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Arrêt
publié le 22 juillet 2015

Extrait de l'arrêt n° 77/2015 du 28 mai 2015 Numéro du rôle : 5914 En cause : la question préjudicielle relative à l'article 6 du décret de la Communauté française du 13 décembre 2012 validant diverses dispositions applicables aux personnels La Cour constitutionnelle, composée des présidents J. Spreutels et A. Alen, et des juges E. De G(...)

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COUR CONSTITUTIONNELLE


Extrait de l'arrêt n° 77/2015 du 28 mai 2015 Numéro du rôle : 5914 En cause : la question préjudicielle relative à l'article 6 du décret de la Communauté française du 13 décembre 2012 validant diverses dispositions applicables aux personnels de l'enseignement organisé ou subventionné par la Communauté française, posée par la Cour d'appel de Mons.

La Cour constitutionnelle, composée des présidents J. Spreutels et A. Alen, et des juges E. De Groot, L. Lavrysen, J.-P. Moerman, F. Daoût et T. Giet, assistée du greffier P.-Y. Dutilleux, présidée par le président J. Spreutels, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet de la question préjudicielle et procédure Par arrêt du 23 mai 2014 en cause de la Communauté française contre Eric Trekels, dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour le 3 juin 2014, la Cour d'appel de Mons a posé la question préjudicielle suivante : « L'article 6 du décret de la Communauté française du 13 décembre 2012 validant diverses dispositions applicables aux personnels de l'enseignement organisé ou subventionné par la Communauté française viole-t-il les articles 10 et 11 de la Constitution, combinés avec les principes généraux de sécurité juridique et de non-rétroactivité, en ce qu'il porte une validation rétroactive d'un arrêté royal du 9 novembre 1978 fixant les échelles de traitement des membres du personnel, lequel avait déjà été jugé illégal par des décisions de justice (voir notamment arrêt de la Cour d'appel de Bruxelles, n° 2005/1216, R.G. n° 2002/AR/1226, en cause Communauté française/Cornil), en raison d'un défaut de consultation régulière de la section de législation du Conseil d'Etat, alors même que la question de la régularité dudit arrêté royal fait l'objet de plusieurs procédures de justice en cours, dont notamment la procédure actuellement pendante devant la Cour d'appel de Mons, en cause Trekels/Communauté française, et que la rétroactivité du décret en cause a donc pour effet d'influencer dans un sens déterminé l'issue de cette procédure judiciaire, en empêchant le juge du fond de se prononcer sur cette question de droit ? ». (...) III. En droit (...) B.1.1. L'article 6 du décret de la Communauté française du 13 décembre 2012 « validant diverses dispositions applicables aux personnels de l'enseignement organisé ou subventionné par la Communauté française » dispose : « L'arrêté royal du 9 novembre 1978 fixant au 1er avril 1972 les échelles de traitements des membres du personnel directeur et enseignant et du personnel auxiliaire d'éducation des établissements d'enseignement artistique de plein exercice de l'Etat, relevant du Ministre de la Culture néerlandaise et du Ministre de la Culture française, ainsi que des membres du personnel du service d'inspection chargé de la surveillance des établissements d'enseignement artistique, tel que modifié par : - l'arrêté royal du 8 mai 1987 (M.B. 18-06-87); - l'arrêté du Gouvernement de la Communauté française du 17 juillet 2002 (M.B. 20-09-02); - l'arrêté du Gouvernement de la Communauté française du 19 septembre 2002 (M.B. 30-10-02); - l'arrêté du Gouvernement de la Communauté française du 14 octobre 2003 (M.B. 11-02-04); - l'arrêté du Gouvernement de la Communauté française du 29 avril 2005 (M.B. 15-07-2005, erratum 23-08-05); - l'arrêté du Gouvernement de la Communauté française du 10 novembre 2006 (M.B. 25-01-07); - l'arrêté du Gouvernement de la Communauté française du 22 juin 2007 (M.B. 17-08-07); - l'arrêté du Gouvernement de la Communauté française du 2 octobre 2008 (M.B. 08-12-08); - l'arrêté du Gouvernement de la Communauté française du 12 février 2009 (M.B. 02-04-09); - l'arrêté du Gouvernement de la Communauté française du 19 février 2009 (M.B. 24-04-09) (1); - l'arrêté du Gouvernement de la Communauté française du 19 février 2009 (M.B. 27-04-09) (2); - l'arrêté du Gouvernement de la Communauté française du 16 décembre 2010 (M.B. 28-01-11); - l'arrêté du Gouvernement de la Communauté française du 1er décembre 2011 (M.B. 25-01-12, erratum 07-06-12), est validé avec effet à sa date d'entrée en vigueur et à celle de ses modifications successives ».

B.1.2. Au cours des travaux préparatoires, il fut précisé : « En vertu de l'article 1er de la loi du 22 juin 1964 relative au statut des membres du personnel de l'enseignement de l'Etat, il appartenait au Roi et il appartient aujourd'hui à la Communauté française de fixer le statut, tant administratif que pécuniaire, des membres du personnel de l'Enseignement.

En exécution de cette disposition, ont été notamment adoptés deux arrêtés, à savoir : - l'arrêté ministériel du 12 avril 1969 fixant les règles selon lesquelles est prouvée l'expérience utile prévue à l'article 3 de l'arrêté royal du 22 mars 1969 fixant le statut des membres du personnel directeur et enseignant, du personnel auxiliaire d'éducation, du personnel paramédical des établissements d'enseignement gardien, primaire, spécialisé, moyen, technique, artistique et normal de l'Etat, des internats dépendant de ces établissements et des membres du personnel du service d'inspection chargé de la surveillance de ces établissements; - l'arrêté royal du 27 juin 1974 fixant au 1er avril 1972 les échelles des fonctions des membres du personnel directeur et enseignant du personnel auxiliaire d'éducation, du personnel paramédical des établissements d'enseignement de l'Etat, des membres du personnel du service d'inspection chargé de la surveillance de ces établissements, des membres du personnel du service d'inspection de l'enseignement par correspondance et de l'enseignement primaire subventionné et des échelles des grades du personnel des centres psycho-médico-sociaux de l'Etat.

La légalité de ces deux arrêtés a été mise récemment en cause par la Cour de cassation, dans un arrêt du 23 mars 2012. Selon, la Cour de cassation, se démarquant de la jurisprudence du Conseil d'Etat : ' En vertu de l'article 3, § 1er, des lois sur le Conseil d'Etat, coordonnées le 12 janvier 1973, hors les cas d'urgence, les ministres sont tenus de soumettre à l'avis motivé de la section de législation du Conseil d'Etat le texte de tous projets d'arrêtés réglementaires.

Cette formalité substantielle est d'ordre public.

En règle, il appartient aux ministres d'apprécier, sous réserve de leur responsabilité politique, l'urgence qui les dispense de soumettre à l'avis motivé de la section de législation du Conseil d'Etat le texte des projets d'arrêtés réglementaires.

Conformément à l'article 159 de la Constitution, il appartient aux cours et tribunaux d'examiner si, en se dispensant de solliciter l'avis du Conseil d'Etat, les ministres n'excèdent pas ou ne détournent pas leur pouvoir en méconnaissant la notion légale d'urgence.

Ni l'arrêté royal du 27 juin 1974 ni l'arrêté ministériel du 12 avril 1969 n'ont été soumis à l'avis motivé de la section de législation et ils ne visent pas l'urgence dans leur préambule.

L'arrêté royal du 27 juin 1974 a été publié au Moniteur belge du 9 janvier 1975, soit plus de six mois après sa signature. Cette circonstance dément la réalité de l'urgence. Même si cet arrêté rétroagit au 1er avril 1972, sa teneur ne justifie pas son adoption sous le bénéfice de l'urgence.

L'arrêté ministériel du 12 avril 1969 a été publié au Moniteur belge le 25 avril 1969. Sa teneur ne justifie pas son adoption sous le bénéfice de l'urgence.

Dès lors, l'arrêt qui se fonde sur ces deux arrêtés pour accueillir l'action en répétition de l'indu de la défenderesse viole les articles 3, § 1er, des lois coordonnées sur le Conseil d'Etat, coordonnées le 12 janvier 1973 et 159 de la Constitution.

Le moyen est fondé '.

Si de principe, la cassation prononcée par l'arrêt du 23 mars 2012 n'a effet qu'à l'égard des parties à l'instance de cassation soit, en l'occurrence, la partie demanderesse et la Communauté française, il n'en demeure pas moins que cet arrêt de la Cour de cassation et l'illégalité qu'il dénonce mettent en péril l'ensemble des paiements du personnel enseignant et des procédures de récupération d'indu engagées à ce jour par la Communauté française.

En effet, en vertu de l'article 159 de la Constitution, les cours et tribunaux de l'ordre judiciaire ont l'obligation de vérifier, au besoin d'office, la légalité des actes réglementaires sur lesquels une demande, une défense ou une exception est fondée.

Les conséquences concrètes - dans le futur - du constat de la Cour de cassation sont difficilement prévisibles mais potentiellement innombrables et la question de la validité des arrêtés du 12 avril 1969 et du 27 juin 1974 risque de se poser chaque fois qu'une juridiction serait saisie d'un litige qui suppose l'application de ces dispositions.

Il est également apparu à l'occasion de l'examen des conséquences de l'arrêt de la Cour de cassation que toute une série de textes en matière de traitements et de subventions-traitements encourait le risque de voir leur légalité contestée, sur le fondement du raisonnement tenu par la cour de cassation dans son arrêt du 23 mars 2012, à savoir : [...] - l'arrêté royal du 9 novembre 1978 fixant au 1er avril 1972 les échelles de traitements des membres du personnel directeur et enseignant et du personnel auxiliaire d'éducation des établissements d'enseignement artistique de plein exercice de l'Etat, relevant du Ministre de la Culture néerlandaise et du Ministre de la Culture française, ainsi que des membres du personnel du service d'inspection chargé de la surveillance des établissements d'enseignement artistique; [...] Face à ce constat et pour éviter toute difficulté quant à la conformité d'une telle réfection avec le principe général de la non-rétroactivité des décisions administratives, consacré notamment par l'article 2 du Code civil, il convient d'opérer par voie décrétale en procédant à une validation législative des arrêtés du 12 avril 1969 et du 27 juin 1974 et de leurs arrêtés modificatifs ainsi que des autres arrêtés en matière de traitement et de subventions-traitements cités ci-dessus.

A cet égard, on retiendra que la Cour constitutionnelle admet le recours à la technique de la validation législative au nom du principe de la sécurité juridique et de l'existence de circonstances exceptionnelles, notamment lorsque la rétroactivité est indispensable au bon fonctionnement ou à la continuité du service public.

En l'occurrence, l'objectif poursuivi par cette validation législative est triple : - assurer la sécurité juridique; - garantir les droits acquis des membres des personnels de l'Enseignement dont les traitements et subventions-traitements ont été payés sur la base des arrêtés précités et dont l'expérience utile a été démontrée sur base des règles fixées dans l'arrêté ministériel du 12 avril 1969; - assurer le bon fonctionnement et la continuité du service public en permettant la récupération des traitements indument payés par la Communauté française, tenant compte de l'incidence budgétaire inhérente à la perte définitive de ces traitements indument payés.

La validation décrétale proposée ne doit toutefois pas modifier pour l'avenir la compétence du Gouvernement de fixer les traitements, subventions-traitements et allocations.

Le dit avant-projet de décret a été soumis, en date du 26 septembre 2012, à la négociation au sein du Comité de négociation de secteur IX, du Comité des services publics provinciaux et locaux - section II et du Comité de négociation pour les statuts des personnels de l'Enseignement libre subventionné. Cette négociation s'est conclue sur un accord unanime des représentants des organisations syndicales.

En date du 2 octobre 2012 s'est tenue la réunion de concertation avec les organisations représentatives des étudiants au niveau communautaire. Les deux organisations représentatives des étudiants ont également marqué leur accord sur l'avant-projet de décret.

Le Conseil d'Etat a remis son avis en date du 5 novembre 2012. Ses observations ont été rencontrées » (Doc. parl., Parlement de la Communauté française, 2012-2013, n° 430/1, pp. 4-7).

Il fut encore précisé : « La validation des échelles de traitement des membres des personnels de l'enseignement permet d'assurer la sécurité juridique et la pérennité de la structure des rémunérations de ces personnels et ce pour l'ensemble des réseaux » (ibid., p. 8).

B.2. La Cour est interrogée sur la compatibilité de l'article 6 du décret en cause avec les articles 10 et 11 de la Constitution, combinés avec les principes généraux de sécurité juridique et de non-rétroactivité, en ce qu'il procède à une validation rétroactive de l'arrêté royal du 9 novembre 1978 précité, lequel fut jugé illégal en raison du défaut de consultation de la section de législation du Conseil d'Etat, alors que la question de la régularité de cet arrêté royal est pendante dans le cadre de plusieurs procédures judiciaires, dont celle devant le juge a quo.

B.3. Comme le relèvent les travaux préparatoires du décret en cause, une insécurité juridique s'était installée, en raison de l'arrêt de la Cour de cassation du 23 mars 2012. Le législateur décrétal a entendu remédier à cette insécurité juridique qui est d'autant plus grande que le constat posé par la Cour de cassation ne valait qu'inter partes.

Après l'adoption de la disposition en cause, la Cour de cassation a de surcroît jugé, dans une affaire ne mettant pas en cause la partie intimée devant le juge a quo, que l'arrêté royal du 9 novembre 1978 précité « a un caractère réglementaire en ce qu'il détermine le nombre d'heures justifiant l'application d'une échelle de traitement ». La Cour de cassation en a déduit qu'en ce qu'il « n'a pas été soumis à l'avis de la section de législation du Conseil d'Etat », les cours et tribunaux sont tenus de ne pas l'appliquer (Cass., 20 décembre 2012, C.10.0667.F).

B.4.1. La non-rétroactivité des lois est une garantie ayant pour but de prévenir l'insécurité juridique. Cette garantie exige que le contenu du droit soit prévisible et accessible, de sorte que le justiciable puisse prévoir, dans une mesure raisonnable, les conséquences d'un acte déterminé au moment où cet acte est accompli.

La rétroactivité ne se justifie que si elle est indispensable à la réalisation d'un objectif d'intérêt général. S'il s'avère en outre que la rétroactivité a pour but que l'issue de l'une ou l'autre procédure juridictionnelle soit influencée dans un sens déterminé ou que les juridictions soient empêchées de se prononcer sur une question de droit bien précise, la nature du principe en cause exige que des circonstances exceptionnelles ou des motifs impérieux d'intérêt général justifient l'intervention du législateur, laquelle porte atteinte, au préjudice d'une catégorie de citoyens, aux garanties juridictionnelles offertes à tous.

B.4.2. Dès lors que les travaux préparatoires démontrent que l'intervention du législateur décrétal était dictée par le souci de préserver, à la suite de l'arrêt de la Cour de cassation du 23 mars 2012, la sécurité des relations juridiques entre la Communauté française et les enseignants, les droits acquis de ces derniers, et le bon fonctionnement du service public de l'enseignement, il peut être admis que la rétroactivité répond à un objectif d'intérêt général.

Etant donné que la disposition en cause modifie l'issue des procédures judiciaires en cours, la Cour doit examiner si l'effet rétroactif de cette disposition est justifié par des circonstances exceptionnelles ou des motifs impérieux d'intérêt général.

B.5.1. Le constat, dans une décision juridictionnelle, de la violation d'une formalité substantielle lors de l'adoption d'un arrêté royal, tout comme la seule existence de recours pendants devant les juridictions judiciaires, ne peuvent avoir pour effet que les irrégularités dont pourrait être entaché l'arrêté royal litigieux ne puissent être redressées avant même qu'il soit statué sur sa régularité dans le cadre desdits recours.

B.5.2. Le vice allégué devant le juge a quo contre l'arrêté royal validé et que, selon les travaux préparatoires cités en B.1.2, la disposition en cause vise à couvrir, est l'omission de la consultation de la section de législation du Conseil d'Etat. Cette irrégularité n'a pu faire naître en faveur de la partie intimée devant le juge a quo, le droit intangible d'être dispensée du respect des prescriptions contenues dans cet arrêté royal alors même que celles-ci seraient fondées sur un acte nouveau dont la constitutionnalité serait incontestable.

B.5.3. Si l'intervention du législateur peut empêcher la partie intimée de faire écarter par les juridictions judiciaires l'arrêté royal confirmé, elle ne la prive pas du droit de soumettre à la Cour l'inconstitutionnalité de la loi par laquelle le législateur a validé cet arrêté royal.

B.6. Par ailleurs, la disposition en cause n'est pas davantage source d'insécurité juridique. Elle a certes un effet rétroactif, mais elle ne contient pas de nouvelles dispositions par rapport à celles qui figuraient dans l'arrêté royal précité, de sorte qu'elle n'a fait que confirmer des dispositions dont les destinataires connaissaient la portée.

B.7. L'effet rétroactif des dispositions en cause est dès lors justifié par des motifs impérieux d'intérêt général.

B.8. Le contrôle au regard des articles 10 et 11 de la Constitution, combinés avec les principes de sécurité juridique et de non-rétroactivité, ne conduit pas à une autre conclusion.

B.9. La question préjudicielle appelle une réponse négative.

Par ces motifs, la Cour dit pour droit : L'article 6 du décret de la Communauté française du 13 décembre 2012 validant diverses dispositions applicables aux personnels de l'enseignement organisé ou subventionné par la Communauté française ne viole pas les articles 10 et 11 de la Constitution, lus ou non en combinaison avec les principes de sécurité juridique et de non-rétroactivité.

Ainsi rendu en langue française et en langue néerlandaise, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, le 28 mai 2015.

Le greffier, P.-Y. Dutilleux Le président, J. Spreutels

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