règle visée à l'article 134.
La loi détermine, relativement aux impositions visées à l'alinéa 1er, les exceptions dont la nécessité est démontrée ».
B.4.2. L'article 1erter de la loi spéciale du 16 janvier 1989 relative au financement des communautés et des régions dispose : « L'exercice des compétences fiscales des régions visées dans la présente loi s'opère dans le respect de la loyauté fédérale visée à l'article 143 de la Constitution et du cadre normatif général de l'union économique et de l'unité monétaire, ainsi que des principes suivants : 1° l'exclusion de toute concurrence fiscale déloyale;2° l'évitement de la double imposition;3° la libre circulation des personnes, biens, services et capitaux. En cas de demande d'un contribuable visant à éviter la double imposition, jugée fondée par une autorité, celle-ci se concerte avec les autres autorités concernées en vue de remédier à l'imposition contraire au principe évoqué à l'alinéa 1er, 2°.
Une concertation sur la politique fiscale et sur les principes visés à l'alinéa 1er est organisée annuellement au sein du Comité de concertation visé à l'article 31 de la loi ordinaire du 9 août 1980 de réformes institutionnelles ».
Cette disposition ne vaut que pour l'exercice des compétences fiscales des régions visées par la loi spéciale de financement. Elle ne s'applique donc pas à l'exercice de leur compétence fiscale propre visée en B.4.1, qui résulte directement de la Constitution.
B.5. Le champ d'application territorial de la compétence fiscale propre des entités fédérées ne résulte pas des dispositions précitées.
En ce qui concerne les régions, il résulte de l'article 19, § 3, de la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles et de l'article 7, alinéa 2, de la loi spéciale du 12 janvier 1989 relative aux institutions bruxelloises que leurs décrets ou ordonnances ne sont d'application que dans leur propre région. Toute norme adoptée par un législateur doit pouvoir être localisée dans le territoire de sa compétence, de sorte que toute relation et toute situation concrètes soient réglées par un seul législateur.
B.6. Le point de rattachement de la redevance, tel qu'il est conçu par les dispositions attaquées, ne peut être localisé à l'intérieur du territoire de compétence de la Région flamande. La redevance vise en effet tous les organismes de gestion, quel que soit leur lieu d'établissement, et frappe l'ensemble de leur « propre patrimoine » et pas seulement certains fonds de l'association qui permettraient de déterminer l'origine géographique des moyens qui les composent. Les dispositions attaquées ne relèvent donc pas de la compétence territoriale de la Région flamande.
Le deuxième moyen est fondé.
B.7. Partant, les dispositions attaquées doivent être annulées, sans qu'il soit nécessaire d'examiner les autres moyens.
Par ces motifs, la Cour annule les articles 39 et 40 du décret flamand du 3 juillet 2015 contenant diverses mesures d'accompagnement de l'ajustement du budget 2015.
Ainsi rendu en langue néerlandaise, en langue française et en langue allemande, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, le 18 mai 2017.
Le greffier, P.-Y. Dutilleux Le président, E. De Groot