publié le 23 mai 2014
Extrait de l'arrêt n° 24/2014 du 6 février 2014 Numéros du rôle : 5598 et 5599 En cause : les recours en annulation de l'article 40 du décret de la Communauté française du 12 juillet 2012 « modifiant le décret du 8 mars 2007 relatif au servic La Cour constitutionnelle, composée du président J. Spreutels, du président émérite M. Bossuyt, (...)
COUR CONSTITUTIONNELLE
Extrait de l'arrêt n° 24/2014 du 6 février 2014 Numéros du rôle : 5598 et 5599 En cause : les recours en annulation de l'article 40 du décret de la Communauté française du 12 juillet 2012 « modifiant le décret du 8 mars 2007 relatif au service général de l'inspection, au service de conseil et de soutien pédagogiques de l'enseignement organisé par la Communauté française, aux cellules de conseil et de soutien pédagogiques de l'enseignement subventionné par la Communauté française et au statut des membres du personnel du service général de l'inspection et des conseillers pédagogiques », introduits par Danielle Mylle et autres et par Fatima Ben Haddou.
La Cour constitutionnelle, composée du président J. Spreutels, du président émérite M. Bossuyt, conformément à l'article 60bis de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, et des juges E. De Groot, L. Lavrysen, J.-P. Moerman, E. Derycke et F. Daoût, assistée du greffier F. Meersschaut, présidée par le président J. Spreutels, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet des recours et procédure a. Par requête adressée à la Cour par lettre recommandée à la poste le 25 février 2013 et parvenue au greffe le 26 février 2013, un recours en annulation de l'article 40 du décret de la Communauté française du 12 juillet 2012 « modifiant le décret du 8 mars 2007 relatif au service général de l'inspection, au service de conseil et de soutien pédagogiques de l'enseignement organisé par la Communauté française, aux cellules de conseil et de soutien pédagogiques de l'enseignement subventionné par la Communauté française et au statut des membres du personnel du service général de l'inspection et des conseillers pédagogiques » (publié au Moniteur belge du 30 août 2012, deuxième édition) a été introduit par Danielle Mylle, demeurant à 3001 Heverlee, Toverberg 1, Ariane Lefebvre, demeurant à 5170 Profondeville, Allée des Renards 15, Claire Gillet, demeurant à 4890 Thimister, route de Mont 43, Hans Isaac, demeurant à 7034 Obourg, rue de Bauval 17, Françoise Massart, demeurant à 1410 Waterloo, Clos Limesenrieux 21, et Pascale Schellens, demeurant à 6280 Loverval, Allée des Templiers 41.b. Par requête adressée à la Cour par lettre recommandée à la poste le 27 février 2013 et parvenue au greffe le 28 février 2013, un recours en annulation de la même disposition décrétale a été introduit par Fatima Ben Haddou, demeurant à 1030 Bruxelles, rue Metsys 53. Ces affaires, inscrites sous les numéros 5598 et 5599 du rôle de la Cour, ont été jointes. (...) II. En droit (...) Quant à la disposition attaquée B.1.1. Les parties requérantes demandent l'annulation de l'article 40 du décret de la Communauté française du 12 juillet 2012 « modifiant le décret du 8 mars 2007 relatif au service général de l'inspection, au service de conseil et de soutien pédagogiques de l'enseignement organisé par la Communauté française, aux cellules de conseil et de soutien pédagogiques de l'enseignement subventionné par la Communauté française et au statut des membres du personnel du service général de l'inspection et des conseillers pédagogiques », qui insère dans ce décret du 8 mars 2007 un article 173bis ainsi rédigé : « Lors du premier appel à candidats lancé conformément à l'article 50 du présent décret, il est constitué, pour chaque fonction visée à l'article 28, 1°, une réserve prioritaire dans laquelle sont versés les lauréats de l'épreuve de sélection visée à l'article 50 qui remplissent les conditions suivantes : 1° occuper à titre temporaire, depuis plus de deux ans à compter de la date de l'appel à candidatures, une fonction de promotion d'inspecteur dans la même fonction que celle pour laquelle il est versé dans une réserve de lauréats;2° avoir obtenu la mention ' favorable ' à l'évaluation prévue à l'article 60 du présent décret. Est considéré comme occupant la même fonction que celle pour laquelle il est versé dans une réserve, le lauréat occupant la fonction d'inspecteur correspondante conformément au tableau repris en annexe II au présent décret.
Dans l'hypothèse où l'inspecteur désigné à titre temporaire se prévalant du bénéfice de l'alinéa précédent n'a pas fait l'objet de l'évaluation visée à l'article 60 avant le 1er janvier 2013, celle-ci est réputée favorable.
Pour conférer un emploi vacant, il est fait appel, à titre prioritaire aux candidats de la réserve visée à l'alinéa 1er du présent article et ce, jusqu'à son épuisement ».
B.1.2. L'article 50 du décret du 8 mars 2007 précité, tel qu'il est modifié par l'article 14 du décret du 12 juillet 2012, dispose : « Le Gouvernement organise, tous les quatre ans au moins, l'épreuve de sélection en vue de la promotion à une ou plusieurs fonctions d'inspecteur visées à l'article 28, 1°.
Les modalités de cette épreuve ainsi que le profil de fonction générique de la fonction d'inspecteur sont arrêtés par le Gouvernement.
L'épreuve comprend deux volets : un volet permettant d'évaluer les connaissances institutionnelles et administratives de base et un volet permettant d'évaluer les capacités génériques à exercer une fonction d'inspecteur.
Les candidats doivent obtenir au moins 60 % à chaque volet de l'épreuve, le volet visant à évaluer les capacités génériques à exercer une fonction d'inspecteur comptant pour 70 % de la note globale.
Le jury visé à l'article 57, § 1er, est chargé de dresser le procès-verbal de la procédure de sélection et d'arrêter la liste des lauréats qui constituent la ou les réserves.
Chaque fonction visée à l'article 28, 1°, du présent décret correspond à une réserve qui lui est propre. Lors de l'appel à candidatures, les candidats précisent pour quelle fonction d'inspecteur visée à l'article 28, 1°, du présent décret ils souhaitent postuler. Un même candidat peut postuler à plusieurs fonctions et être classé dans plusieurs réserves pour autant qu'il réponde aux conditions énoncées à l'article 45 du présent décret.
Au sein de chaque réserve, les lauréats sont classés sur la base du total des points obtenus à l'épreuve visée à l'alinéa 1er du présent article. Si des lauréats d'épreuves de sélections différentes sont en compétition pour l'emploi à conférer, ils sont classés suivant l'ordre de date des procès-verbaux de clôture des épreuves, à commencer par la date la plus ancienne et, pour chaque épreuve, dans l'ordre de leur classement. En cas d'égalité de points au sein d'une même réserve, a priorité le lauréat disposant de l'ancienneté de service la plus élevée. En cas d'égalité d'ancienneté de service, a priorité le candidat qui compte la plus grande ancienneté de fonction. En cas d'égalité d'ancienneté de fonction, a priorité le candidat le plus âgé ».
B.1.3. Le décret du 12 juillet 2012 a notamment pour objet de modifier les conditions de nomination à la fonction de promotion d'inspecteur.
Alors qu'aux termes du décret du 8 mars 2007, le suivi de formations complémentaires sanctionnées par un brevet conditionnait la promotion à la fonction d'inspecteur, la procédure de nomination aux fonctions de promotion d'inspecteur créée par le décret du 12 juillet 2012 comprend une épreuve de sélection en début de processus (article 50), suivie, en cas de réussite, par un stage de deux ans (article 51) au cours duquel le stagiaire est tenu de suivre 250 heures de formation (article 52). Le candidat inspecteur fait l'objet de deux évaluations en cours de stage (article 53). Le stage se clôture par l'élaboration et le dépôt d'un « dossier professionnel » constitué d'un rapport écrit personnel du stagiaire et par une évaluation finale effectuée par le jury de fin de stage (article 54). Le stagiaire est nommé au grade d'inspecteur à titre définitif en cas de mention favorable attribuée par le jury de fin de stage (article 55).
B.1.4. L'article 40 du décret du 12 juillet 2012, qui forme l'objet du recours, comprend une disposition transitoire visant les inspecteurs exerçant la fonction à titre temporaire depuis deux ans au moins au jour du premier appel à candidatures suivant la nouvelle procédure.
Ces inspecteurs bénéficient, en vertu de cette disposition, d'une priorité d'accès au stage à la condition qu'ils soient lauréats de l'épreuve de sélection visée à l'article 50 et qu'ils aient obtenu une mention favorable à l'évaluation qui a dû être effectuée, en application de l'article 60, tel qu'il était rédigé avant sa modification par le décret attaqué, au plus tard 400 jours après leur première entrée en fonction et au moins tous les deux ans. Dans l'hypothèse où le lauréat n'a pas fait l'objet d'une évaluation conformément à l'article 60 du décret avant le 1er janvier 2013, il est réputé avoir obtenu une évaluation favorable.
Quant à la recevabilité des recours B.2.1. Le Gouvernement de la Communauté française conteste l'intérêt au recours de toutes les parties requérantes.
B.2.2. La Constitution et la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle imposent à toute personne physique ou morale qui introduit un recours en annulation de justifier d'un intérêt. Ne justifient de l'intérêt requis que les personnes dont la situation pourrait être affectée directement et défavorablement par la norme attaquée.
B.2.3. Les parties requérantes ont toutes été désignées à titre temporaire à des fonctions d'inspecteur et exercent ces fonctions depuis plusieurs années. Elles ont suivi les formations organisées par la Communauté française dans le cadre de la procédure de nomination à la fonction de promotion d'inspecteur organisée par le décret du 8 mars 2007, avant sa modification par le décret attaqué et, pour ce qui concerne les parties requérantes dans l'affaire n° 5598, elles ont présenté et réussi l'unique épreuve organisée par la Communauté à l'issue d'une de ces formations.
B.2.4. Les parties requérantes occupant la fonction d'inspecteur à titre temporaire depuis plus de deux ans, leur situation est affectée par la disposition transitoire contenue dans l'article 40 du décret du 12 juillet 2012. Dans la mesure où elles reprochent à cette disposition transitoire de ne pas tenir suffisamment compte de leur situation particulière, elles justifient d'un intérêt à en demander l'annulation.
Il n'y a pas lieu d'examiner en outre l'exception d'irrecevabilité soulevée dans l'affaire n° 5599 dès lors que les moyens pris dans les deux affaires sont identiques.
B.2.5. Les recours sont recevables.
Quant au moyen unique B.3. Le moyen unique dans les deux affaires est pris de la violation des articles 10 et 11 de la Constitution. Les parties requérantes font grief au législateur décrétal de ne pas avoir tenu compte, lors de l'adoption de la disposition transitoire contenue dans l'article 40 du décret du 12 juillet 2012 insérant un article 173bis dans le décret du 8 mars 2007, de la situation particulière des candidats-inspecteurs exerçant la fonction à titre temporaire depuis plus de deux ans, qui ont suivi les formations organisées en exécution du décret du 8 mars 2007 et qui, le cas échéant, ont réussi l'épreuve organisée à l'issue d'une de ces formations.
Elles estiment qu'en imposant à ces candidats-inspecteurs la présentation et la réussite de l'épreuve de sélection donnant accès au stage, la disposition attaquée les traite, de façon injustifiée, de la même manière que les candidats-inspecteurs qui n'ont pas suivi les mêmes formations et n'ont pas réussi la même épreuve.
B.4. Le principe d'égalité et de non-discrimination n'exclut pas qu'une différence de traitement soit établie entre des catégories de personnes, pour autant qu'elle repose sur un critère objectif et qu'elle soit raisonnablement justifiée. Ce principe s'oppose, par ailleurs, à ce que soient traitées de manière identique, sans qu'apparaisse une justification raisonnable, des catégories de personnes se trouvant dans des situations qui, au regard de la mesure considérée, sont essentiellement différentes.
L'existence d'une telle justification doit s'apprécier en tenant compte du but et des effets de la mesure critiquée ainsi que de la nature des principes en cause; le principe d'égalité et de non-discrimination est violé lorsqu'il est établi qu'il n'existe pas de rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but visé.
B.5. L'adoption du décret du 12 juillet 2012 a été motivée par la circonstance, constatée par le législateur décrétal, que la procédure mise en place par le décret du 8 mars 2007 n'était « pas sans poser de difficultés pratiques tenant notamment à la réunion des jurys et à l'organisation des formations ». En outre, le législateur décrétal a eu égard au fait que régnait une certaine insécurité juridique née de l'illégalité, constatée par le Conseil d'Etat, de l'arrêté du Gouvernement de la Communauté française du 27 mai 2009 constituant les jurys en application de l'article 53, alinéa 2, du décret du 8 mars 2007 (Doc. parl., Parlement de la Communauté française, 2011-2012, n° 381/1, p. 3).
Ces difficultés pratiques ayant eu pour conséquence d'empêcher l'organisation des épreuves sanctionnant l'ensemble des formations organisées en vue de l'octroi des brevets d'inspecteur, aucun brevet n'a été délivré et aucune nomination à titre définitif à la fonction d'inspecteur n'est intervenue en application du décret du 8 mars 2007, à l'exception de l'application de l'article 162 de ce décret, permettant une nomination après dix années d'exercice de la fonction.
B.6. Les catégories de candidats-inspecteurs exerçant la fonction d'inspecteur à titre temporaire comparées par les parties requérantes se distinguent par cela que les premiers ont suivi les formations organisées dans le cadre de la mise en oeuvre du décret du 8 mars 2007 et ont, le cas échéant, présenté et réussi l'épreuve organisée à l'issue d'une des trois formations, alors que les seconds n'ont pas suivi ces formations.
La Cour doit examiner si cette différence entre les deux catégories de candidats-inspecteurs visées par la disposition attaquée imposait au législateur décrétal de les traiter de manière distincte et l'obligeait en conséquence à dispenser les candidats faisant partie de la première catégorie de la présentation et de la réussite de l'épreuve de sélection pour accéder au stage en vue de leur nomination à titre définitif.
B.7. Il relève du pouvoir d'appréciation du législateur de décider quand un changement de politique s'impose. Singulièrement, lorsqu'il constate qu'une procédure de nomination qu'il a mise en place se révèle impraticable, il ne pourrait être contraint de la maintenir, à titre transitoire, à l'égard des personnes qui avaient entrepris les démarches et entamé les formations pour se conformer aux exigences posées par la législation en vue de leur nomination définitive suivant cette procédure.
B.8.1. En l'espèce, le législateur décrétal a opté pour une nouvelle procédure de nomination à titre définitif fort différente du système qu'il entendait remplacer. L'accès au stage est désormais conditionné par la réussite d'une épreuve de sélection déclinée en deux volets : un volet administratif général portant sur des connaissances institutionnelles de base et un volet permettant d'évaluer les capacités génériques à exercer une fonction d'inspecteur, sur la base d'un profil de fonction établi par le Gouvernement.
Les trois modules de formation, qui auraient dû être sanctionnés chacun par une épreuve distincte, organisés par le décret du 8 mars 2007 avant sa modification par le décret attaqué, portaient sur les aptitudes relationnelles, en particulier la gestion des ressources humaines, sur les aptitudes pédagogiques et sur la maîtrise des matières législatives et réglementaires et les capacités de gestion administrative. Seule l'épreuve portant sur cette dernière aptitude a été organisée.
B.8.2. Il résulte de la comparaison de ces deux systèmes que le fait d'avoir suivi les formations organisées en exécution du décret du 8 mars 2007 ne saurait être tenu pour une prestation équivalente à la réussite de l'épreuve de sélection donnant accès au stage instituée par le décret du 12 juillet 2012. Les candidats-inspecteurs ayant suivi ces formations et ayant, le cas échéant, réussi l'épreuve sanctionnant l'une d'elles ne se trouvent dès lors pas dans une situation essentiellement différente, au regard de l'obligation de présenter une épreuve de sélection donnant accès au stage, de celle des autres candidats-inspecteurs. Le législateur décrétal n'était donc pas tenu de les traiter différemment en les dispensant de la présentation de cette épreuve.
Par ces motifs, la Cour rejette les recours.
Ainsi prononcé en langue française, en langue néerlandaise et en langue allemande, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, à l'audience publique du 6 février 2014.
Le greffier, F. Meersschaut Le président, J. Spreutels