publié le 30 janvier 2017
Extrait de l'arrêt n° 160/2016 du 14 décembre 2016 Numéro du rôle : 6300 En cause : la question préjudicielle relative à l'article III.26, § 2, du Code de droit économique, posée par le Tribunal de première instance néerlandophone de Bru La Cour constitutionnelle, composée des présidents E. De Groot et J. Spreutels, et des juges J.-(...)
COUR CONSTITUTIONNELLE
Extrait de l'arrêt n° 160/2016 du 14 décembre 2016 Numéro du rôle : 6300 En cause : la question préjudicielle relative à l'article III.26, § 2, du Code de droit économique, posée par le Tribunal de première instance néerlandophone de Bruxelles.
La Cour constitutionnelle, composée des présidents E. De Groot et J. Spreutels, et des juges J.-P. Snappe, J.-P. Moerman, E. Derycke, P. Nihoul et R. Leysen, assistée du greffier F. Meersschaut, présidée par le président E. De Groot, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet de la question préjudicielle et procédure Par jugement du 23 octobre 2015 en cause de la SPRL « Algemene Verbouwingswerken LUBO » contre Eli Verhasselt, dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour le 19 novembre 2015, le Tribunal de première instance néerlandophone de Bruxelles a posé la question préjudicielle suivante : « L'article III.26, § 2, du Code de droit économique viole-t-il les articles 10 et 11 de la Constitution, combinés avec l'article 6, paragraphe 1, de la Convention européenne des droits de l'homme, en ce qu'il sanctionne l'entreprise qui fonde une action sur une activité pour laquelle elle n'est pas inscrite à la Banque-Carrefour des Entreprises à la date de l'introduction, en déclarant l'action irrecevable, sans possibilité de régularisation en cours d'instance, ce qui semble une sanction exagérément lourde compte tenu du but de la mesure ? ». (...) III. En droit (...) B.1. La question préjudicielle soumise à la Cour porte sur la compatibilité de l'article III.26, § 2, du Code de droit économique avec les articles 10 et 11 de la Constitution, combinés avec l'article 6.1 de la Convention européenne des droits de l'homme, en ce qu'il sanctionne l'entreprise qui base une action en justice sur une activité pour laquelle elle n'était pas inscrite, à la date d'introduction de son action, à la Banque-Carrefour des Entreprises, en déclarant cette action irrecevable, sans possibilité de régularisation en cours d'instance, « ce qui semble une sanction exagérément lourde, compte tenu du but de la mesure ».
Le juge a quo demande dès lors à la Cour si la disposition en cause fait naître une différence de traitement, en ce qu'elle dénie à une partie l'exercice d'un droit fondamental, à savoir le droit d'accès au juge, alors que ce droit fondamental est garanti à tout autre citoyen.
B.2. L'article III.26 du Code de droit économique dispose : « § 1er. Tout exploit d'huissier notifié à la demande d'une entreprise commerciale ou artisanale mentionnera toujours le numéro d'entreprise.
En l'absence de l'indication du numéro d'entreprise sur l'exploit d'huissier, le tribunal accordera une remise à l'entreprise commerciale ou artisanale en vue de prouver son inscription à la Banque-Carrefour des Entreprises à la date de l'introduction de l'action.
Dans le cas où l'entreprise commerciale ou artisanale ne prouve pas son inscription en cette qualité à la Banque-Carrefour des Entreprises à la date de l'introduction de son action dans le délai assigné par le tribunal ou s'il s'avère que l'entreprise n'est pas inscrite à la Banque-Carrefour des Entreprises, le tribunal déclare d'office l'action de l'entreprise commerciale ou artisanale non recevable. § 2. Dans le cas où l'entreprise commerciale ou artisanale est inscrite en cette qualité à la Banque-Carrefour des Entreprises, mais que son action principale, reconventionnelle ou en intervention, introduite par voie de requête, conclusions ou d'exploit d'huissier, est basée sur une activité pour laquelle l'entreprise n'est pas inscrite à la date de l'introduction de cette action ou qui ne tombe pas sous l'objet social pour lequel l'entreprise est inscrite à cette date, l'action de cette entreprise est non recevable. L'irrecevabilité est cependant couverte si elle n'est pas proposée avant toute autre exception ou moyen de défense ».
B.3. Les sanctions prévues à l'article III.26 du Code de droit économique trouvent leur origine dans l'article 14 de la loi du 16 janvier 2003Documents pertinents retrouvés type loi prom. 16/01/2003 pub. 05/02/2003 numac 2003011027 source service public federal economie, p.m.e., classes moyennes et energie Loi portant création d'une Banque-Carrefour des Entreprises, modernisation du registre de commerce, création de guichets-entreprises agréés et portant diverses dispositions fermer « portant création d'une Banque-Carrefour des Entreprises, modernisation du registre de commerce, création de guichets-entreprises agréés et portant diverses dispositions » et sont « une reformulation des articles 41 et 42 de l'arrêté royal du 20 juillet 1964 relatif au registre du commerce et des articles 28 et 29 de la loi du 18 mars 1965 sur le registre de l'artisanat » (Doc. parl., Chambre, 2002-2003, DOC 50-2058/001, p. 23).
L'article 42 des lois relatives au registre du commerce, coordonnées par l'arrêté royal du 20 juillet 1964, qui remonte lui-même à l'article 37 de la loi du 3 juillet 1956 sur le registre du commerce (Moniteur belge, 25 juillet 1956), énonçait, avant d'être abrogé par l'article 72, 2°, de la loi précitée du 16 janvier 2003, avec effet au 1er juillet 2003 (article 3, § 1er, de l'arrêté royal du 15 mai 2003, Moniteur belge, 19 mai 2003, deuxième édition) : « Est irrecevable toute action principale, reconventionnelle ou en intervention qui trouve sa cause dans une activité commerciale pour laquelle le requérant n'était pas immatriculé lors de l'intentement de l'action.
Cette non-recevabilité est couverte si elle n'est proposée avant toute autre exception ou toute défense ».
B.4.1. Le droit d'accès au juge, qui constitue un aspect du droit à un procès équitable, peut être soumis à des conditions de recevabilité.
Ces conditions ne peuvent cependant aboutir à restreindre le droit de manière telle que celui-ci s'en trouve atteint dans sa substance même.
Tel serait le cas si les restrictions imposées ne tendaient pas vers un but légitime et s'il n'existait pas un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé. La compatibilité de ces limitations avec le droit d'accès à un tribunal dépend des particularités de la procédure en cause et s'apprécie au regard de l'ensemble du procès (CEDH, 24 février 2009, L'Erablière c.
Belgique, § 36; 29 mars 2011, R.T.B.F. c. Belgique, § 69).
B.4.2. Plus particulièrement, les règles relatives aux formalités visent à assurer une bonne administration de la justice et à écarter les risques d'insécurité juridique. Toutefois, ces règles ne peuvent empêcher les justiciables de sauvegarder leurs droits.
De surcroît, « les tribunaux doivent, en appliquant des règles de procédure, éviter à la fois un excès de formalisme qui porterait atteinte à l'équité de la procédure, et une souplesse excessive qui aboutirait à supprimer les conditions de procédure établies par la loi » (CEDH, 25 mai 2004, Kadlec et autres c. République tchèque, § 26; 26 juillet 2007, Walchli c. France, § 29). « En effet, le droit d'accès à un tribunal se trouve atteint lorsque sa réglementation cesse de servir les buts de la sécurité juridique et de la bonne administration de la justice et constitue une sorte de barrière qui empêche le justiciable de voir son litige tranché au fond par la juridiction compétente » (CEDH, 13 janvier 2011, Evaggelou c. Grèce, § 19; 24 mai 2011, Sabri Gunes c. Turquie, § 58).
B.5. La différence de traitement en cause repose sur un critère objectif, à savoir l'inscription complète ou non de l'entreprise ou de l'unité d'établissement à la Banque-Carrefour des Entreprises.
B.6.1. La condition selon laquelle, pour être recevable, l'action intentée doit être fondée sur une activité pour laquelle l'entreprise est inscrite à la Banque-Carrefour des Entreprises à la date de l'introduction de l'action ou qui tombe sous l'objet social pour lequel l'entreprise est inscrite à cette date trouve son origine dans l'objectif général de la loi du 3 juillet 1956 sur le registre du commerce. En effet, à travers cette législation, le législateur entendait réprimer le travail au noir de ceux qui exercent une activité commerciale sans vouloir en supporter les obligations juridiques, sociales ou fiscales et la mesure visait à écarter ces commerçants du prétoire (Ann., Sénat, 1955-1956, séance du 29 novembre 1956, p. 47; Pasin., 1956, pp. 519-520). Cette mesure contribuait dès lors à la lutte contre la concurrence déloyale.
B.6.2. Cet objectif conserve sa pertinence pour les actions basées sur une autre activité que l'activité pour laquelle l'entreprise est inscrite à la Banque-Carrefour des Entreprises à la date d'introduction de l'action, même si la Banque- Carrefour des entreprises peut déjà dûment exécuter ses tâches (article III.15 du Code de droit économique).
B.6.3. L'exigence en cause n'est pas disproportionnée. En effet, l'irrecevabilité de l'action est couverte si l'exception n'est pas soulevée in limine litis (article III.26, § 2, du Code de droit économique).
B.7. La question préjudicielle appelle une réponse négative.
Par ces motifs, la Cour dit pour droit : L'article III.26, § 2, du Code de droit économique ne viole pas les articles 10 et 11 de la Constitution, combinés avec l'article 6.1 de la Convention européenne des droits de l'homme.
Ainsi rendu en langue néerlandaise et en langue française, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, le 14 décembre 2016.
Le greffier, F. Meersschaut Le président, E. De Groot