publié le 07 septembre 2015
Extrait de l'arrêt n° 100/2015 du 2 juillet 2015 Numéros du rôle : 5954 et 6032 En cause : les recours en annulation de l'article 1 er du décret de la Région wallonne du 20 février 2014 modifiant le décret du 12 février 2004 organis La Cour constitutionnelle, composée des présidents J. Spreutels et A. Alen, et des juges E. De G(...)
Extrait de l'arrêt n° 100/2015 du 2 juillet 2015 Numéros du rôle : 5954 et 6032 En cause : les recours en annulation de l'article 1er du décret de la Région wallonne du 20 février 2014 modifiant le décret du 12 février 2004 organisant les provinces wallonnes, introduits par la province du Brabant wallon et par la province de Namur.
La Cour constitutionnelle, composée des présidents J. Spreutels et A. Alen, et des juges E. De Groot, L. Lavrysen, J.-P. Moerman, F. Daoût et T. Giet, assistée du greffier P.-Y. Dutilleux, présidée par le président J. Spreutels, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet des recours et procédure a. Par requête adressée à la Cour par lettre recommandée à la poste le 3 juillet 2014 et parvenue au greffe le 7 juillet 2014, un recours en annulation de l'article 1er du décret de la Région wallonne du 20 février 2014 modifiant le décret du 12 février 2004 organisant les provinces wallonnes (publié au Moniteur belge du 19 mars 2014) a été introduit par la province du Brabant wallon, assistée et représentée par Me J.Bourtembourg, avocat au barreau de Bruxelles. b. Par requête adressée à la Cour par lettre recommandée à la poste le 11 septembre 2014 et parvenue au greffe le 12 septembre 2014, un recours en annulation de la même disposition décrétale a été introduit par la province de Namur, assistée et représentée par Me J. Bourtembourg, avocat au barreau de Bruxelles.
Ces affaires, inscrites sous les numéros 5954 et 6032 du rôle de la Cour, ont été jointes. (...) II. En droit (...) B.1.1. L'article 1er du décret de la Région wallonne du 20 février 2014 « modifiant le décret du 12 février 2004 organisant les provinces wallonnes » dispose : « Dans le Titre XIII du décret du 12 février 2004 organisant les provinces wallonnes, il est inséré un article 128/1 rédigé comme suit : '
Art. 128/1.Sans préjudice des dispositions légales, décrétales ou réglementaires qui confient de façon explicite et expresse des pouvoirs aux provinces, les conseils et les collèges provinciaux ne peuvent pas, en vertu de l'intérêt provincial, prendre de délibérations ayant pour objet des matières visées à l'article 6, § 1er, IV, de la loi spéciale de réformes institutionnelles du 8 août 1980.
Par dérogation à l'alinéa 1er, les provinces peuvent exercer des compétences dans les matières visées par l'article 6, § 1er, IV, de la loi spéciale de réformes institutionnelles du 8 août 1980 pour autant qu'il s'agisse uniquement de la reproduction de mesures ou de la poursuite de l'application de mesures prises antérieurement dans ces matières. Le présent alinéa cesse de produire ses effets au 1er janvier 2015.
Toute décision prise en exécution d'une délibération du collège ou du conseil provincial et octroyant une aide financière à une personne physique ou morale avant le 1er janvier 2015 s'étalant sur plusieurs années, continue de produire ses effets après le 1er janvier 2015 selon les règles en vigueur au moment de la décision d'octroi ' ».
B.1.2. Cette disposition a été justifiée, de façon générale, comme suit : « Depuis 2001, la législation régissant l'institution provinciale a été, pour l'essentiel, régionalisée. La Région wallonne réglemente depuis lors l'organisation, l'administration et les finances de la Province. Cette législation fut définie dans le décret du 31 janvier 2004 [lire : du 12 février 2004] organisant les provinces wallonnes, dont la quasi-totalité des dispositions ont été codifiées depuis et se retrouvent actuellement sous le Livre II de la deuxième partie du Code de la Démocratie Locale et de la Décentralisation. Dans le cadre de ses compétences, la Région wallonne dispose donc de nombreux leviers permettant d'encadrer ce niveau de pouvoir.
La Déclaration de Politique Régionale, en ses pages 255 et 256, pose les jalons d'une réforme de l'institution provinciale. Une part non-négligeable de cette réforme consiste en un « réaménagement des compétences provinciales guidé par les principes de cohérence, de subsidiarité et d'efficacité », le Gouvernement soutenant l'idée que ' les Provinces doivent concentrer leur action dans les domaines où une action à l'échelle supra-communale présente une plus-value '. Ce principe a pour corollaire que ' les compétences provinciales où les Communautés, la Région ou les communes peuvent intervenir de façon plus efficace soient abandonnées par les provinces et confiées à ces Communautés, Région ou communes '. La Déclaration identifie le logement et l'énergie comme deux de ces compétences à abandonner.
Un examen approfondi des initiatives menées par les Provinces au nom de l'intérêt provincial tel que défini aux articles 41 et 162 de la Constitution confirme l'analyse des partenaires de la majorité politique wallonne. Il apparaît clairement qu'en matière de logement ou d'énergie, la plupart des actions menées par les Provinces viennent en complément de celles proposées par la Région : c'est le cas des dispositifs de primes au logement et à l'énergie, du soutien aux agences immobilières sociales via des subventions et des actions de soutien financier en matière de création ou de rénovation de logements sociaux. Ces compétences n'ont d'ailleurs pas un caractère substantiel pour les provinces. Cette situation confronte les bénéficiaires potentiels de ces politiques à des interlocuteurs multiples, ne facilitant pas l'accès de chacun aux bénéfices de l'action publique dans le domaine. En outre, cette démultiplication est génératrice de coûts.
La motivation du transfert des compétences provinciales dans ce secteur vers le(s) niveau(x) de pouvoir le(s) plus approprié(s) est qu'il permettra de donner une plus grande cohérence aux politiques qui y sont menées. Les dispositifs de primes, par exemple, y gagneront une meilleure lisibilité pour le citoyen.
Afin de garantir un meilleur exercice des compétences relatives au logement et à l'énergie et la réalisation d'économies d'échelle, le présent projet de décret contient les dispositions nécessaires à l'abandon des politiques menées par les Provinces dans ces matières en vertu de l'intérêt provincial. Il s'insère dans le titre XIII du décret du 12 février 2004 organisant les provinces wallonnes qui est consacré aux dispositions particulières.
Le projet de décret a pour objectif - Dès la publication du décret, d'empêcher les provinces de prendre de nouvelles initiatives en matière de logement et d'énergie sur base de l'intérêt provincial tout en leur permettant de reproduire les mesures prises antérieurement et ce jusqu'au 1er janvier 2015; - au 1er janvier 2015, de mettre un terme à toutes les politiques basées sur l'intérêt provincial menées en matière de logement et d'énergie.
La différenciation entre les deux phases d'entrée en vigueur tient à la volonté de laisser un délai aux provinces pour mettre un terme à leurs politiques actuelles en matière de logement et d'énergie.
Ce projet de décret ne remet toutefois pas en cause les missions confiées de façon explicite et expresse aux provinces par d'autres dispositions légales, décrétales ou réglementaires, dont, notamment le Code wallon du Logement et de l'Habitat durable, le décret de 12 avril 2001 relatif à l'organisation du marché régional de l'électricité et le décret du 12 [lire : du 19] décembre 2002 relatif à l'organisation du marché régional du gaz. Le décret précise toutefois que la détention par les Provinces de parts dans les Gestionnaires de réseaux de distribution n'est pas concernée par cette argumentation et est donc exclue du transfert. Il convient de préciser par ailleurs que les régies autonomes provinciales ne sont pas visées par la présente réforme étant donné que les régies autonomes sont reconnues par le Code wallon du Logement et de l'Habitat durable en tant qu'opérateurs immobiliers (article 1er, 23°) » (Doc. parl., Parlement wallon, 2013-2014, n° 944/1, p. 2).
Au cours des débats en commission, il fut encore souligné par le Ministre compétent : « Le transfert des compétences provinciales dans ce secteur vers le niveau de pouvoir le plus approprié permettra de donner une plus grande cohérence aux politiques qui y sont menées. Les dispositifs de primes y gagneront une meilleure lisibilité pour le citoyen. En outre, les pouvoirs publics pourraient rationaliser leurs participations au sein des sociétés de logement et/ou leurs contributions respectives dans le subventionnement des agences immobilières sociales. Ces outils permettront une gestion plus intégrée, et donc plus efficace, de ces aspects par les pouvoirs publics, s'inscrivant ainsi dans la perspective d'une gestion rationalisée, rationnelle des dispositifs de l'action publique wallonne » (Doc. parl., Parlement wallon, 2013-2014, n° 944/2, p.3).
B.2. La province du Brabant wallon conteste la recevabilité de l'intervention de la Région wallonne.
Les arguments invoqués par la Région wallonne à l'appui de la défense de la norme attaquée étant identiques à ceux qui ont été développés par le Gouvernement wallon dans ses écrits de procédure, dont la recevabilité n'a pas été contestée, il n'est pas nécessaire de se prononcer sur la recevabilité de l'intervention de la Région wallonne.
B.3.1. Les parties requérantes prennent un premier moyen tiré de la violation par la disposition attaquée des articles 41 et 162, alinéa 2, 2°, de la Constitution et de l'article 6, § 1er, VIII, de la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles. Elles reprochent au législateur décrétal d'avoir limité de manière disproportionnée les compétences provinciales.
B.3.2. Tels qu'ils sont applicables depuis le 31 janvier 2014, date d'entrée en vigueur de la révision constitutionnelle du 6 janvier 2014, les articles 41 et 162 de la Constitution disposent : «
Art. 41.Les intérêts exclusivement communaux ou provinciaux sont réglés par les conseils communaux ou provinciaux, d'après les principes établis par la Constitution. Toutefois, en exécution d'une loi adoptée à la majorité prévue à l'article 4, dernier alinéa, la règle visée à l'article 134 peut supprimer les institutions provinciales. Dans ce cas, la règle visée à l'article 134 peut les remplacer par des collectivités supracommunales dont les conseils règlent les intérêts exclusivement supracommunaux d'après les principes établis par la Constitution. La règle visée à l'article 134 doit être adoptée à la majorité des deux tiers des suffrages émis, à la condition que la majorité des membres du Parlement concerné se trouve réunie.
La règle visée à l'article 134 définit les compétences, les règles de fonctionnement et le mode d'élection des organes territoriaux intracommunaux pouvant régler des matières d'intérêt communal.
Ces organes territoriaux intracommunaux sont créés dans les communes de plus de 100 000 habitants à l'initiative de leur conseil communal.
Leurs membres sont élus directement. En exécution d'une loi adoptée à la majorité définie à l'article 4, dernier alinéa, le décret ou la règle visée à l'article 134 règle les autres conditions et le mode suivant lesquels de tels organes territoriaux intracommunaux peuvent être créés.
Ce décret et la règle visée à l'article 134 ne peuvent être adoptés qu'à la majorité des deux tiers des suffrages émis, à la condition que la majorité des membres du Parlement concerné se trouve réunie.
Les matières d'intérêt communal, supracommunal ou provincial peuvent faire l'objet d'une consultation populaire dans la commune, la collectivité supracommunale ou la province concernée. La règle visée à l'article 134 règle les modalités et l'organisation de la consultation populaire ». «
Art. 162.Les institutions provinciales et communales sont réglées par la loi.
La loi consacre l'application des principes suivants : 1° l'élection directe des membres des conseils provinciaux et communaux;2° l'attribution aux conseils provinciaux et communaux de tout ce qui est d'intérêt provincial et communal, sans préjudice de l'approbation de leurs actes, dans les cas et suivant le mode que la loi détermine;3° la décentralisation d'attributions vers les institutions provinciales et communales;4° la publicité des séances des conseils provinciaux et communaux dans les limites établies par la loi;5° la publicité des budgets et des comptes;6° l'intervention de l'autorité de tutelle ou du pouvoir législatif fédéral, pour empêcher que la loi ne soit violée ou l'intérêt général blessé. Les collectivités supracommunales sont réglées par la règle visée à l'article 134. Cette règle consacre l'application des principes visés à l'alinéa 2. La règle visée à l'article 134 peut fixer d'autres principes qu'elle considère comme essentiels, en recourant ou non à la majorité des deux tiers des suffrages émis à la condition que la majorité des membres du Parlement concerné se trouve réunie. Les articles 159 et 190 s'appliquent aux arrêtés et règlements des collectivités supracommunales.
En exécution d'une loi adoptée à la majorité prévue à l'article 4, dernier alinéa, le décret ou la règle visée à l'article 134 règle les conditions et le mode suivant lesquels plusieurs provinces, plusieurs collectivités supracommunales ou plusieurs communes peuvent s'entendre ou s'associer. Toutefois, il ne peut être permis à plusieurs conseils provinciaux, à plusieurs conseils de collectivités supracommunales ou à plusieurs conseils communaux de délibérer en commun ».
B.3.3. Tel qu'il était applicable au moment de l'adoption du décret attaqué, l'article 6, § 1er, de la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles disposait : « Les matières visées à l'article 107quater [lire : article 39] de la Constitution sont : [...] VIII. En ce qui concerne les pouvoirs subordonnés : 1° la composition, l'organisation, la compétence et le fonctionnement des institutions provinciales et communales, à l'exception : - des règles inscrites dans la loi communale, la nouvelle loi communale, la loi électorale communale, la loi organique des centres publics d'aide sociale, la loi provinciale, le Code électoral, la loi organique des élections provinciales et la loi organisant l'élection simultanée pour les chambres législatives et les conseils provinciaux en vertu de la loi du 9 août 1988 portant modification de la loi communale, de la nouvelle loi communale, de la loi électorale communale, de la loi organique des centres publics d'aide sociale, de la loi provinciale, du Code électoral, de la loi organique des élections provinciales et de la loi organisant l'élection simultanée pour les chambres législatives et les conseils provinciaux, telle que modifiée par la loi spéciale du 19 juillet 2012; - des règles inscrites dans les articles 5, 5bis, 70, 3° et 8°, 126, deuxième et troisième alinéas, et le titre XI de la loi provinciale; - des règles inscrites dans les articles 125, 126, 127 et 132 de la nouvelle loi communale, dans la mesure où elles concernent les registres de l'état civil; - de l'organisation de et de la politique relative à la police, en ce compris l'article 135, § 2, de la nouvelle loi communale, et aux services d'incendie; - des régimes de pension du personnel et des mandataires.
Les régions exercent cette compétence, sans préjudice des articles 279 et 280 de la nouvelle loi communale.
Les conseils communaux ou provinciaux règlent tout ce qui est d'intérêt communal ou provincial; ils délibèrent et statuent sur tout objet qui leur est soumis par l'autorité fédérale ou par les communautés. [...] ».
Ce n'est qu'en vertu de l'article 20 de la loi spéciale du 6 janvier 2014 « relative à la Sixième Réforme de l'Etat », entrée en vigueur le 1er juillet 2014, soit après l'adoption du décret attaqué, que l'article 6, § 1er, VIII, alinéa 1er, de la loi spéciale du 8 août 1980 contient désormais les dispositions selon lesquelles : « Les conseils communaux et, dans la mesure où ils existent, les conseils provinciaux ou les conseils des collectivités supracommunales, règlent respectivement tout ce qui est d'intérêt communal, provincial ou supracommunal; ils délibèrent et statuent sur tout ce qui leur est soumis par l'autorité fédérale ou par les communautés. [...] Lorsque les institutions provinciales sont supprimées, cela ne porte pas préjudice à la fonction des gouverneurs de province. Si une région supprime les institutions provinciales, le gouverneur a, dans son ressort territorial, la qualité de commissaire de gouvernement de l'Etat, de la communauté ou de la région ».
B.3.4. L'habilitation conférée au législateur décrétal pour supprimer les provinces, qui découle de la lecture combinée de l'article 41 de la Constitution et de l'article 6, § 1er, VIII, alinéa 1er, de la loi spéciale de réformes institutionnelles du 8 août 1980, n'était dès lors pas encore entrée en vigueur au moment où le décret attaqué a été adopté. De surcroît, la suppression de l'échelon provincial nécessite la réunion d'une majorité renforcée.
En toute hypothèse, tant que le législateur décrétal n'exerce pas cette faculté, dans le respect des conditions qui lui sont imposées par la Constitution, il demeure contraint de respecter, au bénéfice des autorités provinciales, le principe de l'autonomie locale, tel qu'il est consacré aux articles 41 et 162, alinéa 2, 2°, de la Constitution et à l'article 6, § 1er, VIII, de la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles.
B.4. Le principe de l'autonomie locale suppose que les autorités locales puissent se saisir de tout objet qu'elles estiment relever de leur intérêt, et le réglementer comme elles le jugent opportun. Ce principe ne porte cependant pas atteinte à l'obligation des provinces, lorsqu'elles agissent au titre de l'intérêt provincial, de respecter la hiérarchie des normes. Il en découle que lorsque l'Etat fédéral, une communauté ou une région réglemente une matière qui relève de sa compétence, les provinces sont soumises à cette réglementation lors de l'exercice de leur compétence en cette même matière. En l'espèce, lorsque la Région wallonne agit dans la matière du logement, elle limite par là l'autonomie des provinces, qui ne peuvent se saisir de ce domaine que dans le respect et en complément de la législation régionale.
Le principe de l'autonomie locale ne porte pas atteinte non plus à la compétence de l'Etat fédéral, des communautés ou des régions, de juger du niveau le plus adéquat pour régler une matière qui leur revient.
Ainsi, ces autorités peuvent confier aux collectivités locales la réglementation d'une matière qui sera mieux appréhendée à ce niveau.
Elles peuvent aussi considérer qu'une matière sera, à l'inverse, mieux servie à un niveau d'intervention plus général, de façon à ce qu'elle soit réglée de manière uniforme pour l'ensemble du territoire pour lequel elles sont compétentes, et elles peuvent, en conséquence, interdire aux autorités locales de s'en saisir. C'est ce que fait, en l'espèce, le législateur décrétal qui définit a contrario de l'intérêt provincial, en excluant en principe de son contenu, les matières visées à l'article 6, § 1er, IV, de la loi spéciale de réformes institutionnelles du 8 août 1980. L'atteinte à la compétence des provinces et, par voie de conséquence, au principe de l'autonomie locale, que comporte toute intervention, qu'elle soit positive ou négative, de l'Etat fédéral, des communautés ou des régions, dans une matière qui relève de leurs compétences, ne serait contraire aux dispositions citées au moyen, qui garantissent la compétence des provinces pour tout ce qui concerne l'intérêt provincial, que si elle était manifestement disproportionnée. Tel serait le cas, par exemple, si elle aboutissait à priver les provinces de tout ou de l'essentiel de leurs compétences ou si la limitation de la compétence ne pouvait être justifiée par le fait que celle-ci serait mieux gérée à un autre niveau de pouvoir.
B.5.1. En l'espèce, la matière du logement ne peut être considérée comme relevant exclusivement de l'intérêt provincial et n'a jamais constitué l'essentiel des compétences qui sont dévolues aux provinces au titre de l'autonomie provinciale. La consécration d'une matière déterminée comme l'un des axes prioritaires de la politique développée par toutes ou certaines des autorités provinciales actuelles, comme c'est le cas de la politique du logement, ne suffit pas, à elle seule, à ce que la compétence en cette matière devienne un élément essentiel des compétences attribuées aux provinces, en vertu des dispositions invoquées au moyen.
B.5.2. Par ailleurs, le législateur décrétal a pu raisonnablement estimer que la politique du logement serait mieux servie à un niveau d'intervention plus général que le niveau provincial. En effet, comme les travaux préparatoires cités en B.1.2 l'ont relevé, la politique déployée au niveau provincial en la matière est, dans sa majeure partie, complémentaire à celle qui a été mise en oeuvre au niveau régional. Les provinces agissent essentiellement en matière de logement par le biais d'incitants financiers à destination des particuliers, d'une part, et de soutiens financiers à des organismes dont la mission est de faciliter l'accès au logement des particuliers (via des subsides ou des prises de participation dans le capital), d'autre part. Ces deux types d'action font également partie de la politique du logement de la Région wallonne.
Le législateur décrétal a pu raisonnablement estimer que conserver intacte la compétence de principe des provinces en matière de logement aboutissait à une multiplication et à une complexification des démarches à suivre pour le particulier désireux de bénéficier d'une aide publique au logement sur le territoire de la Région wallonne et que sa suppression permettrait de dégager des économies d'échelle.
B.5.3. L'atteinte portée par les dispositions attaquées au principe de l'autonomie locale ne peut dès lors être considérée comme manifestement disproportionnée. Tel est d'autant moins le cas que les provinces disposent encore de certaines compétences en matière de logement, la disposition attaquée maintenant notamment leur possibilité d'intervenir en la matière pour autant qu'une disposition légale, décrétale ou réglementaire leur reconnaisse de façon « explicite et expresse » un tel pouvoir. En particulier, l'existence des régies provinciales autonomes actives dans le domaine du logement n'est pas remise en cause.
B.6. Le premier moyen n'est pas fondé.
B.7.1. Les parties requérantes prennent un deuxième moyen de la violation des articles 10, 11, 41 et 162, alinéa 2, 2°, de la Constitution et de l'article 6, § 1er, VIII, de la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles. Elles reprochent au législateur décrétal de priver toutes les provinces wallonnes de leur compétence en matière de logement alors que les provinces du Brabant wallon et de Namur ne se trouveraient pas dans une situation comparable à celles des trois autres provinces wallonnes.
Les parties requérantes soutiennent dès lors que l'identité de traitement entre les provinces instaurée par la disposition attaquée viole le principe d'égalité et de non-discrimination. Les articles 41 et 162, alinéa 2, 2°, de la Constitution, tout comme l'article 6, § 1er, VIII, de la loi spéciale du 8 août 1980, sont étrangers à un tel principe, si bien qu'en ce qu'il vise ces dispositions, le moyen est irrecevable. Toutefois, la Cour prend en compte, dans l'appréciation de l'identité de traitement critiquée, le principe de l'autonomie locale qui est garanti par les dispositions précitées.
B.7.2. La Cour ne peut censurer un traitement identique que si deux catégories de personnes se trouvant dans des situations qui, au regard de la mesure considérée, sont essentiellement différentes, font l'objet du même traitement sans qu'apparaisse une justification raisonnable.
B.7.3. Tel n'est pas le cas en l'espèce.
Il n'est en effet pas déraisonnable, après avoir constaté que la plupart des actions menées de façon globale au niveau provincial étaient complémentaires aux politiques mises en oeuvre par la Région wallonne, d'empêcher les cinq provinces de la Région wallonne d'encore pouvoir exercer, dans toute sa plénitude, la compétence qui découle pour elles du principe de l'autonomie locale en matière de logement, afin de bénéficier d'économies d'échelle et d'améliorer la lisibilité de la politique du logement.
Il est vrai, comme le relèvent les parties requérantes, que l'existence de disparités territoriales peuvent appeler la mise en oeuvre de politiques différenciées. Néanmoins, la disposition attaquée n'a pour seul effet que de supprimer la compétence des provinces, au titre de l'intérêt provincial, en matière du logement, laquelle sera désormais exercée au niveau régional.
Dans l'exercice de leur compétence en matière de logement, les autorités régionales doivent respecter les articles 10 et 11 de la Constitution.
Par ailleurs, la disposition attaquée n'empêche en rien les autorités régionales de déléguer certaines compétences en matière de logement aux provinces afin que celles-ci puissent affiner, le cas échéant, la politique menée au niveau régional compte tenu de leurs spécificités locales.
B.8. Le deuxième moyen n'est pas fondé.
B.9. Les parties requérantes prennent un troisième moyen de la violation des articles 10, 11, 41 et 162, alinéa 2, 2°, de la Constitution ainsi que de l'article 6, § 1er, VIII, de la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles. Elles reprochent au législateur décrétal d'avoir traité les provinces de manière différente, quant à leurs compétences en matière de logement, en ayant maintenu la compétence provinciale à l'égard des régies immobilières provinciales tout en interdisant les participations provinciales dans la Société wallonne du logement ou dans les sociétés de logement de service public ainsi que le financement provincial des agences immobilières sociales.
Les parties requérantes soutiennent dès lors que la différence de traitement instaurée par la disposition attaquée viole le principe d'égalité et de non-discrimination.
B.10.1. L'article 6 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 exige, entre autres, que la requête portant un recours en annulation expose, pour chaque moyen, en quoi les règles dont la violation est alléguée devant la Cour auraient été transgressées par la disposition législative attaquée.
Lorsque le moyen est pris de la violation du principe d'égalité et de non-discrimination garanti par les articles 10 et 11 de la Constitution, il doit préciser quelle est la catégorie de personnes dont la situation doit être comparée avec celle de la catégorie de personnes prétendument discriminée. Le moyen doit aussi préciser en quoi la disposition attaquée entraîne une différence de traitement qui serait discriminatoire.
B.10.2. Or, en l'espèce, les parties requérantes restent en défaut d'identifier, dans leur recours en annulation, à quelle autre catégorie de personnes elles comparent les provinces wallonnes qui sont toutes soumises à la réglementation attaquée de manière identique.
B.10.3. Le troisième moyen est irrecevable.
Par ces motifs, la Cour rejette les recours.
Ainsi rendu en langue française, en langue néerlandaise et en langue allemande, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, le 2 juillet 2015.
Le greffier, P.-Y. Dutilleux Le président, J. Spreutels