publié le 03 février 2017
Extrait de l'arrêt n° 164/2016 du 22 décembre 2016 Numéro du rôle : 6259 En cause : la question préjudicielle relative à l'article 2.6.1, § 3, 2°, du Code flamand de l'aménagement du territoire, posée par le Tribunal de première instance La Cour constitutionnelle, composée des présidents E. De Groot et J. Spreutels, et des juges A. (...)
COUR CONSTITUTIONNELLE
Extrait de l'arrêt n° 164/2016 du 22 décembre 2016 Numéro du rôle : 6259 En cause : la question préjudicielle relative à l'article 2.6.1, § 3, 2°, du Code flamand de l'aménagement du territoire, posée par le Tribunal de première instance de Flandre occidentale, division Bruges.
La Cour constitutionnelle, composée des présidents E. De Groot et J. Spreutels, et des juges A. Alen, J.-P. Moerman, E. Derycke, T. MerckxVan Goey, P. Nihoul, F. Daoût, T. Giet et R. Leysen, assistée du greffier F. Meersschaut, présidée par le président E. De Groot, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet de la question préjudicielle et procédure Par jugement du 26 juin 2015 en cause de Hilair Osstyn contre la province de Flandre occidentale, dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour le 8 septembre 2015, le Tribunal de première instance de Flandre occidentale, division Bruges, a posé la question préjudicielle suivante : « L'article 2.6.1, § 3, 2°, du Code flamand de l'aménagement du territoire viole-t-il l'article 16 de la Constitution et l'article 1 du Premier Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme, lus en combinaison avec le principe d'égalité et de non-discrimination contenu dans les articles 10 et 11 de la Constitution, dans la mesure où cette disposition permet qu'il soit tenu compte de la ' politique urbanistique ' de l'administration afin de déterminer si des terrains entrent en considération pour l'octroi d'une indemnité pour les dommages résultant de la planification, même s'il s'agit de terrains qui entrent en considération pour la construction en vertu de l'affectation en vigueur et des normes légales (au sens large) et qui satisfont aux conditions de constructibilité ou de lotissement objectifs, ce qui impliquerait que l'obligation d'indemnisation des dommages résultant de la planification serait entièrement tributaire de la politique propre de l'administration, et ce en violation du principe de proportionnalité et du principe de la juste indemnité en cas [de restrictions du droit de propriété] ? ». (...) III. En droit (...) Quant à la disposition en cause B.1. Le juge a quo interroge la Cour sur l'action en indemnisation des dommages résultant de la planification spatiale, telle qu'elle est réglée dans le Code flamand de l'aménagement du territoire.
L'article 2.6.1 du Code flamand de l'aménagement du territoire dispose : « § 1er. Les plans d'exécution spatiaux peuvent faire naître des servitudes d'utilité publique et comporter des restrictions de propriété, en ce compris des interdictions de construire.
Dans les cas visés aux § 2 et § 3, une interdiction de construire ou de lotir peut donner lieu à une indemnisation limitée, appelée indemnisation des dommages résultant de la planification spatiale. § 2. L'indemnisation des dommages résultant de la planification spatiale est accordée lorsque, en vertu d'un plan d'exécution spatial entré en vigueur, une parcelle n'entre plus en ligne de compte pour un permis de construire, tel que visé à l'article 4.2.1, 1°, ou de lotir, alors qu'il entrait encore en ligne de compte pour un permis de construire ou de lotir la veille de l'entrée en vigueur de ce plan définitif. § 3. Pour l'application de l'indemnisation des dommages résultant de la planification spatiale, les critères cumulatifs suivants doivent de surcroît être remplis la veille de l'entrée en vigueur du plan définitif : 1° la parcelle doit être située le long d'une route suffisamment équipée, conformément à l'article 4.3.5, § 1er; 2° la parcelle doit entrer en ligne de compte pour l'édification d'une construction sur le plan de l'urbanisme et de la technique de construction;3° la parcelle doit être située dans une zone constructible, comme définie dans un plan d'aménagement ou dans un plan d'exécution spatial;4° seuls les 50 premiers mètres à partir de l'alignement entrent en ligne de compte pour les dommages résultant de la planification spatiale. Le critère visé au premier alinéa, 1°, ne s'applique toutefois pas aux parcelles sur lesquelles sont situés les bâtiments d'entreprise et l'habitation des exploitants d'une entreprise agricole ou horticole existante. § 4. Aucune indemnisation de dommages résultant de la planification spatiale n'est due dans les cas suivants : 1° lors d'une interdiction de construire ou de lotir à la suite d'une décision d'expropriation établie, et le cas échéant, approuvée;2° en cas d'interdiction de bâtir sur une plus grande superficie que celle qui est autorisée par le plan d'exécution spatial, ou dans le cadre d'un lotissement, de dépasser la densité de construction déterminée par le plan;3° en cas d'interdiction de poursuivre l'exploitation d'entreprises dangereuses, insalubres et provoquant des nuisances après l'expiration du délai pour lequel le permis écologique avait été accordé;4° en cas d'interdiction de construire sur une parcelle de terrain qui ne présente pas les dimensions minimales stipulées dans un plan d'exécution spatial;5° en cas d'interdiction de construire ou de lotir en dehors des agglomérations en raison d'exigences impératives de la sécurité routière;6° en cas d'interdiction de lotir un terrain dont le permis de lotir accordé antérieurement était échu à la date de l'entrée en vigueur du plan d'exécution spatial ou du plan d'aménagement contenant l'interdiction visée;7° pour les bâtiments ou installations fixes détruits par une catastrophe naturelle, lorsque l'interdiction de leur reconstruction découle de l'article 12, § 3, premier alinéa de la loi du 12 juillet 1976 relative à la réparation de dommages certains provoqués à des biens privés par des catastrophes naturelles;8° en cas de refus d'une demande de modification de la fonction d'un bâtiment; 9° lorsque la moins-value calculée conformément à l'article 2.6.2, § 1er, et entrant en ligne de compte pour une indemnisation, ne dépasse pas vingt pour cent de la valeur du bien au moment de l'acquisition, actualisée jusqu'à la date de naissance du droit à l'indemnisation et majorée des charges et frais; 10° lorsque les dommages entrent en ligne de compte pour une compensation mentionnée dans le livre 6, titre 2 ou titre 3, du décret du 27 mars 2009 relatif à la politique foncière et immobilière; 11° si la parcelle est reprise dans un plan d'échange de terres, tel que visé à l'article 2.1.65 du décret du 28 mars 2014 relatif à la rénovation rurale ».
L'article 2.6.2 du Code flamand de l'aménagement du territoire dispose : « § 1er. La moins-value entrant en ligne de compte pour une indemnisation des dommages résultant de la planification spatiale doit être estimée comme étant la différence entre la valeur du bien au moment de l'acquisition, actualisée jusqu'au jour de la naissance du droit à l'indemnisation, majorée des charges et frais, avant l'entrée en vigueur du plan d'exécution spatial et la valeur de ce bien au moment de la naissance du droit à l'indemnisation après l'entrée en vigueur de ce plan d'exécution spatial. [...] Seule la moins-value découlant du plan, visée à l'article 2.6.1, § 2, peut entrer en ligne de compte pour une indemnisation des dommages résultant de la planification spatiale.
Le droit à l'indemnisation des dommages résultant de la planification spatiale naît soit lors de la cession du bien à titre onéreux, soit lors de l'apport du bien dans une société, soit lors du refus d'un permis de construire ou d'un permis de lotir, soit lors de la délivrance d'une autorisation urbanistique négative. [...] § 2. L'indemnisation des dommages résultant de la planification spatiale s'élève à quatre-vingts pour cent de moins-value. [...] ».
L'article 2.6.3 du Code flamand de l'aménagement du territoire dispose : « Les actions en paiement de l'indemnisation des dommages résultant de la planification spatiale relèvent, quel qu'en soit le montant, de la compétence des tribunaux de première instance.
L'indemnisation des dommages résultant de la planification spatiale est due par l'autorité qui a établi le plan d'exécution spatial ayant donné lieu à de tels dommages ».
B.2. Le Code flamand de l'aménagement du territoire a été élaboré en 2009 dans le but de coordonner les dispositions du décret du 18 mai 1999 portant organisation de l'aménagement du territoire (ci-après : le décret du 18 mai 1999) et de l'article 90bis du décret forestier du 13 juin 1990 (article 1er de l'arrêté du Gouvernement flamand du 15 mai 2009 portant coordination de la législation décrétale relative à l'aménagement du territoire). L'article 2.6.1, § 3, du Code flamand de l'aménagement du territoire ne diffère pas de l'article 84, § 3, du décret du 18 mai 1999.
B.3.1. Les travaux préparatoires de l'article 84, § 3, du décret du 18 mai 1999 mentionnent ce qui suit : « § 3. Le présent paragraphe précise un certain nombre de critères supplémentaires auxquels il doit être satisfait de manière cumulative pour qu'une parcelle puisse entrer en ligne de compte en vue d'une indemnité de réparation des dommages résultant de la planification spatiale. Ces conditions sont fixées parce que l'indemnité de dommages résultant de la planification spatiale n'est accordée que pour des parcelles ayant le caractère de terrain à bâtir.
Le point 2 contient la condition que la parcelle doit entrer en ligne de compte pour la construction, du point de vue urbanistique et technique. Il est évidemment possible de bâtir sur tous les terrains, mais ceux-ci n'acquièrent pas pour autant le statut de terrain à bâtir. La jurisprudence et la doctrine dominantes confèrent d'ores et déjà à ce critère un contenu satisfaisant. Sont exclus les terrains qui, par nature, ne conviennent pas à la construction à moins d'en changer artificiellement le caractère afin de rendre le terrain constructible.
Le point 3 pose explicitement la condition que la parcelle soit située dans une zone constructible, fixée dans un plan d'aménagement ou dans un plan d'exécution spatial. Sont exclues les parcelles qui ont déjà été réservées, dans un plan d'aménagement ou un plan d'exécution spatial, à d'autres fins que la construction, par exemple les espaces verts.
La condition mentionnée au point 2, à savoir l'exigence que la parcelle soit adjacente à une voie suffisamment équipée, ne s'applique pas à l'obtention d'une indemnité de réparation de dommages résultant de la planification spatiale pour les entreprises agricoles existantes et leur siège d'exploitation, étant donné que ces bâtiments ne remplissent pas toujours cette condition en raison de leur nature.
Seuls les cinquante premiers mètres à partir de l'alignement entrent en ligne de compte pour une indemnité de réparation des dommages résultant de la planification spatiale (point 4). Cette limitation découle d'une part déjà de l'exigence de situation le long d'une voie suffisamment équipée et est tirée de l'analyse de la jurisprudence dominante qui en a déduit la règle des 50 mètres. La profondeur de 50 mètres à partir de l'alignement est la profondeur de construction usuelle. Les terrains de fond qui sont situés au-delà de la première bande de 50 mètres n'entrent pas en ligne de compte pour une indemnité de réparation des dommages résultant de la planification spatiale (cf., entre autres, Cour de cassation, n° 7008, 30 novembre 1999) » (Doc. parl., Parlement flamand, 1998-1999, n° 1332/1, p. 46).
B.3.2. L'article 84, § 3, du décret du 18 mai 1999 découle lui-même de l'article 35 du décret relatif à l'aménagement du territoire, coordonné le 22 octobre 1996 (ci-après : le décret du 22 octobre 1996). L'article 35 du décret du 22 octobre 1996 a repris dans une large mesure l'article 37 de la loi du 29 mars 1962 organique de l'aménagement du territoire et de l'urbanisme (ci-après : la loi du 29 mars 1962), tel qu'il a été remplacé par l'article 2 de la loi du 22 décembre 1970 et modifié par les lois des 12 juillet 1976 et 22 décembre 1977.
Les travaux préparatoires relatifs à la loi du 29 mars 1962 contiennent le commentaire suivant : « Vos Commissions ont tenu à souligner que, pour donner lieu à indemnité, l'interdiction de bâtir ou de lotir doit être totale. Ne peut donc donner lieu à indemnité l'interdiction de bâtir à tel endroit tel immeuble déterminé, parce que, par exemple, il dépasse la hauteur autorisée ou que l'on utilise dans sa construction des matériaux dont l'usage serait interdit par les prescriptions du plan.
Le recours au Conseil d'Etat fut abandonné parce qu'il était extrêmement difficile de définir la notion de dommage exceptionnel ainsi que le confirme la jurisprudence du Conseil d'Etat. La proposition faite par un commissaire d'accorder au Conseil d'Etat un pouvoir juridictionnel ne fut pas retenue parce qu'il ne paraissait pas opportun de modifier aussi fondamentalement, à l'occasion d'une loi sur l'urbanisme, la compétence du Conseil d'Etat.
Certains cas furent expressément prévus dans lesquels l'interdiction de bâtir ou de lotir ou des restrictions à ces droits [...] ne seraient pas indemnisées parce qu'elles ne tendaient qu'à empêcher un usage anormal et irrationnel de la propriété.
Afin d'éviter que l'affectation et surtout la destination, dont il est question à l'alinéa 1er [lire : de l'article 37] de la loi, - ne soient interprétées par les tribunaux d'une façon extensive et qui ne serait pas conforme aux intentions du législateur, vos Commissions ont désiré que celles-ci soient précisées clairement dans le rapport. La notion ' terrain à bâtir ' n'est pas inconnue de notre doctrine et de notre jurisprudence qui furent amenées, à plusieurs reprises, à en définir les éléments à l'occasion de contestations sur les indemnités d'expropriation.
Nous avons pu, à cet égard, relever les décisions suivantes : ' La plus-value attribuée en général à un terrain envisagé comme terrain à bâtir ne provient pas d'une qualité intrinsèque de la terre, mais uniquement de sa situation à front de rue, le long d'une grand-route et à proximité ou au centre d'une agglomération et elle est fonction de cette situation (Liège, 21 juillet 1853 - Pas. 1854/156 - Liège, 27 avril 1854 - Pas. 1859/22 - Verviers, 13 juillet 1878 - C.L.B. tome 27, pag. 441 - Bruxelles, 2 mars 1916 Pas., 1917/333) '. ' En principe un terrain à bâtir suppose nécessairement un accès à la voie publique (Cass., 19 décembre 1929 Pas. 1930 I/52) '. ' L'existence de chemins rudimentaires et le fait que les terrains de culture qui l'entourent pourraient recevoir accidentellement quelques constructions ne suffisent pas de faire de ces terrains, à proximité d'une ville, des terrains à bâtir (Gand, 24 juin 1927 - B.J. 469) '. ' Il ne suffit pas, dans une agglomération rurale de quelque étendue, de scinder un terrain par la création d'un chemin pour attribuer une plus-value au terrain ainsi aménagé en "terrain à bâtir" (Liège, 2 janvier 1925 - Jur. 73) '.
Il résulte de ces décisions que pour être considéré comme terrain à bâtir, plusieurs conditions doivent être réunies : 1° il doit être riverain d'une voie de communication;2° il doit être voisin d'autres terrains à bâtir;3° il doit être apte à recevoir des constructions. Si une ou deux seulement de ces conditions sont remplies, le terrain ne sera pas du terrain à bâtir » (Doc. parl., Sénat, 1959-1960, n° 275, pp. 58-59).
B.3.3. Le législateur, s'inspirant de la jurisprudence, a voulu faire dépendre dans une large mesure la qualité de « terrain à bâtir » des caractéristiques intrinsèques du terrain en cause en matière de construction et d'environnement. Selon les travaux préparatoires, il est question de « terrain à bâtir » lorsqu'il est satisfait aux conditions objectives suivantes : la parcelle doit (1) être située le long d'une voie suffisamment équipée, (2) être située à proximité d'autres constructions, (3) être techniquement apte à recevoir des constructions et (4) être située dans les 50 premiers mètres à partir de l'alignement.
B.3.4. La disposition en cause mentionne spécifiquement que la parcelle doit également être constructible « du point de vue urbanistique ». Ni les travaux préparatoires relatifs à la loi du 29 mars 1962 ou aux lois modifiant son article 37, ni les travaux préparatoires relatifs à l'article 35 du décret du 22 octobre 1996, ni les travaux préparatoires relatifs à l'article 84 du décret du 18 mai 1999 n'évoquent, en tant que telle, la « politique urbanistique » comme élément de ce critère en ce qui concerne le régime d'indemnisation des dommages résultant de la planification spatiale.
Quant à la question préjudicielle B.4.1. Dans l'affaire portée devant le juge a quo, un plan d'exécution spatial provincial a modifié la destination d'une parcelle en l'inscrivant en zone agricole urbaine non constructible, alors qu'auparavant, en vertu du plan de secteur, elle était située en zone d'extension de l'habitat.
B.4.2. Le juge a quo demande à la Cour si l'article 2.6.1, § 3, 2°, du Code flamand de l'aménagement du territoire, et plus spécifiquement le critère selon lequel « la parcelle doit entrer en ligne de compte pour l'édification d'une construction sur le plan de l'urbanisme [...] », interprété en ce sens qu'il est tenu compte de la « politique urbanistique » menée par l'administration pour déterminer si un terrain peut faire l'objet d'une indemnisation des dommages résultant de la planification spatiale, même s'il s'agit d'un terrain qui, sur la base de la destination et des normes légales en vigueur, est constructible et satisfait aux conditions objectives de « construction ou de lotissement », de sorte que l'obligation d'indemnisation dépend totalement de la politique propre à l'administration, est compatible avec les articles 10, 11 et 16 de la Constitution, combinés avec l'article 1 du Premier Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme, avec le principe de proportionnalité et avec le principe de juste indemnité.
La Cour examine la disposition en cause dans cette interprétation.
B.5.1. L'article 16 de la Constitution dispose : « Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique, dans les cas et de la manière établis par la loi, et moyennant une juste et préalable indemnité ».
L'article 1 du Premier Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme dispose : « Toute personne physique ou morale a droit au respect de ses biens.
Nul ne peut être privé de sa propriété que pour cause d'utilité publique et dans les conditions prévues par la loi et les principes généraux du droit international.
Les dispositions précédentes ne portent pas atteinte au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général ou pour assurer le paiement des impôts ou d'autres contributions ou des amendes ».
B.5.2. Cette disposition de droit international ayant une portée analogue à celle de l'article 16 de la Constitution, les garanties qu'elle contient forment un ensemble indissociable avec celles qui sont inscrites dans cette disposition constitutionnelle, de sorte que la Cour en tient compte lors de son contrôle de la disposition en cause.
B.5.3. L'article 1 du Protocole précité offre une protection non seulement contre l'expropriation ou la privation de propriété (alinéa 1er, seconde phrase) mais également contre toute ingérence dans le droit au respect des biens (alinéa 1er, première phrase) et contre toute réglementation de l'usage des biens (alinéa 2).
La limitation du droit de propriété découlant d'un plan d'exécution spatial « règlemente l'usage des biens conformément à l'intérêt général », au sens du second alinéa de l'article 1 du Premier Protocole additionnel, et relève donc de l'application de cette disposition conventionnelle, combinée avec l'article 16 de la Constitution.
B.5.4. Toute ingérence dans le droit de propriété doit réaliser un juste équilibre entre les impératifs de l'intérêt général et ceux de la protection du droit au respect des biens. Il faut qu'existe un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but poursuivi.
B.6.1. Le seul fait que l'autorité impose des restrictions au droit de propriété dans l'intérêt général n'a pas pour conséquence qu'elle soit tenue à indemnisation.
Ainsi, l'établissement, par ou en vertu d'une disposition législative, d'une servitude d'utilité publique ou d'une restriction d'un droit de propriété dans l'intérêt général ne confère pas, en principe, un droit à une indemnité au propriétaire du fonds servant (Cass., 16 mars 1990, Pas., 1990, I, n° 427; CEDH, 25 juin 2015, Couturon c. France, §§ 34 à 43).
De même, « lorsqu'une mesure de réglementation de l'usage des biens est en cause, l'absence d'indemnisation est l'un des facteurs à prendre en compte pour établir si un juste équilibre a été respecté, mais elle ne saurait, à elle seule, être constitutive d'une violation de l'article 1 du Protocole n° 1 » (voir notamment CEDH, grande chambre, 29 mars 2010, Depalle c. France, § 91; 26 avril 2011, Antunes Rodrigues c. Portugal, § 32).
En cas d'atteinte grave au droit au respect des biens, telle qu'une interdiction de bâtir ou de lotir, cette charge ne peut toutefois être imposée à un propriétaire sans une indemnisation raisonnable de la perte de valeur de la parcelle (CEDH, 19 juillet 2011, Varfis c.
Grèce).
B.6.2. C'est au législateur compétent qu'il appartient de déterminer les cas dans lesquels une limitation du droit de propriété peut donner lieu à une indemnité et les conditions auxquelles cette indemnité peut être octroyée, sous réserve du contrôle exercé par la Cour quant au caractère raisonnable et proportionné de la mesure prise.
B.7.1. Le fait d'imposer, par un plan d'exécution spatial, une interdiction de bâtir et de lotir sur des parcelles qui pouvaient être bâties ou loties avant l'entrée en vigueur de ce plan constitue une ingérence dans le droit de propriété.
B.7.2. Pour que le propriétaire puisse prétendre à une indemnisation des dommages résultant de la planification spatiale, l'article 2.6.1, § 3, alinéa 1er, 2°, du Code flamand de l'aménagement du territoire exige entre autres qu'il démontre, dans son action devant le juge civil, que sa parcelle était constructible du point de vue urbanistique et technique la veille de l'entrée en vigueur du plan d'exécution spatial définitif.
B.7.3. Le juge a quo demande à la Cour si cette disposition est conforme aux normes de référence mentionnées en B.5.1, dans l'hypothèse où la condition selon laquelle la parcelle devait être constructible « du point de vue urbanistique » fait aussi référence à la « politique urbanistique ». Il y a dès lors lieu de vérifier si cette condition, interprétée en ce sens, limite le droit de propriété de manière disproportionnée.
B.8. La politique urbanistique au sens large est contenue dans les schémas de structure d'aménagement, dans les plans d'exécution spatiaux, dans les prescriptions urbanistiques, dans la politique d'autorisations et dans toutes sortes de documents d'orientation politique.
Il ressort de la décision de renvoi qu'il est fait référence à deux éléments de cette politique, à savoir les schémas de structure d'aménagement et la politique d'autorisations menée par l'administration.
B.9.1. Par « schéma de structure d'aménagement », il convient d'entendre « un document politique traçant le cadre de la structure spatiale voulue. Il présente une vision à long terme du développement spatial de la zone concernée. Il vise la cohérence dans la préparation, l'établissement et l'exécution des décisions ayant trait à l'aménagement du territoire » (article 2.1.1, alinéa 1er, du Code flamand de l'aménagement du territoire). Des schémas de structure d'aménagement sont établis à trois niveaux : au niveau de la Région flamande, au niveau provincial et au niveau communal (article 2.1.1, alinéa 2, du Code flamand de l'aménagement du territoire). Les schémas de structure d'aménagement ne sont contraignants que pour l'autorité qui a établi le schéma de structure et pour les instances subordonnées à celle-ci. Ils ne constituent pas un fondement pour l'évaluation des demandes de permis (article 2.1.2, § 7, du Code flamand de l'aménagement du territoire).
B.9.2. Les schémas de structure d'aménagement sont donc destinés à l'administration et non au citoyen. Ils constituent le cadre politique sur la base duquel les plans d'exécution spatiaux sont établis, mais ne contiennent, contrairement à ces derniers, aucune prescription de destination contraignante et réglementaire.
B.9.3. Dans certaines conditions, une indemnisation des dommages résultant de la planification spatiale est due en compensation de l'interdiction de bâtir ou de lotir découlant d'une modification de la destination d'une parcelle par un plan d'exécution spatial. Le principe de la sécurité juridique veut que les plans d'affectation soient clairs et ne laissent pas le citoyen dans l'incertitude en ce qui concerne la destination et les possibilités d'utilisation d'un tel bien immeuble.
B.9.4. Si la condition contenue dans l'article 2.6.1, § 3, alinéa 1er, 2°, du Code flamand de l'aménagement du territoire, selon laquelle la parcelle doit être constructible « du point de vue urbanistique » est interprétée en ce sens que cette notion fait référence aux schémas de structure d'aménagement, il est porté une atteinte disproportionnée au droit de propriété des propriétaires concernés, tel qu'il est garanti par les dispositions mentionnées en B.5.1, étant donné qu'un schéma de structure d'aménagement ne produit en soi aucun effet juridique pour le citoyen et ne peut porter atteinte aux prescriptions contraignantes et réglementaires des plans d'affectation, tels qu'ils existaient la veille de l'entrée en vigueur du plan d'exécution spatial définitif et qui pouvaient susciter des attentes légitimes chez le citoyen.
B.9.5. Vu la relation qui existe entre les schémas de structure d'aménagement et les plans d'exécution spatiaux, les prescriptions urbanistiques auxquelles le nouveau plan d'exécution spatial donne corps s'appuient aussi sur les intentions politiques contenues dans les schémas de structure préalables à l'élaboration de ces plans d'exécution, de sorte que la prise en compte de ces schémas de structure par le juge civil, sur la base de l'article 2.6.1, § 3, alinéa 1er, 2°, du Code flamand de l'aménagement du territoire, hypothéquerait aussi, pour cette raison, de manière disproportionnée l'action en réparation des dommages résultant de la planification spatiale.
B.9.6. Dans l'interprétation selon laquelle par la condition contenue dans l'article 2.6.1, § 3, alinéa 1er, 2°, du Code flamand de l'aménagement du territoire, qui exige que la parcelle soit constructible « du point de vue urbanistique » la veille de l'entrée en vigueur du plan d'exécution spatial définitif, sont visés les schémas de structure d'aménagement existants à ce moment-là , la question préjudicielle appelle une réponse affirmative.
B.10. La Cour doit encore examiner si la protection du droit de propriété s'oppose à ce qu'il se soit tenu compte, lors de l'indemnisation des dommages résultant de la planification spatiale, de la politique d'autorisations menée par l'administration, telle qu'elle était appliquée la veille de l'entrée en vigueur du plan d'exécution spatial définitif.
B.11.1. Lorsqu'elle octroie une autorisation urbanistique, l'autorité doit tout d'abord vérifier si la demande est compatible avec les prescriptions de destination contenues dans les prescriptions urbanistiques réglementaires.
B.11.2. Ensuite, l'autorité doit vérifier si la demande est compatible avec le bon aménagement du territoire. Le pouvoir d'appréciation dont elle dispose pour ce faire est défini à l'article 4.3.1, § 2, alinéa 1er, du Code flamand de l'aménagement du territoire.
Cette disposition précise le contenu de la notion de « bon aménagement du territoire », comme suit : « 1° pour autant que cela s'avère nécessaire ou pertinent, la demande est évaluée à l'aide de points d'attention et de critères relatifs à l'adaptabilité fonctionnelle, à l'impact de mobilité, à l'échelle, à l'utilisation spatiale et à la densité de construction, aux éléments visuels/formels, aux aspects historico-culturels et au relief du sol, ainsi qu'aux aspects de nuisance, à la santé, au plaisir d'utilisation et à la sécurité en général, avec une attention particulière pour les objectifs de l'article 1.1.4; 2° lors de l'évaluation de la demande, l'autorité administrative accordant les permis tient compte de la situation existante dans les environs, ainsi que des éventuels développements politiques souhaités par rapport aux points d'attention mentionnés dans le point 1°;3° si ce qui est demandé est situé dans une zone en cours d'aménagement à la suite d'un plan d'exécution spatial, d'un plan d'aménagement communal ou d'un permis de lotir dont il n'est pas dérogé de manière valable, pour autant que ce plan ou ce permis contienne des prescriptions qui traitent et règlent les points d'attention mentionnés dans le point 1°, ces prescriptions sont censées traduire les critères d'un bon aménagement du territoire ». B.11.3. Il ressort de l'article 4.3.1, § 2, alinéa 1er, 3°, du Code flamand de l'aménagement du territoire que le pouvoir d'appréciation de l'administration est limité par les prescriptions réglementaires applicables à une parcelle déterminée. Plus ces prescriptions réglementaires sont détaillées, plus le pouvoir d'appréciation de l'administration est limité.
B.12.1. Un plan d'affectation ne confère au propriétaire aucun droit subjectif à l'obtention d'une autorisation. L'autorité peut se prononcer sur la manière d'exploiter les possibilités de construction, eu égard au bon aménagement du territoire et à l'intérêt général.
B.12.2. Il n'appartient toutefois pas à l'autorité qui délivre les permis de déroger aux prescriptions obligatoires et réglementaires des plans d'affectation spatiaux sur la base d'une option politique récente en matière d'urbanisme ou d'un schéma de structure d'aménagement (CE, 24 juin 2009, n° 194.614).
B.12.3. Sa politique ne peut donc en principe conduire à ce qu'une parcelle ne soit plus constructible à aucun égard ni sous aucune condition, alors qu'elle l'était selon les prescriptions d'affectation réglementaires. Eu égard à la sécurité juridique, un changement dans la politique urbanistique doit d'abord se traduire par une modification des prescriptions de destination.
B.12.4. Si, la veille de l'entrée en vigueur d'un nouveau plan d'exécution spatial, une interdiction totale de bâtir frappait une parcelle dans le cadre de la politique menée par l'administration délivrant les autorisations, alors que, selon les prescriptions de destination en vigueur, cette parcelle était constructible à ce moment, le fait de fonder l'obtention d'une indemnisation des dommages résultant de la planification spatiale sur cette politique entraîne une limitation disproportionnée du droit de propriété, tel qu'il est garanti par les dispositions mentionnées en B.5.1, puisqu'il est porté atteinte aux prescriptions de destination contraignantes et réglementaires, ainsi qu'aux attentes légitimes du propriétaire suscitées par ces dernières.
B.13.1. Le fait de tenir compte de la politique d'autorisations imposerait en outre une charge de preuve démesurément lourde au propriétaire, qui doit démontrer, devant le juge civil, que sa parcelle satisfait aux conditions prévues par l'article 2.6.1, § 3, alinéa 1er, du Code flamand de l'aménagement du territoire. En effet, même si l'administration, lorsqu'elle délivre des autorisations, suit certaines lignes de conduite qui sont généralement connues, il n'empêche que chaque demande d'autorisation doit être examinée concrètement, et que, moyennant motivation, il peut être dérogé à ces lignes de conduite générales.
B.13.2. Il ressort de la genèse de la disposition en cause que les conditions visées à l'article 2.6.1, § 3, alinéa 1er, du Code flamand de l'aménagement du territoire servent à établir si la parcelle en question est objectivement un terrain constructible. Les conditions selon lesquelles la parcelle doit être située le long d'une voie équipée, à proximité d'autres constructions et être constructible du point de vue technique sont des éléments de fait que le propriétaire peut démontrer et qui, en cas de contestation, peuvent faire l'objet d'un examen sur place.
B.13.3. Il ne serait toutefois pas raisonnablement justifié d'exiger du propriétaire qui réclame devant le juge civil une indemnisation des dommages résultant de la planification spatiale que, compte tenu de la politique urbanistique menée par l'administration, il eût obtenu une autorisation dans l'hypothèse où il aurait demandé celle-ci la veille de l'entrée en vigueur du nouveau plan d'exécution spatial.
B.13.4. Ce qui précède n'a toutefois pas pour conséquence qu'une indemnisation des dommages résultant de la planification spatiale sera toujours due lorsque, sur la base d'un plan d'exécution spatial entré en vigueur, une parcelle ne peut plus faire l'objet d'un permis de bâtir ou d'un permis de lotir, alors qu'elle le pouvait encore la veille de l'entrée en vigueur de ce plan. Il doit en effet toujours être satisfait aux conditions fixées à l'article 2.6.1, § 3, alinéa 1er, du Code flamand de l'aménagement du territoire, selon lesquelles la parcelle doit être objectivement un terrain constructible.
B.14. Dans l'interprétation selon laquelle le juge civil, lorsqu'il vérifie si une parcelle était constructible du point de vue urbanistique, doit aussi tenir compte de la politique d'autorisations qui était menée par l'administration la veille de l'entrée en vigueur du plan d'exécution spatial définitif, l'article 2.6.1, § 3, alinéa 1er, 2°, du Code flamand de l'aménagement du territoire viole les articles 10, 11 et 16 de la Constitution, combinés avec l'article 1 du Premier Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme.
B.15. Dans cette interprétation, la question préjudicielle appelle une réponse affirmative.
Par ces motifs, la Cour dit pour droit : L'article 2.6.1, § 3, alinéa 1er, 2°, du Code flamand de l'aménagement du territoire viole les articles 10, 11 et 16 de la Constitution, combinés avec l'article 1 du Premier Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme, dans l'interprétation selon laquelle, pour vérifier si la parcelle était constructible du point de vue urbanistique la veille de l'entrée en vigueur du plan d'exécution spatial définitif, il est également tenu compte de la politique urbanistique, telle qu'elle ressort des schémas de structure et de la politique d'autorisations menée par l'administration.
Ainsi rendu en langue néerlandaise et en langue française, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, le 22 décembre 2016.
Le greffier, F. Meersschaut Le président, E. De Groot