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Arrêt
publié le 05 avril 2017

Extrait de l'arrêt n° 24/2017 du 16 février 2017 Numéro du rôle : 6391 En cause : la question préjudicielle relative à l'article 325/7, § 1 er , alinéa 5, du Code civil, posée par le Tribunal de première instance de Flandre orie La Cour constitutionnelle, composée des présidents E. De Groot et J. Spreutels, et des juges L. (...)

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COUR CONSTITUTIONNELLE


Extrait de l'arrêt n° 24/2017 du 16 février 2017 Numéro du rôle : 6391 En cause : la question préjudicielle relative à l'article 325/7, § 1er, alinéa 5, du Code civil, posée par le Tribunal de première instance de Flandre orientale, division Gand, tribunal de la famille.

La Cour constitutionnelle, composée des présidents E. De Groot et J. Spreutels, et des juges L. Lavrysen, A. Alen, J.-P. Moerman, F. Daoût et T. Giet, assistée du greffier F. Meersschaut, présidée par le président E. De Groot, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet de la question préjudicielle et procédure Par jugement du 24 mars 2016 en cause de B.W. contre A.N., S.S. et Me Delphine Huys, en sa qualité de tuteur ad hoc de M.N., dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour le 7 avril 2016, le Tribunal de première instance de Flandre orientale, division Gand, tribunal de la famille, a posé la question préjudicielle suivante : « L'article 325/7, § 1er, alinéa 5, du Code civil viole-t-il les articles 10 et 11 de la Constitution, éventuellement combinés avec les articles 8 et 14 de la Convention européenne des droits de l'homme et des libertés fondamentales et avec la Convention relative aux droits de l'enfant, en ce qu'il crée une inégalité entre la contestation de la reconnaissance par la femme qui revendique la comaternité de l'enfant et qui a pu prendre connaissance immédiatement de la reconnaissance de l'enfant par une autre femme et la contestation de la reconnaissance par la femme qui revendique la comaternité de l'enfant et qui n'a pu prendre connaissance de la reconnaissance de l'enfant par une autre femme qu'ultérieurement et qui, le cas échéant, se trouvait à ce moment déjà en dehors du délai de forclusion d'un an ? ». (...) III. En droit (...) B.1.1. La loi du 5 mai 2014Documents pertinents retrouvés type loi prom. 05/05/2014 pub. 07/07/2014 numac 2014009353 source service public federal justice Loi portant établissement de la filiation de la coparente fermer portant établissement de la filiation de la coparente a inséré dans le titre VII du livre I du Code civil un nouveau chapitre 2/1 intitulé « De l'établissement de la filiation à l'égard de la coparente » (Moniteur belge, 7 juillet 2014). Ce chapitre contient les nouveaux articles 325/1 à 325/10 du Code civil.

La loi du 18 décembre 2014Documents pertinents retrouvés type loi prom. 18/12/2014 pub. 23/12/2014 numac 2014009668 source service public federal justice Loi modifiant le Code civil, le code de droit international privé, le Code consulaire, la loi du 5 mai 2014 portant établissement de la filiation de la coparente et la loi du 8 mai 2014 modifiant le Code civil en vue d'instaurer l'égalité de l'homme et de la femme dans le mode de transmission du nom à l'enfant et à l'adopté type loi prom. 18/12/2014 pub. 10/03/2016 numac 2016000128 source service public federal interieur Loi modifiant le Code civil, le code de droit international privé, le Code consulaire, la loi du 5 mai 2014 portant établissement de la filiation de la coparente et la loi du 8 mai 2014 modifiant le Code civil en vue d'instaurer l'égalité de l'homme et de la femme dans le mode de transmission du nom à l'enfant et à l'adopté. - Traduction allemande d'extraits fermer « modifiant le Code civil, le Code de droit international privé, le Code consulaire, la loi du 5 mai 2014Documents pertinents retrouvés type loi prom. 05/05/2014 pub. 07/07/2014 numac 2014009353 source service public federal justice Loi portant établissement de la filiation de la coparente fermer portant établissement de la filiation de la coparente et la loi du 8 mai 2014 modifiant le Code civil en vue d'instaurer l'égalité de l'homme et de la femme dans le mode de transmission du nom à l'enfant et à l'adopté » (Moniteur belge, 23 décembre 2014) a apporté quelques modifications à ce régime. Les dispositions de ce nouveau chapitre sont entrées en vigueur le 1er janvier 2015.

B.1.2. La loi du 13 février 2003Documents pertinents retrouvés type loi prom. 13/02/2003 pub. 28/02/2003 numac 2003009163 source service public federal justice Loi ouvrant le mariage à des personnes de même sexe et modifiant certaines dispositions du Code civil fermer ouvrant le mariage à des personnes de même sexe et modifiant certaines dispositions du Code civil avait déjà permis à des couples du même sexe de se marier, mais ce mariage n'avait pas d'effets en matière de filiation. La loi du 18 mai 2006Documents pertinents retrouvés type loi prom. 18/05/2006 pub. 20/06/2006 numac 2006009465 source service public federal justice Loi modifiant certaines dispositions du Code civil en vue de permettre l'adoption par des personnes de même sexe fermer modifiant certaines dispositions du Code civil en vue de permettre l'adoption par des personnes de même sexe a ouvert l'adoption aux époux et partenaires de même sexe. Il est cependant apparu que cette procédure était trop compliquée, prenait trop de temps et coûtait trop cher, et qu'elle rendait en outre le coparent tributaire du consentement du parent juridique d'origine (Doc. parl., Sénat, 2013-2014, n° 5-2445/1, pp. 1-2).

Pour cette raison, le législateur voulait ouvrir le droit de la filiation d'origine aux couples de sexe féminin, en adoptant les nouveaux articles 325/1 à 325/10 du Code civil. Il a voulu, à cet égard, établir un parallélisme avec la réglementation existante concernant l'établissement de la paternité (Doc. parl., Sénat, 2013-2014, n° 5-2445/1, p. 3). Ainsi, la comaternité peut désormais être établie sur la base d'une présomption de comaternité (articles 325/2 et 325/3 du Code civil), d'une reconnaissance (articles 325/4 à 325/7 du Code civil) et d'une recherche de comaternité (articles 325/8 à 325/10 du Code civil).

B.1.3. L'établissement du lien de filiation à l'égard de la coparente ne se fonde pas sur la réalité biologique mais sur la volonté de souscrire à un projet de parentalité commun (Doc. parl., Sénat, 2013-2014, n° 5-2445/3, p. 21). Cette volonté est en principe démontrée à l'aide de la convention établie entre les auteurs du projet parental et le centre de fécondation, conformément à l'article 7 de la loi du 6 juillet 2007Documents pertinents retrouvés type loi prom. 06/07/2007 pub. 17/07/2007 numac 2007023090 source service public federal securite sociale Loi relative à la procréation médicalement assistée et à la destination des embryons surnuméraires et des gamètes fermer relative à la procréation médicalement assistée et à la destination des embryons surnuméraires et des gamètes (voyez les articles 318, § 2, 325/3, § 2, alinéa 3, 325/3, § 5, 325/4, 325/7, § 1er, alinéa 5, 325/7, § 4, 325/9, alinéas 2 et 3, et 330, § 1er, alinéa 4, du Code civil).

B.1.4. Le législateur s'en est tenu au postulat que deux liens de filiation au maximum peuvent être établis à l'égard d'un enfant (Doc. parl., Sénat, 2013-2014, n° 5-2445/1, p. 3). C'est pour cette raison que l'article 325/1 du Code civil prévoit que la comaternité ne peut être établie que si la paternité n'est pas établie.

B.2.1. L'article 325/7 du Code civil dispose : « § 1. A moins que l'enfant ait la possession d'état à l'égard de celui qui l'a reconnu, la reconnaissance par la coparente peut être contestée devant le tribunal de la famille par l'homme qui revendique la paternité, la mère, l'enfant, la femme qui a reconnu l'enfant et la femme qui revendique la comaternité.

Toutefois, l'auteur de la reconnaissance et ceux qui ont donné les consentements préalables requis ou visés par l'article 329bis ne sont recevables à contester la reconnaissance que s'ils prouvent que leur consentement a été vicié.

La reconnaissance ne peut être contestée par ceux qui ont été parties à la décision qui l'a autorisée conformément à l'article 329bis ou à celle qui a refusé l'annulation demandée en vertu de cet article.

L'action de la mère et de la personne qui a reconnu l'enfant doit être intentée dans l'année de la découverte du fait que la conception de l'enfant ne peut pas être la conséquence de l'acte auquel la personne qui a reconnu l'enfant a consenti conformément à la loi du 6 juillet 2007Documents pertinents retrouvés type loi prom. 06/07/2007 pub. 17/07/2007 numac 2007023090 source service public federal securite sociale Loi relative à la procréation médicalement assistée et à la destination des embryons surnuméraires et des gamètes fermer relative à la procréation médicalement assistée et à la destination des embryons surnuméraires et des gamètes.

L'action de la femme qui revendique la comaternité doit être intentée dans l'année de la découverte du fait qu'elle a consenti à la conception conformément à la loi du 6 juillet 2007Documents pertinents retrouvés type loi prom. 06/07/2007 pub. 17/07/2007 numac 2007023090 source service public federal securite sociale Loi relative à la procréation médicalement assistée et à la destination des embryons surnuméraires et des gamètes fermer relative à la procréation médicalement assistée et à la destination des embryons surnuméraires et des gamètes et que la conception peut être la conséquence de cet acte.

L'action de l'homme qui revendique la paternité de l'enfant doit être intentée dans l'année de la découverte du fait qu'il est le père de l'enfant.

L'action de l'enfant doit être intentée au plus tôt le jour où il a atteint l'âge de douze ans et au plus tard le jour où il a atteint l'âge de vingt-deux ans ou dans l'année de la découverte du fait que sa conception ne peut être la conséquence de l'acte auquel l'auteur de la reconnaissance a consenti conformément à la loi du 6 juillet 2007Documents pertinents retrouvés type loi prom. 06/07/2007 pub. 17/07/2007 numac 2007023090 source service public federal securite sociale Loi relative à la procréation médicalement assistée et à la destination des embryons surnuméraires et des gamètes fermer relative à la procréation médicalement assistée et à la destination des embryons surnuméraires et des gamètes. § 2. Sans préjudice du § 1er, la reconnaissance est mise à néant s'il est prouvé par toutes voies de droit que l'intéressé n'a pas consenti à la conception conformément à la loi du 6 juillet 2007Documents pertinents retrouvés type loi prom. 06/07/2007 pub. 17/07/2007 numac 2007023090 source service public federal securite sociale Loi relative à la procréation médicalement assistée et à la destination des embryons surnuméraires et des gamètes fermer relative à la procréation médicalement assistée et à la destination des embryons surnuméraires et des gamètes ou que la conception ne peut en être la conséquence. § 3. La demande en contestation introduite par la personne qui se prétend le père biologique de l'enfant n'est fondée que si sa paternité est établie. La décision faisant droit à cette action en contestation entraîne de plein droit l'établissement de la filiation du demandeur. Le tribunal de la famille vérifie que les conditions de l'article 332quinquies sont respectées. A défaut, l'action est rejetée. § 4. La demande en contestation introduite par la femme qui revendique la comaternité n'est fondée que s'il est prouvé qu'elle [a] consenti à la procréation médicalement assistée conformément à la loi du 6 juillet 2007Documents pertinents retrouvés type loi prom. 06/07/2007 pub. 17/07/2007 numac 2007023090 source service public federal securite sociale Loi relative à la procréation médicalement assistée et à la destination des embryons surnuméraires et des gamètes fermer relative à la procréation médicalement assistée et à la destination des embryons surnuméraires et des gamètes et que la conception de l'enfant peut en être la conséquence. La décision faisant droit à cette action en contestation entraîne de plein droit l'établissement de la filiation du demandeur. Le tribunal de la famille vérifie que les conditions de l'article 332quinquies, §§ 1er, 1er/1, 2 et 4 sont respectées. A défaut, l'action est rejetée ».

B.2.2. La question préjudicielle porte sur le point de départ du délai de forclusion d'un an, fixé par l'article 325/7, § 1er, alinéa 5, du Code civil, pour l'action en contestation d'une reconnaissance de comaternité. Le litige devant le juge a quo concerne « une femme qui revendique la comaternité de l'enfant », de sorte que, conformément à cette disposition, son action devait être intentée « dans l'année de la découverte du fait qu'elle a consenti à la conception, conformément à la loi du 6 juillet 2007Documents pertinents retrouvés type loi prom. 06/07/2007 pub. 17/07/2007 numac 2007023090 source service public federal securite sociale Loi relative à la procréation médicalement assistée et à la destination des embryons surnuméraires et des gamètes fermer relative à la procréation médicalement assistée et à la destination des embryons surnuméraires et des gamètes, et du fait que la conception peut être la conséquence de cet acte ».

B.3.1. Le principe d'égalité et de non-discrimination n'exclut pas qu'une différence de traitement soit établie entre des catégories de personnes, pour autant qu'elle repose sur un critère objectif et qu'elle soit raisonnablement justifiée.

L'existence d'une telle justification doit s'apprécier en tenant compte du but et des effets de la mesure critiquée ainsi que de la nature des principes en cause; le principe d'égalité et de non-discrimination est violé lorsqu'il est établi qu'il n'existe pas de rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé.

B.3.2. L'article 22 de la Constitution dispose : « Chacun a droit au respect de sa vie privée et familiale, sauf dans les cas et conditions fixés par la loi.

La loi, le décret ou la règle visée à l'article 134 garantissent la protection de ce droit ».

L'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme dispose : « 1. Toute personne a droit au respect de sa vie privée et familiale, de son domicile et de sa correspondance. 2. Il ne peut y avoir ingérence d'une autorité publique dans l'exercice de ce droit que pour autant que cette ingérence est prévue par la loi et qu'elle constitue une mesure qui, dans une société démocratique, est nécessaire à la sécurité nationale, à la sûreté publique, au bien-être économique du pays, à la défense de l'ordre et à la prévention des infractions pénales, à la protection de la santé ou de la morale, ou à la protection des droits et libertés d'autrui ». L'article 14 de la Convention européenne des droits de l'homme dispose : « La jouissance des droits et libertés reconnus dans la présente Convention doit être assurée, sans distinction aucune, fondée notamment sur le sexe, la race, la couleur, la langue, la religion, les opinions politiques ou toutes autres opinions, l'origine nationale ou sociale, l'appartenance à une minorité nationale, la fortune, la naissance ou toute autre situation ».

B.3.3. Le Constituant a recherché la plus grande concordance possible entre l'article 22 de la Constitution et l'article 8 de la Convention européenne précitée (Doc. parl., Chambre, 1992-1993, n° 997/5, p. 2).

La portée de cet article 8 est analogue à celle de la disposition constitutionnelle précitée, de sorte que les garanties que fournissent ces deux dispositions forment un ensemble indissociable.

B.4.1. Le droit au respect de la vie privée et familiale, tel qu'il est garanti par les dispositions précitées, a pour but essentiel de protéger les personnes contre des ingérences dans leur vie privée et leur vie familiale.

L'article 22, alinéa 1er, de la Constitution et l'article 8.2 de la Convention européenne des droits de l'homme n'excluent pas une ingérence d'une autorité publique dans le droit au respect de la vie privée et familiale mais ils exigent que cette ingérence soit autorisée par une disposition législative suffisamment précise, qu'elle poursuive un but légitime et qu'elle soit nécessaire dans une société démocratique. Ces dispositions engendrent de surcroît l'obligation positive pour l'autorité publique de prendre des mesures qui assurent le respect effectif de la vie privée et familiale, même dans la sphère des relations entre les individus (CEDH, 27 octobre 1994, Kroon et autres c. Pays-Bas, § 31; grande chambre, 12 novembre 2013, Söderman c. Suède, § 78; 3 avril 2014, Konstantinidis c. Grèce, § 42).

B.4.2. Les procédures relatives à l'établissement ou à la contestation de la filiation concernent la vie privée, parce que la matière de la filiation englobe d'importants aspects de l'identité personnelle d'un individu (CEDH, 28 novembre 1984, Rasmussen c. Danemark, § 33; 24 novembre 2005, Shofman c. Russie, § 30; 12 janvier 2006, Mizzi c.

Malte, § 102; 16 juin 2011, Pascaud c. France, §§ 48-49; 21 juin 2011, Kruskovic c. Croatie, § 20; 22 mars 2012, Ahrens c. Allemagne, § 60; 12 février 2013, Krisztissn Barnabsss Tóth c. Hongrie, § 28).

Le régime de contestation de la reconnaissance de comaternité en cause relève donc de l'application de l'article 22 de la Constitution et de l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme.

B.5. Le législateur, lorsqu'il élabore un régime qui entraîne une ingérence de l'autorité publique dans la vie privée, jouit d'une marge d'appréciation pour tenir compte du juste équilibre à ménager entre les intérêts concurrents de l'individu et de la société dans son ensemble (CEDH, 26 mai 1994, Keegan c. Irlande, § 49; 27 octobre 1994, Kroon et autres c. Pays-Bas, § 31; 2 juin 2005, Znamenskaya c. Russie, § 28; 24 novembre 2005, Shofman c. Russie, § 34; 20 décembre 2007, Phinikaridou c. Chypre, §§ 51 à 53; 25 février 2014, Ostace c.

Roumanie, § 33).

Cette marge d'appréciation du législateur n'est toutefois pas illimitée : pour apprécier si une règle législative est compatible avec le droit au respect de la vie privée, il convient de vérifier si le législateur a trouvé un juste équilibre entre tous les droits et intérêts en cause. Pour cela, il ne suffit pas que le législateur ménage un équilibre entre les intérêts concurrents de l'individu et de la société dans son ensemble mais il doit également ménager un équilibre entre les intérêts contradictoires des personnes concernées (CEDH, 6 juillet 2010, Backlund c. Finlande, § 46; 15 janvier 2013, Laakso c. Finlande, § 46; 29 janvier 2013, Röman c. Finlande, § 51).

Lorsqu'il élabore un régime légal en matière de filiation, le législateur doit en principe permettre aux autorités compétentes de procéder in concreto à la mise en balance des intérêts des différentes personnes concernées, sous peine de prendre une mesure qui ne serait pas proportionnée aux objectifs légitimes poursuivis.

Tant l'article 22bis, alinéa 4, de la Constitution que l'article 3, paragraphe 1, de la Convention relative aux droits de l'enfant imposent aux juridictions de prendre en compte, de manière primordiale, l'intérêt de l'enfant dans les procédures le concernant.

La Cour européenne des droits de l'homme a précisé que, dans la balance des intérêts en jeu, il y a lieu de faire prévaloir les intérêts de l'enfant (CEDH, 5 novembre 2002, Yousef c. Pays-Bas, § 73; 26 juin 2003, Maire c. Portugal, §§ 71 et 77; 8 juillet 2003, Sommerfeld c. Allemagne, §§ 64 et 66; 28 juin 2007, Wagner et J.M.W.L. c. Luxembourg, § 119;6 juillet 2010, Neulinger et Shuruk c. Suisse, § 135; 22 mars 2012, Ahrens c. Allemagne, § 63).

B.6.1. Conformément à l'article 325/4 du Code civil, une femme peut reconnaître un enfant, en qualité de coparente, si aucune présomption de comaternité n'a été établie au sens de l'article 325/2 du Code civil. Les conditions prévues par l'article 329bis du Code civil s'appliquent à cette reconnaissance. Le consentement de la mère est donc en principe requis. Le consentement de l'enfant est en principe également requis s'il est majeur ou émancipé ou s'il a douze ans accomplis.

A défaut de ces consentements, la femme qui souhaite reconnaître l'enfant en qualité de coparente cite devant le tribunal les personnes dont le consentement est requis. Les parties sont entendues en chambre du conseil. Le tribunal tente de les concilier. S'il concilie les parties, le tribunal reçoit les consentements nécessaires (article 329bis, § 2, alinéa 3, du Code civil). A défaut de conciliation, la demande est rejetée s'il est prouvé que le « demandeur » n'a pas consenti à la conception, conformément à la loi du 6 juillet 2007Documents pertinents retrouvés type loi prom. 06/07/2007 pub. 17/07/2007 numac 2007023090 source service public federal securite sociale Loi relative à la procréation médicalement assistée et à la destination des embryons surnuméraires et des gamètes fermer relative à la procréation médicalement assistée et à la destination des embryons surnuméraires et des gamètes, ou que la conception ne peut en être la conséquence (article 325/4, alinéa 2, du Code civil).

Lorsque la demande concerne un enfant âgé d'un an ou plus au moment de l'introduction de la demande, le tribunal peut en outre refuser la reconnaissance si elle est manifestement contraire à l'intérêt de l'enfant (article 329bis, § 2, alinéa 3, du Code civil).

B.6.2. Conformément à l'article 325/7, § 1er, alinéa 1er, du Code civil, une reconnaissance par la coparente ne peut être contestée que si l'enfant n'a pas la possession d'état à l'égard de celle qui l'a reconnu. Seul l'homme qui revendique la paternité, la mère, l'enfant, la femme qui a reconnu l'enfant et la femme qui revendique la comaternité peuvent contester la reconnaissance par la coparente en vertu de cette disposition.

Conformément à l'article 325/7, § 4, du Code civil, la demande en contestation introduite par la femme qui revendique la comaternité n'est fondée que s'il est prouvé qu'elle a consenti à la procréation médicalement assistée, conformément à l'article 7 de la loi du 6 juillet 2007Documents pertinents retrouvés type loi prom. 06/07/2007 pub. 17/07/2007 numac 2007023090 source service public federal securite sociale Loi relative à la procréation médicalement assistée et à la destination des embryons surnuméraires et des gamètes fermer relative à la procréation médicalement assistée et à la destination des embryons surnuméraires et des gamètes, et que la conception de l'enfant peut en être la conséquence. La décision faisant droit à cette action en contestation entraîne de plein droit l'établissement de la filiation du « demandeur ».

B.7. Etant donné que les délais prévus pour la contestation d'une reconnaissance par la coparente ont été repris mutatis mutandis des dispositions concernant la contestation d'une reconnaissance paternelle, visée à l'article 330, § 1er, alinéa 4, du Code civil, il peut être admis que des objectifs identiques sont à la base des délais en cause.

L'article 16 de la loi du 1er juillet 2006Documents pertinents retrouvés type loi prom. 01/07/2006 pub. 29/12/2006 numac 2006009998 source service public federal justice Loi modifiant des dispositions du Code civil relatives à l'établissement de la filiation et aux effets de celle-ci fermer modifiant des dispositions du Code civil relatives à l'établissement de la filiation et aux effets de celle-ci a prévu pour la contestation d'une reconnaissance paternelle de brefs délais de forclusion et un nombre limité de titulaires, alors que sous l'empire de l'ancienne règle, tous les intéressés disposaient d'un délai de trente ans, qui courait à compter de l'établissement de l'acte de reconnaissance.

En adoptant cette modification, le législateur a voulu « protéger autant que possible la cellule familiale de l'enfant [...] en fixant des délais d'action » (Doc. parl., Chambre, 2004-2005, DOC 51-0597/026, p. 6). En outre, le législateur a voulu réaliser un parallélisme maximal entre la procédure de contestation de la présomption de paternité et la procédure de contestation d'une reconnaissance paternelle (Doc. parl., Sénat, 2004-2005, n° 3-1402/7, pp. 51-52).

B.8.1. Ces objectifs ne peuvent cependant avoir pour effet que, pour un type déterminé de contestation d'une reconnaissance par la coparente, l'action puisse être rendue impossible. En effet, le droit d'accès au juge serait violé s'il était imposé à une partie au procès un formalisme excessif, sous la forme d'un délai dont le respect est tributaire de circonstances échappant à son pouvoir (CEDH, 22 juillet 2010, Melis c. Grèce, §§ 27-28).

B.8.2. L'intérêt de l'enfant ne saurait davantage justifier que la reconnaissance par la femme qui a consenti à sa conception, conformément à l'article 7 de la loi du 6 juillet 2007Documents pertinents retrouvés type loi prom. 06/07/2007 pub. 17/07/2007 numac 2007023090 source service public federal securite sociale Loi relative à la procréation médicalement assistée et à la destination des embryons surnuméraires et des gamètes fermer relative à la procréation médicalement assistée et à la destination des embryons surnuméraires et des gamètes, puisse, dans toutes les hypothèses, être empêchée par un refus de la mère, suivi d'une reconnaissance mensongère. La réponse à la question de savoir si l'enfant a davantage intérêt à la reconnaissance par la femme qui a consenti à sa conception qu'à la reconnaissance par un tiers dépendra des circonstances concrètes de chaque cas.

B.9. Dès lors qu'elle permet que le délai imparti à la femme qui revendique la comaternité commence à courir avant qu'elle ait pu savoir qu'une reconnaissance a eu lieu, la disposition en cause n'est pas compatible avec les articles 10 et 11 de la Constitution, combinés ou non avec les articles 8 et 14 de la Convention européenne des droits de l'homme.

B.10. La question préjudicielle appelle une réponse affirmative.

Par ces motifs, la Cour dit pour droit : L'article 325/7, § 1er, alinéa 5, du Code civil viole les articles 10 et 11 de la Constitution, combinés ou non avec les articles 8 et 14 de la Convention européenne des droits de l'homme, en ce que le délai de forclusion imparti par cette disposition à la femme qui revendique la comaternité peut débuter avant la reconnaissance contestée.

Ainsi rendu en langue néerlandaise et en langue française, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, le 16 février 2017.

Le greffier, F. Meersschaut Le président, E. De Groot

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