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Arrêt
publié le 18 décembre 2014

Extrait de l'arrêt n° 138/2014 du 25 septembre 2014 Numéro du rôle : 5743 En cause : la question préjudicielle relative aux articles 156 et 160 de la Nouvelle loi communale, lus en combinaison avec les articles 1 er et 6 de la loi g La Cour constitutionnelle, composée des présidents A. Alen et J. Spreutels, et des juges L. Lavr(...)

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COUR CONSTITUTIONNELLE


Extrait de l'arrêt n° 138/2014 du 25 septembre 2014 Numéro du rôle : 5743 En cause : la question préjudicielle relative aux articles 156 et 160 de la Nouvelle loi communale, lus en combinaison avec les articles 1er et 6 de la loi générale du 21 juillet 1844 sur les pensions civiles et ecclésiastiques, posée par le Tribunal de première instance de Louvain.

La Cour constitutionnelle, composée des présidents A. Alen et J. Spreutels, et des juges L. Lavrysen, J.-P. Snappe, J.-P. Moerman, E. Derycke et F. Daoût, assistée du greffier P.-Y. Dutilleux, présidée par le président A. Alen, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet de la question préjudicielle et procédure Par jugement du 16 octobre 2013 en cause de Walter Appels contre le Service des pensions du secteur public, dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour le 7 novembre 2013, le Tribunal de première instance de Louvain a posé la question préjudicielle suivante : « Les articles 156 et 160 de la Nouvelle Loi communale, combinés avec les articles 1er et 6 de la loi du 21 juillet 1844 sur les pensions civiles et ecclésiastiques, violent-ils les articles 10 et 11 de la Constitution en ce que, en cas de nomination à titre définitif, les services civils rendus en qualité d'agent temporaire aux communes, aux établissements qui en dépendent, aux associations de communes, ainsi que les services rendus par les commissaires de brigade et par les receveurs régionaux, sont pris en considération pour établir les droits à la pension des intéressés et de leurs ayants droit, alors que les prestations accomplies dans le cadre spécial temporaire ne sont pas prises en considération pour établir les droits à la pension des intéressés et de leurs ayants droit ? ». (...) III. En droit (...) B.1. Les communes sont tenues d'assurer aux membres de leur personnel titulaires d'une nomination définitive une pension calculée suivant les règles appliquées aux fonctionnaires (article 156 de la Nouvelle loi communale).

La pension des fonctionnaires statutaires est réglée par la loi générale du 21 juillet 1844 sur les pensions civiles et ecclésiastiques. Cette loi est applicable aux agents « faisant partie de l'Administration générale en vertu d'une nomination à titre définitif ou d'une nomination y assimilée par ou en vertu de la loi et rétribués par le Trésor public » (article 1er, alinéa 1er). Elle fixe les conditions d'admission à la pension et les services à prendre en considération (articles 1er à 7) et règle le mode de calcul de la pension (article 8).

L'article 160 de la Nouvelle loi communale dispose : « En cas de nomination à titre définitif, les services civils rendus en qualité d'agent temporaire aux communes, aux établissements qui en dépendent, aux associations de communes ainsi que ceux rendus par les commissaires de brigade et les receveurs régionaux, sont pris en considération pour établir les droits à la pension des intéressés et de leurs ayants droit ».

B.2. La question préjudicielle porte sur les services qui sont pris en considération pour établir les droits à la pension de l'agent communal.

En règle générale, seuls les services accomplis comme agent nommé à titre définitif entrent en considération. L'article 160 de la Nouvelle loi communale déroge à cette règle.

Selon le juge a quo, la dérogation s'appliquerait uniquement aux travailleurs salariés qui faisaient partie de l'administration communale et qui étaient rétribués par la caisse communale. Les travailleurs salariés ayant le statut de cadre spécial temporaire (CST) ne faisaient pas partie de l'administration communale et n'étaient pas rétribués par la caisse communale. Les prestations CST ne relèveraient dès lors pas de la dérogation précitée.

La Cour examine en règle une norme dans l'interprétation qu'en donne le juge a quo.

Il découle de cette interprétation que les agents de la commune qui ont, avant leur nomination à titre définitif, fourni certains services ou prestations sont traités différemment selon qu'il s'agit de « services civils rendus en qualité d'agent temporaire » ou, comme c'est le cas pour la partie demanderesse devant le juge a quo, de « prestations accomplies dans le cadre spécial temporaire ». Les premiers services sont pris en considération pour établir les droits à la pension de l'agent et de ses ayants droit, alors que les prestations CST ne sont pas prises en considération à cet effet.

La Cour doit examiner si cette différence de traitement viole le principe d'égalité et de non-discrimination, inscrit aux articles 10 et 11 de la Constitution. La portée de la question préjudicielle ne peut être étendue à d'autres catégories d'agents.

B.3. Pour établir sa politique en matière de pensions, le législateur dispose d'un large pouvoir d'appréciation.

Toutefois, si un régime légal de pension vise certaines catégories de personnes et d'autres non ou si un même régime est applicable à des catégories de personnes qui se trouvent dans des situations essentiellement différentes, la Cour doit examiner si les dispositions en cause sont proportionnées au but poursuivi et si elles n'ont pas d'effets disproportionnés à l'égard de la situation de l'une ou de l'autre de ces catégories de personnes. Par conséquent, il ne saurait être question de discrimination que si la différence de traitement qui résulte de l'application des règles en matière de pension entraînait une restriction disproportionnée des droits des personnes concernées à cet égard.

B.4. Le régime de pension des fonctionnaires est en principe réservé aux agents nommés statutairement. L'extension de ce régime à d'autres catégories de personnes constitue une exception à ce principe et ne peut par conséquent être conçue que de manière limitative.

Il en va de même pour les services qui sont pris en considération pour établir les droits à la pension de l'agent intéressé. L'article 160 de la Nouvelle loi communale, qui déroge à la règle selon laquelle seuls les services accomplis en tant qu'agent nommé à titre définitif sont pris en considération, doit dès lors être interprété de manière limitative.

B.5. La loi du 22 décembre 1977 relative aux propositions budgétaires 1977-1978 a instauré un cadre spécial temporaire, parallèlement au secteur privé et au secteur public.

Selon les travaux préparatoires, ce circuit de travail temporaire reposait essentiellement sur deux principes : « - créer de nouveaux emplois afin de donner à ceux qui sont frappés par le chômage la possibilité de travailler et d'échapper ainsi aux conséquences néfastes de l'inactivité involontaire; - valoriser les ressources importantes actuellement consacrées à l'indemnisation du chômage en affectant ceux qui en bénéficient à des travaux ou à des activités utiles à la communauté » (Doc. parl., Chambre, 1977-1978, n° 113/1, p. 29).

En vertu de la loi du 22 décembre 1977, les travailleurs occupés dans le cadre spécial temporaire étaient engagés dans les liens d'un contrat de travail d'ouvrier ou d'employé. Ils restaient inscrits sur les listes des demandeurs d'emploi de l'Office national de l'emploi (article 84). En même temps, ils avaient la possibilité de mettre fin au contrat de travail de manière souple afin de pouvoir répondre adéquatement à une offre d'emploi dans le secteur privé ou dans le secteur public (article 85).

Lorsqu'ils étaient engagés par les pouvoirs publics, les travailleurs recevaient une rémunération égale au traitement initial octroyé à un membre du personnel de l'Etat ayant la même qualification professionnelle (article 86). La rémunération était payée par l'Office national de l'emploi, qui était réputé être l'employeur pour ce qui était des obligations de sécurité sociale aussi (article 87).

Il ressort des travaux préparatoires que les travailleurs CST ne faisaient pas partie des services où ils étaient occupés à titre temporaire : « Le cadre spécial temporaire ne peut aboutir à la création d'une nouvelle catégorie d'agents de l'Etat ou des pouvoirs subordonnés; les travailleurs qui sont occupés dans ce cadre spécial ne sont en aucun cas intégrés aux services dans lesquels ils sont mis au travail : ils doivent être considérés comme étant en attente d'un emploi permanent, soit dans le secteur privé, soit dans le secteur public » (ibid., p. 30).

Les dispositions concernées étaient applicables jusqu'au 30 juin 1990.

En effet, le cadre spécial temporaire a clairement été conçu comme « une mesure de relais en attendant le retour à une normalisation de la situation difficile que nos pays industrialisés connaissent en matière d'emploi » (ibid., p. 30).

B.6. Les spécificités précitées du cadre spécial temporaire et en particulier sa finalité, qui consistait essentiellement à offrir aux chômeurs l'occasion de travailler au service de la communauté, justifient, compte tenu du pouvoir d'appréciation étendu dont dispose le législateur en la matière, que les prestations CST ne soient pas prises en considération pour établir les droits à la pension de l'agent et de ses ayants droit, alors que les « services civils rendus en qualité d'agent temporaire » sont pris en considération à cet effet.

Les dispositions en cause ne limitent pas de manière disproportionnée les droits des personnes concernées. En effet, elles ne s'opposent pas à ce que les prestations CST soient prises en considération pour établir les droits à la pension en tant que travailleur salarié.

C'est ce qu'a confirmé le ministre compétent dans une réponse à une question parlementaire : « Les services prestés en tant que chômeur, que ce soit dans le cadre spécial temporaire ou dans le troisième circuit du travail, n'entrent pas en ligne de compte pour le calcul de la pension dans le secteur public, même lorsqu'ils sont suivis d'une nomination. Toutefois, grâce à ces prestations, les intéressés établissent des droits à la pension dans le régime des travailleurs salariés auquel ils peuvent de toute façon recourir. En tant que chômeurs, ils ne reçoivent en effet pas pour ces périodes un salaire à la charge de l'Etat mais une allocation de chômage.

Je n'ai pour l'instant nullement l'intention d'adapter la législation sur les pensions dans le secteur public, et pas seulement pour des raisons de principe. La prise en compte de ces années de service pour la pension dans le régime du secteur public représenterait en effet une charge supplémentaire importante pour les pensions, ce qui est de facto impossible dans les conditions budgétaires actuelles » (question n° 3-754, Ann., Sénat, 21 avril 2005, n° 3-108, p. 68).

B.7. La question préjudicielle appelle une réponse négative.

Par ces motifs, la Cour dit pour droit : Les articles 156 et 160 de la Nouvelle loi communale, lus en combinaison avec les articles 1er et 6 de la loi générale du 21 juillet 1844 sur les pensions civiles et ecclésiastiques, ne violent pas les articles 10 et 11 de la Constitution.

Ainsi rendu en langue néerlandaise et en langue française, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, le 25 septembre 2014.

Le greffier, P.-Y. Dutilleux Le président, A. Alen

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