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Arrêt
publié le 09 mai 2017

Extrait de l'arrêt n° 29/2017 du 23 février 2017 Numéros du rôle : 6323 et 6324 En cause : les questions préjudicielles relatives aux articles 568, 602, 608, 1050 et 1073 du Code judiciaire, posées par la Cour d'appel de Bruxelles. La Cour composée des présidents E. De Groot et J. Spreutels, et des juges L. Lavrysen, A. Alen, J.-P. Snapp(...)

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Extrait de l'arrêt n° 29/2017 du 23 février 2017 Numéros du rôle : 6323 et 6324 En cause : les questions préjudicielles relatives aux articles 568, 602, 608, 1050 et 1073 du Code judiciaire, posées par la Cour d'appel de Bruxelles.

La Cour constitutionnelle, composée des présidents E. De Groot et J. Spreutels, et des juges L. Lavrysen, A. Alen, J.-P. Snappe, J.-P. Moerman, E. Derycke, T. Merckx-Van Goey, P. Nihoul, F. Daoût, T. Giet et R. Leysen, assistée du greffier P.-Y. Dutilleux, présidée par le président E. De Groot, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet des questions préjudicielles et procédure a. Par arrêt du 21 décembre 2015 en cause de Viviane Goyens et Paul Robben contre l'Etat belge et autres, en cause de la Région flamande contre Viviane Goyens et Paul Robben, en présence de l'inspecteur urbaniste de la Région flamande et autres, et en cause de Viviane Goyens et Paul Robben contre l'Etat belge et autres, dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour le 31 décembre 2015, la Cour d'appel de Bruxelles a posé les questions préjudicielles suivantes : « 1.Les articles 568, 602, 608, 1050 et 1073 du Code judiciaire, lus conjointement, violent-ils les articles 10 et 11 de la Constitution, combinés ou non avec les articles 6 et 13 de la Convention européenne des droits de l'homme et avec l'article 14, paragraphe 1, du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, en ce qu'une partie à un procès qui reproche à l'Etat belge une faute qualifiée, en raison d'un acte de juridiction de la Cour de cassation, doit intenter l'action selon une procédure dans laquelle l'organe qui a commis la faute alléguée peut lui-même influencer de manière décisive l'interprétation de la notion de faute appliquée à son propre acte dont il est allégué qu'il est fautif, alors que dans tous les autres cas, l'organe qui a engagé la responsabilité de l'Etat belge ne peut intervenir dans cette appréciation ? 2. Les articles 568, 602, 608, 1050 et 1073 du Code judiciaire, lus conjointement, à la lumière du droit à un procès équitable et du droit d'accès à un juge indépendant et impartial, violent-ils l'article 13 de la Constitution, combiné avec les articles 146 et 160 de la Constitution, avec l'article 6.1. de la Convention européenne des droits de l'homme et l'article 14, paragraphe 1, du Pacte international relatif aux droits civils et politiques et avec le principe général de droit de l'indépendance et de l'impartialité du juge, en ce que la décision du juge du fond à l'appréciation duquel peut être déférée une action en responsabilité du fait d'un acte de juridiction ou d'une abstention de la Cour de cassation est soumise au contrôle de ce juge de cassation de manière générale ou en ce qui concerne l'interprétation des règles relatives à l'action en responsabilité ? ». b. Par arrêt du 23 décembre 2015 en cause de Lucio Aquino contre l'Etat belge, dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour le 31 décembre 2015, la Cour d'appel de Bruxelles a posé les questions préjudicielles suivantes : « 1.Les articles 568, 602, 608, 1050 et 1073 du Code judiciaire, lus conjointement, violent-ils les articles 10 et 11 de la Constitution, combinés ou non avec les articles 6 et 13 de la Convention européenne des droits de l'homme et avec l'article 14, paragraphe 1, du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, en ce qu'une partie à un procès qui reproche à l'Etat belge une faute qualifiée, en raison d'un acte de juridiction de la Cour de cassation, doit intenter l'action selon une procédure dans laquelle l'organe qui a commis la faute alléguée peut lui-même influencer l'issue du litige, alors que dans tous les autres cas, l'organe qui a engagé la responsabilité de l'Etat belge ne peut intervenir dans cette appréciation ? 2. Les articles 568, 602, 608, 1050 et 1073 du Code judiciaire, lus conjointement, à la lumière du droit à un procès équitable et du droit d'accès à un juge indépendant et impartial, violent-ils l'article 13 de la Constitution, combiné avec les articles 146 et 160 de la Constitution, avec l'article 6.1 de la Convention européenne des droits de l'homme et l'article 14, paragraphe 1, du Pacte international relatif aux droits civils et politiques et avec le principe général de droit de l'indépendance et de l'impartialité du juge, en ce que la décision du juge du fond à l'appréciation duquel une action en responsabilité du fait d'un acte de juridiction ou d'une abstention de la Cour de cassation doit être déférée est soumise au contrôle de ce juge de cassation de manière générale ou en ce qui concerne certains points de l'interprétation des règles relatives à l'action en responsabilité ? ».

Ces affaires, inscrites sous les numéros 6323 et 6324 du rôle de la Cour, ont été jointes. (...) III. En droit (...) B.1. Dans les litiges au fond, les juges a quo doivent se prononcer sur une action en responsabilité introduite contre l'Etat belge sur la base de l'article 1382 du Code civil, en raison d'une faute dont il est allégué qu'elle a été commise par la Cour de cassation dans l'exercice de la fonction juridictionnelle.

Dans l'affaire n° 6323, il est reproché à la Cour de cassation d'avoir commis une faute en refusant de tenir compte d'un mémoire qui, à la demande de l'avocat d'une partie au procès, avait été signé par un autre avocat, sans toutefois que ce dernier mentionne sa qualité. Dans l'affaire n° 6324, il est reproché à la Cour de cassation d'avoir commis une faute en violant le droit de l'Union européenne, parce qu'elle aurait refusé, sans motivation, de poser une question préjudicielle à la Cour de justice, parce que le mémoire dans lequel cette demande était formulée aurait été introduit tardivement.

Avant de se prononcer sur les actions en responsabilité, les juges a quo estiment qu'il s'indique de poser des questions préjudicielles à la Cour. Le juge dans l'affaire n° 6324 pose également, dans la même décision de renvoi, trois questions préjudicielles à la Cour de justice.

B.2.1. En ce qui concerne l'éventuelle responsabilité de l'Etat pour une faute commise par la Cour de cassation dans l'exercice de sa fonction juridictionnelle, les juges du fond renvoient à l'arrêt n° 99/2014 du 30 juin 2014.

B.2.2. Par cet arrêt, la Cour a jugé : « L'article 1382 du Code civil viole les articles 10 et 11 de la Constitution s'il est interprété comme empêchant que la responsabilité de l'Etat puisse être engagée en raison d'une faute commise, dans l'exercice de la fonction juridictionnelle, par une juridiction ayant statué en dernier ressort tant que cette décision n'a pas été retirée, rétractée, réformée ou annulée, alors même que cette faute consiste dans une violation suffisamment caractérisée des règles de droit applicables et que cette faute ne permet pas, compte tenu des voies de recours limitées ouvertes à l'encontre de ladite décision, d'en obtenir l'anéantissement.

La même disposition ne viole pas les articles 10 et 11 de la Constitution, lus ou non en combinaison avec les articles 6 et 13 de la Convention européenne des droits de l'homme, si elle est interprétée comme n'empêchant pas que la responsabilité de l'Etat puisse être engagée en raison d'une faute commise, dans l'exercice de la fonction juridictionnelle, par une juridiction ayant statué en dernier ressort tant que cette décision n'a pas été retirée, rétractée, réformée ou annulée, alors même que cette faute consiste dans une violation suffisamment caractérisée des règles de droit applicables et que cette faute ne permet pas, compte tenu des voies de recours limitées ouvertes à l'encontre de ladite décision, d'en obtenir l'anéantissement ».

B.2.3. Selon les juges a quo, eu égard à l'arrêt précité, il ne peut y avoir de doute quant au fait qu'une action telle que celle qui a été intentée par les parties aux litiges au fond pourrait en principe conduire à établir la responsabilité de l'Etat sur la base de l'article 1382 du Code civil, pour une faute commise par la Cour de cassation dans l'exercice de sa fonction juridictionnelle. Les juges a quo s'interrogent néanmoins sur le droit d'accès à un juge indépendant et impartial, lorsque des parties au procès qui intentent une telle action en responsabilité sont confrontées au fait que, si un pourvoi en cassation était introduit contre la décision rendue par le juge civil, la Cour de cassation pourrait elle-même avoir une influence décisive sur l'appréciation de son propre acte dont il est allégué qu'il est fautif.

B.3.1. Les questions préjudicielles concernent les articles 568, 602, 608, 1050 et 1073 du Code judiciaire.

B.3.2. Les articles 568, 602 et 608, contenus dans la troisième partie (« De la compétence ») du Code judiciaire, disposent : «

Art. 568.Le tribunal de première instance connaît de toutes demandes hormis celles qui sont directement dévolues à la cour d'appel et la Cour de cassation.

Si le défendeur conteste la compétence du tribunal de première instance, le demandeur peut, avant la clôture des débats, requérir le renvoi de la cause devant le tribunal d'arrondissement qui statuera comme il est dit aux articles 641 et 642.

Lorsque le défendeur décline la juridiction du tribunal de première instance en vertu de l'attribution du litige à des arbitres, le tribunal se dessaisit s'il y a lieu ». «

Art. 602.La cour d'appel connaît de l'appel : 1° des décisions rendues en premier ressort par le tribunal de première instance et par le tribunal de commerce;2° des décisions rendues en premier ressort par le président du tribunal de première instance et par le président du tribunal de commerce;3° des décisions du conseil des prises;4° des décisions rendues par les consuls belges à l'étranger;5° des décisions rendues en matière électorale par le collège des bourgmestre et échevins et par les bureaux principaux. Dans les cas prévus aux 3° et 4°, seule la cour d'appel de Bruxelles est compétente ». «

Art. 608.La Cour de cassation connaît des décisions rendues en dernier ressort qui lui sont déférées pour contravention à la loi ou pour violation des formes, soit substantielles, soit prescrites à peine de nullité ».

B.3.3. Les articles 1050 et 1073, contenus dans le livre III (« Des voies de recours ») de la quatrième partie (« De la procédure civile ») du Code judiciaire, disposent : « En toutes matières, l'appel peut être formé dès la prononciation du jugement, même si celui-ci a été rendu par défaut.

Contre une décision rendue sur la compétence ou, sauf si le juge en décide autrement, une décision avant dire droit, un appel ne peut être formé qu'avec l'appel contre le jugement définitif ». «

Art. 1073.Hormis les cas où la loi établit un délai plus court, le délai pour introduire le pourvoi en cassation est de trois mois à partir du jour de la signification de la décision attaquée ou de la notification de celle-ci faite conformément à l'article 792, alinéa 2 et 3.

Si le demandeur n'a en Belgique ni domicile, ni résidence, ni domicile élu, le délai prévu à l'alinéa premier est augmenté conformément à l'article 55.

Le délai est augmenté de trois mois en faveur des personnes absentes du territoire belge et hors d'Europe pour cause de service public, et en faveur des gens de mer absents pour cause de navigation ».

Quant aux exceptions B.4.1. Selon le Conseil des ministres, la Cour n'est pas compétente pour répondre aux questions préjudicielles, étant donné qu'il lui serait demandé de statuer sur la répartition des compétences au sein du pouvoir judiciaire, telle qu'elle a été fixée dans les articles 144, 145, 146 et 147 de la Constitution.

Par ailleurs, le Conseil des ministres fait valoir que les dispositions en cause ne concernent manifestement pas les litiges au fond. Ces dispositions définiraient seulement de manière générale la compétence du tribunal de première instance, de la cour d'appel et de la Cour de cassation. Elles ne porteraient pas sur les conditions de recevabilité et d'admissibilité concrètes des actions en responsabilité civile.

B.4.2. Les articles 144 et 145 de la Constitution règlent la répartition des compétences entre les cours et tribunaux et les juridictions administratives. L'article 146 de la Constitution exige que tous les organes juridictionnels soient créés en vertu d'une loi et interdit la création de tribunaux et commissions extraordinaires.

L'article 147 de la Constitution dispose que la Cour de cassation ne connaît pas du fond des affaires.

B.4.3. En vertu de l'article 144 de la Constitution, les contestations qui ont pour objet des droits civils sont exclusivement du ressort des tribunaux. La Cour n'est pas compétente pour se prononcer sur le choix du Constituant de réserver de telles contestations au juge civil ou sur une différence de traitement ou une limitation d'un droit fondamental qui découleraient de ce choix. La Cour ne peut pas non plus se prononcer sur la compétence de la Cour de cassation, telle qu'elle est définie à l'article 147 de la Constitution.

B.4.4. Il ressort toutefois des décisions de renvoi que les juges du fond entendent interroger la Cour sur les articles du Code judiciaire mentionnés dans les questions préjudicielles, dans la mesure où ceux-ci déterminent de manière générale la compétence des juridictions concernées, sans prévoir à cet égard des règles spécifiques pour le cas où ces dernières devraient connaître d'une action introduite contre l'Etat belge sur la base de l'article 1382 du Code civil, pour une faute commise par la Cour de cassation dans l'exercice de la fonction juridictionnelle. Il en résulte que la Cour n'est pas interrogée sur des dispositions constitutionnelles, ni sur des choix du Constituant que les dispositions en cause traduiraient, de sorte que la Cour est compétente pour répondre aux questions préjudicielles.

B.5.1. Par ailleurs, le Conseil des ministres fait valoir que les questions préjudicielles n'appellent pas de réponse parce qu'elles seraient purement hypothétiques. Les affaires au fond sont encore pendantes devant la Cour d'appel, de sorte qu'il ne serait pas établi qu'un pourvoi en cassation sera introduit. La réponse aux questions ne serait dès lors pas utile à la solution des litiges au fond.

B.5.2. C'est en règle à la juridiction qui interroge la Cour qu'il appartient d'apprécier si la réponse à la question préjudicielle est utile à la solution du litige qu'elle doit trancher. Ce n'est que lorsque tel n'est manifestement pas le cas que la Cour peut décider que la question n'appelle pas de réponse.

B.5.3. Les juges a quo demandent à la Cour si les dispositions en cause, qui fixent le déroulement de la procédure en ce qui concerne les actions en responsabilité pendantes, sont compatibles avec les normes de référence mentionnées dans la question préjudicielle, eu égard à l'arrêt n° 99/2014, précité. Ils peuvent supposer qu'il doit être tenu compte, à cet égard, du déroulement de la procédure dans son ensemble, et en particulier du rôle de la Cour de cassation dans celle-ci (voir CEDH, 16 janvier 2007, Warsicka c. Pologne, § 34).

Lorsqu'une action en responsabilité est introduite devant les juridictions civiles, le pourvoi en cassation est l'une des voies de recours dont les justiciables disposent pour faire valoir leurs droits. On ne saurait dès lors conclure que les réponses aux questions préjudicielles ne sont manifestement pas utiles à la solution des litiges au fond.

B.6. Les exceptions sont rejetées.

Quant à la première question préjudicielle B.7. Dans les deux affaires, les juges a quo demandent à la Cour si les articles 568, 602, 608, 1050 et 1073 du Code judiciaire sont compatibles avec les articles 10 et 11 de la Constitution, combinés ou non avec les articles 6 et 13 de la Convention européenne des droits de l'homme et avec l'article 14, paragraphe 1, du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, en ce qu'une partie au procès qui reproche à l'Etat belge une faute qualifiée, en raison d'une décision juridictionnelle de la Cour de cassation, doit intenter l'action selon une procédure dans laquelle l'organe qui a commis la faute alléguée peut lui-même influencer de manière décisive l'interprétation de la notion de faute appliquée à son propre acte dont il est allégué qu'il est fautif, alors que, dans tous les autres cas, l'organe qui a engagé la responsabilité de l'Etat belge ne peut intervenir dans cette appréciation.

B.8.1. Comme il est dit en B.2, les questions préjudicielles ont été posées à la suite de l'arrêt n° 99/2014 de la Cour. Selon cet arrêt, « l'Etat peut être tenu pour responsable d'une faute commise par une juridiction de dernier ressort dans l'exercice de la fonction juridictionnelle, tant que cette décision n'a pas été retirée, révoquée, modifiée ou annulée, lorsque cette faute consiste en une violation suffisamment caractérisée des règles de droit applicables et lorsque cette faute, eu égard aux voies de recours limitées qui sont ouvertes contre la décision concernée, ne permet pas d'obtenir l'annulation de cette dernière ».

B.8.2. De cette manière, il est tenu compte du rôle spécifique que jouent les juridictions de dernier ressort dans l'interprétation et l'application du droit et de l'autorité particulière qui s'attache à leurs décisions. Un juste équilibre est ainsi garanti entre le droit d'accès au juge en vue d'obtenir réparation d'un préjudice et la sécurité juridique (arrêt n° 99/2014, B.20.1).

B.8.3. Un pourvoi en cassation peut être introduit contre une décision rendue par un juge civil statuant sur la responsabilité de l'Etat pour une faute commise dans l'exercice de la fonction juridictionnelle. Il se peut donc que la Cour de cassation doive se prononcer sur une décision des juridictions civiles statuant sur la responsabilité de l'Etat dans une faute commise par la Cour de cassation elle-même dans l'exercice de la fonction juridictionnelle.

B.8.4. Pour répondre aux questions préjudicielles, la Cour doit examiner si la procédure qui permet à la Cour de cassation de prendre une telle décision est compatible avec le droit à un procès équitable devant une juridiction indépendante et impartiale.

B.9.1. Il est d'une importance fondamentale, dans un Etat de droit démocratique, que les cours et tribunaux bénéficient de la confiance des justiciables et des parties au procès en particulier (CEDH, grande chambre, 6 mai 2003, Kleyn e.a. c. Pays-Bas, § 191; 9 novembre 2006, Sacilor Lormines c. France, § 60). A cette fin, l'article 6.1 de la Convention européenne des droits de l'homme requiert que les juridictions auxquelles s'applique cette disposition soient impartiales.

Cette impartialité doit s'apprécier de deux manières. L'impartialité subjective, qui se présume jusqu'à preuve du contraire, exige que, dans une affaire sur laquelle il doit statuer, le juge n'ait aucun parti pris ni préjugé et qu'il n'ait pas d'intérêt à l'issue de celle-ci. L'impartialité objective exige qu'il y ait suffisamment de garanties pour exclure également des appréhensions légitimes à cet égard (CEDH, grande chambre, 6 mai 2003, Kleyn e.a. c. Pays-Bas, § 191; grande chambre, 15 octobre 2009, Micallef c. Malte, § 93-97; grande chambre, 23 avril 2015, Morice c. France, § 73-78).

B.9.2. En ce qui concerne l'impartialité objective, il y a lieu d'examiner si, indépendamment du comportement des juges, il existe des faits vérifiables faisant naître un doute au sujet de cette impartialité. Une violation du principe d'impartialité ne requiert pas la preuve de la partialité; une apparence de partialité peut suffire (CEDH, grande chambre, 6 mai 2003, Kleyn e.a. c. Pays-Bas, § 191; grande chambre, 15 octobre 2009, Micallef c. Malte, § 98; grande chambre, 23 avril 2015, Morice c. France, § 78).

Le principe d'impartialité peut être violé lorsqu'un juge doit statuer dans une affaire dont il a déjà connu auparavant dans une autre qualité. Cependant, toute intervention antérieure du juge n'est pas de nature à éveiller, chez le justiciable, des appréhensions légitimes de partialité. Pour que le principe d'impartialité puisse être violé, cette intervention du juge doit être de nature à susciter l'impression qu'il a préjugé du fond de l'affaire.

B.10.1. Lorsqu'elle se prononce sur la qualification de « violation suffisamment caractérisée des règles de droit applicables » donnée par le juge civil à l'acte litigieux, la Cour de cassation tient compte des critères exposés dans l'arrêt n° 99/2014 de la Cour : « B.20.1. Quant au respect des articles 10 et 11 de la Constitution, pris isolément, bien qu'une faute légère puisse entraîner des dommages aussi importants qu'une faute lourde, il convient de tenir compte du rôle décisif que jouent les juridictions de dernier ressort dans l'interprétation et l'application du droit et de l'autorité particulière qui s'attache à leurs décisions.

La recherche d'un juste équilibre entre le principe de sécurité juridique, d'une part, et le droit d'accès au juge, d'autre part, peut ainsi justifier que le droit à la réparation intégrale du préjudice causé par la faute commise par une juridiction de dernier ressort, dans l'exercice de sa fonction juridictionnelle, ne soit garanti, sans exiger l'effacement préalable de la décision de justice litigieuse, que si la juridiction a violé de manière suffisamment caractérisée une règle de droit applicable.

B.20.2. Exiger que la faute commise par la juridiction de dernier ressort soit manifeste et grave permet de surcroît de diminuer le risque d'erreurs dans le chef du juge de la responsabilité, chargé d'apprécier seul l'illégalité de la décision adoptée ou de la procédure suivie par une juridiction statuant en dernier ressort, erreurs qui pourraient, elles-mêmes, donner lieu à une cascade de recours en responsabilité.

B.21. Enfin, compte tenu de la nécessité d'harmoniser les garanties reconnues par le droit de l'Union européenne, d'une part, et par le droit interne, d'autre part, la Cour tient compte de la jurisprudence de la Cour de justice en vertu de laquelle la juridiction de dernière instance qui méconnaît de manière suffisamment caractérisée une disposition du droit de l'Union européenne ayant pour objet de conférer des droits aux particuliers, engage la responsabilité de l'Etat envers le particulier qui démontre que cette méconnaissance lui a causé un préjudice, les conditions de recevabilité d'une telle action, susceptibles d'être arrêtées par les Etats membres, dans le cadre de leur autonomie procédurale, ne pouvant de surcroît rendre ' impossible en pratique ou excessivement difficile ' l'exercice d'une telle prérogative (voy. CJCE, 30 septembre 2003, Köbler, C-224/01, points 34, 47 et 53-59 et, à propos des limites à l'autonomie procédurale des Etats membres, CJUE, 12 décembre 2013, Test Claimants in the Franked Investment Income Group Litigation, C-362/12, points 31-32).

B.22. Amenée à préciser ce qu'elle entendait par une violation suffisamment caractérisée des règles du droit de l'Union, la Cour de justice a jugé : ' Afin de déterminer si cette condition est réunie, le juge national saisi d'une demande en réparation doit tenir compte de tous les éléments qui caractérisent la situation qui lui est soumise.

Parmi ces éléments figurent notamment le degré de clarté et de précision de la règle violée, le caractère délibéré de la violation, le caractère excusable ou inexcusable de l'erreur de droit, la position prise, le cas échéant, par une institution communautaire, ainsi que l'inexécution, par la juridiction en cause, de son obligation de renvoi préjudiciel en vertu de l'article 234, troisième alinéa, CE. En tout état de cause, une violation du droit communautaire est suffisamment caractérisée lorsque la décision concernée est intervenue en méconnaissance manifeste de la jurisprudence de la Cour en la matière (voir, en ce sens, arrêt Brasserie du pêcheur et Factortame, précité, point 57) ' (CJCE, 30 septembre 2003 précité, points 54-56; voy. aussi CJCE, grande chambre, 13 juin 2006, Traghetti del Mediterraneo, C-173/03, point 32).

Afin de respecter le principe d'égalité, il appartient au juge de la responsabilité de tenir compte de tels éléments afin de déterminer si la faute commise par une juridiction statuant en dernier ressort, en dehors du champ d'application du droit de l'Union européenne, constitue une violation suffisamment caractérisée des règles de droit applicable ».

B.10.2. Lorsque le droit de l'Union européenne est en cause, la Cour de cassation vérifie s'il s'indique de poser, le cas échéant, une question préjudicielle à la Cour de justice, pour demander en particulier si un acte contesté a constitué une violation suffisamment caractérisée du droit de l'Union. Selon la jurisprudence de la Cour de justice, « une juridiction dont les décisions ne sont pas susceptibles d'un recours juridictionnel de droit interne est tenue, lorsqu'une question de droit de l'Union se pose devant elle, de déférer à son obligation de saisine, à moins qu'elle n'ait constaté que la question soulevée n'est pas pertinente ou que la disposition du droit de l'Union en cause a déjà fait l'objet d'une interprétation de la part de la Cour ou que l'application correcte du droit de l'Union s'impose avec une telle évidence qu'elle ne laisse place à aucun doute raisonnable » (CJUE, 6 octobre 1982, C-283/81, Cilfit e.a., point 21;

CJUE, grande chambre, 18 octobre 2011, C-128/09, Boxus, point 31).

B.10.3. Enfin, la Cour de cassation doit, le cas échéant, lorsqu'il est satisfait aux exigences fixées par l'article 26 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, poser une question préjudicielle à cette Cour avant de statuer.

B.11. Lorsque la Cour de cassation statue sur la légalité d'une décision rendue par un juge civil en ce qui concerne la responsabilité de l'Etat pour une prétendue faute commise par cette juridiction elle-même dans l'exercice de la fonction juridictionnelle, des doutes peuvent toutefois naître quant à son impartialité objective, en raison de la manière dont la Cour est composée.

B.12.1. Il serait contraire au droit d'accès à un juge impartial que des conseillers qui ont participé à l'élaboration d'une décision se trouvant à l'origine d'une action en responsabilité fondée sur l'article 1382 du Code civil se prononcent sur la légalité de la décision rendue par le juge du fond au sujet de cette action. Plus particulièrement, ces conseillers devraient éventuellement se prononcer sur la question de savoir si c'est à juste titre ou non que le juge civil a qualifié de « violation suffisamment caractérisée des règles de droit applicables » la décision contestée qu'ils ont eux-mêmes prise (voir CEDH, 29 juillet 2004, San Leonard Band Club c.

Malte, §§ 61-64; 1er février 2005, Indra c. Slovaquie, §§ 51-53; 24 juillet 2012, Toziczka c. Pologne, §§ 40-44).

B.12.2. Les conseillers de la Cour de cassation peuvent être récusés pour cause de suspicion légitime (article 828, 1°, du Code judiciaire). Tout juge qui sait cause de récusation en sa personne est tenu de s'abstenir (article 831 du même Code; CEDH, grande chambre, 23 avril 2015, Morice c. France, § 78). Tel est le cas lorsqu'un conseiller de la Cour de cassation doit se prononcer sur une décision du juge civil statuant sur une action, fondée sur l'article 1382 du Code civil, mettant en cause la responsabilité de l'Etat dans un acte juridictionnel de la juridiction précitée, alors que ce conseiller faisait partie du siège ayant rendu cet arrêt.

B.12.3. Du reste, la Cour de cassation, comme toute juridiction, est tenue au respect du principe général de l'impartialité subjective et objective du juge. Celui-ci implique dès lors que la Cour de cassation prenne les mesures nécessaires pour empêcher que les conseillers dont l'acte juridictionnel contesté est à l'origine d'une action en responsabilité introduite contre l'Etat se prononcent sur la décision rendue par le juge civil au sujet de cette action.

B.12.4. En vertu de l'article 133 du Code judiciaire, la première chambre de la Cour de cassation connaît des pourvois en matière civile. Le premier président peut toutefois renvoyer l'affaire à une autre chambre lorsque les besoins du service le justifient. La composition impartiale de la Cour peut ainsi être garantie. Le règlement contenant l'ordre de service de la Cour, établi par le premier président, détermine le nombre de conseillers attachés à chaque chambre (article 132 du Code judiciaire). Le service des audiences est réparti entre les conseillers par le président de la chambre (article 317 du même Code).

B.13. Compte tenu de ce qui précède, les dispositions du Code judiciaire mentionnées dans la question préjudicielle ne font pas naître une discrimination entre les parties au procès selon que la responsabilité de l'Etat est mise en cause pour une faute commise par la Cour de cassation dans l'exercice de la fonction juridictionnelle ou pour une faute commise par un autre organe de l'Etat.

B.14. La première question préjudicielle appelle une réponse négative.

Quant à la seconde question préjudicielle B.15.1. En posant la seconde question préjudicielle, les juges a quo demandent si les articles 568, 602, 608, 1050 et 1073 du Code judiciaire sont compatibles avec l'article 13 de la Constitution, combiné avec les articles 146 et 160 de la Constitution, avec l'article 6.1 de la Convention européenne des droits de l'homme, avec l'article 14, paragraphe 1, du Pacte international relatif aux droits civils et politiques et avec le principe général de l'indépendance et de l'impartialité du juge, en ce que la décision du juge du fond qui peut être saisi d'une action en responsabilité concernant un acte juridictionnel de la Cour de cassation est soumise au contrôle de la Cour de cassation.

B.15.2. Avec le Conseil des ministres, il y a lieu d'observer que la Cour est interrogée, en l'espèce, sur la compatibilité de dispositions du Code judiciaire qui concernent les compétences des cours et tribunaux ordinaires, de sorte que l'on n'aperçoit pas en quoi les articles 146 et 160 de la Constitution pourraient être violés.

B.16.1. Le pourvoi en cassation est une voie de recours extraordinaire qui permet à une partie de demander l'annulation, pour contravention à la loi ou pour violation des formes, soit substantielles, soit prescrites à peine de nullité, d'une décision rendue en dernier ressort. Le fait qu'un jugement ou un arrêt puissent être annulés est inhérent à un système juridique qui prévoit un pourvoi en cassation et ne compromet ni l'indépendance ni l'impartialité du juge du fond.

B.16.2. Pour le surplus, il n'est pas porté atteinte aux dispositions et aux principes mentionnés dans la question préjudicielle pour les motifs indiqués en réponse à la première question préjudicielle.

B.17. La seconde question préjudicielle appelle une réponse négative.

Par ces motifs, la Cour dit pour droit : Les articles 568, 602, 608, 1050 et 1073 du Code judiciaire ne violent pas les articles 10, 11 et 13 de la Constitution, combinés ou non avec les articles 146 et 160 de la Constitution, avec les articles 6 et 13 de la Convention européenne des droits de l'homme, avec l'article 14, paragraphe 1, du Pacte international relatif aux droits civils et politiques et avec le principe général de l'indépendance et de l'impartialité du juge.

Ainsi rendu en langue néerlandaise et en langue française, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, le 23 février 2017.

Le greffier, P.-Y. Dutilleux Le président, E. De Groot

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