publié le 13 mars 2014
Extrait de l'arrêt n° 151/2013 du 7 novembre 2013 Numéro du rôle : 5529 En cause : la question préjudicielle relative à l'article 745octies, § 1 er , alinéa 1 er , du Code civil, posée par le Tribunal de première instan La Cour constitutionnelle, composée des présidents J. Spreutels et M. Bossuyt, et des juges E. D(...)
COUR CONSTITUTIONNELLE
Extrait de l'arrêt n° 151/2013 du 7 novembre 2013 Numéro du rôle : 5529 En cause : la question préjudicielle relative à l'article 745octies, § 1er, alinéa 1er, du Code civil, posée par le Tribunal de première instance de Bruxelles.
La Cour constitutionnelle, composée des présidents J. Spreutels et M. Bossuyt, et des juges E. De Groot, A. Alen, J.-P. Snappe, T. MerckxVan Goey et F. Daoût, assistée du greffier P.-Y. Dutilleux, présidée par le président J. Spreutels, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet de la question préjudicielle et procédure Par jugement du 23 novembre 2012 en cause de Marc Henn et Nathalie Henn contre Francis Heuclen, dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour le 7 décembre 2012, le Tribunal de première instance de Bruxelles a posé la question préjudicielle suivante : « L'article 745octies, § 1er, alinéa 1er, du Code civil viole-t-il les articles 10 et 11 de la Constitution en ce que, sur le plan mobilier, il limite les droits en usufruit du cohabitant légal survivant aux meubles qui garnissent la résidence commune de la famille ? ». (...) III. En droit (...) B.1. La Cour est invitée à se prononcer sur la compatibilité, avec les articles 10 et 11 de la Constitution, de l'article 745octies, § 1er, alinéa 1er, du Code civil en ce que, sur le plan mobilier, il limite les droits en usufruit du cohabitant légal survivant aux meubles qui garnissent la résidence commune de la famille, à l'exclusion des autres biens meubles.
Le juge a quo compare la situation du cohabitant légal survivant avec celle du conjoint survivant, qui, en application de l'article 745bis, § 1er, alinéa 1er, du Code civil, recueille l'usufruit de toute la succession.
B.2.1. L'article 745octies, § 1er, alinéa 1er, du Code civil dispose : « Quels que soient les héritiers avec lesquels il vient à la succession, le cohabitant légal survivant recueille l'usufruit de l'immeuble affecté durant la vie commune à la résidence commune de la famille ainsi que des meubles qui le garnissent ».
B.2.2. La disposition en cause a été introduite dans le Code civil par la loi du 28 mars 2007Documents pertinents retrouvés type loi prom. 28/03/2007 pub. 08/05/2007 numac 2007009367 source service public federal justice Loi modifiant, en ce qui concerne le droit successoral à l'égard du cohabitant légal survivant, le Code civil et la loi du 29 août 1988 relative au régime successoral des exploitations agricoles en vue d'en promouvoir la continuité fermer « modifiant, en ce qui concerne le droit successoral à l'égard du cohabitant légal survivant, le Code civil et la loi du 29 août 1988 relative au régime successoral des exploitations agricoles en vue d'en promouvoir la continuité » (Moniteur belge, 8 mai 2007, deuxième édition).
L'exposé des motifs du projet qui est devenu la loi précitée indique : « Le législateur a érigé la cohabitation légale en institution de droit contractuel et non de droit familial. Toute personne incapable de contracter est également incapable de souscrire à une cohabitation légale. Dans son arrêt n° 23/2000 du 23 février 2000, la Cour d'arbitrage précise au point B.1.5 que ' la loi instaurant la cohabitation légale ne crée pas une institution qui placerait les cohabitants légaux dans une situation à peu près identique à celle des mariés, ainsi que le considèrent les parties requérantes, mais crée seulement une protection patrimoniale limitée qui s'inspire partiellement de dispositions applicables aux époux '.
En effet, les partenaires qui souscrivent à une cohabitation légale sont soumis de par la loi à un statut beaucoup plus restreint que celui applicable aux personnes mariées. En droit civil (les articles 1477-1479 du Code civil), les effets de la cohabitation légale se limitent à quelques règles du régime matrimonial primaire déclarées d'application par analogie, qui créent un régime de cohabitation légal primaire en vue de favoriser une solidarité minimale entre les partenaires et à quelques règles relatives aux biens des partenaires en vue de régler de manière pragmatique les questions d'ordre patrimonial et pécuniaire.
Le régime de cohabitation légale primaire contient un certain nombre de règles relatives aux relations patrimoniales, parmi lesquelles la protection légale du logement familial et des meubles meublants (article 1477, § 2, du Code civil) reprise du régime matrimonial primaire (article 215 du Code civil). [...] L'un des principaux inconvénients soulevés ces dernières années est toutefois que la cohabitation légale ne produit aucun effet sur le plan de la succession entre les deux partenaires. Les cohabitants légaux ne peuvent légalement prétendre à leur succession réciproque quels que soient les héritiers avec lesquels le cohabitant survivant vient à la succession. Dans tous les cas où il n'existe aucun lien de parenté entre les cohabitants, ils ne viennent donc pas ab intestato à la succession l'un de l'autre. Les cohabitants peuvent se favoriser par donation ou testament. Toutefois, en présence d'héritiers réservataires, ils ne peuvent disposer que d'une part limitée de leur succession. Notamment, ce n'est que s'il n'a ni descendants ni parents ou grands-parents, que le défunt peut faire bénéficier le partenaire cohabitant survivant de l'ensemble de sa succession.
Dans la situation actuelle, la protection légale du logement familial et des meubles meublants du vivant des cohabitants prend donc fin lors du décès du cohabitant prémourant. Si les partenaires souhaitent s'attribuer au décès du prémourant mutuellement la pleine propriété ou à tout le moins l'usufruit du logement acquis, ils doivent soit disposer par testament, soit inclure une clause d'accroissement ou de tontine dans l'acte d'achat. Ces clauses impliquent que les droits du prémourant dans le bien indivis (il ne se crée jamais un patrimoine commun entre cohabitants) reviendront à son décès à l'associé survivant. Ces clauses d'accroissement et de tontine ne peuvent pas être contestées par les héritiers réservataires du partenaire prémourant dans la mesure où elles sont considérées comme clauses aléatoires à titre onéreux et non comme donations. [...] Le présent projet vise à introduire un droit successoral ab intestat exclusivement pour les cohabitants légaux. En effet, ces personnes ont fait une déclaration devant l'officier de l'état civil et ont exprimé ainsi leur intention de bâtir une relation de vie commune durable.
Le projet opte pour un droit successoral ab intestat, à l'image du droit successoral de l'époux survivant mais bien plus limité. Il n'est en effet pas souhaitable de mettre sur un même pied les effets successoraux du mariage et du contrat de cohabitation légale car chacun doit pouvoir choisir librement et comme il l'entend la manière d'organiser sa vie familiale et parce que, comme il a été dit plus haut, les effets de ces deux formes de vie commune diffèrent sensiblement, y compris en ce qui concerne les effets patrimoniaux du vivant des partenaires. C'est la raison pour laquelle il n'est prévu qu'un droit successoral ab intestat sui generis qui porte sur les mêmes biens que ceux qui constituent la réserve concrète de l'époux survivant, à savoir l'usufruit du logement où résidait le couple cohabitant et des meubles meublants qui le garnissent, communément appelés biens préférentiels. Le cohabitant survivant n'acquiert toutefois pas un droit réservataire sur ces biens. Un droit successoral plus large ne semble pas nécessaire étant donné que le projet de loi prévoit à présent expressément que, à l'instar des libéralités entre époux, les libéralités en faveur du cohabitant légal survivant peuvent comprendre la totalité des biens pour autant que le partenaire prémourant ne laisse aucun enfant derrière lui.
Les cohabitants qui souhaitent un droit successoral ab intestat plus large peuvent y accéder par le mariage » (Doc. parl., Chambre, 2005-2006, DOC 51-2514/001, pp. 4 à 8).
B.3. La différence de traitement entre conjoints et cohabitants légaux se fonde sur le fait que leur situation juridique diffère aussi bien en ce qui concerne leurs devoirs personnels mutuels que pour ce qui est de leur situation patrimoniale.
Cette situation juridique différente peut, dans certains cas, lorsqu'elle est liée au but de la mesure, justifier une différence de traitement entre conjoints et cohabitants légaux. Il y a dès lors lieu d'examiner si les caractéristiques respectives du mariage et de la cohabitation légale - s'agissant de celles en rapport avec l'objet et la finalité de la mesure en cause - justifient que l'usufruit du cohabitant légal survivant soit limité aux meubles qui garnissent la résidence commune de la famille alors que l'usufruit du conjoint survivant s'étend à toute la succession.
B.4.1. Les époux se doivent mutuellement secours et assistance (article 213 du Code civil); ils bénéficient de la protection du logement de la famille et des meubles meublants (article 215 du Code civil); les époux doivent consacrer leurs revenus par priorité à leur contribution aux charges du mariage (article 217 du Code civil), auxquelles ils doivent contribuer selon leurs facultés (article 221 du Code civil). Les dettes qui sont contractées par l'un des époux pour les besoins du ménage et l'éducation des enfants obligent solidairement l'autre époux, sauf lorsqu'elles sont excessives eu égard aux ressources du ménage (article 222 du Code civil).
B.4.2. Par cohabitation légale, il y a lieu d'entendre la situation de vie commune de deux personnes ayant fait une déclaration écrite de cohabitation légale (article 1475 du Code civil). La cohabitation légale cesse lorsque l'une des parties se marie ou décède. Il peut également être mis fin à la cohabitation légale par les cohabitants, soit de commun accord, soit unilatéralement, au moyen d'une déclaration écrite qui est remise à l'officier de l'état civil, qui acte la cessation de la cohabitation légale dans le registre de la population (article 1476 du Code civil).
Les dispositions suivantes s'appliquent à la cohabitation légale : la protection légale du domicile familial (articles 215, 220, § 1er, et 224, § 1er, 1, du Code civil) s'applique par analogie à la cohabitation légale; les cohabitants légaux contribuent aux charges de la vie commune en proportion de leurs facultés et toute dette non excessive contractée par l'un des cohabitants légaux pour les besoins de la vie commune et des enfants qu'ils éduquent oblige solidairement l'autre cohabitant (article 1477 du Code civil).
Pour le surplus, il est prévu un régime des biens des cohabitants et la possibilité de régler par convention les modalités de la cohabitation légale, pour autant que cette convention ne contienne aucune clause contraire à l'article 1477 du Code civil, à l'ordre public, aux bonnes moeurs ou aux règles relatives à l'autorité parentale, à la tutelle et aux règles déterminant l'ordre légal de la succession. Cette convention est passée en la forme authentique devant notaire, et fait l'objet d'une mention au registre de la population (article 1478 du Code civil).
B.4.3. Il résulte de ce qui précède que les dispositions du Code civil applicables aux cohabitants légaux créent une protection patrimoniale limitée qui s'inspire partiellement de dispositions applicables aux époux.
B.5. Il ressort des travaux préparatoires cités en B.2.2 que si le législateur a voulu donner un effet à la cohabitation légale sur le plan de la succession, il n'a pas entendu mettre sur le même pied les effets successoraux du mariage et du contrat de cohabitation légale afin de permettre à chacun de choisir librement et comme il l'entend la manière d'organiser sa vie familiale mais également parce que ces deux formes de vie produisent des effets juridiques différents.
A cet égard, il n'est pas sans justification raisonnable de limiter l'usufruit du cohabitant légal survivant aux meubles qui garnissent la résidence commune dès lors que le législateur entendait répondre à un besoin social en évitant des situations pénibles telles que l'expulsion du cohabitant de cette résidence par les héritiers du cohabitant prédécédé. Il n'est pas porté atteinte de manière disproportionnée aux droits des personnes concernées dès lors que la protection juridique qui leur est offerte constitue la conséquence du choix qu'elles opèrent pour l'une ou l'autre forme de vie commune.
B.6. La question préjudicielle appelle une réponse négative.
Par ces motifs, la Cour dit pour droit : L'article 745octies, § 1er, alinéa 1er, du Code civil ne viole pas les articles 10 et 11 de la Constitution.
Ainsi prononcé en langue française et en langue néerlandaise, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, à l'audience publique du 7 novembre 2013.
Le greffier, P.-Y. Dutilleux Le président, J. Spreutels