publié le 19 mai 2015
Extrait de l'arrêt n° 50/2015 du 30 avril 2015 Numéro du rôle : 5872 En cause : le recours en annulation des articles 4, 5, 6, 9 et 10 de la loi du 30 juillet 2013 relative à la revente de titres d'accès à des événements, introduit par la soc La Cour constitutionnelle, composée des présidents A. Alen et J. Spreutels, et des juges E. De G(...)
Extrait de l'arrêt n° 50/2015 du 30 avril 2015 Numéro du rôle : 5872 En cause : le recours en annulation des articles 4, 5, 6, 9 et 10 de la loi du 30 juillet 2013Documents pertinents retrouvés type loi prom. 30/07/2013 pub. 06/09/2013 numac 2013011413 source service public federal economie, p.m.e., classes moyennes et energie Loi relative à la revente de titres d'accès à des événements fermer relative à la revente de titres d'accès à des événements, introduit par la société de droit suisse « eBay International SA » et la société de droit néerlandais « 2dehands.nl BV ».
La Cour constitutionnelle, composée des présidents A. Alen et J. Spreutels, et des juges E. De Groot, L. Lavrysen, J.-P. Snappe, J.-P. Moerman, E. Derycke, T. Merckx-Van Goey, P. Nihoul, F. Daoût, T. Giet et R. Leysen, assistée du greffier F. Meersschaut, présidée par le président A. Alen, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet du recours et procédure Par requête adressée à la Cour par lettre recommandée à la poste le 6 mars 2014 et parvenue au greffe le 7 mars 2014, un recours en annulation des articles 4, 5, 6, 9 et 10 de la loi du 30 juillet 2013Documents pertinents retrouvés type loi prom. 30/07/2013 pub. 06/09/2013 numac 2013011413 source service public federal economie, p.m.e., classes moyennes et energie Loi relative à la revente de titres d'accès à des événements fermer relative à la revente de titres d'accès à des événements (publiée au Moniteur belge du 6 septembre 2013, deuxième édition) a été introduit par la société de droit suisse « eBay International SA » et la société de droit néerlandais « 2dehands.nl BV », assistées et représentées par Me G. Glas et Me P. Van Dyck, avocats au barreau de Bruxelles. (...) II. En droit (...) Quant aux dispositions attaquées B.1.1. La loi du 30 juillet 2013Documents pertinents retrouvés type loi prom. 30/07/2013 pub. 06/09/2013 numac 2013011413 source service public federal economie, p.m.e., classes moyennes et energie Loi relative à la revente de titres d'accès à des événements fermer relative à la revente de titres d'accès à des événements vise à garantir l'accessibilité à des événements culturels et sportifs.
B.1.2. Pour atteindre le but envisagé, le législateur a restreint la revente de titres d'accès. Par revente, il faut entendre « toute vente et toute offre en vente d'un titre d'accès qui n'émane pas du vendeur initial » (article 2, 4°).
Au sens de la loi, un titre d'accès est un « document, message ou code, quels qu'en soient la forme et le support, attestant de l'obtention auprès du producteur, de l'organisateur, du propriétaire des droits d'exploitation ou de tout autre vendeur accrédité du droit d'assister à une manifestation culturelle, sportive ou commerciale ou un spectacle vivant » (article 2, 1°).
La vente initiale constitue la « première mise sur le marché, contre paiement, de titres d'accès par l'une des personnes visées au 1° » (article 2, 2°).
Le prix définitif est le prix total à payer par le consommateur, dans lequel sont compris la taxe sur la valeur ajoutée, toutes autres taxes, ainsi que le coût de tous les services à payer obligatoirement en supplément par le consommateur (article 2, 6°).
B.1.3. Les articles attaqués disposent : «
Art. 4.§ 1er. Le vendeur initial communique toujours le prix définitif du titre d'accès, quelle que soit sa forme, lors de la proposition de transaction.
Le prix est mentionné sur le titre d'accès, d'une manière non équivoque et dans un caractère clairement lisible. § 2. Les suppléments de prix et frais facultatifs ou variables, sont communiqués d'une manière claire, transparente et non équivoque et sont acceptés par l'acheteur sur une base ' opt-in ' lors du processus d'achat. § 3. Les pratiques commerciales spécifiques telles que, notamment, les titres d'accès privilégiés ou encore les titres d'accès promotionnels ainsi que leur éventuel caractère gracieux doivent être mentionnés sur le titre d'accès d'une manière non équivoque et dans un caractère clairement lisible.
Art. 5.§ 1er. La revente de manière habituelle est interdite.
Le fait d'exposer en vue de la revente de manière habituelle, et le fait de fournir les moyens qui seront utilisés pour une revente de manière habituelle, sont interdits. § 2. La revente de manière occasionnelle à un prix supérieur au prix tel que défini à l'article 4, § 1er, est interdite.
Le fait d'exposer en vue de la revente de manière occasionnelle, et le fait de fournir les moyens qui seront utilisés pour une revente de manière occasionnelle, sont eux aussi interdits s'il s'agit d'une revente à un prix supérieur au prix tel que défini à l'article 4, § 1er. § 3. La revente avant le début de la vente initiale est interdite.
Le fait d'exposer en vue de la revente et le fait de fournir les moyens qui seront utilisés pour une revente, sont eux aussi interdits avant le début de la vente initiale. § 4. La vente d'un titre d'accès privilégié ainsi que d'un titre d'accès promotionnel, qui n'ont pas fait l'objet d'une vente initiale, est interdite.
Le fait d'exposer en vue de la revente et le fait de fournir les moyens qui seront utilisés pour une revente, sont eux aussi interdits en vue de la vente d'un titre d'accès privilégié ainsi que d'un titre d'accès promotionnel qui n'ont pas fait l'objet d'une vente initiale.
Art. 6.Nonobstant toute clause contraire et sans préjudice de l'application de l'article 1116 du Code civil, toute différence dans le prix du paiement d'une revente excédant le montant tel que déterminé à l'article 4, § 1er, est considéré comme un paiement indu et l'acheteur est habilité à réclamer le montant payé en trop auprès du revendeur concerné, indépendamment du fait qu'un revendeur précédent ait déjà commis ou non une infraction à l'article 5, § 2. [...]
Art. 9.Les infractions aux articles 4 et 5 sont soumises aux sanctions visées à l'article 124 de la loi du 6 avril 2010Documents pertinents retrouvés type loi prom. 06/04/2010 pub. 12/04/2010 numac 2010011166 source service public federal economie, p.m.e., classes moyennes et energie Loi relative aux pratiques du marché et à la protection du consommateur type loi prom. 06/04/2010 pub. 12/04/2010 numac 2010011165 source service public federal economie, p.m.e., classes moyennes et energie Loi concernant le règlement de certaines procédures dans le cadre de la loi du 6 avril 2010 relative aux pratiques du marché et à la protection du consommateur fermer relative aux pratiques du marché et à la protection du consommateur.
Art. 10.Les dispositions du livre Ier du Code pénal, y compris le chapitre 7 et l'article 85, sont applicables aux infractions visées par la présente loi ».
La loi est entrée en vigueur le 1er octobre 2013 (article 16).
La sanction visée à l'article 124, entre-temps abrogé, de la loi du 6 avril 2010Documents pertinents retrouvés type loi prom. 06/04/2010 pub. 12/04/2010 numac 2010011166 source service public federal economie, p.m.e., classes moyennes et energie Loi relative aux pratiques du marché et à la protection du consommateur type loi prom. 06/04/2010 pub. 12/04/2010 numac 2010011165 source service public federal economie, p.m.e., classes moyennes et energie Loi concernant le règlement de certaines procédures dans le cadre de la loi du 6 avril 2010 relative aux pratiques du marché et à la protection du consommateur fermer relative aux pratiques du marché et à la protection du consommateur, est une amende pénale s'élevant de 250 à 10.000 euros.
Quant à la recevabilité B.2.1. Le Conseil des ministres conteste l'intérêt des parties requérantes.
B.2.2. La Constitution et la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle imposent à toute personne physique ou morale qui introduit un recours en annulation de justifier d'un intérêt. Ne justifient de l'intérêt requis que les personnes dont la situation pourrait être affectée directement et défavorablement par la norme attaquée.
B.2.3. Les parties requérantes sont les gestionnaires de plates-formes électroniques qui s'adressent au marché belge. Elles gèrent respectivement le site internet eBay.be et 2ememain.be.
Etant donné que les dispositions attaquées restreignent la revente de titres d'accès, il peut en toute hypothèse se concevoir qu'elles sont susceptibles d'avoir une incidence directe et défavorable sur les activités des parties requérantes. Ce constat suffit pour que les parties requérantes justifient de l'intérêt requis pour demander l'annulation des dispositions attaquées.
B.2.4. Dans la mesure où le Conseil des ministres conteste également l'intérêt des parties requérantes à certains moyens, il suffit d'observer que lorsque les parties requérantes ont intérêt à l'annulation des dispositions attaquées, elles ne doivent pas, en outre, justifier d'un intérêt à chacun des moyens.
Certes, le Conseil des ministres fait valoir que le droit de l'Union européenne, dont sont pris partiellement certains moyens, ne s'applique pas à la première partie requérante, qui est une société de droit suisse, mais l'inapplicabilité précitée n'enlève rien à la recevabilité des moyens, étant donné que la seconde partie requérante, qui est une société de droit néerlandais, peut, pour sa part, se prévaloir du droit européen.
B.3.1. Les parties requérantes poursuivent l'annulation des articles 4, 5, 6, 9 et 10 de la loi attaquée.
B.3.2. Le Conseil des ministres déduit du contenu de la requête que la portée réelle du recours en annulation est plus limitée.
B.3.3. La Cour définit la portée du recours à la lumière du contenu de la requête. Elle limite son examen aux dispositions contre lesquelles des moyens sont allégués. S'il ressort de l'examen plus approfondi des moyens que seules certaines parties de ces dispositions sont critiquées, l'examen se limite le cas échéant à ces parties.
Quant au premier moyen B.4. Le premier moyen est pris de la violation des articles 10, 11 et 19 de la Constitution, combinés avec l'article 14 de la directive 2000/31/CE du 8 juin 2000 sur le commerce électronique, en ce que les dispositions attaquées pourraient conduire à engager la responsabilité des parties requérantes si elles n'exerçaient pas de contrôle sur l'utilisation de leurs plates-formes. Cette obligation de contrôle actif serait contraire, selon les parties requérantes, à la directive précitée.
B.5. L'article 14 de la directive sur le commerce électronique dispose : « 1. Les Etats membres veillent à ce que, en cas de fourniture d'un service de la société de l'information consistant à stocker des informations fournies par un destinataire du service, le prestataire ne soit pas responsable des informations stockées à la demande d'un destinataire du service à condition que : a) le prestataire n'ait pas effectivement connaissance de l'activité ou de l'information illicites et, en ce qui concerne une demande en dommages et intérêts, n'ait pas connaissance de faits ou de circonstances selon lesquels l'activité ou l'information illicite est apparente ou b) le prestataire, dès le moment où il a de telles connaissances, agisse promptement pour retirer les informations ou rendre l'accès à celles-ci impossible.2. Le paragraphe 1 ne s'applique pas lorsque le destinataire du service agit sous l'autorité ou le contrôle du prestataire.3. Le présent article n'affecte pas la possibilité, pour une juridiction ou une autorité administrative, conformément aux systèmes juridiques des Etats membres, d'exiger du prestataire qu'il mette un terme à une violation ou qu'il prévienne une violation et n'affecte pas non plus la possibilité, pour les Etats membres, d'instaurer des procédures régissant le retrait de ces informations ou les actions pour en rendre l'accès impossible ». B.6.1. L'article 5 attaqué interdit non seulement d'exposer des titres d'accès en vue de la revente mais également de fournir les moyens, notamment des plates-formes électroniques, qui sont utilisés pour une revente.
Il ressort toutefois des travaux préparatoires de cette disposition que les gestionnaires de plates-formes électroniques ne peuvent voir leur responsabilité engagée pour une infraction à la loi que s'ils ont une connaissance effective de l'activité illégale et qu'ils « en sont [donc] explicitement informés » (Doc. parl., Chambre, 2012-2013, DOC 53-0656/005, p. 4).
Sans qu'il soit nécessaire d'examiner si les parties requérantes fournissent un service au sens de l'article 14 de la directive sur le commerce électronique, ce que conteste le Conseil des ministres, il découle de ceci que la disposition attaquée doit être interprétée d'une manière conforme à la directive et qu'elle n'a dès lors pas la portée que lui prêtent les parties requérantes. L'article 5 attaqué oblige les gestionnaires de plates-formes électroniques, dès qu'ils ont connaissance d'offres illégales de revente, à agir promptement pour supprimer ces offres ou en empêcher l'accès.
B.6.2. Dans la mesure où les parties requérantes allèguent la violation de l'article 19 de la Constitution, il ne peut être déduit de l'exposé du moyen de quelle manière les dispositions attaquées violeraient la liberté d'expression.
B.6.3. Le premier moyen n'est pas fondé.
Quant au deuxième moyen B.7. Le deuxième moyen est pris de la violation des articles 10 et 11 de la Constitution, combinés avec l'article II.3 du Code de droit économique et avec l'article 56 du Traité sur le fonctionnement de l'Union européenne (ci-après : TFUE), en ce que les dispositions attaquées constitueraient un obstacle pour les revendeurs et les gestionnaires de plates-formes électroniques pour exercer leurs activités en Belgique et discrimineraient ainsi les opérateurs économiques précités qui s'adressent au marché belge par rapport aux opérateurs économiques qui ne sont pas actifs en Belgique.
B.8.1. L'article II.3 du Code de droit économique dispose : « Chacun est libre d'exercer l'activité économique de son choix ».
B.8.2. La Cour n'est pas compétente pour contrôler des dispositions législatives au regard d'autres dispositions législatives qui ne sont pas des règles répartitrices de compétence.
B.8.3. La loi du 28 février 2013Documents pertinents retrouvés type loi prom. 28/02/2013 pub. 29/03/2013 numac 2013011134 source service public federal economie, p.m.e., classes moyennes et energie Loi introduisant le Code de droit économique fermer, qui a introduit l'article II.3, précité, du Code de droit économique, a abrogé le décret dit d'Allarde des 2-17 mars 1791. Ce décret, qui garantissait la liberté de commerce et d'industrie, a servi régulièrement de norme de référence à la Cour dans son contrôle du respect des articles 10 et 11 de la Constitution.
B.8.4. La liberté d'entreprendre, visée par l'article II.3 du Code de droit économique, doit s'exercer « dans le respect des traités internationaux en vigueur en Belgique, du cadre normatif général de l'union économique et de l'unité monétaire tel qu'établi par ou en vertu des traités internationaux et de la loi » (article II.4 du même Code).
La liberté d'entreprendre doit par conséquent être lue en combinaison avec les dispositions de droit de l'Union européenne applicables, ainsi qu'avec l'article 6, § 1er, VI, alinéa 3, de la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles, au regard duquel la Cour peut effectuer directement un contrôle, s'agissant d'une règle répartitrice de compétence.
Enfin, la liberté d'entreprendre est également garantie par l'article 16 de la Charte des droits fondamentaux de l'Union européenne.
B.8.5. Par conséquent, la Cour est compétente pour contrôler les dispositions attaquées au regard des articles 10 et 11 de la Constitution, combinés avec la liberté d'entreprendre.
B.9. Le législateur dispose d'un pouvoir d'appréciation étendu pour déterminer sa politique dans les matières socio-économiques.
Toutefois, s'il entend restreindre la liberté d'entreprendre, le législateur doit tenir compte des dispositions applicables du droit de l'Union européenne.
L'article 56 du TFUE dispose : « Dans le cadre des dispositions ci-après, les restrictions à la libre prestation des services à l'intérieur de l'Union sont interdites à l'égard des ressortissants des Etats membres établis dans un Etat membre autre que celui du destinataire de la prestation.
Le Parlement européen et le Conseil, statuant conformément à la procédure législative ordinaire, peuvent étendre le bénéfice des dispositions du présent chapitre aux prestataires de services ressortissants d'un Etat tiers et établis à l'intérieur de l'Union ».
B.10. Selon une jurisprudence constante de la Cour de justice de l'Union européenne, l'article 56 du TFUE exige non seulement l'élimination de toute discrimination à l'encontre du prestataire de services en raison de sa nationalité ou de la circonstance qu'il est établi dans un Etat membre autre que celui où la prestation doit être exécutée, mais également la suppression de toute restriction, même si elle s'applique indistinctement aux prestataires nationaux et à ceux des autres Etats membres, lorsqu'elle est de nature à prohiber, à gêner ou à rendre moins attrayantes les activités du prestataire établi dans un autre Etat membre, où il fournit légalement des services analogues (CJUE, 19 décembre 2012, C-577/10, Commission c.
Belgique, point 38).
B.11. Les restrictions apportées à la revente de titres d'accès et au fait de fournir des moyens permettant cette revente, instaurées par les dispositions attaquées, s'appliquent sans distinction de nationalité. Elles ne constituent dès lors pas une entrave directe à l'offre de services sur le marché belge.
En revanche, les dispositions attaquées soumettent la revente de titres d'accès à certains événements et la fourniture de moyens permettant cette revente à des conditions strictes qui rendent plus difficile pour des prestataires de services établis dans un autre Etat membre l'offre de services sur le territoire belge. Par conséquent, elles constituent un obstacle à la libre prestation des services.
L'argument du Conseil des ministres selon lequel les effets de ces règles sont en réalité négligeables en ce qu'ils ne concerneraient qu'un seul produit spécifique dont la revente est seulement encadrée dans une mesure déterminée n'enlève rien à ce constat. A cet égard, il suffit de rappeler qu'en principe le droit de l'Union interdit même une restriction minime ou de peu d'importance à une liberté fondamentale (CJUE, 3 décembre 2014, C-315/13, De Clercq e.a., point 61).
B.12.1. S'agissant d'une restriction à la libre prestation des services, la Cour doit d'abord examiner si elle peut être justifiée par des motifs impérieux d'intérêt général.
B.12.2. Selon les auteurs de la proposition de loi ayant donné lieu à la loi attaquée, les événements culturels et sportifs « doivent être accessibles au plus grand nombre possible de consommateurs. Le grand public doit avoir accès à ces événements à des conditions conformes au marché. Autrement dit, ils doivent avoir la possibilité d'utiliser ces services à des prix normaux » (Doc. parl., Chambre, 2010-2011, DOC 53-0656/001, p. 3).
La proposition de loi « est une réponse à la pénurie artificielle de tickets créée pour certains événements » (Doc. parl., Chambre, 2012-2013, DOC 53-0656/005, p. 6). Les auteurs de la proposition ont esquissé la manière dont cette pénurie apparaît : « La vente secondaire de titres d'accès à des prix exceptionnellement élevés, et en particulier le commerce secondaire via l'internet créent une nouvelle forme de rareté. De tels commerçants secondaires achètent massivement via des hommes de paille des titres d'accès auprès des vendeurs officiels et les revendent presque immédiatement (et dans certains cas déjà avant le moment où ils ont eux-mêmes acquis le titre d'accès) via un circuit secondaire à un prix qui atteint souvent 6 à 7 fois le prix initial » (Doc. parl., Chambre, 2010-2011, DOC 53-0656/001, p. 3).
Les dispositions attaquées découlent dès lors du constat selon lequel le marché secondaire pour la revente de billets de concert est manipulé et, par conséquent, ne fonctionne pas : « C'est ainsi que certains sites internet proposent des tickets pour le match de football opposant la Belgique à la Serbie au prix de 1.000 euros. C'est inadmissible : ce qui importe, c'est de garantir l'accessibilité, non la spéculation » (Doc. parl., Chambre, 2012-2013, DOC 53-0656/005, pp. 3-4).
B.12.3. Les dispositions attaquées tendent dès lors essentiellement à lutter contre les excès du libre jeu des forces du marché sur les marchés dits secondaires.
Un marché secondaire apparaît lorsque le prix qui est facturé par le vendeur initial pour le titre d'accès est nettement inférieur au prix qui sera fixé par le libre fonctionnement du marché, en d'autres termes par le pur jeu de l'offre et de la demande. Plus la différence est grande entre les deux prix, plus le marché secondaire exercera un pouvoir d'attraction et plus importants seront les bénéfices encaissés par le revendeur du titre d'accès.
Le libre fonctionnement du marché ne pose en général aucun problème lorsque le vendeur initial a évalué la demande de manière incorrecte.
Ce n'est toutefois le plus souvent pas le cas pour les événements culturels et sportifs visés par les dispositions attaquées. Dans la majeure partie des cas, le vendeur du titre d'accès a volontairement maintenu un prix inférieur à celui qui sera estimé par le marché en vue de rendre l'achat accessible au plus grand nombre de consommateurs possible.
Dans de telles circonstances, lorsque le vendeur initial corrige lui-même le libre fonctionnement du marché en démocratisant le prix de vente des titres d'accès, il appartient à l'autorité publique de veiller à ce que la préoccupation éthique du vendeur initial ne soit pas écartée par une considération purement économique sur le marché dit secondaire.
B.12.4. Il ressort de la jurisprudence de la Cour de justice que la protection des consommateurs est un motif impérieux d'intérêt général, susceptible de justifier une restriction à la libre prestation des services (voy. notamment CJUE, 12 septembre 2013, C-475/11, Konstantinides, point 51).
A cet égard, l'article 169, paragraphe 1, du TFUE dispose également que l'Union promeut les intérêts des consommateurs et assure un niveau élevé de protection des consommateurs. De même, l'article 38 de la Charte prévoit qu'un niveau élevé de protection des consommateurs est assuré dans les politiques de l'Union.
B.12.5. Les dispositions attaquées poursuivent dès lors un objectif impérieux d'intérêt général.
B.13.1. Lorsqu'il est établi qu'un motif impérieux d'intérêt général peut justifier la restriction à la libre circulation des services, la Cour doit encore vérifier si les dispositions attaquées sont adéquates pour garantir la réalisation de cet objectif et si elles n'outrepassent pas la mesure du nécessaire pour atteindre le but fixé.
B.13.2. Quant à la pertinence de la mesure, les parties requérantes font référence à des études scientifiques dont il ressortirait que les dispositions attaquées ne pourraient pas atteindre l'objectif poursuivi consistant à garantir une accessibilité plus étendue à des événements culturels et sportifs. Cependant, les parties requérantes ne démontrent pas que ces études sont plus fiables que l'étude scientifique sur laquelle le législateur s'est fondé et qui aboutit aux conclusions inverses.
Par conséquent, les dispositions attaquées sont adéquates pour atteindre le but poursuivi.
B.13.3. Quant à la proportionnalité de la mesure, il convient de constater que les dispositions attaquées interdisent en principe de revendre des titres d'accès tout en prévoyant simultanément une exception à cette interdiction.
L'article 5 de la loi attaquée distingue la revente de manière habituelle, qui est purement et simplement interdite, de la revente occasionnelle, qui n'est interdite que dans la mesure où le titre d'accès est proposé à un prix supérieur au prix initial. En effet, le législateur a voulu tenir compte « du consommateur qui ne peut assister à un événement en raison de circonstances imprévues, car il peut revendre son ticket » (Doc. parl., Chambre, 2012-2013, DOC 53-0656/005, p. 6).
Les parties requérantes sont en outre autorisées à fournir les moyens permettant la revente occasionnelle précitée.
B.13.4. Les parties requérantes font valoir qu'il existe des mesures tout aussi efficaces et moins intrusives, comme (1) l'allongement de la période pendant laquelle les titres d'accès sont disponibles, (2) la restriction du nombre de titres d'accès qu'une personne peut acheter, (3) la limitation du nombre de titres d'accès qui peuvent être réservés ou bloqués (par exemple par des entreprises clientes), (4) l'obligation imposée à des organisateurs d'événements de reprendre les titres d'accès ou d'en rembourser le prix et (5) l'amélioration du contrôle sur les points de vente officiels. Non seulement la majorité de ces mesures est déjà appliquée par les vendeurs initiaux qui partagent ainsi le souci du législateur relatif à l'accessibilité des événements concernés, mais en outre, il n'est pas possible d'établir avec certitude que les autres mesures proposées par les parties requérantes restreindraient la libre circulation des services d'une manière moins intrusive. En revanche, il semble être établi que ces mesures sont dénuées de l'efficacité inhérente à l'interdiction attaquée.
B.13.5. Enfin, le législateur était conscient que les dispositions attaquées interviendraient dans un contexte particulièrement changeant. C'est la raison pour laquelle il a confié au Roi le soin d'organiser une concertation régulière « entre les parties concernées, à savoir les producteurs et organisateurs de spectacles, les distributeurs, les salles de spectacles, les plateformes d'échange et les représentants des consommateurs, afin d'effectuer une évaluation continue de la loi ainsi que la mise en place de bonnes pratiques » (article 7, § 1er).
Tous les deux ans, le Roi remet à la Chambre des représentants un rapport d'évaluation (article 7, § 2). A la suite du débat portant sur ce rapport à la Chambre, le Roi adopte, le cas échéant, des mesures appropriées (article 8).
Les auteurs de la proposition de loi ont même formulé l'espoir que les dispositions attaquées deviennent, à terme, superflues et que l'évaluation précitée puisse avoir pour effet d'« adapter [la loi] ou [de] l'abroger s'il y a lieu » (Doc. parl., Chambre, 2012-2013, DOC 53-0656/005, p. 4).
B.13.6. Il découle de ce qui précède que les dispositions attaquées ne vont pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre le but poursuivi.
B.14. Le deuxième moyen n'est pas fondé.
Quant au troisième moyen B.15. Le troisième moyen est pris de la violation des articles 10 et 11 de la Constitution. Les parties requérantes allèguent trois différences de traitement et un traitement identique, qui seraient tous contraires au principe d'égalité et de non-discrimination.
B.16. Le principe d'égalité et de non-discrimination n'exclut pas qu'une différence de traitement soit établie entre des catégories de personnes, pour autant qu'elle repose sur un critère objectif et qu'elle soit raisonnablement justifiée. Ce principe s'oppose, par ailleurs, à ce que soient traitées de manière identique, sans qu'apparaisse une justification raisonnable, des catégories de personnes se trouvant dans des situations qui, au regard de la mesure considérée, sont essentiellement différentes.
L'existence d'une telle justification doit s'apprécier en tenant compte du but et des effets de la mesure critiquée ainsi que de la nature des principes en cause; le principe d'égalité et de non-discrimination est violé lorsqu'il est établi qu'il n'existe pas de rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé.
B.17.1. Les parties requérantes soutiennent en premier lieu que la loi attaquée ne s'appliquerait qu'aux revendeurs de titres d'accès d'événements culturels et sportifs et non aux revendeurs d'autres biens culturels et sportifs, par exemple, un album signé.
Comme il a été rappelé, les dispositions attaquées visent à permettre au public le plus large possible d'avoir accès à des événements culturels et sportifs en particulier. Il ne relevait pas du souhait du législateur de réglementer l'ensemble du secteur culturel et sportif, a fortiori d'interdire la revente de produits dérivés, qu'ils soient ou non pourvus d'un autographe. La préoccupation éthique, exposée plus haut, liée à la protection des consommateurs qui fonde la fixation du prix d'un grand nombre de titres d'accès ne joue pas sur le marché des produits avec lesquels les titres d'accès ont été comparés. Partant, la loi outrepasserait son objectif si elle ne se limitait pas à la revente de titres d'accès.
B.17.2. En deuxième lieu, les parties requérantes estiment que les revendeurs et les gestionnaires de plates-formes électroniques qui ne s'orientent pas sur le marché belge ne seraient pas liés par l'interdiction et pourraient continuer à proposer des titres d'accès à des prix plus élevés.
Le législateur est exclusivement compétent pour réglementer le marché belge. Le constat que des opérateurs sur un autre marché ne sont pas liés par une mesure similaire ne peut pas en tant que tel priver de sa justification une mesure réputée justifiée.
B.17.3. Les parties requérantes font valoir en troisième lieu que les vendeurs accrédités qui revendent des titres d'accès fournis par les organisateurs ne relèveraient pas, de facto, du champ d'application de la loi attaquée.
Compte tenu des définitions mentionnées en B.1.2, les vendeurs accrédités doivent être considérés comme des vendeurs initiaux au sens de la loi attaquée. Etant donné qu'il s'agit de vendeurs dont la fiabilité a été vérifiée par l'organisateur des événements concernés, ils ne peuvent pas être assimilés à des revendeurs.
B.17.4. Les parties requérantes allèguent enfin que les dispositions attaquées seraient contraires au principe d'égalité et de non-discrimination en ce que ces dispositions les traiteraient de la même manière que les revendeurs de titres d'accès.
Compte tenu de l'interprétation conforme à la directive, retenue en B.6.1, il est raisonnablement justifié, afin de ne pas compromettre l'efficacité des dispositions attaquées, que l'interdiction en cause s'applique non seulement à la revente proprement dite de titres d'accès mais également au fait de fournir les moyens qui sont utilisés pour cette revente.
B.18. Le troisième moyen n'est pas fondé.
Quant au quatrième moyen B.19. Le quatrième moyen est pris de la violation des articles 10 et 11 de la Constitution, combinés avec les articles 15 et 16 de la directive 2006/123/CE relative aux services dans le marché intérieur (ci-après : « directive services »), en ce que les dispositions attaquées auraient pour effet que les revendeurs ne puissent pas revendre de titres d'accès à un prix supérieur au prix définitif, ce qui revient de facto à fixer un prix maximum. Les dispositions attaquées discrimineraient les revendeurs et les gestionnaires de plates-formes électroniques qui s'orientent sur le marché belge par rapport aux opérateurs économiques qui ne sont pas actifs en Belgique et qui ne sont dès lors pas restreints dans l'exercice de leurs activités de revente.
B.20. La « directive services » contient des dispositions générales permettant de faciliter l'exercice de la liberté d'établissement des prestataires ainsi que la libre circulation des services, tout en garantissant un niveau de qualité élevé pour les services (article 1er, paragraphe 1).
Les Etats membres doivent notamment examiner si leur système juridique subordonne l'accès à une activité de services ou son exercice au respect, par le prestataire, de tarifs obligatoires minimum et/ou maximum (article 15, paragraphe 2, g).
B.21. Sans qu'il soit nécessaire d'examiner si les parties requérantes fournissent un service au sens de l'article 15 de la « directive services », ce que conteste le Conseil des ministres, il résulte de la réponse au deuxième moyen que les conditions imposées par les dispositions attaquées à l'exercice de l'activité de services en question poursuivent un objectif impérieux d'intérêt général et ne vont pas au-delà de ce qui est nécessaire pour atteindre le but poursuivi.
B.22. Pour le surplus, les dispositions attaquées ne subordonnent pas l'accès à une activité de services ou son exercice à des exigences au sens de l'article 16 de la « directive services ». Cette disposition n'empêche pas l'interdiction attaquée de revendre des titres d'accès et de fournir des moyens permettant cette revente.
B.23. Enfin, dans la mesure où le grief critique la différence de traitement entre deux catégories d'opérateurs économiques, il se confond avec le troisième moyen et la différence de traitement est raisonnablement justifiée pour le motif mentionné en B.17.2.
B.24. Le quatrième moyen n'est pas fondé.
Par ces motifs, la Cour rejette le recours.
Ainsi rendu en langue néerlandaise, en langue française et en langue allemande, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, le 30 avril 2015.
Le greffier, F. Meersschaut Le président, A. Alen