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Arrêt
publié le 12 août 2016

Extrait de l'arrêt n° 95/2016 du 16 juin 2016 Numéro du rôle : 6234 En cause : la question préjudicielle relative à l'article 9, alinéa 2, de la section 3 du livre III, titre VIII, chapitre II, (...) La Cour constitutionnelle, composée des présidents E. De Groot et J. Spreutels, et des juges L. (...)

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COUR CONSTITUTIONNELLE


Extrait de l'arrêt n° 95/2016 du 16 juin 2016 Numéro du rôle : 6234 En cause : la question préjudicielle relative à l'article 9, alinéa 2, de la section 3 (« Des règles particulières aux baux à ferme ») du livre III, titre VIII, chapitre II, du Code civil, posée par le Juge de paix du deuxième canton de Courtrai.

La Cour constitutionnelle, composée des présidents E. De Groot et J. Spreutels, et des juges L. Lavrysen, A. Alen, J.-P. Snappe, J.-P. Moerman, E. Derycke, T. Merckx-Van Goey, P. Nihoul, F. Daoût, T. Giet et R. Leysen, assistée du greffier F. Meersschaut, présidée par le président E. De Groot, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet de la question préjudicielle et procédure Par jugement du 23 juin 2015 en cause de Ria Cossement contre Rosanne Beyls, dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour le 26 juin 2015, le Juge de paix du deuxième canton de Courtrai a posé la question préjudicielle suivante : « L'article 9, alinéa 2, de la loi sur le bail à ferme viole-t-il les articles 10 et/ou 11 de la Constitution et/ou le principe de non-discrimination contenu dans l'article 14 de la Convention européenne des droits de l'homme et dans l'article 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques en ce que le bailleur qui, à la fin du délai de préavis, a dépassé l'âge de 65 ans est privé de la possibilité de donner congé pour utilisation personnelle (d'une part) alors que le bailleur qui, à la fin du délai de préavis, n'a pas dépassé l'âge de 65 ans n'est pas privé de cette possibilité (d'autre part) ? ». (...) III. En droit (...) B.1.1. La loi du 4 novembre 1969 modifiant la législation sur le bail à ferme et sur le droit de préemption en faveur des preneurs de biens ruraux, dénommée « loi sur le bail à ferme », forme la section 3 (« Des règles particulières aux baux à ferme ») du livre III, titre VIII, chapitre II, du Code civil.

L'article 9 de cette loi dispose : « L'exploitation du bien repris au preneur sur la base du motif déterminé aux articles 7, 1°, et 8, doit consister en une exploitation personnelle, effective et continue pendant neuf années au moins par la personne ou les personnes indiquées dans le congé comme devant assurer cette exploitation ou, s'il s'agit de personnes morales, par leurs organes ou dirigeants responsables et pas seulement par leurs préposés.

Toutefois, le motif du congé consistant en l'exploitation personnelle ne peut être invoqué par des personnes, et s'il s'agit de personnes morales, leurs organes ou dirigeants responsables, qui auraient atteint, au moment de l'expiration du préavis, l'âge de 65 ans, ou de 60 ans lorsqu'il s'agit d'une personne n'ayant jamais été exploitant agricole pendant au moins trois ans; ne peut également invoquer ce motif celui qui, après la cessation de son exploitation agricole, l'a donnée à bail.

De même, le motif du congé en vue de l'exploitation personnelle ne peut pas être invoqué par le titulaire d'un usufruit constitué entre vifs par la volonté de l'homme.

La personne ou les personnes indiquées dans le congé comme devant assurer l'exploitation et, s'il s'agit de personnes morales, leurs organes ou dirigeants responsables doivent : - soit être porteur d'un certificat d'études ou d'un diplôme qui lui a été délivré après avoir suivi avec fruit un cours agricole ou des études à une école d'agriculture ou d'horticulture; - soit être exploitant agricole ou l'avoir été pendant au moins un an au cours des cinq dernières années; - soit avoir participé effectivement pendant au moins un an à une exploitation agricole.

Les personnes morales dont il est question au présent article doivent être constituées conformément à la loi du 12 juillet 1979 créant la société agricole ou sous la forme d'une société de personnes ou d'une société d'une personne à responsabilité limitée. En outre, les personnes qui dirigent l'activité de la société en qualité d'administrateur ou de gérant doivent fournir un travail réel dans le cadre de l'entreprise agricole ».

L'article 7 de la même loi dispose : « Le bailleur peut mettre fin au bail à l'expiration de chaque période s'il justifie de l'existence d'un motif sérieux. Peuvent seuls être admis comme tels, indépendamment de ceux visés à l'article 6 : 1° l'intention manifestée par le bailleur d'exploiter lui-même tout ou partie du bien loué ou d'en céder en tout ou en partie l'exploitation à son conjoint, à ses descendants ou enfants adoptifs ou à ceux de son conjoint ou aux conjoints desdits descendants ou enfants adoptifs. Si le bien loué est ou devient copropriété de plusieurs personnes, il ne peut être mis fin au bail en vue de l'exploitation personnelle au profit d'un copropriétaire, de son conjoint, ses descendants, enfants adoptifs ou de son conjoint ou des conjoints desdits descendants ou enfants adoptifs, que si ce copropriétaire possède au moins la moitié indivise du bien loué ou a reçu sa part en héritage ou par legs; [...] ».

L'article 8, § 1er, de la même loi dispose : « Au cours de chacune des périodes successives de bail, à l'exclusion de la première et de la deuxième, le bailleur peut, par dérogation à l'article 4, mettre fin au bail en vue d'exploiter lui-même l'ensemble du bien loué ou d'en céder la totalité de l'exploitation à son conjoint, ses descendants ou enfants adoptifs ou à ceux de son conjoint ou aux conjoints desdits descendants ou enfants adoptifs ou à ses parents jusqu'au quatrième degré.

Les dispositions de l'article 7, 1°, deuxième alinéa, sont d'application ».

B.1.2. Dans sa version initiale, l'article 9 de la loi sur le bail à ferme disposait : « L'exploitation du bien repris au preneur sur la base du motif déterminé aux articles 7, 1°, et 8, doit consister en une exploitation personnelle, effective et continue pendant neuf années au moins par la personne ou les personnes indiquées dans le congé comme devant assurer cette exploitation et, s'il s'agit de personnes morales, par leurs organes ou dirigeants responsables et pas seulement par leurs préposés ».

Les articles 7, 1°, et 8 de la loi prévoyaient déjà que le motif d'exploitation personnelle recouvrait également la cession de l'exploitation au conjoint, aux descendants du bailleur ou à ses enfants adoptifs ou à ceux de son conjoint. L'article 9 assurait un minimum de garanties pour le preneur évincé, en exigeant une exploitation personnelle, effective et continue par le bénéficiaire du congé.

B.1.3. La loi du 7 novembre 1988 modifiant la législation sur le bail à ferme et la limitation des fermages a, d'une part, étendu la liste des parents pouvant bénéficier du motif d'exploitation personnelle invoqué par le bailleur et, d'autre part, renforcé les conditions de reprise pour exploitation personnelle par le bailleur.

Il ressort des travaux préparatoires de cette loi que le législateur a entendu renforcer la position du preneur vis-à-vis du propriétaire qui désire lui donner congé, tout en préservant « un équilibre entre les intérêts du preneur quant à sa sécurité d'entreprise et ceux du bailleur en tant qu'investisseur en biens ruraux » (Doc. parl., Chambre, 1981-1982, n° 171/40, pp. 7, 8, 11, 47 et 133).

B.2.1. Le juge a quo demande si l'article 9, alinéa 2, de la loi sur le bail à ferme est compatible avec les articles 10 et 11 de la Constitution et avec le principe de non-discrimination, garanti par l'article 14 de la Convention européenne des droits de l'homme et par l'article 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, en ce qu'il prive le bailleur qui a dépassé l'âge de 65 ans à l'expiration du délai de préavis de la possibilité de donner congé pour exploitation personnelle, alors que tel n'est pas le cas pour le bailleur qui n'a pas dépassé l'âge de 65 ans à l'expiration du délai de préavis.

B.2.2. L'article 14 de la Convention européenne des droits de l'homme pouvant seulement être invoqué en combinaison avec un droit ou une liberté figurant dans la Convention, ce qui n'est pas fait dans la question préjudicielle, cette disposition n'est pas applicable en l'espèce. En outre, l'article 14 de la Convention européenne des droits de l'homme et l'article 26 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques n'ajoutent rien au principe d'égalité et de non-discrimination garanti par les articles 10 et 11 de la Constitution. Il n'y a dès lors pas lieu d'inclure ces dispositions conventionnelles dans l'examen de la Cour.

B.3.1. Lorsqu'il a modifié la loi du 4 novembre 1969, le législateur a expressément indiqué qu'il entendait limiter les possibilités de congé pour exploitation personnelle et que ce congé était « désormais uniquement possible en faveur de personnes n'ayant pas atteint l'âge de la pension [...] ou qui disposent d'une expérience professionnelle suffisante » (Doc. parl., Chambre, 1988, n° 531/3, pp. 3 et 8, et Sénat, 1986-1987, n° 586-2, p. 3).

En ce qui concerne plus particulièrement la volonté d'éviter les abus, les travaux préparatoires indiquent : « Il n'est que trop fréquent qu'un propriétaire n'ayant pas la qualité d'exploitant agricole, qui signifie le congé prétendument en vue d'exploiter lui-même le bien loué, obtienne gain de cause. Il suffit parfois que la possibilité existe dans le chef du propriétaire d'exploiter lui-même le bien loué et qu'il fasse valoir toutes sortes de raisons, à première vue acceptables, dont l'appréciation du bien-fondé est laissée entièrement au juge de paix, lequel n'est pas toujours un expert en la matière. De nombreux hectares de terrains agricoles sont ainsi soustraits à leur affectation » (Doc. parl., Chambre, 1981-1982, n° 156/1, p. 4).

B.3.2. Les travaux préparatoires relatifs à l'article 9 de la loi sur le bail à ferme mentionnent ce qui suit : « La proposition de loi n° 171/1 essaie de mieux définir le congé donné pour exploitation personnelle afin d'éviter les abus des bailleurs. Une limite d'âge au moment de l'expiration du préavis est imposée à l'exploitant indiqué dans le congé. Cette limite est de 65 ans ou de 60 ans lorsqu'il s'agit d'une personne n'ayant jamais été exploitant agricole » (Doc. parl., Chambre, 1981-1982, 171/40, p. 58).

En ce qui concerne l'article 9, alinéa 2, en cause, les travaux préparatoires mentionnent ce qui suit : « Il est observé que l'âge limite pour bénéficier de la mesure se justifie pour favoriser l'accès des jeunes agriculteurs à l'exploitation agricole » (ibid., p. 59).

B.4. La disposition en cause fait partie de la législation sur le bail à ferme, qui vise essentiellement à réaliser un juste équilibre entre les intérêts des bailleurs et ceux des preneurs. Afin de garantir la continuité de l'entreprise du preneur, la possibilité de mettre fin unilatéralement au bail à ferme est soumise à des conditions rigoureuses.

La volonté d'offrir une plus grande sécurité d'exploitation aux preneurs, en garantissant la stabilité de leurs investissements sur le bien faisant l'objet du bail à ferme, constitue l'objectif général poursuivi par la législation sur le bail à ferme.

En vertu de l'article 9, alinéa 2, de la loi sur le bail à ferme, les bailleurs qui auront atteint l'âge de 65 ans à l'expiration du délai de préavis ne peuvent donner un congé valable pour exploiter personnellement le bien donné à bail. En revanche, les bailleurs n'ayant pas atteint l'âge de 65 ans à l'expiration du délai de préavis peuvent exploiter personnellement le bien donné à bail.

La différence de traitement repose sur un critère objectif : l'âge du bailleur concerné, à l'expiration du délai de préavis.

Le choix de l'âge de 65 ans est pertinent car il correspond à l'âge auquel le bailleur est raisonnablement supposé pouvoir mettre un terme à sa carrière d'agriculteur.

La mesure en cause n'est pas disproportionnée aux objectifs poursuivis par le législateur, rappelés en B.3.

Le fait que d'autres réglementations prévoiraient d'autres limites d'âge pour l'exercice d'une activité professionnelle ne porte pas atteinte à ce qui précède. Ce raisonnement vaut d'autant plus que le bail à ferme concerne deux parties : le fait que le bailleur reprenne personnellement l'exploitation des terrains donnés à bail antérieurement a des conséquences directes sur l'activité professionnelle du preneur concerné.

B.5. La question préjudicielle appelle une réponse négative.

Par ces motifs, la Cour dit pour droit : L'article 9, alinéa 2, de la section 3 (« Des règles particulières aux baux à ferme ») du livre III, titre VIII, chapitre II, du Code civil ne viole pas les articles 10 et 11 de la Constitution.

Ainsi rendu en langue néerlandaise et en langue française, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, le 16 juin 2016.

Le greffier, F. Meersschaut Le président, E. De Groot

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