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Arrêt
publié le 30 janvier 2017

Extrait de l'arrêt n° 159/2016 du 14 décembre 2016 Numéro du rôle : 6295 En cause : la question préjudicielle relative à l'article 23duodecies, §§ 4 et 6, de l'ordonnance de la Région de Bruxelles-Capitale du 17 juillet 2003 portant La Cour constitutionnelle, composée des présidents J. Spreutels et E. De Groot, et des juges J.-(...)

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COUR CONSTITUTIONNELLE


Extrait de l'arrêt n° 159/2016 du 14 décembre 2016 Numéro du rôle : 6295 En cause : la question préjudicielle relative à l'article 23duodecies, §§ 4 et 6, de l'ordonnance de la Région de Bruxelles-Capitale du 17 juillet 2003 portant le Code bruxellois du Logement, posée par le Tribunal de première instance francophone de Bruxelles.

La Cour constitutionnelle, composée des présidents J. Spreutels et E. De Groot, et des juges J.-P. Snappe, J.-P. Moerman, E. Derycke, P. Nihoul et R. Leysen, assistée du greffier F. Meersschaut, présidée par le président J. Spreutels, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet de la question préjudicielle et procédure Par jugement du 16 octobre 2015 en cause de Philippe Leysen contre la Région de Bruxelles-Capitale, dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour le 12 novembre 2015, le Tribunal de première instance francophone de Bruxelles a posé la question préjudicielle suivante : « L'article 23duodecies, §§ 4 et 6, de l'ordonnance du 17 juillet 2003 portant le Code bruxellois du Logement (tel qu'il était en vigueur le 24 décembre 2012) viole-t-il les articles 10 et 11 de la Constitution en ce qu'il ne permet pas au tribunal, statuant en degré d'appel, d'admettre des circonstances atténuantes et de réduire l'amende administrative ? ». (...) III. En droit (...) B.1.1. La question préjudicielle porte sur l'article 23duodecies, §§ 4 et 6, de l'ordonnance de la Région de Bruxelles-Capitale du 17 juillet 2003 portant le Code bruxellois du logement. Dans sa version applicable au litige pendant devant le juge a quo, cet article disposait : « § 1er. Constitue une infraction administrative le fait, pour le propriétaire, l'usufruitier, le superficiaire ou l'emphytéote de l'immeuble, de maintenir inoccupé, tel que défini à l'article 18, § 2 et § 3 du présent Code, un bâtiment ou une partie de bâtiment destiné au logement d'un ou de plusieurs ménages. § 2. Un service chargé de contrôler le respect du présent chapitre est institué, par le Gouvernement, au sein du Ministère de la Région de Bruxelles-Capitale. Sans préjudice de l'article 135 de la nouvelle loi communale, ses agents ont qualité pour rechercher et constater par procès-verbal, faisant foi jusqu'à preuve du contraire, les infractions telles que décrites au § 1er soit d'initiative, soit sur plainte émanant du Collège des bourgmestre et échevins ou d'associations ayant pour objet la défense du droit au logement et jouissant de la personnalité civile pour autant qu'elles soient agréées par le Gouvernement selon des critères qu'il détermine. Ils peuvent visiter le logement entre 8 et 20 heures après qu'un avertissement préalable des personnes visées au § 1er a été envoyé par lettre recommandée au moins une semaine avant la date effective de la visite sur les lieux.

Un exemplaire du procès-verbal constatant l'infraction est transmis au fonctionnaire dirigeant le service. § 3. Lorsqu'une telle infraction est constatée, il est adressé à l'auteur présumé, par le service désigné au § 2, un avertissement le mettant en demeure d'y mettre fin dans les trois mois. La preuve qu'il a été mis fin à l'infraction peut être apportée par toute voie de droit.

L'avertissement est notifié par lettre recommandée à la poste avec accusé de réception. Il mentionne : a) le fait imputé et la disposition légale enfreinte;b) le délai dans lequel il doit être mis fin à l'infraction constatée;c) la sanction administrative encourue;d) qu'en cas de non-paiement éventuel des amendes infligées, il pourra être procédé à la vente publique du logement;e) les coordonnées et un bref descriptif du rôle du Centre d'Information pour le Logement;f) une explication brève des mécanismes du droit de gestion publique et de prise en gestion par une agence immobilière sociale tels que prévus par le présent Code. § 4. L'infraction prévue au § 1er fait l'objet d'une amende administrative s'élevant à un montant de 500 EUR par mètre courant de la plus longue façade multiplié par le nombre de niveaux autres que les sous-sols et les combles non aménagés que comporte le logement.

En cas de bâtiment partiellement inoccupé, l'amende est calculée en divisant celle qui serait due pour le bâtiment entier par le nombre de niveaux qu'il comprend, sous-sols et combles non aménagés non compris, et en multipliant le résultat obtenu par le nombre de niveaux présentant un état d'inoccupation.

Chaque année, le Gouvernement indexe les montants susmentionnés.

A moins que le contrevenant ne prouve que l'inoccupation a été interrompue, le montant de l'amende est multiplié par le nombre d'années durant lesquelles l'infraction a été perpétrée à dater du procès-verbal de la première constatation.

L'amende administrative est infligée, après que l'auteur présumé a été mis en mesure de présenter ses moyens de défense par le fonctionnaire dirigeant le service désigné au § 2. § 5. L'amende administrative doit être payée dans les soixante jours de la notification de la décision nonobstant tout recours.

La demande en paiement de l'amende administrative est prescrite après cinq ans à dater de la notification de la décision définitive. La prescription est interrompue selon les modes et dans les conditions prévues aux articles 2244 et suivants du Code civil.

Le Ministère de la Région de Bruxelles-Capitale est chargé du recouvrement, par voie de contrainte, du montant de l'amende administrative qui est notifiée au contrevenant par lettre recommandée avec injonction de payer.

Le paiement de l'amende administrative est garanti par une hypothèque légale sur le logement, objet de l'infraction, au profit du Ministère de la Région de Bruxelles-Capitale. Cette garantie s'étend à la créance résultant de l'avance du coût des formalités hypothécaires.

L'inscription, le renouvellement, la réduction et la radiation totale ou partielle sont opérés conformément aux dispositions prévues par la législation relative aux hypothèques.

Lorsque le contrevenant demeure en défaut de s'exécuter volontairement, le Ministère de la Région de Bruxelles-Capitale fait procéder, prioritairement à toute autre voie d'exécution forcée, à la vente publique du logement, objet de l'infraction. § 6. Un recours peut être introduit, par voie de requête, devant le tribunal de première instance contre la décision d'imposer une amende administrative dans les trente jours à dater de la notification de la décision.

La disposition de l'alinéa 1er est mentionnée dans la décision par laquelle l'amende administrative est infligée.

Le tribunal doit statuer dans les trois mois du dépôt de la requête visée à l'alinéa 1er. § 7. Le président du tribunal de première instance statuant comme en référé peut ordonner, à la demande des autorités administratives, ou d'une association ayant pour objet la défense du droit au logement et jouissant de la personnalité civile pour autant qu'elle soit agréée par le Gouvernement selon des critères qu'il détermine, que le propriétaire, l'usufruitier, le superficiaire ou l'emphytéote sur le logement prenne toute mesure utile afin d'en assurer l'occupation dans un délai raisonnable. § 8. Cinq pour cent du produit des amendes sont versés dans le ' Fonds droit de gestion publique ' tel qu'institué par l' ordonnance du 20 juillet 2006Documents pertinents retrouvés type ordonnance prom. 20/07/2006 pub. 22/08/2006 numac 2006031393 source ministere de la region de bruxelles-capitale Ordonnance modifiant l'ordonnance du 12 décembre 1991 créant des fonds budgétaires fermer modifiant l'ordonnance du 12 décembre 1991 créant des fonds budgétaires. Quatre-vingt-cinq pour cent de ce produit sont ristournés à la commune sur le territoire de laquelle se situe le bien inoccupé pour autant qu'elle ait expressément exclu les logements inoccupés du champ d'application de son règlement-taxe relatif aux immeubles abandonnés, inoccupés ou inachevés. Elle les affecte au développement de sa politique en matière de logement ».

B.1.2. La Cour est invitée à examiner la compatibilité de cette disposition avec les articles 10 et 11 de la Constitution en ce qu'elle ne permet pas au tribunal, statuant en degré d'appel, d'admettre des circonstances atténuantes et de réduire l'amende administrative.

B.2. En adoptant la disposition en cause, le législateur ordonnanciel bruxellois entendait donner application à l'article 23 de la Constitution qui garantit le droit à un logement décent. Constatant que les dispositifs existants de lutte contre l'inoccupation des logements ne donnaient aucun résultat satisfaisant, de sorte que la situation bruxelloise lui paraissait préoccupante, le législateur ordonnanciel a estimé devoir instaurer une amende « afin d'endiguer ce phénomène » (Doc. parl., Parlement de la Région de Bruxelles-Capitale, 2007-2008, A-497/1, p. 4).

Les développements de la proposition qui a donné lieu à l'ordonnance en cause mentionnent notamment : « Le but de la sanction est donc d'inciter les propriétaires défaillants à remettre leur bien sur le marché afin d'augmenter le stock de logements disponibles. On le voit, la disposition a vocation à remplir une fonction de prévention générale en dissuadant les propriétaires de maintenir leurs biens inoccupés et en les poussant à les réinjecter dans le circuit immobilier » (ibid., p. 6).

B.3.1. Lorsque l'auteur d'un même fait peut être puni de manière alternative, c'est-à-dire lorsque, pour les mêmes faits, il peut, soit être renvoyé devant le tribunal correctionnel, soit se voir infliger une amende administrative contre laquelle un recours lui est offert devant un tribunal, la Cour a jugé qu'un parallélisme doit en principe exister entre les mesures d'individualisation de la peine : lorsque, pour les mêmes faits, le tribunal correctionnel peut infliger une amende inférieure au minimum légal s'il existe des circonstances atténuantes (article 85 du Code pénal) ou lorsqu'il peut accorder un sursis ( loi du 29 juin 1964Documents pertinents retrouvés type loi prom. 29/06/1964 pub. 27/11/2009 numac 2009000776 source service public federal interieur Loi concernant la suspension, le sursis et la probation. - Coordination officieuse en langue allemande fermer), le tribunal, saisi du recours dirigé contre la décision d'infliger une sanction administrative, doit en principe disposer des mêmes possibilités d'individualisation de la peine.

B.3.2. Le raisonnement tenu en B.3.1 ne peut toutefois être reproduit en l'espèce, étant donné que les faits visés par l'article 23duodecies, § 1er, du Code bruxellois du logement, tel qu'il est applicable au litige pendant devant la juridiction a quo, ne constituent pas une infraction pénale et ne peuvent donc pas être poursuivis devant le tribunal correctionnel.

B.4.1. L'amende administrative prévue par la disposition en cause s'élève à 500 euros par mètre courant de la plus longue façade de l'immeuble inoccupé, multipliés par le nombre de niveaux inoccupés, hors sous-sols et combles non aménagés. Elle peut en outre être multipliée par le nombre d'années d'inoccupation, à dater de la première constatation. Elle a une fonction préventive et dissuasive et présente un caractère répressif prédominant.

B.4.2. Cette amende administrative est de nature pénale au sens de l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme.

La Cour doit dès lors prendre en compte, dans le contrôle qu'elle exerce au regard des articles 10 et 11 de la Constitution, les garanties contenues dans cet article 6 et, notamment, la garantie qu'un juge indépendant et impartial puisse exercer un contrôle de pleine juridiction sur l'amende infligée par l'autorité administrative compétente.

B.5. Les garanties contenues à l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme n'exigent pas que toute personne à charge de laquelle est prononcée une amende administrative, qualifiée de sanction pénale au sens de cette disposition, puisse se voir appliquer les mêmes mesures d'adoucissement de la peine que celles dont bénéficie la personne à laquelle est infligée une sanction qualifiée de pénale au sens du droit interne.

B.6. Lorsque le législateur ordonnanciel estime que certains manquements à des dispositions législatives doivent faire l'objet d'une répression, il relève de son pouvoir d'appréciation de décider s'il est opportun d'opter pour des sanctions pénales sensu stricto ou pour des sanctions administratives. Le choix de l'une ou l'autre catégorie de sanctions ne peut être considéré comme établissant en soi une discrimination.

Il n'y aurait discrimination que si la différence de traitement qui découle de ce choix impliquait une restriction disproportionnée des droits des personnes concernées.

B.7. L'appréciation de la gravité d'un manquement et la sévérité avec laquelle ce manquement peut être puni relèvent du pouvoir d'appréciation du législateur. Il peut imposer des peines particulièrement lourdes dans des matières où les infractions sont de nature à porter gravement atteinte aux droits fondamentaux des individus et aux intérêts de la collectivité.

C'est dès lors au législateur qu'il appartient de fixer les limites et les montants à l'intérieur desquels le pouvoir d'appréciation de l'administration et, par conséquent, celui du tribunal, doit s'exercer. La Cour ne pourrait censurer un tel système que s'il était manifestement déraisonnable, notamment parce qu'il porterait une atteinte disproportionnée au principe général qui exige qu'en matière de sanctions rien de ce qui appartient au pouvoir d'appréciation de l'administration n'échappe au contrôle du juge, ou au droit au respect des biens lorsque la loi prévoit un montant disproportionné et n'offre pas un choix qui se situerait entre cette peine, en tant que peine maximale, et une peine minimale.

Hormis de telles hypothèses, la Cour empiéterait sur le domaine réservé au législateur si, en s'interrogeant sur la justification des différences qui existent entre les nombreux textes législatifs prévoyant des sanctions pénales ou administratives, elle ne limitait pas son examen, en ce qui concerne l'échelle des peines et les mesures d'adoucissement de celles-ci, aux cas dans lesquels le choix du législateur contient une incohérence telle qu'il aboutit à une différence de traitement manifestement déraisonnable.

B.8. Ainsi que la Cour l'a jugé par l'arrêt n° 91/2010 du 29 juillet 2010, eu égard à la largeur moyenne de façade des immeubles destinés au logement dans la Région de Bruxelles-Capitale, le montant de l'amende n'est pas déraisonnablement élevé, de sorte que l'ingérence dans le droit au respect des biens occasionnée par la disposition en cause est proportionnée et raisonnablement justifiée (B.4.6.2.3 et B.4.6.3).

Il en résulte qu'en ce qu'elle ne permet pas au tribunal, statuant en degré d'appel, d'admettre des circonstances atténuantes pour réduire l'amende administrative, la disposition en cause ne viole pas les articles 10 et 11 de la Constitution.

B.9. La question préjudicielle appelle une réponse négative.

Par ces motifs, la Cour dit pour droit : L'article 23duodecies, §§ 4 et 6, de l'ordonnance de la Région de Bruxelles-Capitale du 17 juillet 2003 portant le Code bruxellois du Logement, tel qu'il était en vigueur le 24 décembre 2012, ne viole pas les articles 10 et 11 de la Constitution en ce qu'il ne permet pas au tribunal, statuant en degré d'appel, d'admettre des circonstances atténuantes et de réduire l'amende administrative.

Ainsi rendu en langue française et en langue néerlandaise, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, le 14 décembre 2016.

Le greffier, F. Meersschaut Le président, J. Spreutels

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