Etaamb.openjustice.be
Arrêt
publié le 11 août 2015

Extrait de l'arrêt n° 83/2015 du 11 juin 2015 Numéros du rôle : 5702, 5704 et 5778 En cause : - les recours en annulation de l'article 7 de la loi du 14 janvier 2013 portant des dispositions fiscales et autres en matière de justice, introduit - la question préjudicielle relative à l'article 7 de la loi du 14 janvier 2013 portant des disposi(...)

source
cour constitutionnelle
numac
2015203124
pub.
11/08/2015
prom.
--
moniteur
https://www.ejustice.just.fgov.be/cgi/article_body(...)
liens
Conseil d'État (chrono)
Document Qrcode

COUR CONSTITUTIONNELLE


Extrait de l'arrêt n° 83/2015 du 11 juin 2015 Numéros du rôle : 5702, 5704 et 5778 En cause : - les recours en annulation de l'article 7 de la loi du 14 janvier 2013Documents pertinents retrouvés type loi prom. 14/01/2013 pub. 31/01/2013 numac 2013009053 source service public federal justice Loi portant des dispositions fiscales et autres en matière de justice fermer portant des dispositions fiscales et autres en matière de justice, introduits par l'Ordre des barreaux francophones et germanophone et par K. V.M.; - la question préjudicielle relative à l'article 7 de la loi du 14 janvier 2013Documents pertinents retrouvés type loi prom. 14/01/2013 pub. 31/01/2013 numac 2013009053 source service public federal justice Loi portant des dispositions fiscales et autres en matière de justice fermer portant des dispositions fiscales et autres en matière de justice, posée par la Cour d'appel de Bruxelles.

La Cour constitutionnelle, composée des présidents J. Spreutels et A. Alen, et des juges E. De Groot, L. Lavrysen, J.-P. Snappe, J.-P. Moerman, E. Derycke, T. Merckx-Van Goey, P. Nihoul, F. Daoût, T. Giet et R. Leysen, assistée du greffier F. Meersschaut, présidée par le président J. Spreutels, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet des recours et de la question préjudicielle et procédure a. Par requête adressée à la Cour par lettre recommandée à la poste le 29 juillet 2013 et parvenue au greffe le 30 juillet 2013, un recours en annulation de l'article 7 de la loi du 14 janvier 2013Documents pertinents retrouvés type loi prom. 14/01/2013 pub. 31/01/2013 numac 2013009053 source service public federal justice Loi portant des dispositions fiscales et autres en matière de justice fermer portant des dispositions fiscales et autres en matière de justice (publiée au Moniteur belge du 31 janvier 2013, deuxième édition) a été introduit par l'Ordre des barreaux francophones et germanophone, assisté et représenté par Me V.Letellier, avocat au barreau de Bruxelles. b. Par requête adressée à la Cour par lettre recommandée à la poste le 31 juillet 2013 et parvenue au greffe le 1er août 2013, K.V.M., assisté et représenté par Me H. Rieder, avocat au barreau de Gand, a introduit un recours en annulation de la même disposition légale.

Ces affaires, inscrites sous les numéros 5702 et 5704 du rôle de la Cour, ont été jointes. c. Par arrêt du 18 décembre 2013 en cause du ministère public contre Alexandre Chalaguine et autres, dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour le 23 décembre 2013, la Cour d'appel de Bruxelles a posé la question préjudicielle suivante : « L'article 7 de la loi du 14 janvier 2013Documents pertinents retrouvés type loi prom. 14/01/2013 pub. 31/01/2013 numac 2013009053 source service public federal justice Loi portant des dispositions fiscales et autres en matière de justice fermer [portant des dispositions fiscales et autres en matière de justice], modifiant l'article 24 du titre préliminaire du Code de procédure pénale, viole-t-il les articles 10, 11 et 12 de la Constitution, combinés ou non avec les principes de légalité et de sécurité juridique, l'article 14, § § 1er et 3 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques et l'article 6, § § 1er et 3, b), c) et d) de la Convention européenne de Sauvegarde des Droits de l'Homme et des Libertés fondamentales en ce que : - il méconnaîtrait l'exigence de prévisibilité de la loi de procédure pénale, en faisant dépendre la durée du délai de prescription du degré de complétude du dossier répressif, et donc de la qualité de l'instruction ou de l'information, selon qu'on se trouve au stade de la clôture de l'instruction ou devant la juridiction de jugement; - il introduirait une discrimination non raisonnablement justifiée entre, d'une part, l'inculpé qui fait l'objet d'un règlement de procédure au terme d'une instruction complète et qui aura bénéficié du cours de la prescription tout au long de l'instruction, et d'autre part, l'inculpé qui, confronté à un dossier incomplet au stade du règlement de procédure, se verra privé du cours de la prescription, le temps nécessaire à la réalisation des actes d'instruction complémentaires; - il introduirait une discrimination non raisonnablement justifiée entre, d'une part, l'inculpé qui a sollicité des devoirs d'instruction complémentaires en cours d'instruction, pour lequel aucune cause de suspension de l'action publique ne jouera, et, d'autre part, les personnes qui, prenant connaissance du dossier répressif au règlement de la procédure, voient le délai de prescription de l'action publique suspendu, portant ainsi atteinte à leur droit au procès équitable, incluant l'obligation d'être jugées dans un délai raisonnable; - il introduirait des différences de traitement ne résultant pas des faits qui auraient été commis par le prévenu, ni de la situation personnelle de celui-ci ou de celle des parties civiles, mais d'un élément étranger aux parties, à savoir l'incomplétude - objectivée - du dossier répressif au moment où le procureur du Roi dresse ses réquisitions de renvoi ou cite directement; - en conférant un effet suspensif de la prescription de l'action publique à la requête en devoirs complémentaires d'enquête que l'inculpé ou un co-inculpé a déposée à une époque où cet acte juridique n'avait pas cet effet et où il n'était pas prévisible qu'il l'ait, il porterait atteinte à la garantie de non-rétroactivité des dispositions législatives, sans être justifié par une circonstance exceptionnelle ou un motif impérieux d'intérêt général suffisant et/ou acceptable ? ».

Cette affaire a été inscrite sous le numéro 5778 du rôle de la Cour. (...) III. En droit (...) Quant à la disposition en cause B.1.1. Les recours dans les affaires nos 5702 et 5704 tendent à l'annulation de l'article 7 de la loi du 14 janvier 2013Documents pertinents retrouvés type loi prom. 14/01/2013 pub. 31/01/2013 numac 2013009053 source service public federal justice Loi portant des dispositions fiscales et autres en matière de justice fermer portant des dispositions fiscales et autres en matière de justice.

B.1.2. L'article 7 de la loi du 14 janvier 2013Documents pertinents retrouvés type loi prom. 14/01/2013 pub. 31/01/2013 numac 2013009053 source service public federal justice Loi portant des dispositions fiscales et autres en matière de justice fermer, tel qu'il a été modifié par l'article 3 de la loi du 25 avril 2014 portant des dispositions diverses en matière de Justice, complète l'article 24 du titre préliminaire du Code de procédure pénale par deux alinéas libellés comme suit : « La prescription de l'action publique est à chaque fois suspendue lorsque, dans le cadre du règlement de la procédure, le juge d'instruction ou la chambre des mises en accusation décide que des actes d'instruction complémentaires doivent être accomplis. Il en va de même chaque fois que la chambre du conseil, dans le cadre du règlement de la procédure, ne peut pas régler la procédure à la suite d'une requête introduite conformément aux articles 61quinquies et 127, § 3, du Code d'instruction criminelle. La suspension prend effet le jour de la première audience devant la chambre du conseil fixée en vue du règlement de la procédure, que la requête ait été rejetée ou acceptée, et s'achève la veille de la première audience où le règlement de la procédure est repris par la juridiction d'instruction, sans que chaque suspension puisse toutefois dépasser un an.

La prescription de l'action publique est à chaque fois suspendue lorsque la juridiction de jugement sursoit à l'instruction de l'affaire en vue d'accomplir des actes d'instruction complémentaires.

Dans ce cas, la prescription est suspendue à partir du jour où la juridiction de jugement décide de remettre l'affaire jusqu'à la veille de la première audience où l'instruction de l'affaire est reprise par la juridiction de jugement, sans que chaque suspension puisse toutefois dépasser un an ».

B.2. La disposition attaquée instaure deux nouvelles causes de suspension de l'action publique, en raison d'actes d'instruction complémentaires décidés ou sollicités, d'une part, dans le cadre du règlement de la procédure et, d'autre part, dans le cadre de l'examen au fond de l'affaire par les juridictions répressives.

B.3.1. En instaurant deux nouvelles causes de suspension dans la phase du règlement de la procédure et dans la phase de jugement, le législateur a voulu donner suite au rapport du 7 mai 2009 de la commission d'enquête parlementaire sur les grands dossiers de fraude fiscale (Doc. parl., Chambre, 2008-2009, DOC 52-0034/004). On peut lire dans les travaux préparatoires : « les magistrats entendus par [la commission d'enquête parlementaire] ont pratiquement tous dénoncé les abus générés par la loi Franchimont, qui, dans 80 % des dossiers relatifs à des affaires financières, est devenue un moyen pour ralentir la procédure. Ainsi, selon le rapport de la commission, il arrive souvent que des inculpés demandent, juste avant la séance de la chambre du conseil, des devoirs complémentaires dans le seul but de ralentir la procédure. Ils obtiennent de cette façon des ajournements et des remises de plusieurs mois. A la suite de ce constat, la commission a proposé, dans ses recommandations sous le numéro 28, E, de suspendre la prescription de l'action publique durant la période de l'accomplissement des devoirs complémentaires » (Doc. parl., Chambre, 2011-2012, DOC 53-2430/001, p. 6).

B.3.2. Adoptée dans la foulée de ce rapport, la disposition attaquée s'applique à toutes les infractions. Un sénateur estima « curieux que l'instauration d'une mesure concrète en matière de fraude fiscale conduise à une modification du titre préliminaire du Code de procédure pénale » (Doc. parl., Sénat, 2012-2013, n° 5-1887/3, p. 4).

Il ajouta : « En voulant s'attaquer à un dossier concret, on en arrive donc, par induction, à modifier le Code d'instruction criminelle. Le délai de prescription sera allongé chaque fois que des actes d'instruction complémentaires seront accomplis, ce qui aura de sérieuses retombées sur les droits de la défense » (ibid.).

A cette critique, la ministre a répondu : « la réglementation en projet n'est pas destinée à s'appliquer uniquement aux affaires fiscales, mais vaut pour toutes les infractions. La mesure envisagée a effectivement un effet quelle que soit l'infraction, mais elle s'inscrit dans le cadre de la lutte globale contre les délais déraisonnables. Il n'y a suspension de la prescription que lorsque l'acte d'instruction complémentaire est accompli à la demande de l'une des parties, et non pas dans le cadre de l'intervention d'office du juge » (ibid., p. 5).

Le même intervenant relevant qu'il n'était nullement précisé que « la réglementation s'applique uniquement en cas de requête des parties et non dans le cadre de l'intervention d'office » (ibid.), la ministre répondit : « l'on est à un stade de la procédure où le juge d'instruction a terminé son instruction. Il communique le dossier au ministère public afin que celui-ci trace ses réquisitions. Lorsque le ministère public a tracé ses réquisitions, il retransmet le dossier au juge d'instruction afin de fixer l'affaire en chambre du conseil. A ce stade de la procédure, les parties ont accès au dossier et peuvent demander des devoirs complémentaires. La pratique montre que certaines personnes abusent de la procédure pour demander une série de devoirs complémentaires dans un but dilatoire. Ces personnes espèrent à terme pouvoir plaider le dépassement du délai raisonnable devant les juridictions de fond et échapper ainsi à toute condamnation.

Le projet de loi vise à limiter les demandes abusives de devoirs qui sont formulées devant le juge d'instruction dans le but de prolonger l'instruction de manière non raisonnable. La presse fait souvent écho de décisions judiciaires qui refusent de prononcer des condamnations en raison du dépassement du délai raisonnable. La disposition en projet permettra pour l'ensemble des procédures, et notamment en matière fiscale, d'arriver à une justice plus efficace. L'intervenante pense qu'il ne faut pas limiter l'effet de la suspension dans le temps car, dans la pratique, les parties ne demandent pas les devoirs de manière groupée. Chaque fois que l'affaire est fixée devant la chambre du conseil, elles demandent de nouveaux devoirs. Il n'est pas rare que plusieurs années s'écoulent entre le moment où l'instruction est clôturée et le moment où elle est traitée au fond. Le projet à l'examen vise à lutter contre ces dérives. [...] La ministre souligne que la suspension ne préjudicie aucune partie. Le souhait de toutes les parties à la cause est de permettre au juge de disposer de toutes les informations, à charge et à décharge. Si une demande légitime d'actes d'instruction complémentaires est formulée, cela ne lésera personne. Par contre, la multiplication des demandes peut conduire à des abus auxquels les magistrats sont régulièrement confrontés. Cela préjudicie la partie civile ainsi que la collectivité. C'est à ce type d'abus de demandes que la disposition en projet veut mettre fin. La suspension de la prescription aura pour effet de limiter le nombre de demandes » (ibid., pp. 5-6).

Plus loin, la ministre a encore précisé : « le projet de loi ne modifie pas la question de la prescription lorsque les devoirs sont sollicités par le ministère public. Par contre, dans l'hypothèse où les parties (l'inculpé ou la partie civile) sollicitent, à de multiples reprises, de nouveaux devoirs qui provoquent un allongement de la procédure pouvant amener à un dépassement du délai raisonnable, il est prévu de suspendre la prescription pendant la durée s'écoulant entre la date de la demande de nouveaux devoirs et la décision du juge d'instruction (ou, en cas d'appel, de la chambre des mises en accusation) et pendant la durée nécessaire à l'exécution de ces devoirs. Ce délai de suspension ne va pas à l'encontre de l'intérêt des parties puisque le but est de permettre au juge d'être en possession de tous les éléments du dossier, à charge et à décharge, afin de pouvoir trancher. Il s'agit donc d'empêcher que la prescription ne soit acquise dans un dossier où les parties auraient sollicité des devoirs complémentaires à de multiples reprises. Enfin, il faut souligner qu'il n'est pas possible d'interdire aux parties de solliciter des devoirs complémentaires et que, par conséquent, une décision du juge ou de la chambre des mises en accusation sera toujours nécessaire » (ibid., p. 7).

B.4.1. L'alinéa 3 nouveau de l'article 24 du titre préliminaire du Code de procédure pénale, tel qu'il a été modifié par l'article 7 de la loi attaquée, dispose que, dans la phase du règlement de la procédure, la prescription de l'action publique est suspendue dans l'hypothèse où une demande de devoirs d'instruction complémentaires est introduite par un inculpé ou une partie civile conformément aux articles 61quinquies et 127, § 3, du Code d'instruction criminelle, entre la date d'envoi aux parties de l'avis de fixation de la première audience du règlement de la procédure de la chambre du conseil et cette audience. En ce cas, le règlement de la procédure est suspendu jusqu'à ce que la demande ait été définitivement traitée.

Bien que les travaux préparatoires puissent induire en erreur sur ce point, la disposition s'applique aussi dans le cadre du règlement de la procédure lorsque des actes d'enquête complémentaires sont décidés d'office par le juge d'instruction ou par la chambre des mises en accusation réglant la procédure. Le texte de la disposition s'oppose à toute autre interprétation.

En revanche, cette cause de suspension ne s'applique pas lorsque des devoirs complémentaires sont sollicités durant l'instruction (article 61quinquies du Code d'instruction criminelle) ou lorsque le procureur du Roi requiert l'accomplissement d'autres devoirs complémentaires après avoir reçu le dossier en communication (article 127, § 1er, du Code d'instruction criminelle).

B.4.2. Le fait que la requête ait été acceptée ou rejetée est indifférent, la suspension de la prescription de l'action publique jouant dans les deux cas.

B.4.3. La prescription de l'action publique est suspendue à dater de la première audience de la chambre du conseil qui aurait dû statuer sur le règlement de la procédure jusqu'à la veille de la prochaine audience de cette juridiction à laquelle le règlement de la procédure sera repris sans que la durée ne puisse excéder un an. En revanche, il ressort des travaux préparatoires précités que la durée maximum d'un an s'applique pour chaque demande d'investigation complémentaire et non au total.

B.5. La seconde cause de suspension de la prescription instaurée par l'article 7 de la loi précitée du 14 janvier 2013 s'applique dans la phase du jugement lorsqu'une juridiction de fond décide de surseoir à statuer en vue d'accomplir ou de faire accomplir des devoirs d'instruction complémentaires et ce, que cette décision procède de sa propre initiative ou qu'elle émane d'une des parties à la cause, dont le ministère public. Dans ce cas aussi, la prescription de l'action publique est suspendue pendant une durée maximum d'un an.

Quant à l'intérêt de la partie requérante dans l'affaire n° 5702 B.6.1. La Constitution et la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle imposent à toute personne physique ou morale qui introduit un recours en annulation de justifier d'un intérêt. Ne justifient de l'intérêt requis que les personnes dont la situation pourrait être affectée directement et défavorablement par la norme attaquée.

B.6.2. Le Conseil des ministres conteste l'intérêt à agir de l'Ordre des barreaux francophones et germanophone (OBFG) au motif que la disposition attaquée ne toucherait pas aux missions qui lui sont attribuées. Le principe de spécialité ne serait pas respecté; la disposition ne concernerait ni la profession d'avocat, ni les droits de la défense et l'égalité des armes dans le procès pénal.

B.6.3. L'OBFG a notamment pour tâche de prendre des initiatives et mesures utiles pour la défense des intérêts des justiciables (article 495, alinéas 2 et 3, du Code judiciaire).

La partie requérante dispose de l'intérêt requis pour introduire un recours en annulation contre une disposition législative qui, en introduisant de nouvelles causes de suspension de la prescription de l'action publique, est susceptible de porter atteinte aux droits de certains des justiciables dont elle est chargée de défendre les intérêts.

L'exception est rejetée.

Quant au fond En ce qui concerne le respect des articles 10 et 11 de la Constitution, lus isolément ou en combinaison avec l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme (affaires nos 5702, 5704 et 5778) et avec les articles 14.1 et 14.3 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques (affaires nos 5702 et 5778) B.7.1. Les parties requérantes reprochent à la disposition attaquée soit de faire plusieurs différences de traitement entre plusieurs catégories de personnes, soit de traiter de la même manière des catégories de personnes se trouvant dans des situations différentes et ce, en violation des articles 10 et 11 de la Constitution.

En substance, elles considèrent que les causes de suspension visées à l'article 7 attaqué ne résulteraient ni des faits reprochés à l'inculpé ou au prévenu ni même de leur situation personnelle ou de celle des parties civiles mais exclusivement de l'incomplétude du dossier répressif, ce qui justifierait que l'une ou l'autre de ces parties sollicite, à bon droit, des devoirs d'instruction complémentaires. Dans ce cas, les causes de suspension dépendraient de l'attitude des autorités chargées de l'instruction.

B.7.2. Il en résulterait que la disposition attaquée traiterait différemment les justiciables selon le moment de la demande de réalisation d'actes d'instruction. En effet, la prescription n'est suspendue que lorsque la demande de devoirs d'instruction complémentaires intervient au stade du règlement de la procédure et ce, même si elle est accueillie favorablement, alors que cette cause de suspension n'existe pas pour une demande sollicitée au cours de l'instruction.

De même, l'application de l'article 7 attaqué, dans la phase de jugement, aurait pour effet, selon que le justiciable aura fait l'objet ou non d'une information ou d'une instruction complète et suffisante, de traiter de la même manière les prévenus sans tenir compte de ce que les devoirs d'instruction complémentaires devant la juridiction de jugement auront été sollicités par le ministère public, décidés d'office par la juridiction de jugement, ou sollicités par les autres parties, qu'il s'agisse de l'inculpé, de la partie civile ou de la partie civilement responsable.

Il n'y aurait, selon les parties requérantes, aucune justification raisonnable à pareilles identités de traitement qui seraient en outre disproportionnées au regard de l'objectif recherché.

B.7.3. Le Conseil des ministres soutient que la disposition attaquée se justifie au regard du double objectif poursuivi par le législateur, à savoir, d'une part, éviter que les inculpés n'abusent de la possibilité de demander des actes d'instruction complémentaires à des fins purement dilatoires et, d'autre part, permettre à la justice d'être plus efficace. Dans l'affaire n° 5704, il ajoute que, de toute façon, la différence de traitement ne résulte pas de la disposition attaquée mais de l'absence d'une suspension du délai de prescription lors du traitement des actes d'instruction complémentaires au cours de l'instruction.

B.8.1. Il ressort des travaux préparatoires des lois du 30 mars 1891, du 30 mai 1961 et du 24 décembre 1993 que le législateur a estimé que, en matière pénale, l'auteur d'une infraction ne devait plus être poursuivi après l'écoulement de délais qui varient avec la gravité de l'infraction, afin de lui garantir le droit à l'oubli (Pasin., 1891, p. 176), d'assurer la sécurité juridique et d'éviter que la paix publique restaurée dans l'intervalle soit à nouveau perturbée (Doc. parl., Sénat, 1956-1957, n° 232, p. 2; Doc. parl., Chambre, 1993-1994, n° 1211/1, p.4).

Il découle de cette constatation que la prescription vise tant à protéger la personne suspectée d'une infraction contre des poursuites tardives qu'à préserver l'ordre social en déterminant le moment à partir duquel la sécurité juridique et la paix sociale doivent l'emporter sur la poursuite des infractions.

B.8.2. Comme l'a relevé la Cour européenne des droits de l'homme, « la prescription peut se définir comme le droit accordé par la loi à l'auteur d'une infraction de ne plus être poursuivi ni jugé après l'écoulement d'un certain délai depuis la réalisation des faits. Les délais de prescription, qui sont un trait commun aux systèmes juridiques des Etats contractants, ont plusieurs finalités, parmi lesquelles garantir la sécurité juridique en fixant un terme aux actions et empêcher une atteinte aux droits de la défense qui pourraient être compromis si les tribunaux étaient appelés à se prononcer sur le fondement d'éléments de preuve qui seraient incomplets en raison du temps écoulé (arrêt Stubbings et autres c.

Royaume-Uni du 22 octobre 1996, Recueil 1996-IV, pp. 1502-1503, § 51) » (CEDH, 22 juin 2000, Coëme et al. c. Belgique, § 146).

B.8.3. La fixation du délai de prescription et des conditions d'application de celui-ci incombe au législateur. Il dispose, en la matière, d'un large pouvoir d'appréciation.

Lors de l'élaboration de la loi du 11 décembre 1998Documents pertinents retrouvés type loi prom. 11/12/1998 pub. 16/12/1998 numac 1998010043 source ministere de la justice Loi modifiant le titre préliminaire du Code de procédure pénale, en ce qui concerne la prescription de l'action publique fermer, qui prévoyait une nouvelle cause de suspension en matière de prescription de l'action publique, il a été souligné que le droit belge relatif à la prescription de l'action publique était particulièrement favorable à l'inculpé (Doc. parl., Chambre, 1997-1998, n° 1387/6, p. 3). La cause de suspension instaurée a été abrogée par la loi du 16 juillet 2002Documents pertinents retrouvés type loi prom. 16/07/2002 pub. 05/09/2002 numac 2002009814 source service public federal justice Loi modifiant diverses dispositions en vue notamment d'allonger les délais de prescription pour les crimes non correctionnalisables type loi prom. 16/07/2002 pub. 06/08/2002 numac 2002009751 source service public federal justice Loi modifiant l'article 86bis du Code judiciaire et la loi du 3 avril 1953 d'organisation judiciaire fermer.

B.8.4. En adoptant la disposition attaquée, le législateur entendait apporter une réponse aux conclusions d'une commission d'enquête parlementaire dont il ressortait que, dans un certain nombre de cas, le régime de prescription existant n'était pas suffisant pour clore l'enquête requise dans le délai de prescription imparti.

Le souhait était aussi de mettre fin aux manoeuvres dilatoires de certains inculpés et prévenus dans des dossiers financiers et fiscaux d'une certaine ampleur, de sorte que l'on puisse réellement lutter contre l'impunité dont bénéficieraient ces personnes. Au cours des travaux préparatoires, le législateur a généralisé cet objectif et déclaré les deux nouvelles causes de suspension du délai de prescription applicables à toutes les infractions pénales. A cet égard, il a été rappelé que la mesure « s'inscrit dans le cadre de la lutte globale contre les délais déraisonnables » (Doc. parl., Sénat, 2012-2013, n° 5-1887/3, p. 5).

Le législateur aurait pu, comme il l'a déjà fait, augmenter les délais de prescription de manière générale. Toutefois, par la disposition attaquée, il a préféré se limiter à prévoir de nouvelles causes de suspension de la prescription, lorsque des devoirs d'instruction complémentaires sont demandés ou ordonnés, dans les conditions fixées par cette disposition.

B.8.5. Bien qu'il dispose d'un large pouvoir d'appréciation pour fixer les règles de la prescription, le législateur doit respecter le principe d'égalité et de non-discrimination garanti par les articles 10 et 11 de la Constitution.

Le principe d'égalité et de non-discrimination n'exclut pas qu'une différence de traitement soit établie entre des catégories de personnes, pour autant qu'elle repose sur un critère objectif et qu'elle soit raisonnablement justifiée. Ce principe s'oppose, par ailleurs, à ce que soient traitées de manière identique, sans qu'apparaisse une justification raisonnable, des catégories de personnes se trouvant dans des situations qui, au regard de la mesure considérée, sont essentiellement différentes.

L'existence d'une telle justification doit s'apprécier en tenant compte du but et des effets de la mesure critiquée ainsi que de la nature des principes en cause; le principe d'égalité et de non-discrimination est violé lorsqu'il est établi qu'il n'existe pas de rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé.

B.8.6. Compte tenu de l'objectif qu'il poursuit, le législateur a pu raisonnablement n'octroyer un effet suspensif de la prescription qu'aux demandes de devoirs d'instruction complémentaires formulées par l'inculpé en vertu de l'article 127, § 3, du Code d'instruction criminelle, à la différence de celles qu'il formule en cours d'instruction.

L'inculpé est en effet incité, de la sorte, à solliciter au cours de l'instruction les devoirs d'enquête complémentaires qu'il estime devoir être réalisés et dissuadé de différer ses demandes jusqu'au stade du règlement de la procédure. Il n'est pas déraisonnable de requérir de l'inculpé, qui a accès au dossier notamment dans les conditions fixées par l'article 61ter du Code d'instruction criminelle, qu'il fasse preuve de diligence dans le suivi de l'instruction dont il fait l'objet, ni d'entraver les éventuelles manoeuvres dilatoires dont il se rendrait coupable en attendant le règlement de la procédure pour chercher à compléter l'instruction à l'aide de nouveaux devoirs, dans le seul but de retarder son éventuel renvoi devant la juridiction de jugement afin d'obtenir l'expiration du délai de prescription.

B.8.7. Il s'ensuit que le législateur a pu, sans méconnaître le principe d'égalité et de non-discrimination, traiter différemment l'inculpé selon le moment où il formule sa demande d'actes d'instruction complémentaires.

B.9.1. Il est encore reproché à la disposition attaquée de traiter de façon identique la demande d'acte d'instruction complémentaire qui émane de l'inculpé au cours du règlement de la procédure, qu'il y ait été répondu positivement ou non.

B.9.2. Il ne peut cependant être exigé du législateur qu'il différencie les devoirs d'enquête sollicités au stade du règlement de la procédure par l'inculpé selon que ceux-ci sont ou non utiles à l'instruction. En effet, qu'elles aient été ou non accueillies favorablement, de telles demandes introduites par l'inculpé au stade du règlement de la procédure peuvent poursuivre un objectif purement dilatoire si bien qu'une distinction en la matière aurait pu sensiblement nuire à la cohérence de la mesure attaquée par rapport à l'objectif qu'elle poursuit. Le législateur n'interdit d'ailleurs pas à l'inculpé de formuler de telles demandes, qui doivent être examinées avec sérieux et diligence, mais se borne à suspendre le délai de prescription au cours de l'examen de ces demandes et de la réalisation éventuelle des actes d'instruction sollicités.

B.10. Il est aussi reproché à la disposition attaquée de traiter de façon identique les demandes d'actes d'instruction complémentaires, qu'elles émanent de l'inculpé ou de la partie civile, ou qu'elles soient ordonnées par le juge d'instruction, la chambre des mises en accusation ou la juridiction de jugement.

B.11.1. Il n'est pas raisonnablement justifié de prévoir que les demandes de devoirs d'instruction complémentaires introduites au stade du règlement de la procédure par la partie civile suspendent le délai de prescription de l'action publique. En effet, de la même manière que l'inculpé, il est attendu de la partie civile, qui a le même accès au dossier que l'inculpé non détenu, qu'elle suive avec la diligence nécessaire l'instruction qui la concerne et qu'elle sollicite le plus rapidement possible les devoirs d'enquête complémentaires qu'elle estime devoir être réalisés. Compte tenu de l'effet suspensif de la prescription attaché à la demande de devoirs d'instruction complémentaires introduite par l'inculpé au stade du règlement de la procédure, il ne se justifie pas qu'une même mesure soit adoptée à l'égard des demandes introduites par la partie civile à ce stade de la procédure, leur intérêt quant au cours de la prescription étant opposé.

Puisqu'il en a été décidé ainsi à l'égard de l'inculpé, la partie civile devrait, elle aussi, être incitée à collaborer à l'instruction en cours et être dissuadée de différer ses demandes de devoirs d'instruction complémentaires jusqu'au stade du règlement de la procédure. Or, en accordant un effet suspensif à ces seules dernières demandes, le législateur aboutit au contraire à ce que la partie civile soit encouragée à attendre le règlement de la procédure afin de solliciter la réalisation d'actes d'instruction complémentaires, lorsque le risque existe que l'instruction ne puisse être close avant l'expiration du délai de prescription.

B.11.2. Il s'ensuit que le législateur a méconnu les articles 10 et 11 de la Constitution, combinés avec l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme et avec l'article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, en traitant de la même manière, quant à leur impact sur le cours de la prescription de l'action publique, la demande d'actes d'instruction complémentaires formulée, au stade du règlement de la procédure, par l'inculpé, d'une part, et par la partie civile, d'autre part.

B.12.1. La Cour doit encore examiner la compatibilité, avec les articles 10 et 11 de la Constitution, lus ou non en combinaison avec les dispositions conventionnelles précitées, de la disposition attaquée en ce que le délai de prescription est suspendu tant lorsque des actes d'instruction complémentaires sont décidés par le juge d'instruction, la chambre des mises en accusation ou la juridiction de jugement, que lorsque ces actes sont sollicités par l'inculpé.

A la différence de la partie civile, le juge d'instruction, la chambre des mises en accusation et la juridiction de jugement n'ont pas un intérêt opposé à celui de l'inculpé en ce qui concerne l'écoulement du délai de prescription. En effet, ces autorités judiciaires statuent en toute impartialité et ne sont pas l'adversaire de l'inculpé, à la différence de la partie civile et du ministère public.

B.12.2. Néanmoins, il appartient au juge d'instruction de ne communiquer le dossier au procureur du Roi que lorsqu'il considère que son instruction est close, soit uniquement à compter du moment où, à son estime, il a accompli l'ensemble des actes d'instruction nécessaires à la manifestation de la vérité.

En octroyant un effet suspensif aux actes d'instruction complémentaires ordonnés par le juge d'instruction d'office ou à la demande d'une autre partie que l'inculpé au stade du règlement de la procédure, le législateur pourrait permettre au juge d'instruction de différer l'accomplissement de certains devoirs lorsqu'existe le risque que son instruction soit close. La possibilité est dès lors laissée au juge d'instruction d'allonger le délai dans lequel il est appelé à instruire à charge et à décharge.

Cet allongement du délai de prescription relève de la seule autorité du juge d'instruction et peut s'avérer considérable. En effet, le législateur n'a pas limité l'accumulation des actes d'instruction qui, au stade du règlement de la procédure, permettent, pour chacun d'entre eux, une suspension du délai de prescription qui peut aller jusqu'à un an.

B.12.3. Une telle faculté offerte au juge d'instruction pourrait dès lors porter atteinte de manière disproportionnée aux droits de l'inculpé.

B.12.4. La suspension du délai de prescription qui découle de l'arrêt de la chambre des mises en accusation ou de la décision de la juridiction de jugement qui ordonnent des actes d'instruction complémentaires, n'est pas davantage raisonnablement justifiée.

En effet, dans ces hypothèses également, il ne pourrait être exclu que le magistrat instructeur, constatant que l'expiration du délai de prescription est imminente, close le dossier alors que la chambre des mises en accusation ou la juridiction de jugement pourraient toujours par la suite ordonner des devoirs d'enquête complémentaires et prolonger ainsi sans difficulté le traitement du dossier.

B.12.5. Par ailleurs, lorsque le prévenu est cité directement devant la juridiction de jugement par le ministère public, la nécessité de réaliser des devoirs d'enquête complémentaires, à laquelle la juridiction de jugement s'estime confrontée, découle de ce que le dossier répressif, transmis par le ministère public, est incomplet.

Or, il ne peut être raisonnablement justifié de défavoriser un prévenu cité directement par le ministère public au motif que le dossier répressif sur la base duquel la citation directe est fondée est incomplet.

B.13. Il s'ensuit que le législateur a méconnu les articles 10 et 11 de la Constitution, combinés avec l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme et avec l'article 14 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, en traitant de la même manière, quant à leur impact sur le cours de la prescription de l'action publique, la demande d'actes d'instruction complémentaires formulée, au stade du règlement de la procédure, par l'inculpé, d'une part, et les actes d'instruction complémentaires ordonnés, au stade du règlement de la procédure, par le juge d'instruction, la chambre des mises en accusation ainsi que par la juridiction de jugement, d'autre part.

B.14. Le moyen est fondé dans cette mesure.

B.15. La disposition attaquée doit être annulée mais uniquement dans la mesure où elle a pour effet de suspendre la prescription de l'action publique lorsque, dans le cadre du règlement de la procédure, le juge d'instruction ou la chambre des mises en accusation décident que des actes d'instruction doivent être accomplis, lorsque la chambre du conseil, dans le cadre du règlement de la procédure, ne peut régler la procédure à la suite d'une requête introduite par la partie civile conformément aux articles 61quinquies et 127, § 3, du Code d'instruction criminelle et lorsque la juridiction de jugement sursoit à l'instruction de l'affaire en vue d'accomplir des actes d'instruction complémentaires.

B.16. Afin d'éviter les difficultés qui pourraient découler de cette annulation pour des affaires pénales encore pendantes ou qui ont déjà fait l'objet d'une décision définitive, il convient, en application de l'article 8, alinéa 2, de la loi spéciale du 6 janvier 1989, de maintenir les effets de la disposition annulée jusqu'à ce que le législateur ait fait entrer en vigueur une modification législative répondant aux inconstitutionnalités constatées en B.15, et au plus tard jusqu'au 31 décembre 2016.

En ce qui concerne l'application de la disposition en cause dans le temps (affaires nos 5704 et 5778) B.17. Le juge a quo, dans l'affaire n° 5778, interroge notamment la Cour sur le point de savoir si, en conférant un effet suspensif de la prescription de l'action publique à la requête en devoirs d'instruction complémentaires que l'inculpé ou le co-inculpé a déposée à une époque où cette requête n'avait pas cet effet et où il n'était pas possible qu'elle l'ait, la disposition en cause ne porterait pas atteinte à la garantie de non-rétroactivité des dispositions législatives, sans que ceci soit justifié par une circonstance exceptionnelle ou un motif d'intérêt général.

Outre les autres critiques, la partie requérante dans l'affaire n° 5704 formule aussi un tel grief.

B.18.1. La loi qui, comme en l'espèce, introduit une nouvelle cause de suspension n'est ni une loi qui établit une nouvelle infraction ni une loi qui détermine le taux de la peine. Il s'agit d'une loi de procédure qui s'applique, dès son entrée en vigueur, à toute action publique, même née avant cette entrée en vigueur, pour autant que l'action publique n'était pas prescrite à cette date.

B.18.2. Sans doute les conditions auxquelles la prescription était acquise en vertu de la loi en vigueur au moment des faits peuvent-elles faire naître l'expectative d'une prescription dans le délai fixé par cette loi. La différence de traitement critiquée est alors celle qui affecte les prévenus dont les attentes suscitées par la loi ancienne sont déjouées par la loi nouvelle. Une telle critique revient à faire grief à celle-ci de n'avoir pas prévu de régime transitoire.

B.18.3. Il eût été concevable de prendre de telles attentes en considération par une généralisation du souci que le législateur manifeste dans une hypothèse à certains égards analogue lorsqu'il dispose, dans l'article 2 du Code pénal, que « nulle infraction ne peut être punie de peines qui n'étaient pas portées par la loi avant que l'infraction fût commise ». Mais alors que l'insécurité juridique résultant de l'introduction de peines qui n'étaient pas prévues au moment où l'infraction a été commise n'est pas susceptible de justification, il en va autrement de l'insécurité qui tient à ce qu'une infraction, déjà punissable au moment où elle est commise, peut encore être punie des mêmes peines après l'expiration du délai escompté, même si les attentes de l'inculpé sont ainsi déjouées (voy. dans le même sens : CEDH, 22 juin 2000, Coëme e.a. c. Belgique, § § 149-151).

B.18.4.1. Les motifs qui justifient le fait que le législateur ait pu traiter différemment l'inculpé selon le moment où il formule sa demande d'actes d'instruction complémentaires justifient aussi le fait que le législateur n'ait pas prévu de mesure transitoire. En effet, la demande d'actes d'instruction complémentaires peut raisonnablement être présumée avoir été introduite pour compléter le dossier, dans le but de faciliter la manifestation de la vérité, et non pour faire expirer le délai de prescription et éviter le procès au fond.

Le fait que l'inculpé ignorait que sa demande de devoirs d'instruction complémentaires puisse suspendre la prescription n'est pas de nature à porter atteinte à son attente légitime que le dossier soit complété comme il le souhaite. En revanche, le but dilatoire qu'il aurait éventuellement poursuivi ne peut être considéré comme une attente légitime.

B.18.4.2. Il en va également ainsi même si la demande d'actes d'instruction complémentaires a été formulée par un autre inculpé, étant donné qu'« en principe, les obstacles légaux à l'instruction de l'action publique à l'égard d'un prévenu suspendent la prescription de l'action publique aussi à l'égard des autres prévenus, lorsqu'il s'agit d'un même fait ou de faits connexes » (voir Cass., 27 septembre 2011, Pas., 2011, n° 501).

B.18.5. En ne prévoyant pas de mesure transitoire, la disposition en cause n'est pas incompatible avec les articles 10 et 11 de la Constitution, combinés avec les dispositions et principes cités dans le grief et dans la question préjudicielle.

B.19. Il découle de ce qui précède que le grief allégué n'est pas fondé et que la dernière partie de la question préjudicielle posée dans l'affaire n° 5778 appelle une réponse négative.

Par ces motifs, la Cour - annule l'article 7 de la loi du 14 janvier 2013Documents pertinents retrouvés type loi prom. 14/01/2013 pub. 31/01/2013 numac 2013009053 source service public federal justice Loi portant des dispositions fiscales et autres en matière de justice fermer portant des dispositions fiscales et autres en matière de justice, tel qu'il a été modifié par l'article 3 de la loi du 25 avril 2014 portant des dispositions diverses en matière de Justice, mais uniquement dans la mesure où il a pour effet de suspendre la prescription de l'action publique lorsque, dans le cadre du règlement de la procédure, le juge d'instruction ou la chambre des mises en accusation décident que des actes d'instruction complémentaires doivent être accomplis, lorsque la chambre du conseil, dans le cadre du règlement de la procédure, ne peut régler la procédure à la suite d'une requête introduite par la partie civile conformément aux articles 61quinquies et 127, § 3, du Code d'instruction criminelle et lorsque la juridiction de jugement sursoit à l'instruction de l'affaire en vue d'accomplir des actes d'instruction complémentaires; - rejette les recours pour le surplus; - maintient les effets de la disposition annulée jusqu'à l'entrée en vigueur d'une nouvelle disposition législative, et au plus tard jusqu'au 31 décembre 2016; - dit pour droit : En ne prévoyant pas de mesure transitoire, l'article 7 de la loi précitée du 14 janvier 2013 ne viole pas les articles 10, 11 et 12 de la Constitution, combinés ou non avec les principes de légalité et de sécurité juridique, avec les articles 14.1 et 14.3 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques et avec les articles 6.1 et 6.3, b), c) et d), de la Convention européenne des droits de l'homme.

Ainsi rendu en langue française, en langue néerlandaise et en langue allemande, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, le 11 juin 2015.

Le greffier, F. Meersschaut Le président, J. Spreutels

^