publié le 08 février 2016
Extrait de l'arrêt n° 180/2015 du 17 décembre 2015 Numéro du rôle : 6087 En cause : la question préjudicielle concernant l'article 38, § 3, du décret de la Région wallonne du 12 avril 2001 relatif à l'organisation du marché régional de l La Cour constitutionnelle, composée des présidents J. Spreutels et A. Alen, et des juges L. Lavr(...)
COUR CONSTITUTIONNELLE
Extrait de l'arrêt n° 180/2015 du 17 décembre 2015 Numéro du rôle : 6087 En cause : la question préjudicielle concernant l'article 38, § 3, du décret de la Région wallonne du 12 avril 2001 relatif à l'organisation du marché régional de l'électricité, tel qu'il a été remplacé par l'article 13 du décret du 4 octobre 2007, posée par le Conseil d'Etat.
La Cour constitutionnelle, composée des présidents J. Spreutels et A. Alen, et des juges L. Lavrysen, J.-P. Snappe, J.-P. Moerman, E. Derycke et R. Leysen, assistée du greffier F. Meersschaut, présidée par le président J. Spreutels, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet de la question préjudicielle et procédure Par arrêt n° 229.118 du 12 novembre 2014 en cause de la SA « I.B.V. & Cie » (Industrie du bois de Vielsalm & Cie) contre la Région wallonne, dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour le 17 novembre 2014, le Conseil d'Etat a posé la question préjudicielle suivante : « L'article 38, § 3, du décret wallon du 12 avril 2001 relatif au marché régional de l'électricité, s'il est interprété comme excluant du bénéfice du mécanisme des doubles certificats verts les déchets de bois non susceptibles de faire l'objet d'un réemploi ou d'un recyclage, plutôt que comme excluant exclusivement du bénéfice du mécanisme des doubles certificats verts les déchets de bois susceptibles de faire l'objet d'un réemploi ou d'un recyclage, viole-t-il les articles 10 et 11 de la Constitution ? ». (...) III. En droit (...) B.1.1. Tel qu'il a été remplacé par l'article 13 du décret du 4 octobre 2007, l'article 38 du décret de la Région wallonne du 12 avril 2001 « relatif à l'organisation du marché régional de l'électricité » dispose : « § 1er. Après avis de la CWaPE, le Gouvernement détermine les conditions d'attribution et fixe les modalités et la procédure d'octroi des certificats verts attribués à l'électricité verte produite en Région wallonne dans le respect des dispositions suivantes. § 2. Un certificat vert sera attribué pour un nombre de kWh produits correspondant à 1 MWh divisé par le taux d'économie de dioxyde de carbone.
Le taux d'économie de dioxyde de carbone est déterminé en divisant le gain en dioxyde de carbone réalisé par la filière envisagée par les émissions de dioxyde de carbone de la filière électrique classique dont les émissions sont définies et publiées annuellement par la CWaPE. Ce taux d'économie de dioxyde de carbone est limité à 1 pour la production générée par installation au-delà de la puissance de 5 MW. En dessous de ce seuil, il est plafonné à 2. § 3. Toutefois, lorsqu'une installation valorisant principalement de la biomasse à l'exception du bois, issue d'activités industrielles développées sur le lieu de l'installation de production, met en oeuvre un processus particulièrement innovant et s'inscrit dans une perspective de développement durable, le Gouvernement peut, après avis de la CWaPE sur le caractère particulièrement innovant du processus utilisé, décider de limiter à 2 le taux d'économie de dioxyde de carbone pour l'ensemble de la production de l'installation résultant de la somme des puissances développées sur le même site de production, dans une limite inférieure à 20 MW. § 4. Les émissions de dioxyde de carbone envisagées aux paragraphes 2 et 3 sont celles produites par l'ensemble du cycle de production de l'électricité verte, englobant la production et le transport du combustible, les émissions lors de la combustion éventuelle et, le cas échéant, le traitement des déchets. Dans une installation hybride, il est tenu compte de l'ensemble des émissions de l'installation.
Les différents coefficients d'émission de dioxyde de carbone de chaque filière considérée sont approuvés par la CWaPE. § 5. Après avis de la CWaPE, le Gouvernement peut diminuer le nombre de certificats verts octroyés conformément aux paragraphes 1er et 2 en fonction de l'âge de l'installation de production d'électricité verte, de sa rentabilité et de la filière de production. § 6. Par dérogation au paragraphe 2, le Gouvernement peut, après avis de la CWaPE, appliquer un coefficient multiplicateur, le cas échéant dégressif en fonction du temps, au nombre de certificats verts octroyés conformément aux paragraphes 1er et 2 pour l'électricité produite à partir de panneaux solaires photovoltaïques, selon les modalités qu'il détermine. § 7. La CWaPE attribue les certificats verts aux producteurs d'électricité verte. Ces certificats sont transmissibles. § 8. En ce qui concerne les installations de production hydroélectriques, de cogénération de qualité ou de production d'électricité à partir de biomasse, les certificats verts sont attribués à l'électricité produite par ces installations jusqu'à une puissance électrique de 20 MW ».
B.1.2. Cet article fait partie du chapitre X du décret, intitulé « Promotion des sources d'énergie renouvelables et de la cogénération de qualité ».
B.1.3. Le système des certificats verts mis en oeuvre par le décret en cause est destiné à encourager l'utilisation de sources d'énergie renouvelables ainsi que le processus de cogénération. Il fonctionne selon les règles d'un marché. Un certificat vert est un titre transmissible octroyé aux producteurs d'électricité verte, définie par l'article 2, 11°, du décret comme « l'électricité produite à partir de sources d'énergie renouvelables ou de cogénération de qualité dont la filière de production génère un taux minimum de 10 % d'économie de dioxyde de carbone par rapport aux émissions de dioxyde de carbone, définies et publiées annuellement par la CWaPE, d'une production classique dans des installations modernes de référence visées à l'article 2, 7° ».
B.1.4. Après quelques années, le Gouvernement wallon a constaté que « certains projets particuliers, qui sont porteurs pour la filière des énergies renouvelables en Région wallonne et font appel à des technologies innovantes en la matière, pourraient nécessiter un soutien supplémentaire » (Doc. parl., Parlement wallon, 2006-2007, n° 639/1, p. 3). L'article 38, § 3, du décret précité « vise à permettre au Gouvernement d'encourager particulièrement les projets importants, mettant en oeuvre une technologie de pointe et qui s'inscrivent dans une perspective de développement durable » (ibid., p. 10), en accordant à ces projets un nombre plus élevé de certificats verts.
B.2. L'article 57 du décret du 17 juillet 2008 « modifiant le décret du 12 avril 2001 relatif à l'organisation du marché régional de l'électricité » dispose : « L'article 38, § 3, du même décret [du 12 avril 2001] est interprété en ce sens que l'exclusion des installations valorisant le bois du bénéfice du régime qu'il prévoit, s'entend des installations valorisant toute matière ligno-cellulosique issue de l'arbre, de tout feuillus et de tout résineux sans exception (y compris les taillis à courte ou très courte rotation), avant et/ou après tout type de transformation ».
Par son arrêt n° 180/2009 du 12 novembre 2009, la Cour a jugé que l'article 57 précité donnait « au terme ' bois ' le sens que celui-ci pouvait raisonnablement recevoir dès l'adoption de l'article 38, § 3, du décret électricité et que le législateur décrétal wallon a voulu lui donner. L'effet rétroactif de la disposition attaquée, tel qu'il est dénoncé par la partie requérante, est en conséquence justifié par son caractère interprétatif » (B.9).
B.3. Le Conseil d'Etat interroge la Cour sur la compatibilité avec les articles 10 et 11 de la Constitution de l'article 38, § 3, du décret du 12 avril 2001 précité, s'il est interprété comme excluant du bénéfice du mécanisme des doubles certificats verts les déchets de bois non susceptibles de faire l'objet d'un réemploi ou d'un recyclage, plutôt que comme excluant exclusivement du bénéfice du mécanisme des doubles certificats verts les déchets de bois susceptibles de faire l'objet d'un réemploi ou d'un recyclage.
B.4. Dans la même affaire, le Conseil d'Etat a déjà interrogé la Cour sur la compatibilité avec les articles 10 et 11 de la Constitution de l'article 38, § 3, du décret du 12 avril 2001 précité en ce qu'il exclut de son champ d'application les installations de cogénération valorisant du bois ou des déchets de bois, à la différence des installations de cogénération valorisant tout autre type de déchets.
La Cour a répondu négativement à cette question préjudicielle par son arrêt n° 27/2014 du 13 février 2014, après avoir interrogé la Cour de justice de l'Union européenne sur l'interprétation à donner à l'article 7 de la directive 2004/8/CE du Parlement européen et du Conseil du 11 février 2004 « concernant la promotion de la cogénération sur la base de la demande de chaleur utile dans le marché intérieur de l'énergie et modifiant la directive 92/42/CEE », combiné, le cas échéant, avec les articles 2 et 4 de la directive 2001/77/CE du Parlement européen et du Conseil du 27 septembre 2001 « relative à la promotion de l'électricité produite à partir de sources d'énergie renouvelables sur le marché intérieur de l'électricité » et avec l'article 22 de la directive 2009/28/CE du Parlement européen et du Conseil du 23 avril 2009 « relative à la promotion de l'utilisation de l'énergie produite à partir de sources renouvelables et modifiant puis abrogeant les directives 2001/77/CE et 2003/30/CE », à la lumière du principe général d'égalité, de l'article 6 du Traité sur l'Union européenne et des articles 20 et 21 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne. La Cour de justice a répondu à cette question préjudicielle par son arrêt C-195/12 du 26 septembre 2013.
B.5. Dans la présente affaire, le Conseil d'Etat relève que, dans l'arrêt n° 27/2014 précité, la Cour constitutionnelle donne de multiples indications propres à conduire à la conclusion que le traitement identique des déchets de bois valorisables autrement que par cogénération et des déchets de bois non valorisables autrement n'est pas contraire aux articles 10 et 11 de la Constitution. Le Conseil d'Etat ajoute que la Cour n'a cependant pas statué explicitement sur la constitutionnalité de cette identité de traitement et a expressément indiqué qu'elle n'avait pas à se prononcer sur ce point parce qu'elle n'en était pas saisie. Le Conseil d'Etat relève que la question posée dans le dernier mémoire porte spécifiquement sur la constitutionnalité du sort identique fait aux déchets de bois valorisables autrement que par cogénération et aux déchets de bois valorisables exclusivement par cogénération. Le Conseil d'Etat relève ensuite que, dans les conclusions qu'il a présentées devant la Cour de justice de l'Union européenne (points 87 et suivants), l'avocat général avait fait la distinction entre la biomasse issue du bois et la biomasse issue des déchets de bois, ceux-ci étant compris comme ceux qui « ne sont pas susceptibles d'être utilisés par la filière industrielle du bois » (point 89), ou, en d'autres termes, comme ce que la partie requérante appelle les déchets de bois non valorisables autrement que par la cogénération. Cette distinction ne trouve cependant pas d'écho dans l'arrêt de la Cour de justice.
B.6. Dans l'arrêt n° 27/2014 précité, la Cour précise effectivement en B.14.1 : « Il ne peut davantage être soutenu, contrairement à ce que prétend la partie requérante devant le Conseil d'Etat, que les déchets de bois non recyclés ni réutilisés ne sont pas comparables aux déchets de bois susceptibles d'être réutilisés ou recyclés. En effet, le soutien financier apporté à la combustion de déchets de bois dans une installation de cogénération peut avoir une influence sur l'environnement, que ces déchets soient ou non recyclables ou réutilisables. En outre, ces deux catégories de déchets de bois sont issues d'une même matière première et donc d'une ressource renouvelable disponible en quantité identique.
En toute hypothèse, la question préjudicielle adressée à la Cour ne porte pas sur l'identité de traitement entre ces deux types de déchets de bois et il n'appartient pas aux parties devant le juge a quo de reformuler la question préjudicielle que ce dernier a posée à la Cour ».
La présente question préjudicielle invite la Cour à se prononcer sur l'identité de traitement établie par la disposition en cause, dans l'interprétation que lui donne le Conseil d'Etat, à savoir le traitement égal des déchets de bois qui ne sont pas susceptibles de faire l'objet d'un réemploi ou d'un recyclage et de ceux qui le sont.
B.7. Comme la Cour l'a précisé dans l'arrêt n° 27/2014 précité, la disposition en cause vise à assurer la transposition des directives 2004/8/CE et 2001/77/CE et il convient de prendre en compte, dans l'examen de sa compatibilité avec les articles 10 et 11 de la Constitution, les objectifs poursuivis par ces directives et, plus généralement, par le droit de l'Union européenne en matière de protection de l'environnement.
Compte tenu de la haute technicité de la matière en cause, il y a lieu de reconnaître au législateur compétent une marge d'appréciation étendue et il ne peut lui être reproché d'avoir appréhendé la diversité des situations de manière simplifiée et approximative.
B.8.1. Plus particulièrement, la Cour relève, à l'instar de la Cour de justice dans son arrêt du 26 septembre 2013 précité, que les installations de cogénération valorisant du bois ou des déchets de bois et celles qui valorisent tout autre type de déchets peuvent être considérées comme étant dans des situations fondamentalement distinctes, compte tenu des conséquences environnementales et économiques très différentes qui découlent, pour ces différents types d'installations, de l'application d'un mécanisme de soutien à la cogénération comme le mécanisme du « double certificat vert ».
B.8.2. Comme la Cour l'a précisé dans son arrêt n° 27/2014, l'octroi d'un double certificat vert à des installations de cogénération utilisant des déchets de bois non recyclables ni réutilisables ne serait pas sans incidence sur la disponibilité de la ressource ou sur le risque de déforestation ou d'augmentation du taux de CO2 dans l'atmosphère (B.13.2, alinéa 1er).
Il convient en effet de tenir compte de l'attractivité supplémentaire que représente, dans sa totalité, une matière première comme le bois, lorsque la valorisation énergétique de ses résidus, qu'ils soient ou non recyclables ou réutilisables, peut faire l'objet d'un mécanisme de soutien financier. Cet effet doit être d'autant plus pris en compte lorsque, comme en l'espèce, c'est l'entreprise qui transforme la matière première qui utilise, par la suite, les résidus de bois aux fins d'une cogénération susceptible d'être soutenue financièrement par les pouvoirs publics.
B.8.3. Comme la Cour l'a par ailleurs relevé dans son arrêt n° 27/2014 précité, le Gouvernement wallon a, à juste titre, souligné la nécessité de réguler le marché de l'électricité verte. Il a par ailleurs étayé, au moyen d'éléments qui n'apparaissent pas sans justification raisonnable et notamment d'études universitaires, le risque de déséquilibre tant pour le marché des certificats verts que pour la filière industrielle du bois qui découlerait d'une extension du mécanisme du double certificat vert aux installations de cogénération utilisant le bois ou des déchets de bois (B.13.3, alinéa 1er).
A cet égard, et comme l'a indiqué la Cour de justice au point 57 de son arrêt précité, le bon fonctionnement des mécanismes de soutien financier au développement de la cogénération et des sources d'énergie renouvelables permet de faciliter la réalisation des objectifs poursuivis par les directives européennes que le législateur décrétal wallon a transposées.
Compte tenu de la marge d'appréciation qu'il convient de reconnaître en la matière au législateur compétent et du caractère a priori raisonnable des éléments sur lesquels il s'appuie, il n'appartient pas à la Cour de remettre en cause l'analyse du législateur décrétal, au seul motif que d'autres études, invoquées par la partie requérante devant le Conseil d'Etat, permettraient d'aboutir à une conclusion différente.
B.9. Les déchets de bois qui ne sont pas susceptibles de faire l'objet d'un réemploi ou d'un recyclage ne sont pas essentiellement différents des déchets de bois qui sont susceptibles de faire l'objet d'un réemploi ou d'un recyclage et peuvent dès lors être raisonnablement traités de manière identique par la disposition en cause. En effet, le soutien financier apporté à la combustion de déchets de bois dans une installation de cogénération peut avoir une influence sur l'environnement, que ces déchets soient ou non recyclables ou réutilisables. En outre, ces deux catégories de déchets sont issues d'une même matière première, le bois, et donc d'une ressource renouvelable disponible en quantité identique.
B.10. L'identité de traitement en cause n'est pas incompatible avec les articles 10 et 11 de la Constitution.
B.11. La question préjudicielle appelle une réponse négative.
Par ces motifs, la Cour dit pour droit : L'article 38, § 3, du décret de la Région wallonne du 12 avril 2001 relatif à l'organisation du marché régional de l'électricité, tel qu'il a été remplacé par l'article 13 du décret du 4 octobre 2007, ne viole pas les articles 10 et 11 de la Constitution.
Ainsi rendu en langue française et en langue néerlandaise, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, le 17 décembre 2015.
Le greffier, F. Meersschaut Le président, J. Spreutels