publié le 29 juin 2015
Extrait de l'arrêt n° 63/2015 du 21 mai 2015 Numéro du rôle : 5873 En cause : le recours en annulation des articles 2, 7 et 8 de la loi du 1 er juillet 2013 modifiant la loi de principes du 12 janvier 2005 concernant l'administratio La Cour constitutionnelle, composée des présidents J. Spreutels et A. Alen, et des juges E. De G(...)
Extrait de l'arrêt n° 63/2015 du 21 mai 2015 Numéro du rôle : 5873 En cause : le recours en annulation des articles 2, 7 et 8 de la loi du 1er juillet 2013Documents pertinents retrouvés type loi prom. 01/07/2013 pub. 06/09/2013 numac 2013009419 source service public federal justice Loi modifiant la loi de principes du 12 janvier 2005 concernant l'administration pénitentiaire ainsi que le statut juridique des détenus type loi prom. 01/07/2013 pub. 25/03/2014 numac 2014000128 source service public federal interieur Loi modifiant la loi de principes du 12 janvier 2005 concernant l'administration pénitentiaire ainsi que le statut juridique des détenus. - Traduction allemande fermer modifiant la loi de principes du 12 janvier 2005 concernant l'administration pénitentiaire ainsi que le statut juridique des détenus, introduit par l'ASBL « Ligue des Droits de l'Homme ».
La Cour constitutionnelle, composée des présidents J. Spreutels et A. Alen, et des juges E. De Groot, L. Lavrysen, J.-P. Snappe, J.-P. Moerman, E. Derycke, T. Merckx-Van Goey, P. Nihoul, F. Daoût, T. Giet et R. Leysen, assistée du greffier P.-Y. Dutilleux, présidée par le président J. Spreutels, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet du recours et procédure Par requête adressée à la Cour par lettre recommandée à la poste le 6 mars 2014 et parvenue au greffe le 10 mars 2014, l'ASBL « Ligue des Droits de l'Homme », assistée et représentée par Me M. Nève, avocat au barreau de Liège, et Me V. van der Plancke, avocat au barreau de Bruxelles, a introduit un recours en annulation des articles 2, 7 et 8 de la loi du 1er juillet 2013Documents pertinents retrouvés type loi prom. 01/07/2013 pub. 06/09/2013 numac 2013009419 source service public federal justice Loi modifiant la loi de principes du 12 janvier 2005 concernant l'administration pénitentiaire ainsi que le statut juridique des détenus type loi prom. 01/07/2013 pub. 25/03/2014 numac 2014000128 source service public federal interieur Loi modifiant la loi de principes du 12 janvier 2005 concernant l'administration pénitentiaire ainsi que le statut juridique des détenus. - Traduction allemande fermer modifiant la loi de principes du 12 janvier 2005 concernant l'administration pénitentiaire ainsi que le statut juridique des détenus (publiée au Moniteur belge du 6 septembre 2013, deuxième édition). (...) II. En droit (...) B.1. Le recours en annulation porte sur les articles 2, 7 et 8 de la loi du 1er juillet 2013Documents pertinents retrouvés type loi prom. 01/07/2013 pub. 06/09/2013 numac 2013009419 source service public federal justice Loi modifiant la loi de principes du 12 janvier 2005 concernant l'administration pénitentiaire ainsi que le statut juridique des détenus type loi prom. 01/07/2013 pub. 25/03/2014 numac 2014000128 source service public federal interieur Loi modifiant la loi de principes du 12 janvier 2005 concernant l'administration pénitentiaire ainsi que le statut juridique des détenus. - Traduction allemande fermer « modifiant la loi de principes du 12 janvier 2005 concernant l'administration pénitentiaire ainsi que le statut juridique des détenus » (ci-après : la loi du 1er juillet 2013Documents pertinents retrouvés type loi prom. 01/07/2013 pub. 06/09/2013 numac 2013009419 source service public federal justice Loi modifiant la loi de principes du 12 janvier 2005 concernant l'administration pénitentiaire ainsi que le statut juridique des détenus type loi prom. 01/07/2013 pub. 25/03/2014 numac 2014000128 source service public federal interieur Loi modifiant la loi de principes du 12 janvier 2005 concernant l'administration pénitentiaire ainsi que le statut juridique des détenus. - Traduction allemande fermer).
Tels qu'ils ont été modifiés respectivement par ces articles 2, 7 et 8, les articles 84, 130 et 132 de la loi de principes précitée disposent : «
Art. 84.§ 1er. Le directeur veille à l'attribution du travail disponible dans la prison aux détenus qui en ont fait la demande.
Cette demande doit être actée dans un formulaire établi par le Roi. § 2. Le travail attribué ne peut porter atteinte à la dignité du détenu ni présenter le caractère d'une sanction disciplinaire. § 3. L'attribution du travail aux condamnés tient compte du plan de détention individuel visé au titre IV, chapitre II. § 4. Le travail mis à disposition en prison ne fait pas l'objet d'un contrat de travail au sens de la loi du 3 juillet 1978Documents pertinents retrouvés type loi prom. 03/07/1978 pub. 03/07/2008 numac 2008000527 source service public federal interieur Loi relative aux contrats de travail Coordination officieuse en langue allemande type loi prom. 03/07/1978 pub. 12/03/2009 numac 2009000158 source service public federal interieur Loi relative aux contrats de travail fermer relative aux contrats de travail. ». «
Art. 130.Sont considérés comme infractions disciplinaires de la seconde catégorie : 1° la prolifération d'injures à l'égard de personnes se trouvant dans la prison;2° le non-respect des dispositions prévues par le règlement d'ordre intérieur;3° le refus d'obtempérer aux injonctions et aux ordres du personnel de la prison;4° la présence non autorisée dans un espace en dehors du délai admis ou dans un espace pour lequel aucun droit d'accès n'a été accordé;5° les contacts non réglementaires avec un codétenu ou avec une personne étrangère à la prison, à l'exception de l'infraction disciplinaire mentionnée à l'article 129, 9°;6° le fait de ne pas maintenir ou de ne pas maintenir suffisamment l'espace de séjour et des espaces communs en état de propreté, ou le fait de souiller des terrains;7° le fait d'occasionner des nuisances sonores qui entravent le bon déroulement des activités de la prison.». «
Art. 132.Quelle que soit la nature de l'infraction disciplinaire, les sanctions disciplinaires suivantes peuvent être infligées : 1° la réprimande avec inscription dans le registre des sanctions disciplinaires vise à l'article 146;2° la restriction ou la privation, pour une durée maximale de trente jours, du droit de se procurer certains objets à la cantine, à l'exception des articles de toilette et du nécessaire pour la correspondance;3° l'isolement (dans l'espace de séjour attribué au détenu), selon les modalités prévues à la section IV ci-après, pour une durée maximale de quinze jours en cas d'infraction de la seconde catégorie;4° l'enfermement en cellule de punition, selon les modalités prévues à la section III ci-après, pour une durée maximale de neuf jours en cas d'infraction de la première catégorie et pour une durée maximale de trois jours en cas d'infraction de la seconde catégorie; Cette sanction peut être infligée pour une durée maximale de quatorze jours en cas de prise d'otage ».
Quant au premier moyen B.2. L'article 84, § 4 précité, inséré par l'article 2 de la loi du 1er juillet 2013Documents pertinents retrouvés type loi prom. 01/07/2013 pub. 06/09/2013 numac 2013009419 source service public federal justice Loi modifiant la loi de principes du 12 janvier 2005 concernant l'administration pénitentiaire ainsi que le statut juridique des détenus type loi prom. 01/07/2013 pub. 25/03/2014 numac 2014000128 source service public federal interieur Loi modifiant la loi de principes du 12 janvier 2005 concernant l'administration pénitentiaire ainsi que le statut juridique des détenus. - Traduction allemande fermer, prévoit que le travail mis à disposition en prison ne fait pas l'objet d'un contrat de travail au sens de la loi du 3 juillet 1978Documents pertinents retrouvés type loi prom. 03/07/1978 pub. 03/07/2008 numac 2008000527 source service public federal interieur Loi relative aux contrats de travail Coordination officieuse en langue allemande type loi prom. 03/07/1978 pub. 12/03/2009 numac 2009000158 source service public federal interieur Loi relative aux contrats de travail fermer relative aux contrats de travail.
Selon la partie requérante, cette disposition violerait les articles 10 et 11 de la Constitution, combinés ou non avec l'article 23 de celle-ci, en ce qu'elle exclut le travail pénitentiaire de la protection attachée à la qualification de contrat de travail, sans prévoir de protection équivalente.
B.3. Le Conseil des ministres soutient que les détenus exerçant un travail pénitentiaire et les travailleurs salariés ne constituent pas des catégories comparables, et ce en considération des articles 81 à 86 de la loi de principes, précitée, du 12 janvier 2005 « concernant l'administration pénitentiaire ainsi que le statut juridique des détenus » (ci-après : la loi de principes), qui fixent le contenu et les obligations inhérentes au travail pénitentiaire.
Il y a dès lors lieu d'examiner si les détenus exerçant un travail pénitentiaire et les travailleurs salariés constituent des catégories suffisamment comparables au regard du régime juridique encadrant le travail des uns et des autres.
B.4. L'exposé des motifs mentionne : « L'article 84 de la loi est complété de manière à affirmer clairement qu'aucun contrat de travail au sens de la loi de 1978 n'est conclu avec les détenus qui exécutent un travail pénitentiaire. En effet, le fait qu'il y ait une obligation dans le chef de l'administration de mettre les détenus au travail contredit l'idée même de relation contractuelle, laquelle implique une volonté libre des contractants.
Sur le plan opérationnel, l'assimilation à un vrai contrat de travail, avec toutes les conséquences que cela implique (charge de travail administratif, montant des rétributions,...), aboutirait à une impossibilité de mettre encore des détenus au travail. Il est donc préférable, comme c'est le cas en France par exemple, que ce principe figure de manière explicite dans la législation.
Afin de donner suite aux remarques du Conseil d'Etat, il convient de renvoyer au fait que la réglementation qui régit le travail pénitentiaire se trouve dans la loi de Principes elle-même, dans les arrêtés royaux en cours d'élaboration et dans les règlements d'ordre intérieur qui ont été approuvés par la ministre. L'élaboration de cette réglementation a pris en compte les Règles pénitentiaires européennes. Dans l'attente de l'arrêté royal relatif aux accidents du travail dans les prisons, un système d'indemnisation basé sur l'équité est d'application aux détenus victimes d'un accident du travail, ce système est décrit par une série de circulaires. Enfin, la réglementation fédérale sur le bien-être au travail est d'application au travail pénitentiaire » (Doc. parl., Chambre, 2012-2013, DOC 53-2744/001, pp. 5-6).
Le Conseil d'Etat a observé en ce qui concerne l'article 2 attaqué : « [...] Dès lors que l'article 81 de la loi de principes accorde au détenu un droit à participer au travail disponible en prison, et qu'il est par conséquent permis de douter de l'existence d'un élément intentionnel chez l'employeur, la disposition en projet n'est pas critiquable. Il apparaît en outre que la Cour européenne des droits de l'homme (ci-après : Cour eur. D.H.) laisse une très grande liberté d'appréciation aux Etats pour déterminer si et, le cas échéant, dans quelle mesure, les détenus doivent être soumis à des règles de droit social. Aucune obligation de prévoir un contrat de travail pour les détenus effectuant du travail pénitentiaire ne peut être déduite de la Convention européenne des droits de l'homme (ci-après : C.E.D.H.).
Rien ne s'oppose par conséquent à éliminer l'imprécision actuelle au sujet de la qualification juridique du travail pénitentiaire, comme le fait l'article 84, § 4, en projet.
Cette disposition n'apporte cependant pas encore de réponse à la question de savoir quelle est alors la nature juridique du rapport de droit entre l'autorité pénitentiaire et le détenu lorsque celui-ci effectue un travail en prison, ni à celle de savoir quelle législation sur le travail autre que la loi du 3 juillet 1978Documents pertinents retrouvés type loi prom. 03/07/1978 pub. 03/07/2008 numac 2008000527 source service public federal interieur Loi relative aux contrats de travail Coordination officieuse en langue allemande type loi prom. 03/07/1978 pub. 12/03/2009 numac 2009000158 source service public federal interieur Loi relative aux contrats de travail fermer s'applique au travail pénitentiaire » (ibid., p. 14).
B.5. L'examen des particularités du travail pénitentiaire par rapport au travail salarié conduit à constater que le premier se distingue substantiellement du second, en particulier sous l'angle de certaines modalités de formation de la relation de travail, des objectifs assignés au travail en milieu pénitentiaire, ainsi que des circonstances et contraintes spécifiques de ce travail.
B.6.1. En ce qui concerne tout d'abord la formation de la relation de travail, il y a lieu de relever que, en vertu de l'article 81 de la loi de principes, le détenu a le droit de participer au travail disponible dans la prison; l'article 82 de la même loi prévoit que l'administration pénitentiaire veille à l'offre ou à la possibilité d'un travail, avec pour finalités celles que précise cette même disposition; enfin, l'article 84, § 1er, précise que le directeur veille à l'attribution du travail disponible dans la prison aux détenus qui en ont fait la demande.
Ces dispositions ont pour effet de conférer au détenu désireux de travailler un droit au travail, dans les limites du « travail disponible » au sein de l'établissement pénitentiaire.
B.6.2. En ce qui concerne ensuite les objectifs assignés par le législateur au travail en milieu pénitentiaire, l'article 82, précité, de la loi de principes précise que ce travail doit permettre aux détenus « de donner un sens à la détention, de préserver, renforcer ou d'acquérir l'aptitude à exercer après leur libération une activité assurant leur subsistance, d'adoucir leur détention, d'assumer des responsabilités, le cas-échéant, vis-à -vis de leurs proches parents et des victimes, et, s'il y a lieu, de payer intégralement ou partiellement des dettes dans la perspective d'une réparation ou de leur réinsertion ».
La plupart de ces objectifs sont propres au travail en milieu pénitentiaire. Tel est le cas de l'objectif de réinsertion professionnelle du détenu après sa libération. Tel est également le cas, s'il y a lieu, de l'objectif de réparation du tort causé aux victimes, assigné au travail effectué par le détenu, en ce que cet objectif est visé dans le plan de détention individuel prévu par l'article 38 de la loi de principes : ce plan de détention contient en effet « une esquisse [...] des activités axées sur la réparation du tort causé aux victimes » ainsi que des « propositions d'activités auxquelles le détenu participera, telles que : 1° le travail disponible ou à mettre à sa disposition dans le cadre de l'exécution de la peine; ».
B.6.3. En ce qui concerne les circonstances dans lesquelles le travail en milieu pénitentiaire se déroule, celles-ci sont largement tributaires d'éléments propres à cet environnement. Au premier rang de ceux-ci figurent les contraintes d'ordre et de sécurité au sein de la prison, lesquelles sont de nature à interférer dans l'offre et les conditions de travail. Il en va de même du rythme des prestations de travail, conditionné par la situation personnelle du détenu : par exemple l'extraction pour comparution devant une juridiction, transfert de prison ou suspension du travail pendant l'exécution d'une sanction disciplinaire. De même, les caractéristiques de chaque établissement pénitentiaire, tels les locaux disponibles ou le personnel susceptible d'encadrer le travail des détenus, peuvent être de nature à interférer dans l'offre, la nature ou les conditions de ce travail.
B.6.4. Enfin, il y a lieu de prendre également en compte certaines contraintes, qualifiées d'opérationnelles lors des travaux préparatoires, telles que la charge de travail administratif et les minima de rémunération, qu'impliquerait l'assimilation du travail pénitentiaire à celui visé par la loi du 3 juillet 1978Documents pertinents retrouvés type loi prom. 03/07/1978 pub. 03/07/2008 numac 2008000527 source service public federal interieur Loi relative aux contrats de travail Coordination officieuse en langue allemande type loi prom. 03/07/1978 pub. 12/03/2009 numac 2009000158 source service public federal interieur Loi relative aux contrats de travail fermer (Doc. parl., Chambre, 2012-2013, DOC 53-2744/001, p. 5). Il suffit de constater que ces contraintes seraient de nature à rendre plus difficile la mise au travail des détenus.
B.7. Il résulte de ce qui précède que les détenus exerçant un travail pénitentiaire se trouvent dans une situation trop éloignée de celle dans laquelle se trouvent les travailleurs salariés pour que les premiers puissent être utilement comparés aux seconds en ce qui concerne le régime juridique encadrant le travail des uns et des autres (CEDH, grande chambre, 7 juillet 2011, Stummer, §§ 93 à 95).
B.8. Le premier moyen n'est pas fondé.
Quant au deuxième moyen B.9. Selon la partie requérante, l'article 130, 2°, de la loi de principes, tel qu'il a été modifié par l'article 7 de la loi attaquée, violerait l'article 22 de la Constitution, lu en combinaison avec l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme, en ce qu'il érige en infraction disciplinaire de seconde catégorie le non-respect des dispositions prévues par le règlement d'ordre intérieur.
La partie requérante limite toutefois ses critiques au fait que, en assimilant le non-respect du règlement d'ordre intérieur à une infraction disciplinaire de la seconde catégorie, la disposition attaquée expose le détenu - et ce pour n'importe quelle violation du règlement d'ordre intérieur - aux sanctions d'isolement ou d'enfermement en cellule de punition prévues respectivement par l'article 132, 3° et 4°, de la loi de principes, ou encore à la privation ou à la restriction des contacts avec des visiteurs extérieurs à la prison, prévue par l'article 133, 3°, de la même loi.
Aux deux premières de ces sanctions sont associées, respectivement, la limitation du droit de visite aux « personnes extérieures à la prison visées à l'article 59, § 1er » - soit les parents proches et le cohabitant - (article 140, § 2, alinéas 2 et 3) et la privation de visite de personnes extérieures à la prison, sauf pour ce qui concerne les parents et cohabitant précités lorsque l'enfermement dure plus de trois jours (article 135, 2°).
Ces interdictions ou restrictions du droit de visite constitueraient, selon la requérante, une ingérence dans le droit au respect de la vie privée et familiale des personnes détenues; cette ingérence devrait en conséquence être prévue par la loi, et être nécessaire, dans une société démocratique, à la poursuite de l'un ou de plusieurs buts légitimes énoncés à l'article 8.2 de la Convention européenne des droits de l'homme.
Les critiques portent sur le non-respect du principe de légalité, ainsi que sur le manque d'accessibilité et le défaut de prévisibilité qui résulteraient de la disposition attaquée.
B.10. En réservant au législateur compétent le pouvoir de fixer dans quels cas et à quelles conditions il peut être porté atteinte au droit au respect de la vie privée et familiale, l'article 22 de la Constitution garantit à tout citoyen qu'aucune ingérence dans ce droit ne pourra avoir lieu qu'en vertu de règles adoptées par une assemblée délibérante, démocratiquement élue.
Une délégation à un autre pouvoir n'est pas contraire au principe de légalité, pour autant que l'habilitation soit définie de manière suffisamment précise et porte sur l'exécution de mesures dont les éléments essentiels sont fixés préalablement par le législateur.
B.11.1. En vertu de l'article 130, 2°, de la loi de principes, tel qu'il a été modifié par l'article 7 de la loi attaquée, le non-respect des dispositions prévues par le règlement d'ordre intérieur est une infraction disciplinaire de la seconde catégorie. De telles infractions peuvent faire l'objet de sanctions qui sont susceptibles de porter atteinte au droit au respect de la vie privée et familiale du détenu et qui sont prévues à l'article 132 de la même loi, comme la possibilité d'isolement ou d'enfermement en cellule de punition ou la restriction du droit de visite.
B.11.2. Le règlement d'ordre intérieur de l'établissement pénitentiaire a pour but de fixer des règles en vue du bon fonctionnement interne et de garantir l'ordre et la sécurité, de sorte qu'il n'est pas sans justification raisonnable que le non-respect de ce règlement puisse être sanctionné. C'est le propre d'un règlement d'ordre intérieur de tenir compte, dans sa rédaction, des caractéristiques spécifiques de l'établissement pénitentiaire ou de la section de cet établissement qu'il vise.
Aux termes de l'article 16 de la loi de principes, dans chaque prison, le chef d'établissement rédige un règlement d'ordre intérieur conformément aux dispositions fixées par ou en vertu de cette loi et conformément aux instructions données par le ministre. Le règlement d'ordre intérieur est soumis à l'approbation du ministre.
B.11.3. Lorsqu'il rédige le règlement d'ordre intérieur, le chef d'établissement est dès lors lié par un cadre légal et réglementaire.
Le législateur fixe ainsi les éléments essentiels à respecter lors de l'élaboration du règlement d'ordre intérieur, délimite le pouvoir d'appréciation du chef d'établissement et fixe la nature des infractions à ce règlement ainsi que les sanctions touchant à la vie privée et familiale qui peuvent être infligées pour réprimer ces infractions.
La disposition attaquée satisfait aux exigences mentionnées en B.10.
B.12. Outre cette exigence de légalité formelle, l'article 22 de la Constitution impose également que l'ingérence dans le droit au respect de la vie privée soit libellée en des termes clairs et suffisamment précis qui permettent d'appréhender de manière prévisible les hypothèses dans lesquelles le législateur autorise pareille ingérence dans le droit au respect de la vie privée.
De même, l'exigence de prévisibilité à laquelle la loi doit satisfaire pour être jugée conforme à l'article 8 de la Convention européenne des droits de l'homme implique que sa formulation soit assez précise pour que tout individu puisse prévoir, à un degré raisonnable dans les circonstances de la cause, les conséquences pouvant résulter d'un acte déterminé (CEDH, 17 février 2004, Maestri c. Italie, § 30).
La loi doit offrir des garanties contre les atteintes arbitraires de la puissance publique au droit au respect de la vie privée, à savoir en délimitant le pouvoir d'appréciation des autorités concernées avec une netteté suffisante, d'une part, et en prévoyant un contrôle juridictionnel effectif, d'autre part (voy., entre autres, CEDH, 4 mai 2000, Rotaru c. Roumanie, § 55; 6 juin 2006, Segerstedt-Wiberg c.
Suède, § 76; 4 juillet 2006, Lupsa c. Roumanie, § 34).
B.13. Les conditions précitées s'appliquent également en ce qui concerne la protection de la vie privée et familiale des détenus (CEDH, 25 mars 1983, Silver c. Royaume Uni, §§ 86-90; 29 septembre 2008, Gülmez c. Turquie, § 49; 17 septembre 2009, Enea c. Italie, § 143).
B.14. En vertu de l'article 16 de la loi de principes, un exemplaire du règlement d'ordre intérieur est mis à la disposition des détenus, afin qu'ils puissent prendre connaissance des règles qu'ils doivent respecter et qui peuvent donner lieu à des sanctions si elles ne sont pas respectées.
La disposition attaquée sanctionne l'infraction aux règles concrètes de ce dernier, qui tiennent compte du caractère propre à chaque établissement et qui doivent être formulées en des termes suffisamment clairs et précis pour que le détenu puisse connaître les conséquences de ses actes.
Pour déterminer la nature et le degré de la sanction, il est tenu compte, aux termes de l'article 143, § 1er, de la loi de principes, de la gravité de l'infraction, des circonstances dans lesquelles elle s'est produite, des circonstances atténuantes et des mesures provisoires qui ont été éventuellement imposées.
En cas de contestation, il appartient au juge compétent d'examiner si ces conditions sont remplies.
B.15. Le deuxième moyen n'est pas fondé.
Quant au troisième moyen B.16. Selon la partie requérante, l'article 132, 4°, tel qu'il a été complété par l'article 8 de la loi attaquée, violerait les articles 10 et 11 de la Constitution, en ce qu'il allonge l'enfermement en cellule de punition à une durée, maximale, de quatorze jours en cas de prise d'otage : ce faisant, l'article 132, 4°, alinéa 2, traiterait, de manière différente, deux personnes détenues « ayant commis une infraction disciplinaire de même catégorie, l'une étant responsable d'une prise d'otage en milieu pénitentiaire, l'autre ayant commis toute autre infraction disciplinaire de première catégorie », et ce, sans justification raisonnable.
B.17. Cette modification a été commentée comme suit lors des travaux préparatoires : « Les problèmes qui se posent en termes de sécurité, entre autre suite aux prises d'otage à répétition en vue d'évasion, démontrent la nécessité de modifier un certain nombre de dispositions de la loi du 12 janvier 2005Documents pertinents retrouvés type loi prom. 12/01/2005 pub. 01/02/2005 numac 2005009033 source service public federal justice Loi de principes concernant l'administration des établissements pénitentiaires ainsi que le statut juridique des détenus fermer relative à l'administration pénitentiaire et le statut juridique interne des détenus.
Le gouvernement souhaite donner le signal clair que la prise d'otage de toute personne qui se trouve dans une prison constitue une problématique très sérieuse et donne en conséquence au directeur de prison la possibilité de sanctionner plus lourdement une telle infraction » (Doc. parl., Chambre, 2012-2013, DOC 53-2744/001, p. 4).
B.18. Il ressort de l'insertion de la disposition attaquée dans l'article 132 de la loi de principes, qui traite des sanctions, et non dans son article 129, qui définit les infractions disciplinaires de la première catégorie, ainsi que des commentaires donnés lors des travaux préparatoires par le Gouvernement, que la prise d'otage s'analyse non comme une nouvelle infraction disciplinaire, mais comme une circonstance donnant lieu à une aggravation de la sanction. En réponse à une proposition visant à ériger la prise d'otage, de façon explicite, en infraction, la ministre a ainsi précisé : « [...] la prise d'otage ne doit pas être reprise explicitement, étant donné qu'elle peut entrer dans la catégorie des actes visés à l'article 129, 1° et 2°, de la loi de principes. Il s'agit de : 1° l'atteinte intentionnelle à l'intégrité physique de personnes ou la menace d'une telle atteinte; 2° l'atteinte intentionnelle à l'intégrité psychique de personnes, ou la menace d'une telle atteinte » (Doc. parl., Chambre, 2012-2013, DOC 53-2744/004, p. 28).
Il s'ensuit que la différence de traitement soumise à la Cour par la partie requérante doit être entendue comme visant celle faite, au niveau de la durée maximale d'enfermement en cellule de punition, entre les détenus ayant commis une infraction disciplinaire de première catégorie et ceux pour lesquels l'infraction a été accompagnée d'une prise d'otage : dans le premier cas, la durée maximale est de neuf jours, alors qu'elle est portée à quatorze jours dans le second cas.
Il y a lieu d'examiner si cette différence de traitement est raisonnablement justifiée.
B.19. Le critère de distinction retenu dans la fixation de la durée d'enfermement maximale en cellule de punition, tiré de l'existence ou non d'une prise d'otage, constitue un critère objectif.
Par ailleurs, l'allongement de cette durée en cas de prise d'otage est pertinent par rapport à l'objectif visant à dissuader les détenus de recourir à une prise d'otage et, plus généralement, par rapport au souci de maintien de l'ordre et de la sécurité dans les établissements pénitentiaires. Une prise d'otage constitue en effet un acte d'une extrême gravité.
Il y a encore lieu de vérifier si l'allongement de la durée maximale d'enfermement en cellule de punition, attaché à la prise d'otage par l'article 132, 4°, alinéa 2, attaqué, ne constitue pas une mesure disproportionnée au regard des objectifs précités.
B.20.1. Ainsi qu'il ressort de la formulation de la disposition attaquée, l'allongement de la durée maximale d'enfermement en cellule de punition n'est pas un effet automatique de toute prise d'otage, mais est une faculté, laissée à l'appréciation du directeur de la prison. Inspiré par le même souci de proportionnalité, l'article 143, § 1er, de la loi de principes prévoit que « pour déterminer la nature et le degré de la sanction disciplinaire, il est tenu compte de la gravité de l'infraction, des circonstances dans lesquelles elle s'est produite, des circonstances atténuantes et des mesures provisoires [...] ».
Par ailleurs, il a déjà été relevé que la mesure attaquée consiste à porter de neuf à quatorze jours la durée maximale d'enfermement en cellule de punition, lorsqu'une infraction de la première catégorie a été accompagnée d'une prise d'otage. Cet allongement n'apparaît pas excessif compte tenu de la gravité, déjà relevée, d'un tel acte. Par ailleurs, comme il a été relevé dans les travaux préparatoires (Doc. parl., Chambre, 2012-2013, DOC 53-2744/004, p. 8), la limite de quatorze jours d'enfermement est la même que celle recommandée par le Comité européen pour la prévention de la torture et des peines ou traitements inhumains ou dégradants.
Il y a lieu de noter enfin que les articles 134 à 139, qui réglementent l'enfermement en cellule de punition, contiennent aussi plusieurs mesures protectrices des droits des détenus. Ainsi cette sanction est-elle exclue à l'égard des femmes enceintes ou des détenues dont l'enfant de moins de trois ans a séjourné en prison.
Diverses mesures sont également prévues visant à garantir des conditions décentes d'enfermement ainsi que les exigences de santé et d'hygiène auxquelles doit notamment satisfaire la cellule de punition.
Par ailleurs, lorsque l'enfermement dure plus de trois jours, la visite des parents proches et cohabitant est autorisée, selon les modalités précisées à l'article 135, § 1er, 2°. En ce que la partie requérante objecte l'absence de sanction et/ou l'inapplicabilité en fait de ces garanties, ces critiques portent non sur les dispositions légales qui les prévoient, mais sur leur exécution : il appartient dès lors, le cas échéant, non pas à la Cour mais au juge compétent d'en connaître.
B.20.2. La partie requérante critique également la proportionnalité de la mesure au regard de l'article 347bis du Code pénal - qui incrimine l'infraction de prise d'otages et la sanctionne d'une peine allant de vingt ans de réclusion à la réclusion à perpétuité, en fonction des circonstances aggravantes retenues - ainsi qu'au regard de l'article 143, § 2, de la loi de principes, qui réglemente le concours d'infractions disciplinaires.
En ce qui concerne l'article 347bis du Code pénal, il y a lieu de distinguer, dans le cadre très spécifique de la détention pénitentiaire, la peine disciplinaire et la sanction pénale : alors que la sanction pénale intervient largement après l'infraction et a pour objet de punir l'individu, la sanction disciplinaire vise à permettre au directeur de la prison de maintenir, au quotidien, un niveau adéquat d'ordre et de sécurité au sein de la prison.
L'autonomie du régime disciplinaire est d'ailleurs expressément consacrée par l'article 125 de la loi de principes, lequel prévoit que « le concours d'une infraction disciplinaire avec un délit ne fait pas obstacle à la procédure disciplinaire et à la possibilité de punir disciplinairement ». Ces considérations s'imposent a fortiori lorsqu'il s'agit d'une prise d'otage, compte tenu de la gravité de cet acte. L'incrimination de la prise d'otage par l'article 347bis du Code pénal n'affecte dès lors pas la proportionnalité de la mesure attaquée.
En ce qui concerne l'article 143, § 2, de la loi de principes - qui prévoit que, en cas de concours d'infractions disciplinaires, les diverses infractions sont sanctionnées comme une seule infraction disciplinaire de la même catégorie que la plus grave des infractions concourantes -, il n'apparaît pas en quoi cette disposition affecterait la proportionnalité de la prolongation de la durée maximale d'enfermement en cellule de punition en cas de prise d'otage.
B.21. Le troisième moyen n'est pas fondé.
Par ces motifs, la Cour rejette le recours.
Ainsi rendu en langue française, en langue néerlandaise et en langue allemande, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, le 21 mai 2015.
Le greffier, P.-Y. Dutilleux Le président, J. Spreutels