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Arrêt
publié le 05 juillet 2016

Extrait de l'arrêt n° 47/2016 du 24 mars 2016 Numéro du rôle : 6152 En cause : la question préjudicielle relative à l'article 342, § 3, du Code des impôts sur les revenus 1992, posée par le Tribunal de première instance du Hainaut, divis La Cour constitutionnelle, composée du président J. Spreutels, du juge A. Alen, faisant fonction(...)

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COUR CONSTITUTIONNELLE


Extrait de l'arrêt n° 47/2016 du 24 mars 2016 Numéro du rôle : 6152 En cause : la question préjudicielle relative à l'article 342, § 3, du Code des impôts sur les revenus 1992, posée par le Tribunal de première instance du Hainaut, division Mons.

La Cour constitutionnelle, composée du président J. Spreutels, du juge A. Alen, faisant fonction de président, et des juges L. Lavrysen, J.-P. Snappe, J.-P. Moerman, E. Derycke et R. Leysen, assistée du greffier P.-Y. Dutilleux, présidée par le président J. Spreutels, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet de la question préjudicielle et procédure Par jugement du 20 mai 2014 en cause de Ashraf Sakeel contre l'Etat belge, dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour le 4 février 2015, le Tribunal de première instance du Hainaut, division Mons, a posé la question préjudicielle suivante : « L'article 342, § 3, du CIR92 viole-t-il les articles 10, 11 et 172 de la Constitution en ce que cette disposition instaure des minima imposables et prive le contribuable de la possibilité d'établir le caractère arbitraire de la taxation opérée par l'administration fiscale, alors que les autres contribuables imposés d'office mais pas sur la base desdits minima disposent de cette faculté ? ». (...) III. En droit (...) B.1.1. L'article 342 du Code des impôts sur les revenus 1992 (CIR 1992), dans sa version applicable à l'exercice d'imposition 2010, dispose : « § 1er. A défaut d'éléments probants fournis soit par les intéressés, soit par l'administration, les bénéfices ou profits visés à l'article 23, § 1er, 1° et 2°, sont déterminés, pour chaque contribuable, eu égard aux bénéfices ou profits normaux d'au moins trois contribuables similaires et en tenant compte, suivant le cas, du capital investi, du chiffre d'affaires, du nombre d'ouvriers, de la force motrice utilisée, de la valeur locative des terres exploitées, ainsi que de tous autres renseignements utiles.

L'administration peut, à cet effet, arrêter, d'accord avec les groupements professionnels intéressés, des bases forfaitaires de taxation.

Les bases forfaitaires de taxation visées à l'alinéa qui précède peuvent être arrêtées pour trois exercices d'imposition successifs.

L'administration peut également arrêter, d'accord avec les groupements professionnels intéressés, des forfaits pour l'évaluation des dépenses ou charges professionnelles qu'il n'est généralement pas possible de justifier au moyen de documents probants. § 2. Le Roi détermine, eu égard aux éléments indiqués au § 1er, alinéa 1er, le minimum des bénéfices imposables dans le chef des firmes étrangères opérant en Belgique. § 3. En cas d'absence de déclaration ou de remise tardive de celle-ci, les minima imposables établis par le Roi en exécution du § 2 sont également applicables à toute entreprise et titulaire de profession libérale ».

B.1.2. Pris en application de la délégation inscrite au paragraphe 2 de l'article précité, l'article 182 de l'arrêté royal du 27 août 1993 d'exécution du CIR 1992 dispose : « § 1er. Le minimum des bénéfices imposables dans le chef des firmes étrangères opérant en Belgique qui sont taxables selon la procédure de comparaison prévue à l'article 342, § 1er, alinéa 1er, du Code des impôts sur les revenus 1992, ainsi que, en cas d'absence de déclaration ou de remise tardive de celle-ci, le minimum des bénéfices imposables dans le chef des entreprises belges, sont fixés comme suit : 1° exploitations agricoles, exploitations horticoles ou pépinières : barème forfaitaire établi pour les contribuables belges exerçant une profession similaire dans la même région agricole;2° entreprises appartenant à : a) l'industrie chimique : 22 000 EUR par membre du personnel (nombre moyen pour l'année envisagée);b) l'industrie alimentaire: 12 000 EUR par membre du personnel (nombre moyen pour l'année envisagée);c) l'industrie métallurgique, l'industrie de la mécanique de précision, les exploitations et les entreprises d'extraction et de transformation de minéraux non énergétiques, l'industrie de la construction et toutes autres industries, exploitations et entreprises, non visées sub a et b ci-avant : 7 000 EUR par membre du personnel (nombre moyen pour l'année envisagée);3° entreprises des secteurs du commerce et de la fourniture de services : a) commerce en gros, commerce de détail, transports, horeca, bureaux d'ingénieurs et d'études, informatique et électronique et autres services aux entreprises : 2,50 EUR par 25 EUR de chiffre d'affaires avec un minimum de 7 000 EUR par membre du personnel (nombre moyen pour l'année envisagée);b) intermédiaires du commerce et des transports : 2,50 EUR par 25 EUR de chiffre d'affaires, avec un minimum de 14 500 EUR par membre du personnel (nombre moyen pour l'année envisagée);c) banques, établissements de crédit et de change : 24 000 EUR par membre du personnel (nombre moyen pour l'année envisagée);d) assurances : 2,50 EUR par 25 EUR de primes encaissées;e) toutes autres exploitations et entreprises de commerce et de fourniture de services : 2,50 EUR par 25 EUR de chiffre d'affaires, avec un minimum de 7 000 EUR par membre du personnel (nombre moyen pour l'année envisagée). § 2. En aucun cas, le montant des bénéfices imposables déterminé conformément au § 1er ne peut être inférieur à 19 000 EUR. En cas d'absence de déclaration ou de remise tardive de celle-ci, le montant minimum prévu à l'alinéa 1er est également applicable aux profits imposables des titulaires de profession libérale. § 3. Les revenus imposables fixés conformément au § 1er ne comprennent pas les plus-values visées à l'article 228, § 2, 9°, g et i, du même Code ».

B.2. Le juge a quo interroge la Cour sur la compatibilité de l'article 342, § 3, du CIR 1992 avec les articles 10, 11 et 172 de la Constitution, en ce que cette disposition instaure des minima imposables et prive le contribuable de la possibilité d'établir le caractère arbitraire de la taxation opérée par l'administration fiscale, alors que les autres contribuables imposés d'office mais pas sur la base desdits minima disposent de cette faculté.

B.3.1. L'article 342 du CIR 1992 constitue un moyen de preuve par présomptions légales dont dispose l'administration pour établir l'existence et le montant de la dette d'impôt lorsque le contribuable néglige pour l'une ou l'autre raison de mettre ces informations à disposition de l'administration. Son champ d'application est limité aux revenus professionnels constitués par les bénéfices ou profits visés à l'article 23, § 1er, 1° et 2°, du CIR 1992. Le législateur prévoit différents modes de preuve pour établir le revenu imposable, notamment une comparaison avec au moins trois contribuables similaires, les bases forfaitaires de taxation et le minimum des bénéfices imposables.

B.3.2. En adoptant l'article 41 de la loi-programme du 11 juillet 2005Documents pertinents retrouvés type loi-programme prom. 11/07/2005 pub. 12/07/2005 numac 2005021090 source service public federal chancellerie du premier ministre Loi-programme fermer, le législateur a étendu le système existant du minimum forfaitaire des bénéfices prévu à l'article 342, § 2, du CIR 1992, jusqu'alors applicable uniquement aux entreprises étrangères opérant en Belgique, à toute entreprise (personne physique et personne morale) et à tout titulaire de profession libérale qui ne remplissent pas de déclaration fiscale à l'impôt sur les revenus ou qui remettent celle-ci en dehors des délais prévus aux articles 308 à 311 du CIR 1992.

B.3.3. L'exposé des motifs du projet devenu la loi-programme précise : « La présente disposition vise à étendre le système existant du minimum forfaitaire des bénéfices prévu à l'article 342, § 2, du Code des impôts sur les revenus 1992 (CIR 92), à toute entreprise (personne physique et personne morale) et titulaire de profession libérale qui ne remplissent pas de déclaration fiscale à l'impôt sur les revenus ou qui remettent celle-ci en dehors des délais prévus aux articles 308 à 311, CIR 92.

Ce système de minima qui s'inscrit dans le cadre de la taxation par présomption légale, et notamment de la taxation par comparaison avec au moins trois contribuables similaires prévue au § 1er de l'article 342 CIR 92, est en effet actuellement applicable uniquement aux entreprises étrangères opérant en Belgique. Pour ces entreprises, l'article 182, AR/CIR 92 fixe forfaitairement et par secteur des minima de bénéfices imposables.

L'extension de ces minima à toute entreprise ou tout titulaire de profession libérale permettrait dès lors d'éviter l'écueil que représente trop souvent pour le fisc l'obligation d'établir une taxation d'office suffisamment motivée en l'absence de déclaration fiscale.

La mesure vise donc à inciter toutes les entreprises et les titulaires de profession libérale à respecter leurs obligations fiscales en matière de dépôt de déclaration.

Cette disposition concrétise ainsi dans son principe la proposition de loi déposée le 22 juillet 2004 par [...] (DOC 51-1300/01) dont elle partage les objectifs, à savoir notamment doter le fisc d'un moyen de défense plus efficace lorsque les entreprises ou les titulaires de profession libérale ne remettent pas de déclaration fiscale ou la remettent tardivement » (Doc. parl., Chambre, 2004-2005, DOC 51-1820/001, p. 30).

B.4.1. Comme cela ressort du texte de l'article 342, § 3, en cause du CIR 1992 et de ses travaux préparatoires, lorsqu'une entreprise ou le titulaire d'une profession libérale établi en Belgique est en défaut de remettre sa déclaration fiscale ou de la remettre dans les délais prescrits, l'absence de déclaration qui en découle a pour effet de permettre à l'administration d'imposer cette catégorie de contribuables en tenant compte de la base forfaitaire minimale fixée par le Roi. Les minimas fixés constituent une présomption légale par comparaison non seulement avec trois contribuables similaires, mais aussi avec tout un secteur ou un groupe de contribuables.

B.4.2. Tant à l'égard des entreprises étrangères visées à l'article 342, § 2, du CIR 1992 qu'à l'égard des entreprises ou des titulaires de professions libérales visés à l'article 342, § 3, le législateur poursuit un même but. Dans les deux cas, il s'agit en effet d'inciter ces catégories de contribuables à respecter leurs obligations fiscales en dotant le fisc d'un moyen de défense plus efficace lorsqu'ils restent en défaut de le faire (Doc. parl., Chambre, 2004-2005, DOC 51-1820/001, p. 30). Dans les deux cas, le législateur recourt à une présomption légale afin de permettre à l'administration fiscale d'établir la base imposable lorsque le contribuable ne fournit pas les informations nécessaires à cet effet, soit à défaut d'éléments probants (article 342, § 2), soit parce qu'il ne remet pas ou remet tardivement sa déclaration (article 342, § 3). L'efficacité des contrôles fiscaux constitue un motif d'intérêt général et la poursuite de celle-ci est un objectif légitime.

B.4.3. L'établissement de modes de preuve particuliers pour déterminer la base d'imposition applicable aux revenus des entreprises ou titulaires de professions libérales peut se justifier par une plus grande difficulté, pour l'administration fiscale, d'établir le montant des revenus que les titulaires de professions libérales perçoivent, ces revenus provenant de sources diverses et étant susceptibles de varier fortement d'une année à l'autre, alors que les rémunérations des travailleurs salariés sont en principe déterminées à l'avance et ne sont pas soumises à des variations aléatoires.

B.5.1. La Cour doit toutefois examiner si le législateur n'a pas porté une atteinte disproportionnée aux droits des contribuables visés à l'article 342, § 3, du CIR 1992 en permettant à l'administration de leur appliquer des minimas imposables fixés par l'article 182 de l'arrêté d'exécution du CIR 1992, lorsque ces contribuables sont restés en défaut de rentrer une déclaration d'impôt ou de la remettre dans les délais.

Pour répondre à la question préjudicielle, la Cour doit plus particulièrement contrôler la compatibilité, au regard des articles 10, 11 et 172 de la Constitution, de l'article 342, § 3, du CIR 1992, en ce qu'il prive les contribuables visés par cette disposition de la possibilité d'établir le caractère arbitraire de la taxation opérée par l'administration fiscale, alors que les autres contribuables imposés d'office disposent de cette faculté.

B.5.2. La question préjudicielle invite la Cour à comparer le régime applicable aux contribuables taxés d'office sur la base de l'article 342, § 1er, du CIR 1992 avec celui qui est applicable aux contribuables taxés d'office sur la base de l'article 342, § 3, du CIR 1992 parce qu'ils n'ont pas remis de déclaration ou qu'ils ont remis cette déclaration tardivement.

Contrairement à ce que soutient le Conseil des ministres, la question précise ainsi les catégories de contribuables qui doivent être comparées.

B.5.3. Concernant la mesure en cause, il a été mentionné dans les travaux préparatoires : « Le Gouvernement tient à préciser à ce sujet que la mesure proposée s'inscrit dans le cadre de la procédure de taxation d'office prévue aux articles 351 à 352bis, CIR 92 dont elle tend uniquement à accélérer la mise en oeuvre par une estimation forfaitaire de la base imposable. De la sorte, le contribuable taxé par application des minima de bénéfices ou de profits imposables du fait du non-respect de ses obligations fiscales en matière de déclaration, conserve l'ensemble des droits prévus par cette procédure, notamment le droit d'apporter la preuve du chiffre exact de ses revenus imposables, conformément à l'article 352, alinéa 1er, CIR 92.

De plus, la nouvelle mesure se rattache à la présomption légale de l'article 342, CIR 92, mais uniquement pour les contribuables qui n'ont pas introduit leur déclaration ou qui l'ont fait tardivement. Il convient à ce sujet d'attirer l'attention sur le fait que les minima fixés consistent en soi également en une présomption légale par comparaison non seulement avec trois contribuables similaires, mais avec tout un secteur ou un groupe de contribuables » (Doc. parl., Chambre, 2004-2005, DOC 51-1820/001, p. 31).

B.5.4. L'article 342, § 3, du CIR 1992 est par conséquent lié à la procédure de taxation d'office visée aux articles 351 à 352bis du même Code et elle a pour but d'en accélérer l'application en prévoyant une estimation forfaitaire de la base imposable. La procédure de taxation d'office a pour effet de renverser la charge de la preuve en ce qui concerne la détermination du montant imposable.

B.5.5. Avant d'établir l'imposition d'office, l'administration notifie, par lettre recommandée à la poste, au contribuable n'ayant pas remis ou ayant remis tardivement sa déclaration les motifs du recours à cette procédure, le montant des revenus et autres éléments sur lesquels la taxation sera basée, ainsi que le mode de détermination de ces revenus et éléments (article 351, alinéa 2). En principe, le contribuable dispose d'un délai d'un mois pour faire valoir ses observations et la cotisation ne peut être établie avant l'expiration de ce délai (article 351, alinéa 3).

B.5.6. Conformément à l'article 352 du CIR 1992, le contribuable a, en outre, toujours le droit de contester la cotisation forfaitaire en apportant la preuve contraire, c'est-à-dire le chiffre exact de ses revenus.

B.6. Il ressort de ce qui précède que la disposition en cause est un moyen pertinent pour atteindre l'objectif rappelé en B.4.2 qui consiste à fournir à l'administration les éléments nécessaires pour pouvoir établir la cotisation fiscale. Elle n'a pas non plus d'effets disproportionnés dès lors que la présomption légale qui en résulte peut être renversée par le contribuable défaillant en apportant la preuve du montant exact des revenus générés par l'exercice de sa profession. Par ailleurs, en cas de déclaration tardive, le contribuable peut invoquer la force majeure si les conditions sont remplies.

B.7. La Cour doit encore examiner si le contribuable imposé d'office sur la base de l'article 342, § 3, peut, sans apporter la preuve du montant exact des revenus générés par l'exercice de sa profession, établir le caractère arbitraire de la taxation opérée par l'administration fiscale.

Comme le relève le Conseil des ministres, tous les contribuables qui sont imposés d'office, que ce soit sur la base des minima imposables ou sur une autre base, sont soumis à une même procédure et disposent de droits semblables. Ceci ressort de l'article 352, alinéa 1er, du CIR 1992, comme il est mentionné dans les travaux préparatoires cités en B.5.3. Ils ont donc le droit de contester la cotisation forfaitaire en prouvant que la base imposable a été déterminée arbitrairement par l'administration parce qu'elle a commis une erreur de droit ou s'est fondée sur des faits inexacts ou a déduit de faits exacts des conséquences que ces faits ne peuvent justifier. La procédure de taxation d'office a pour effet de renverser la charge de la preuve en ce qui concerne le revenu imposable; elle ne dispense cependant pas l'administration de prendre en compte des éléments probants permettant de déterminer le revenu du contribuable. Le renversement de la charge de la preuve est inhérent à la procédure de taxation d'office.

Dès lors que tous les contribuables imposés d'office ont la possibilité d'établir le caractère arbitraire de la taxation opérée par l'administration fiscale, la question préjudicielle appelle une réponse négative.

Par ces motifs, la Cour dit pour droit : L'article 342, § 3, du Code des impôts sur les revenus 1992 ne viole pas les articles 10, 11 et 172 de la Constitution.

Ainsi rendu en langue française et en langue néerlandaise, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, le 24 mars 2016.

Le greffier, P.-Y. Dutilleux Le président, J. Spreutels

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