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Arrêt
publié le 18 avril 2014

Extrait de l'arrêt n° 15/2014 du 29 janvier 2014 Numéro du rôle : 5551 En cause : les questions préjudicielles concernant l'article 12 du décret de la Région flamande du 2 juillet 1981 relatif à la prévention et à la gestion des déchets La Cour constitutionnelle, composée des présidents A. Alen et J. Spreutels, des juges E. De Groo(...)

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Extrait de l'arrêt n° 15/2014 du 29 janvier 2014 Numéro du rôle : 5551 En cause : les questions préjudicielles concernant l'article 12 du décret de la Région flamande du 2 juillet 1981 relatif à la prévention et à la gestion des déchets (avant sa modification par l'article 21 du décret du 22 avril 2005), posées par la Cour d'appel de Bruxelles.

La Cour constitutionnelle, composée des présidents A. Alen et J. Spreutels, des juges E. De Groot, L. Lavrysen, J.-P. Snappe, J.-P. Moerman, E. Derycke, T. Merckx-Van Goey, P. Nihoul, F. Daoût et T. Giet, et, conformément à l'article 60bis de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, du président émérite M. Bossuyt, assistée du greffier P.-Y. Dutilleux, présidée par le président émérite M. Bossuyt, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet des questions préjudicielles et procédure Par arrêt du 18 décembre 2012 en cause de la SCRL « Haras » contre la « Openbare Vlaamse Afvalstoffenmaatschappij », dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour le 11 janvier 2013, la Cour d'appel de Bruxelles a posé les questions préjudicielles suivantes : « 1. L'article 12 du décret sur les déchets (décret du Conseil flamand du 2 juillet 1981 relatif à la prévention et à la gestion des déchets, tel qu'il a été modifié ultérieurement), dans la version antérieure à la modification décrétale apportée par l'article 21 du décret du 22 avril 2005 (Moniteur belge, 13 mai 2005), entré en vigueur au 1er janvier 1995, viole-t-il le principe de légalité, consacré par les articles 12, alinéa 2, et 14 de la Constitution et par l'article 7 de la Convention européenne des droits de l'homme, en ce que la notion d' ' abandon de déchets ' figurant dans cette disposition est interprétée de manière à ce point large qu'une personne qui n'a pas elle-même abandonné des déchets (de manière active) mais est seulement devenue propriétaire d'un terrain sur lequel un tiers a abandonné des déchets et qui ne procède pas immédiatement à l'exécution d'un ordre d'élimination des déchets découverts peut faire l'objet de poursuites pénales en vertu de cet article, combiné avec l'article 56 du décret sur les déchets, et peut, en combinaison avec l'article 37 du décret sur les déchets, être tenue de rembourser les frais exposés par l'OVAM pour l'élimination d'office ? 2. L'article 12 du décret sur les déchets, dans la version antérieure à la modification décrétale apportée par l'article 21 du décret du 22 avril 2005 (Moniteur belge, 13 mai 2005), entré en vigueur au 1er janvier 1995, viole-t-il les articles 10 et 11 de la Constitution en ce que cette disposition est interprétée de manière à ce point large que deux situations fondamentalement différentes sont traitées de manière égale, à savoir la situation dans laquelle une personne abandonne activement des déchets sur un terrain et omet par la suite d'éliminer ces déchets conformément à la réglementation, d'une part, et la situation dans laquelle une personne n'a pas abandonné elle-même activement des déchets mais, ignorant la présence de déchets, est devenue propriétaire d'un terrain sur lequel un tiers a abandonné des déchets, et ne donne pas suite à un ordre d'élimination des déchets, d'autre part ? ». (...) III. En droit (...) B.1. La Cour d'appel de Bruxelles demande à la Cour si l'article 12 du décret de la Région flamande du 2 juillet 1981 relatif à la prévention et à la gestion des déchets (ci-après : le décret sur les déchets), tel qu'il a été remplacé par le décret du 20 avril 1994 et avant sa modification par le décret du 22 avril 2005, est compatible, d'une part, avec les articles 12 et 14 de la Constitution et avec l'article 7 de la Convention européenne des droits de l'homme (première question préjudicielle) et, d'autre part, avec les articles 10 et 11 de la Constitution (seconde question préjudicielle).

Tel qu'il s'applique au litige dont le juge a quo est saisi, l'article 12 du décret sur les déchets disposait : « Il est interdit d'abandonner ou d'éliminer des déchets en violation des prescriptions du présent décret ou de ses arrêtés d'exécution ».

La Cour est invitée à contrôler cette disposition dans une lecture combinée avec les articles 56 et 37 du décret sur les déchets, qui, dans leur rédaction telle que modifiée par le décret du 20 avril 1994, disposaient : «

Art. 56.Est puni d'un emprisonnement d'un mois à cinq ans et d'une amende de 100 francs à 10 millions [de] francs ou de l'une de ces peines seulement : 1. quiconque contrevient aux dispositions du présent décret ou aux prescriptions de l'autorisation accordée; [...] ». «

Art. 37.Lorsque des déchets sont abandonnés ou éliminés en violation de l'article 12 du présent décret et qu'il existe un risque d'incommodité ou de préjudice pour l'homme ou l'environnement, l'OVAM peut faire éliminer d'office ces déchets. A cet effet, l'OVAM peut se faire assister par la gendarmerie, la police, le service d'incendie, la protection civile et d'autres administrations.

Dans la mesure du possible, le contrevenant est préalablement entendu.

En tout cas, la mesure et ses motifs sont notifiés par lettre recommandée au contrevenant.

L'élimination d'office s'effectue aux frais du contrevenant ».

B.2. Le juge a quo demande si l'article 12 du décret sur les déchets est compatible avec les articles 12 et 14 de la Constitution, ainsi qu'avec l'article 7 de la Convention européenne des droits de l'homme, en ce que l'expression « abandonner des déchets » contenue dans cette disposition est interprétée « de manière à ce point large qu'une personne qui n'a pas elle-même abandonné des déchets (de manière active) mais est seulement devenue propriétaire d'un terrain sur lequel un tiers a abandonné des déchets et qui ne procède pas immédiatement à l'exécution d'un ordre d'élimination des déchets découverts peut faire l'objet de poursuites pénales en vertu de cet article, combiné avec l'article 56 du décret sur les déchets, et peut, en combinaison avec l'article 37 du décret sur les déchets, être tenue de rembourser les frais exposés par l'OVAM pour l'élimination d'office des déchets ».

B.3. Ainsi qu'il ressort des travaux préparatoires, l'article 12 du décret sur les déchets, dans sa version établie par le décret du 20 avril 1994 modifiant le décret du 2 juillet 1981, s'inspire d'une directive européenne : « L'article 11 [du projet - devenu l'article 12] comporte deux interdictions : - il est interdit d'abandonner des déchets; - il est interdit d'éliminer des déchets en violation des dispositions du présent décret ou de ses arrêtés d'exécution.

L'article 4, alinéa 2, de la Directive 75/442/CEE, tel que modifié par la Directive 91/156/CEE, dispose que les Etats membres prennent les mesures nécessaires pour interdire l'abandon, le rejet et l'élimination incontrôlée des déchets. L'article 11 vise à réaliser cette obligation en interdisant l'abandon, ainsi que l'élimination des déchets en violation des dispositions du décret sur les déchets ou de ses arrêtés d'exécution. Des interdictions analogues figuraient déjà dans l'article 2 de la loi du 22 juillet 1974 sur les déchets toxiques et dans les articles 5 et 6 du décret du 2 juillet 1981 » (Doc. parl., Parlement flamand, 1993-1994, n° 485/1, p. 41).

Dans le rapport fait au nom de la Commission pour l'Environnement et la Préservation de la nature, il est indiqué : « Il est interdit d'abandonner ou d'éliminer des déchets en violation des dispositions du présent décret ou de ses arrêtés d'exécution.

Nonobstant ce qui précède, il n'est pas suffisant de satisfaire simplement aux dispositions légales. En effet, au-delà du respect des obligations légales, la personne qui gère ou élimine ces déchets est obligée de faire tout ce qui est raisonnable pour prévenir ou limiter autant que faire se peut tout risque pour l'homme et pour l'environnement » (Doc. parl., Parlement flamand, 1993-1994, n° 485/6, p. 14). En ce qui concerne plus spécifiquement l'élimination d'office des déchets, visée dans l'article 37 du décret sur les déchets, il est indiqué dans l'exposé des motifs : « Cet article remplace les dispositions existantes du décret sur les déchets en ce qui concerne l'' élimination d'office ' des déchets. Ces dispositions confèrent à l'OVAM le pouvoir d'éliminer d'office les déchets d'une entreprise qui, après avoir été mise en demeure, s'abstient d'éliminer elle-même ces déchets, conformément aux dispositions du décret. L'article 21, § 2, c), du décret dispose que l'élimination d'office assurée par l'OVAM a lieu aux frais de l'entreprise défaillante.

La Commission interuniversitaire de révision du droit de l'environnement a élaboré une proposition de dispositions générales relatives aux mesures de sécurité, qui est appelée à remplacer les différentes réglementations existantes figurant dans des lois et décrets environnementaux sectoriels. En attendant l'adoption d'une telle réglementation générale, il reste nécessaire que le décret sur les déchets prévoie la possibilité, pour l'OVAM, d'éliminer d'office des déchets qui sont abandonnés ou éliminés illégalement et qui constituent un risque d'incommodité ou de préjudice pour l'homme ou l'environnement. Comme le prévoit la proposition de dispositions générales élaborée par la Commission Bocken, il est précisé que le contrevenant doit, si possible, être entendu préalablement et que les mesures de sécurité motivées lui seront en toute hypothèse notifiées.

La problématique de la responsabilité pour les frais de l'élimination d'office, qui est abordée de manière très sommaire dans les dispositions décrétales existantes, n'est pas réglée dans l'article 36 en projet, parce que l'on entend régler cette question par des dispositions générales relatives à la responsabilité du fait des dommages environnementaux, telles que proposées par la Commission Bocken. Dans l'intervalle, le droit commun de la responsabilité reste évidemment d'application, ce qui ne devrait pas générer des difficultés particulières en l'espèce, puisque l'abandon ou l'élimination des déchets en violation du décret constitue une faute » (Doc. parl., Parlement flamand, 1993-1994, n° 485/1, pp. 55-56).

B.4. Sans qu'il soit nécessaire de se prononcer sur le caractère pénal de l'élimination d'office des déchets aux frais du contrevenant, il y a lieu de constater que l'article 37 du décret sur les déchets prévoit que cette mesure peut être ordonnée par l'OVAM lorsque des déchets ont été abandonnés en violation de l'article 12 de ce décret, sans distinction selon que le contrevenant, qui n'a pas donné immédiatement suite à un ordre d'élimination des déchets et à l'égard duquel la mesure est ordonnée, est ou non l'auteur de l'infraction pénale d'abandon de ces déchets, visée par l'article 12, en cause, du même décret.

B.5. En conséquence, il n'est pas nécessaire de déterminer si la personne qui n'aurait pas abandonné des déchets de manière active mais serait seulement devenue propriétaire d'un terrain sur lequel un tiers a abandonné des déchets peut être poursuivie pénalement sur la base de l'article 12 du décret sur les déchets.

B.6. La première question préjudicielle n'appelle dès lors pas de réponse.

B.7. Le juge a quo demande également si l'article 12 du décret sur les déchets, dans la version antérieure à sa modification par l'article 21 du décret du 22 avril 2005, viole les articles 10 et 11 de la Constitution « en ce que cette disposition est interprétée de manière à ce point large que deux situations fondamentalement différentes sont traitées de manière égale, à savoir la situation dans laquelle une personne abandonne activement des déchets sur un terrain et omet par la suite d'éliminer ces déchets conformément à la réglementation, d'une part, et la situation dans laquelle une personne n'a pas abandonné elle-même activement des déchets mais, ignorant la présence de déchets, est devenue propriétaire d'un terrain sur lequel un tiers a abandonné des déchets, et ne donne pas suite à un ordre d'élimination des déchets, d'autre part ».

B.8. L'article 12 du décret sur les déchets, dans sa version établie par le décret du 20 avril 1994, interdit d'abandonner des déchets ou de les éliminer en violation des prescriptions du décret sur les déchets ou de ses arrêtés d'exécution.

A la lumière du contexte de la question préjudicielle, la disposition en cause doit être combinée avec l'article 37 du décret sur les déchets, qui prévoit que lorsque l'abandon ou l'élimination de déchets en violation de l'article 12 dudit décret fait naître un risque d'incommodité ou de préjudice pour l'homme ou pour l'environnement, l'élimination d'office par l'OVAM s'effectue aux frais du « contrevenant ».

Il y a lieu de tenir compte également de l'article 13, § 1er, de ce décret, qui dispose : « Sans préjudice de l'application des autres dispositions du présent décret et de ses arrêtés d'exécution, la personne physique ou la personne morale qui gère ou élimine des déchets, est tenu à prendre toutes les mesures qu'on peut raisonnablement demander à lui, pour prévenir ou réduire autant que possible les risques pour la santé de l'homme et pour l'environnement, notamment les risques pour l'air, l'eau, le sol, la faune et la flore, les incommodités par le bruit ou les odeurs et les atteintes aux paysages et aux sites. Le Gouvernement flamand peut préciser ces mesures ».

B.9. Selon le décret sur les déchets, tel que le Gouvernement flamand et l'OVAM l'interprètent, le propriétaire d'un terrain sur lequel se trouvent des déchets doit prendre des mesures lorsqu'il existe un risque d'incommodité ou de préjudice pour l'homme ou pour l'environnement et il doit en supporter lui-même le coût, à défaut de quoi les frais d'une élimination d'office à laquelle l'OVAM aura procédé peuvent lui être réclamés. Le cas échéant, le propriétaire peut récupérer ces frais sur les personnes qui sont, selon lui, responsables de la pollution.

Dans ce cadre, il n'est fait aucune distinction entre les personnes selon qu'elles avaient ou non, ou auraient dû avoir, connaissance de la présence de déchets sur le terrain lorsqu'elles en sont devenues propriétaires.

B.10. Si le propriétaire d'un bien immobilier à qui l'OVAM s'adresse pour éliminer de manière légale des déchets et qui, faute de s'exécuter, est poursuivi pour supporter les frais d'une élimination d'office, ne savait pas ni n'aurait dû savoir que le bien immobilier était pollué par des déchets au moment où il en est devenu propriétaire, il serait déraisonnable de l'obliger, malgré sa bonne foi, à supporter les frais d'une élimination d'office.

B.11. Dans la mesure où le législateur décrétal met à charge du propriétaire d'un bien immobilier qui est pollué par des déchets le coût d'une élimination d'office de déchets effectuée par l'OVAM, nonobstant le fait que ce propriétaire ne savait ni ne devait savoir que le bien immobilier était pollué par des déchets au moment où il en est devenu propriétaire, les articles 12 et 37 du décret sur les déchets, violent les articles 10 et 11 de la Constitution.

Dans cette interprétation, la question préjudicielle appelle une réponse positive.

B.12. Si le propriétaire d'un bien immobilier à qui l'OVAM s'adresse pour éliminer de manière légale des déchets et qui, faute de s'exécuter, est poursuivi pour supporter les frais d'une élimination d'office, savait ou aurait dû savoir que le bien immobilier était pollué par des déchets au moment où il en est devenu propriétaire, il peut raisonnablement être admis que lors de l'acquisition du bien, il a pris le risque d'engager sa responsabilité en premier recours en ce qui concerne les frais supportés par l'OVAM pour éliminer d'office les déchets qui avaient été abandonnés ou éliminés en violation de l'article 12 du décret sur les déchets, lorsque ces déchets ont fait naître un risque d'incommodité ou de préjudice pour l'homme ou l'environnement.

Dans cette interprétation, les articles 12 et 37 du décret sur les déchets ne violent pas les articles 10 et 11 de la Constitution, compte tenu de ce que ni les dispositions en cause ni une autre disposition n'empêchent le propriétaire qui est poursuivi en paiement des frais de l'assainissement d'office d'un terrain pollué par des déchets d'introduire, le cas échéant, une action récursoire contre celui qui est responsable, selon lui, de l'abandon des déchets en violation du décret sur les déchets ou des arrêtés d'exécution de celui-ci.

Dans cette interprétation, la question préjudicielle appelle une réponse négative.

B.13. Il appartient au juge a quo d'apprécier si, en l'espèce, la bonne foi du propriétaire, au moment de l'acquisition du bien immobilier concerné, peut être admise.

Par ces motifs, la Cour dit pour droit : 1. La première question préjudicielle n'appelle pas de réponse.2. - Les articles 12 et 37 du décret de la Région flamande du 2 juillet 1981 relatif à la prévention et à la gestion des déchets, tel qu'ils ont été remplacés par le décret du 20 avril 1994 et avant la modification apportée par l'article 21 du décret du 22 avril 2005, violent les articles 10 et 11 de la Constitution dans l'interprétation selon laquelle ils mettent à charge du propriétaire d'un bien immobilier pollué par des déchets le coût d'une élimination d'office des déchets effectuée par l'OVAM, nonobstant le fait que ce propriétaire ne savait ni ne devait savoir que le bien immobilier était pollué par des déchets au moment où il en est devenu propriétaire. - Les mêmes dispositions ne violent pas les articles 10 et 11 de la Constitution dans l'interprétation selon laquelle le propriétaire d'un bien immobilier pollué par des déchets, qui savait ou devait savoir que le bien était pollué par des déchets au moment où il en est devenu propriétaire, est tenu d'assumer en premier recours les coûts supportés par l'OVAM pour éliminer d'office les déchets qui avaient été abandonnés ou éliminés en violation de l'article 12 du décret sur les déchets, lorsque ces déchets ont fait naître un risque d'incommodité ou de préjudice pour l'homme ou l'environnement.

Ainsi prononcé en langue néerlandaise et en langue française, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, à l'audience publique du 29 janvier 2014.

Le greffier, P.-Y. Dutilleux Le président, M. Bossuyt

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