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Arrêt
publié le 02 janvier 2014

Extrait de l'arrêt n° 141/2013 du 30 octobre 2013 Numéros du rôle : 5487 et 5497 En cause : les recours en annulation des articles 167, 168 et 169 de la loi-programme du 29 mars 2012 (lutte contre la fraude fiscale), introduits par Bart V(...) La Cour constitutionnelle, composée des présidents M. Bossuyt et J. Spreutels, et des juges E. D(...)

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Extrait de l'arrêt n° 141/2013 du 30 octobre 2013 Numéros du rôle : 5487 et 5497 En cause : les recours en annulation des articles 167, 168 et 169 de la loi-programme (I) du 29 mars 2012 (lutte contre la fraude fiscale), introduits par Bart Van Nieuwenhuyse et autres et par l'ASBL « Ligue des Contribuables ».

La Cour constitutionnelle, composée des présidents M. Bossuyt et J. Spreutels, et des juges E. De Groot, L. Lavrysen, A. Alen, J.-P. Snappe, J.-P. Moerman, E. Derycke, T. Merckx-Van Goey, P. Nihoul, F. Daoût et T. Giet, assistée du greffier F. Meersschaut, présidée par le président M. Bossuyt, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet des recours et procédure a. Par requête adressée à la Cour par lettre recommandée à la poste le 28 septembre 2012 et parvenue au greffe le 1er octobre 2012, un recours en annulation des articles 167, 168 et 169 de la loi-programme (I) du 29 mars 2012 (lutte contre la fraude fiscale), publiée au Moniteur belge du 6 avril 2012, troisième édition, a été introduit par Bart Van Nieuwenhuyse, demeurant à 9230 Wetteren, Meersstraat 22, Jozef Haustraete, demeurant à 9230 Wetteren, Korte Massemsesteenweg 58/33, Abdon Vande Maele, demeurant à 8780 Oostrozebeke, Meulebeeksesteenweg 39, Frank Van den Broecke, demeurant à 9260 Wichelen, Wetterensteenweg 15, Pascal Vande Velde, demeurant à 8570 Anzegem, Statiestraat 2, Filip Verbraeken, demeurant à 9170 Sint-Gillis-Waas, Kronenhoekstraat 25, Geert Cackebeke, demeurant à 9520 Bavegem, Kerkkouterstraat 16, Jan Adriaans, demeurant à 2440 Geel, Vogelzang 1a, Peter Defreyne, demeurant à 8870 Izegem, Gentsestraat 25, Griet Van den Bosch, demeurant à 9660 Brakel, Brusselsestraat 85, Ludo Van den Bossche, demeurant à 9041 Oostakker, Groenstraat 109, William Breen, demeurant à 9000 Gand, Gerststraat 15, la SC « Fiscaliteit, Boekhouding en Adviesverlening », dont le siège est établi à 9230 Wetteren, Meersstraat 22, et la SNC « Audit Decrad », dont le siège est établi à 9230 Wetteren, Korte Massemsesteenweg 58/31.b. Par requête adressée à la Cour par lettre recommandée à la poste le 5 octobre 2012 et parvenue au greffe le 8 octobre 2012, un recours en annulation des articles 167 et 168 de la loi-programme (I) du 29 mars 2012 (lutte contre la fraude fiscale), publiée au Moniteur belge du 6 avril 2012, troisième édition, a été introduit par l'ASBL « Ligue des Contribuables », dont le siège est établi à 1000 Bruxelles, rue Lens 13. Ces affaires, inscrites sous les numéros 5487 et 5497 du rôle de la Cour, ont été jointes. (...) II. En droit (...) Quant aux dispositions attaquées et à leur contexte B.1.1. Les recours en annulation concernent les articles 167, 168 et 169 de la loi-programme (I) du 29 mars 2012, figurant dans le chapitre 3 (« Lutte contre la fraude fiscale ») du titre 9 (« Finances »), qui disposent : «

Art. 167.L'article 344, § 1er, du Code [des impôts sur les revenus 1992], remplacé par la loi du 28 juillet 1992 et modifié par la loi du 22 juillet 1993, est remplacé par ce qui suit : ' § 1er. N'est pas opposable à l'administration, l'acte juridique ni l'ensemble d'actes juridiques réalisant une même opération lorsque l'administration démontre par présomptions ou par d'autres moyens de preuve visés à l'article 340 et à la lumière de circonstances objectives, qu'il y a abus fiscal.

Il y a abus fiscal lorsque le contribuable réalise, par l'acte juridique ou l'ensemble d'actes juridiques qu'il a posé, l'une des opérations suivantes : 1° une opération par laquelle il se place en violation des objectifs d'une disposition du présent Code ou des arrêtés pris en exécution de celui-ci, en-dehors du champ d'application de cette disposition;ou 2° une opération par laquelle il prétend à un avantage fiscal prévu par une disposition du présent Code ou des arrêtés pris en exécution de celui-ci, dont l'octroi serait contraire aux objectifs de cette disposition et dont le but essentiel est l'obtention de cet avantage. Il appartient au contribuable de prouver que le choix de cet acte juridique ou de cet ensemble d'actes juridiques se justifie par d'autres motifs que la volonté d'éviter les impôts sur les revenus.

Lorsque le contribuable ne fournit pas la preuve contraire, la base imposable et le calcul de l'impôt sont rétablis en manière telle que l'opération est soumise à un prélèvement conforme à l'objectif de la loi, comme si l'abus n'avait pas eu lieu. '.

Art. 168.Dans l'article 18 du Code des droits d'enregistrement, d'hypothèque et de greffe, modifié par les lois du 30 mars 1994 et 24 décembre 2002, le § 2 est remplacé par ce qui suit : ' § 2. N'est pas opposable à l'administration, l'acte juridique ni l'ensemble d'actes juridiques réalisant une même opération lorsque l'administration démontre par présomptions ou par d'autres moyens de preuve visés à l'article 185 et à la lumière de circonstances objectives, qu'il y a abus fiscal.

Il y a abus fiscal lorsque le redevable réalise, par l'acte juridique ou l'ensemble d'actes juridiques qu'il a posé, l'une des opérations suivantes : 1. une opération par laquelle il se place, en violation des objectifs d'une disposition du présent Code ou des arrêtés pris en exécution de celui-ci, en-dehors du champ d'application de cette disposition;ou 2. une opération par laquelle il prétend à un avantage fiscal prévu par une disposition du présent Code ou des arrêtés pris en exécution de celui-ci, dont l'octroi serait contraire aux objectifs de cette disposition et dont le but essentiel est l'obtention de cet avantage. Il appartient au redevable de prouver que le choix de cet acte juridique ou de cet ensemble d'actes juridiques se justifie par d'autres motifs que la volonté d'éviter les droits d'enregistrement.

Lorsque le redevable ne fournit pas la preuve contraire, l'opération est soumise à un prélèvement conforme à l'objectif de la loi, comme si l'abus n'avait pas eu lieu. '.

Art. 169.L'article 167 est applicable à partir de l'exercice d'imposition 2013, ainsi qu'aux actes ou ensembles d'actes juridiques posés au cours d'une période imposable clôturée au plus tôt à la date de publication de la présente loi au Moniteur belge et se rattachant à l'exercice d'imposition 2012. Toute modification apportée à partir du 28 novembre 2011 à la date de clôture des comptes annuels reste sans incidence pour l'application des dispositions visées à l'article 167.

L'article 168 est applicable aux actes ou ensembles d'actes juridiques réalisant une seule opération qui sont accomplis à dater du premier jour du deuxième mois qui suit celui de la publication de cette loi au Moniteur belge ».

B.1.2. Les articles 167 et 168 attaqués instaurent une nouvelle « disposition anti-abus », tant en matière d'impôts sur les revenus (article 344, § 1er, du Code des impôts sur les revenus - CIR 1992) qu'en matière de droits d'enregistrement (article 18, § 2, du Code des droits d'enregistrement, d'hypothèque et de greffe). La disposition anti-abus s'applique également en matière de droits de succession, étant donné qu'en vertu de l'article 106, alinéa 2, du Code des droits de succession, le paragraphe 2 de l'article 18 du Code des droits d'enregistrement, d'hypothèque et de greffe s'applique mutatis mutandis.

B.2.1. La nouvelle disposition anti-abus prévue à l'article 344, § 1er, du CIR 1992 a été justifiée dans les travaux préparatoires par le constat que l'ancienne disposition ne pouvait pas être appliquée de manière efficace par l'administration, en particulier eu égard à la jurisprudence de la Cour de cassation.

Afin de pouvoir appliquer l'article 344, § 1er, ancien, l'administration devait prouver que le contribuable avait opté pour une qualification juridique avec l'intention d'éviter l'imposition.

Etant donné la preuve contraire que le contribuable devait fournir et qui consistait à démontrer l'existence de besoins légitimes de caractère financier ou économique, il apparaissait que d'autres motifs non fiscaux devaient sous-tendre la qualification juridique. Si le contribuable n'était pas en mesure de fournir la preuve contraire, l'administration pouvait procéder à la requalification, mais cette nouvelle qualification devait avoir, selon la Cour de cassation, des conséquences juridiques semblables à celles de l'acte juridique ou des actes juridiques originels. De plus, seule la qualification de l'acte juridique n'était pas opposable à l'administration, et non l'acte juridique lui-même. C'est pourquoi il était généralement admis qu'il était pratiquement impossible d'arriver, dans le cas d'une requalification, à des conséquences juridiques semblables lorsque l'opération avait été réalisée en un seul acte. En effet, il peut rarement être donné plusieurs qualifications à un seul acte. L'ancien article 344, § 1er, ne pouvait donc pas être appliqué « si les conséquences juridiques de l'acte juridique posé en remplacement par l'administration [étaient] différentes de celles de l'acte juridique posé par le contribuable ». Cet article pouvait toutefois s'appliquer « pour redéfinir un ensemble d'actes distincts ou successifs qui ont été scindés de manière artificielle en une seule opération que les parties [avaient] en réalité mise sur pied » (Doc. parl., Chambre, 2011-2012, DOC 53-2081/001, pp. 109-110).

B.2.2. Lors de l'introduction de la nouvelle disposition anti-abus, il a également été tenu compte de la jurisprudence de la Cour de justice de l'Union européenne.

Les travaux préparatoires mentionnent à cet égard : « L'interdiction de l'abus de droit constitue un principe général de droit européen. L'application des règles du droit communautaire ne peut aller jusqu'à la couverture d'abus, en d'autres termes les transactions qui ne sont pas réalisées dans le cadre d'opérations commerciales normales, mais avec comme objectif de s'approprier de manière illégale des avantages octroyés par le droit communautaire (voir à ce sujet : CJ, C-212/97, 9 mars 1999, Centros; CJ, C-255/02, 21 février 2006, Halifax e.a. et CJ, C-126/10, 10 novembre 2011, Foggia).

Au regard de la jurisprudence européenne et en se référant à l'incorporation de la doctrine juridique européenne anti-abus dans l'article 1, § 10 du Code de la taxe sur la valeur ajoutée, la doctrine plaide pour la reformulation de la mesure anti-abus belge [...] » (Doc. parl., Chambre, 2011-2012, DOC 53-2081/001, pp. 110-111).

B.2.3. Les mêmes travaux préparatoires indiquent encore que « l'utilisation de l'article 344, § 1er, CIR 92 par l'administration constitue un recours ultime et ne doit être appliquée que lorsque la méthode d'interprétation ordinaire, les dispositions techniques du Code, les dispositions spéciales relatives à la lutte contre l'évasion et la théorie de la simulation ne sont d'aucun secours » (ibid., pp. 112-113).

B.2.4. En ce qui concerne l'éventuelle utilisation par le contribuable du principe « in dubio contra fiscum », le ministre des Finances a déclaré que la nouvelle disposition anti-abus est conçue « comme une mesure qui pourra éventuellement être appliquée après la mise en oeuvre de toutes les autres dispositions anti-abus spécifiques. A cette occasion, l'administration devra utiliser les moyens de preuve qui sont les siens pour prouver l'existence d'un abus fiscal au sens de ce nouveau projet. Le contribuable aura alors la possibilité de fournir la preuve contraire. Cette procédure semble garantir à suffisance que l'administration n'agira pas à la légère et qu'elle sera automatiquement confrontée en la matière au principe [précité] » (Doc. parl., Chambre, 2011-2012, DOC 53-2081/016, p. 70).

B.3. Dans ses arrêts nos 188/2004, 26/2005 et 60/2005, la Cour a constaté que l'article 344, § 1er, du CIR 1992, dans son ancienne rédaction, vise à « l'introduction d'une mesure générale ' anti-abus de droit ' lorsque l'Administration établit que l'opération a été réalisée de manière patente par des actes juridiques qui ont pour but de permettre au contribuable d'éviter l'impôt » (Doc. parl., Sénat, 1992-1993, n° 762-1, p. 2). Le législateur souhaitait de cette manière limiter l'application de la jurisprudence de la Cour de cassation, établie dans l'arrêt Brepols (Cass., 6 juin 1961, Pas., 1961, I, 1082), dont il découle « que la limite à une construction fiscale réside dans la seule condition de s'appuyer sur des situations réelles » (Doc. parl., Sénat, 1992-1993, n° 762-1, p. 2).

Dans son arrêt n° 77/2006 du 17 mai 2006, la Cour a jugé que la possibilité, prévue par l'article 344, § 1er, de l'époque, de requalifier un acte juridique doit permettre à l'administration fiscale de veiller à ce que l'impôt se fonde sur la qualification juridique « normale » de l'opération intervenue entre les parties (Doc. parl., Sénat, 1992-1993, n° 762-2, p. 37).

B.4.1. Le nouvel article 344, § 1er, du CIR 1992, tel qu'il a été introduit par l'article 167 attaqué, vise à résoudre les problèmes d'application mentionnés en B.2.1. Il doit permettre à l'administration de combattre les abus d'une manière efficace sans porter fondamentalement atteinte à la sécurité juridique ou au principe du libre choix de la voie fiscale la moins imposée (Doc. parl., Chambre, 2011-2012, DOC 53-2081/001, pp. 111).

A cet effet, l'ancienne réglementation a été adaptée sur différents points, qui concernent l'objet de l'inopposabilité, l'introduction d'une définition de l'« abus fiscal », une modification de la répartition de la charge de la preuve entre l'administration et le contribuable et, enfin, la possibilité de revoir la situation fiscale du contribuable.

L'alinéa 1er du nouvel article 344, § 1er, du CIR 1992 prévoit désormais que la non-opposabilité se rapporte à un acte juridique ou à un ensemble d'actes juridiques réalisant une même opération. La non-opposabilité ne concerne donc plus, comme auparavant, la qualification juridique de l'acte. Le concept d'« ensemble d'actes juridiques réalisant une même opération » vise également « la décomposition artificielle d'une opération en actes successifs s'étalant sur une période plus longue que l'année d'imposition et ne vise donc pas uniquement les cas où ils relèvent du même exercice d'imposition » (ibid., p. 113).

L'alinéa 2 définit l'« abus fiscal », qui comprend un élément objectif et un élément subjectif. L'élément objectif implique que le contribuable choisit un acte juridique ou un ensemble d'actes juridiques qui lui permettent de se placer dans une situation qui est contraire aux objectifs d'une disposition du CIR 1992 ou des arrêtés pris en exécution de celui-ci. L'élément subjectif implique que le contribuable choisit cet acte juridique ou cet ensemble d'actes juridiques dans le seul but d'obtenir un avantage fiscal.

L'incompatibilité avec les objectifs de cette disposition fiscale doit être comprise à la lumière du concept de « construction purement artificielle ». C'est le cas lorsque l'opération ne poursuit pas les objectifs économiques que sous-tend la disposition fiscale concernée, lorsqu'elle est sans rapport avec la réalité économique ou lorsqu'elle ne se déroule pas dans les conditions commerciales ou financières du marché. En d'autres termes, il s'agit d'actes juridiques qui sont exécutés uniquement pour éviter l'impôt. Cet « élément subjectif » ne doit pas être constaté par l'administration fiscale pour prouver l'existence d'un abus fiscal. L'administration n'est donc pas tenue de prouver que le choix de l'acte a été dicté uniquement par des motifs fiscaux. Cela équivaudrait à une charge de preuve impossible pour l'administration (Doc. parl., Chambre, 2011-2012, DOC 53-2081/001, pp. 113-114).

L'alinéa 3 règle le système de la preuve contraire dans le chef du contribuable. Aux termes de l'alinéa 1er, l'administration doit d'abord apporter la preuve que le choix des actes juridiques répond à la définition de l'abus fiscal (élément objectif). Le contribuable peut alors apporter la preuve que ses actes juridiques se justifient par d'autres motifs que la volonté d'éviter de payer les impôts sur les revenus (élément subjectif). Le champ d'application de l'article 344, § 1er, du CIR 92 s'étend toutefois aux situations où les motifs « non fiscaux » sont tellement insignifiants que l'opération semble impossible s'il n'est pas tenu compte des motifs fiscaux (ibid., pp. 114-115).

L'alinéa 4 prévoit que, lorsque le contribuable n'apporte pas la preuve contraire, l'administration peut rendre la situation fiscale du contribuable conforme à l'objectif de la disposition législative concernée. La base imposable et le calcul de l'impôt sont alors rétablis en manière telle que l'opération est soumise à un prélèvement conformément à l'objectif de la loi, comme si l'abus n'avait pas eu lieu (ibid., pp. 115-116).

B.4.2. Le nouvel article 18, § 2, du Code des droits d'enregistrement, d'hypothèque et de greffe, tel qu'il a été introduit par l'article 168 attaqué est, en ce qui concerne ses trois premiers alinéas, une reprise mutatis mutandis des trois premiers alinéas du nouvel article 344, § 1er, du CIR 1992.

L'alinéa 4 de ce nouvel article 18, § 2, ne reprend cependant pas les mots « la base imposable et le calcul de l'impôt sont rétablis en manière telle que » figurant à l'alinéa 4 de l'article 344, § 1er, du CIR 1992.

B.4.3. En vertu de l'article 106, alinéa 2, du Code des droits de succession, le nouvel article 18, § 2, du Code des droits d'enregistrement, d'hypothèque et de greffe est applicable mutatis mutandis en matière de droits de succession.

Quant à la recevabilité B.5.1. Le Gouvernement wallon conteste la recevabilité du recours dans l'affaire n° 5487, au motif que les parties requérantes ne justifieraient pas de l'intérêt requis.

B.5.2. La Constitution et la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle imposent à toute personne physique ou morale qui introduit un recours en annulation de justifier d'un intérêt. Ne justifient de l'intérêt requis que les personnes dont la situation pourrait être affectée directement et défavorablement par la norme attaquée.

B.5.3. En leur qualité de contribuables, les parties requérantes dans l'affaire n° 5487 peuvent voir leur situation directement et défavorablement affectée par les dispositions attaquées, de sorte qu'elles justifient de l'intérêt requis.

L'exception est rejetée.

B.6.1. Le Gouvernement wallon conteste la recevabilité du recours dans l'affaire n° 5497, au motif que l'ASBL « Ligue des Contribuables » ne justifierait pas de l'intérêt requis.

B.6.2. Lorsqu'une association sans but lucratif qui n'invoque pas son intérêt personnel agit devant la Cour, il est requis que son objet social soit d'une nature particulière et, dès lors, distinct de l'intérêt général; qu'elle défende un intérêt collectif; que la norme attaquée soit susceptible d'affecter son objet social; qu'il n'apparaisse pas, enfin, que cet objet social n'est pas ou n'est plus réellement poursuivi.

B.6.3. Il ressort des statuts de l'ASBL « Ligue des Contribuables » que son objet social consiste à défendre les intérêts des contribuables. L'intérêt collectif qu'elle représente est susceptible d'être affecté par les dispositions attaquées. En outre, il ressort des pièces qu'elle a transmises que son objet social est réellement poursuivi.

L'exception est rejetée.

Quant aux moyens B.7. Dans l'affaire n° 5487, les parties requérantes développent trois moyens. Le premier moyen est pris de la violation, par les articles 167 et 168 attaqués, des articles 10, 11, 170 et 172 de la Constitution. Le deuxième moyen est pris de la violation, par l'article 168 attaqué, des règles répartitrices de compétence, consacrées par l'article 170 de la Constitution et par l'article 4, § 1er, de la loi spéciale du 16 janvier 1989 relative au financement des communautés et des régions (ci-après : la loi spéciale de financement). Le troisième moyen est pris de la violation, par l'article 169 attaqué, de l'article 2 du Code civil.

B.8.1. Le Gouvernement wallon conteste la recevabilité du troisième moyen, étant donné que la Cour n'est pas compétente pour contrôler une norme législative au regard de l'article 2 du Code civil.

B.8.2. En vertu de l'article 142 de la Constitution et de l'article 1er de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, la Cour est compétente pour contrôler la conformité des normes ayant force de loi aux règles répartitrices de compétences entre l'Etat fédéral, les communautés et les régions ainsi que leur compatibilité avec les articles du titre II (« Des Belges et de leurs droits ») et avec les articles 170, 172 et 191 de la Constitution. L'article 2 du Code civil ne fait pas partie des dispositions ou règles au regard desquelles la Cour est autorisée à exercer un contrôle.

Le troisième moyen dans l'affaire n° 5487 n'est pas recevable.

B.9. Dans l'affaire n° 5497, la partie requérante articule deux moyens. Le premier moyen est pris de la violation, par les articles 167 et 168 attaqués, des règles répartitrices de compétence, consacrées par l'article 170, et en particulier l'article 170, § 2, de la Constitution, et par l'article 3, alinéa 1er, 4°, 5°, 6°, 7° et 8°, et par l'article 4, §§ 1er et 2, de la loi spéciale de financement. Le second moyen est pris de la violation, par les articles 167 et 168 attaqués, de l'article 170, § 1er, de la Constitution.

B.10. L'examen de la conformité des dispositions attaquées aux règles répartitrices de compétence doit en principe précéder l'examen de leur compatibilité avec le principe d'égalité et de non-discrimination.

B.11. La Cour examine les moyens dans l'ordre suivant : - les moyens pris de la violation des règles relatives à la répartition des compétences entre l'Etat fédéral et les régions (deuxième moyen dans l'affaire n° 5487 et premier moyen dans l'affaire n° 5497); - les moyens pris de la violation de l'article 170, § 1er, de la Constitution (premier moyen dans l'affaire n° 5487 et second moyen dans l'affaire n° 5497); - le moyen pris de la violation des articles 10, 11 et 172 de la Constitution (premier moyen dans l'affaire n° 5487).

Quant aux règles répartitrices de compétence B.12.1. Le deuxième moyen dans l'affaire n° 5487 est pris de la violation, par l'article 168 attaqué, de l'article 170 de la Constitution et de l'article 4, § 1er, de la loi spéciale de financement. L'article 168 attaqué a transformé l'article 18, § 2, du Code des droits d'enregistrement, d'hypothèque et de greffe en une disposition anti-abus, dont la forme et le contenu sont en grande partie comparables à ceux de l'article 344, § 1er, du CIR 1992. Cette modification produit également ses effets dans le Code des droits de succession, étant donné qu'en vertu de l'article 106, alinéa 2, de ce Code, l'article 18, § 2, du Code des droits d'enregistrement, d'hypothèque et de greffe s'applique mutatis mutandis. En adoptant l'article 168, le législateur fédéral aurait violé les règles répartitrices de compétence puisque, en vertu de l'article 4, § 1er, de la loi spéciale de financement, les régions sont exclusivement compétentes pour modifier le taux d'imposition, la base d'imposition et les exonérations des impôts visés par ce dernier article.

B.12.2. Le premier moyen dans l'affaire n° 5497 est pris de la violation, par les articles 167 et 168 attaqués, de l'article 170, en particulier son paragraphe 2, de la Constitution, de l'article 3, alinéa 1er, 4°, 5°, 6°, 7° et 8°, et de l'article 4, §§ 1er et 2, de la loi spéciale de financement. L'article 167 concernerait le précompte immobilier, lequel constitue un impôt régional. Par l'article 168, le législateur fédéral aurait réglé les droits d'enregistrement ayant un caractère régional et les droits de succession. En vertu de l'article 170, § 2, de la Constitution, de telles mesures ne pourraient toutefois être prises que par le législateur décrétal, pour la région pour laquelle il est compétent, et en vertu de l'article 4, §§ 1er et 2, de la loi spéciale de financement, les régions sont compétentes pour modifier le taux d'imposition, la base d'imposition et les exonérations des impôts régionaux mentionnés à l'article 3, alinéa 1er, 1° à 9°. Par conséquent, le législateur fédéral ne pourrait pas régler le précompte immobilier ni les droits d'enregistrement ayant un caractère régional ni les droits de succession. Or, la disposition anti-abus tendrait à modifier le taux d'imposition, la base d'imposition ou les exonérations de ces impôts régionaux.

B.12.3. Les parties requérantes estiment en substance qu'en adoptant les articles 167 et 168 attaqués, le législateur fédéral aurait violé les règles répartitrices de compétence précitées, puisqu'il aurait ainsi réglé le taux d'imposition, la base d'imposition ou les exonérations prévues en rapport avec un certain nombre d'impôts régionaux.

B.13.1. L'article 170, § 2, de la Constitution dispose : « Aucun impôt au profit de la communauté ou de la région ne peut être établi que par un décret ou une règle visée à l'article 134.

La loi détermine, relativement aux impositions visées à l'alinéa 1er, les exceptions dont la nécessité est démontrée ».

En vertu de cette disposition, les communautés et les régions disposent d'une compétence fiscale propre, sauf les exceptions que la loi a prévues ou qu'elle prévoit ultérieurement lorsque la nécessité est démontrée.

B.13.2. L'article 3, alinéa 1er, de la loi spéciale de financement dispose : « Les impôts suivants sont des impôts régionaux : [...] 4° les droits de succession d'habitants du Royaume et les droits de mutation par décès de non-habitants du Royaume;5° le précompte immobilier;6° les droits d'enregistrement sur les transmissions à titre onéreux de biens immeubles situés en Belgique, à l'exclusion des transmissions résultant d'un apport dans une société, sauf dans la mesure où il s'agit d'un apport, fait par une personne physique, dans une société belge, d'une habitation;7° les droits d'enregistrement sur : a) la constitution d'une hypothèque sur un bien immeuble situé en Belgique;b) les partages partiels ou totaux de biens immeubles situés en Belgique, les cessions à titre onéreux, entre copropriétaires, de parties indivises de tels biens, et les conversions prévues aux articles 745quater et 745quinquies du Code civil, même s'il n'y a pas indivision;8° les droits d'enregistrement sur les donations entre vifs de biens meubles ou immeubles; [...] ».

B.13.3. L'article 4, §§ 1er et 2, de cette même loi spéciale dispose : « § 1er. Les régions sont compétentes pour modifier le taux d'imposition, la base d'imposition et les exonérations des impôts visés à l'article 3, alinéa 1er, 1° à 4° et 6° à 9°. § 2. Les régions sont compétentes pour modifier le taux d'imposition, la base d'imposition et les exonérations de l'impôt visé à l'article 3, alinéa 1er, 5°. Elles ne peuvent toutefois modifier le revenu cadastral fédéral. La gestion conjointe des données de la documentation patrimoniale s'effectue par la voie d'un accord de coopération au sens de l'article 92bis, § 3, de la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles ».

B.13.4. L'article 5, § 3, alinéa 1er, première phrase, de cette même loi spéciale prévoit : « A moins que la région n'en décide autrement, l'Etat assure gratuitement dans le respect des règles de procédure qu'il fixe, le service des impôts visés à l'article 3, alinéa 1er, 1° à 8° et 10° à 12°, pour le compte de la région et en concertation avec celle-ci ».

L'article 5, § 4, de cette même loi spéciale dispose : « Les régions sont compétentes pour fixer les règles de procédure administratives concernant les impôts visés à l'article 3 à compter de l'année budgétaire à partir de laquelle elles assurent le service des impôts ».

B.14.1. Les articles 3, 4 et 5 de la loi spéciale de financement accordent aux régions une compétence générale quant aux impôts visés par ces articles. Il faut considérer que le Constituant et le législateur spécial, dans la mesure où ils n'en disposent pas autrement, ont attribué aux régions toute la compétence d'édicter les règles relatives au taux d'imposition, à la base d'imposition et aux exonérations des impôts visés à l'article 3, alinéa 1er, 1° à 4° et 6° à 9°, parmi lesquels les droits de succession et les droits d'enregistrement énumérés. Les régions sont également compétentes pour modifier le taux d'imposition, les exonérations et, depuis le 1er janvier 2002, également la base d'imposition du précompte immobilier.

Elles ne peuvent toutefois pas modifier le revenu cadastral fédéral.

B.14.2. Il ressort des travaux préparatoires de la loi spéciale du 13 juillet 2001 portant refinancement des communautés et extension des compétences fiscales des régions, qui a modifié la loi spéciale de financement, que le « service de l'impôt » comprend l'établissement factuel de la base imposable, le calcul de l'impôt, le contrôle de la base imposable et de l'impôt, ainsi que le contentieux y afférent (tant administratif que judiciaire), la perception et le recouvrement de l'impôt (en ce compris les frais et intérêts) (Doc. parl., Chambre, 2000-2001, DOC 50-1183/007, p. 160).

B.14.3. La matière imposable est l'élément générateur de l'impôt, la situation ou le fait qui donnent lieu à l'impôt. La matière imposable se distingue de la base imposable (« base d'imposition »), qui est le montant sur lequel l'impôt est calculé.

B.15.1. Les travaux préparatoires font apparaître que la nouvelle disposition anti-abus, comme l'ancienne, est un moyen de preuve de l'administration et qu'il s'agit d'un « système de preuve et de preuve contraire » (Doc. parl., Chambre, 2011-2012, DOC 53-2081/001, pp. 111-112). Dans une première phase, l'administration doit démontrer qu'il y a un abus fiscal (élément objectif). Cette preuve doit être apportée à l'aide de présomptions ou des autres moyens de preuve visés à l'article 340 du CIR 1992. Il s'agit des moyens de preuve du droit commun, à l'exception du serment (ibid., pp. 113-114). Ensuite, le contribuable peut prouver que d'autres motifs que l'évasion fiscale justifiaient ses actes juridiques (élément subjectif). S'il n'y parvient pas, le fisc peut imposer comme si l'abus n'avait pas été commis (Doc. parl., Chambre, 2011-2012, DOC 53-2081/016, p. 10).

B.15.2. Même si les travaux préparatoires précités portent en particulier sur l'article 167 attaqué (impôts sur les revenus), la formulation quasiment identique de l'article 168 attaqué (droits d'enregistrement et de succession) permet d'y appliquer les mêmes considérations.

B.15.3. La circonstance que par suite de l'application de la disposition anti-abus, une opération déterminée peut être soumise à l'impôt ne conduit pas à la conclusion que la mesure attaquée aurait réglé le taux d'imposition, la base imposable (« base d'imposition ») et les exonérations de certains impôts régionaux. En effet, comme l'ont souligné à plusieurs reprises les travaux préparatoires mentionnés en B.15.1, la disposition anti-abus est une règle de procédure relative à l'administration de la preuve qui permet l'établissement factuel de la base imposable. A moins que la région n'en décide autrement, le législateur fédéral est compétent pour assurer le service de l'impôt et pour fixer à cet effet les règles de procédure (article 5, § 3, alinéa 1er, précité, de la loi spéciale de financement).

B.15.4. Ne change rien à ce constat, le fait que le nouvel article 18, § 2, tel qu'il a été remplacé par l'article 168 attaqué, figure dans le Code des droits d'enregistrement, d'hypothèque et de greffe sous le chapitre intitulé « Division des droits et règles générales de perception » et non dans le chapitre intitulé « Moyens de preuve ». Le simple fait qu'une disposition figure sous un chapitre et un intitulé déterminés n'est pas en soi un élément décisif indiquant la portée exacte de cette disposition.

En l'espèce, il en va d'autant plus ainsi que l'article 344, § 1er, du CIR 1992 figure bien, quant à lui, au chapitre IV (« Moyens de preuve de l'administration ») du titre VII (« Etablissement et recouvrement des impôts ») de ce Code. De même, l'article 106, alinéa 2, du Code des droits de succession, qui prévoit que l'article 18, § 2, du Code des droits d'enregistrement, d'hypothèque et de greffe est applicable mutatis mutandis, figure dans le Code des droits de succession sous la section intitulée « Moyens de preuve de droit commun » du chapitre consacré aux « Moyens de preuve ».

B.15.5. Il résulte de ce qui précède qu'en adoptant les articles 167 et 168 attaqués, le législateur fédéral n'a pas violé les règles répartitrices de compétence mentionnées dans les moyens.

B.16. Compte tenu de ce qui est dit en B.15.3, le deuxième moyen dans l'affaire n° 5487 et le premier moyen dans l'affaire n° 5497 ne sont pas fondés.

Quant au principe de légalité en matière fiscale B.17.1. Le premier moyen dans l'affaire n° 5487 dénonce le fait que l'article 167 attaqué violerait notamment l'article 170, § 1er, de la Constitution, lequel consacre le principe de légalité en matière fiscale. Ce principe aurait été violé en ce que l'article 167 entraînerait un renversement de la charge de la preuve au détriment du contribuable et en ce que l'article 167 permettrait à l'administration de requalifier des actes juridiques, alors qu'il appartiendrait exclusivement au législateur de déterminer les opérations imposables et la base imposable.

B.17.2. Le second moyen dans l'affaire n° 5497 est pris de la violation, par les articles 167 et 168 attaqués, du principe de légalité en matière fiscale inscrit à l'article 170, § 1er, de la Constitution si les dispositions attaquées étaient interprétées en ce sens que l'administration pourrait établir la base imposable, l'impôt ou les exceptions en modifiant les faits sur la base desquels l'impôt est établi. Dans cette interprétation, les dispositions attaquées seraient contraires au principe de légalité en matière fiscale, étant donné qu'elles attribueraient au pouvoir exécutif ou au pouvoir judiciaire un pouvoir d'appréciation discrétionnaire pour décider de manière autonome s'il y a lieu ou non de prélever un impôt.

B.18. L'article 170, § 1er, de la Constitution dispose : « Aucun impôt au profit de l'Etat ne peut être établi que par une loi ».

Cette disposition exprime le principe de la légalité de l'impôt qui exige que les éléments essentiels de l'impôt soient, en principe, déterminés par la loi, afin qu'aucun impôt ne puisse être levé sans le consentement des contribuables, exprimé par leurs représentants. Font partie des éléments essentiels de l'impôt, la désignation des contribuables, la matière imposable, la base imposable, le taux d'imposition et les éventuelles exonérations et diminutions d'impôt.

B.19. Non seulement les dispositions attaquées n'enlèvent rien au principe selon lequel le contribuable peut opter pour la voie la moins imposée, et ce, malgré des limites qui y sont mises (Doc. parl., Chambre, 2011-2012, DOC 53-2081/016, p. 69) sans porter fondamentalement atteinte à ce principe (ibid., DOC 53-2081/001, p. 111), mais en outre l'application de ces dispositions est soumise à plusieurs conditions strictes.

B.20.1. Il est tout d'abord requis que l'acte juridique ou l'ensemble des actes juridiques réalisant une même opération ait pour objectif d'échapper à l'impôt.

B.20.2. En outre, la nouvelle disposition anti-abus contient, contrairement à l'ancienne, une définition de l'« abus fiscal », dont la portée a été indiquée en B.4.

A cet égard, bien que les dispositions attaquées soient libellées différemment quant aux conditions objective et subjective de l'abus fiscal, il ressort à suffisance des travaux préparatoires de la loi attaquée que le législateur a souhaité donner une même signification à ces conditions, que l'opération ait pour effet d'échapper à l'application de la disposition fiscale concernée ou de prétendre à un avantage fiscal accordé par cette dernière.

B.20.3. Par ailleurs, en ce qui concerne l'élément subjectif de l'abus fiscal, il ressort tant du libellé que des travaux préparatoires des dispositions attaquées que, pour être qualifiée d'abus fiscal, l'opération doit être exclusivement motivée par le souci d'éviter l'impôt ou l'être d'une manière à ce point essentielle que les éventuels autres objectifs de l'opération doivent être considérés comme négligeables ou purement artificiels, non seulement sur le plan économique, mais aussi eu égard à d'autres considérations pertinentes, notamment personnelles ou familiales (Doc. parl., Chambre, 2011-2012, DOC 53-2081/001, pp. 114-115).

A cet effet, un système de preuve et de preuve contraire a été prévu (B.4 et B.15).

Il revient d'abord à l'administration de démontrer que l'acte juridique ou l'ensemble d'actes juridiques réalisant une même opération choisi par le contribuable est en contradiction avec les objectifs d'une disposition fiscale clairement identifiée et a pour motif déterminant, sinon exclusif, d'éviter l'impôt, sans qu'elle doive nécessairement à ce stade prendre en compte les autres raisons éventuelles pour lesquelles le contribuable a pu décider de réaliser une telle opération et que le fisc peut ignorer. La charge de la preuve incombe dès lors en premier lieu à l'administration.

Ce n'est qu'ensuite que le contribuable doit démontrer à suffisance de droit que son choix de l'opération litigieuse a été justifié par d'autres motifs éventuels que le fait d'échapper à l'impôt.

Il s'agit donc non d'un renversement de la charge de la preuve, mais d'un aménagement de celle-ci.

B.20.4. En ce qui concerne la possibilité pour l'administration de revoir la situation fiscale du contribuable si ce dernier ne parvient pas à apporter la preuve contraire (B.4), l'exposé des motifs mentionne en ce qui concerne l'article 167 attaqué : « Dans son avis n° 50 883/1, le Conseil d'Etat se réfère à la jurisprudence de la Cour Constitutionnelle et de la Cour de Cassation, de laquelle on peut déduire que le principe de légalité de l'article 170 de la Constitution exige que la loi indique clairement à quels critères objectifs la requalification doit répondre ou de quelle manière l'opération imposable, en cas d'évitement fiscal avéré, doit être redéfinie par l'administration et que, en d'autres termes, le législateur délimite suffisamment les frontières de la requalification. Il découle de ceci que la clarification concernant la possibilité de requalification par l'administration, donnée dans le projet proposé, ne constitue pas une délimitation de la possibilité d'une requalification suffisamment justifiée par rapport aux exigences de l'article 170 de la Constitution. Pour répondre à cela, le Conseil renvoie à son avis du 4 mai 2006, n° 40 372/1/2/3/4 qui a été rendu sur les dispositions concernant la mesure anti-abus en matière de taxe sur la valeur ajoutée » (ibid., pp. 115-116).

Il a été constaté en B.15 que la nouvelle disposition anti-abus est une règle de procédure relative à l'administration de la preuve, dans le cadre de l'établissement factuel de la base imposable, de sorte que la mesure attaquée n'affecte ni la base imposable ni le taux d'imposition.

B.21.1. En ce qui concerne l'élément objectif de l'abus fiscal, le législateur exige que l'opération en cause ait pour effet d'échapper à l'impôt, soit en profitant d'un avantage fiscal, soit en se plaçant en dehors du champ d'application d'une disposition taxatrice.

Il faut en outre que l'effet ainsi décrit de l'opération soit en contradiction avec les objectifs poursuivis par la disposition fiscale concernée, et pas simplement étranger à de tels objectifs.

Par conséquent, la mesure attaquée n'est pas une habilitation générale autorisant l'administration à fixer elle-même, par voie de mesure générale, la matière imposable, mais constitue un moyen de preuve destiné à apprécier, dans des cas concrets, sous le contrôle du juge, des situations particulières, de manière individuelle.

Le principe constitutionnel de légalité en matière fiscale n'exige pas que le législateur définisse de façon plus détaillée encore les conditions concrètes d'application de la mesure, puisque la nature même du phénomène que celle-ci combat ne le permet pas.

B.21.2. Toutefois, lorsque l'administration fiscale établit l'existence de l'élément objectif de l'abus fiscal, au sens des articles 344, § 1er, et 18, § 2, elle ne peut constater la contrariété de l'opération aux objectifs de la disposition fiscale concernée que lorsque ces objectifs ressortent de manière suffisamment claire du texte et, le cas échéant, des travaux préparatoires de la disposition législative applicable. A cet égard, l'administration devra tenir compte, notamment, du contexte général de la législation fiscale pertinente, des pratiques communément en vigueur au moment de l'entrée en vigueur de la disposition fiscale dont elle invoque l'usage abusif ainsi que de l'existence éventuelle de dispositions spécifiques qui visent déjà à lutter contre certains usages abusifs de la disposition fiscale concernée.

B.21.3. Il résulte de ce qui précède que les articles 167 et 168 attaqués ne violent pas le principe de légalité en matière fiscale.

B.22. Le premier moyen dans l'affaire n° 5487, en ce qu'il est pris de la violation de l'article 170, § 1er, de la Constitution, et le second moyen dans l'affaire n° 5497 ne sont pas fondés.

Quant au principe d'égalité en matière fiscale B.23. Le premier moyen dans l'affaire n° 5487 est pris également de la violation, par l'article 167 attaqué, des articles 10, 11 et 172 de la Constitution.

B.24. Les articles 10 et 11 de la Constitution garantissent le principe d'égalité et de non-discrimination. L'article 172 de la Constitution constitue une application particulière de ce principe en matière fiscale.

B.25. Il appartient au législateur de prendre des mesures qui tendent à lutter contre l'évasion fiscale et à y remédier. Il dispose en la matière d'une large liberté d'appréciation. En effet, les mesures fiscales constituent un élément essentiel de la politique socioéconomique. Elles assurent non seulement une part substantielle des recettes qui doivent permettre la réalisation de cette politique, mais elles permettent également au législateur d'orienter certains comportements et d'adopter des mesures correctrices afin de donner corps à la politique sociale et économique.

B.26.1. Selon les parties requérantes, le nouvel article 344, § 1er, du CIR 1992 violerait le principe d'égalité en matière fiscale, étant donné que cet article ne serait pas appliqué de la même manière à tous les contribuables : l'application in concreto dépendrait de l'appréciation par l'administration d'un acte juridique précis ou d'un ensemble d'actes juridiques réalisant une même opération. En outre, le non-respect du principe de légalité en matière fiscale impliquerait automatiquement une violation du principe d'égalité et de non-discrimination.

B.26.2. Etant donné que la mesure attaquée ne viole pas le principe de légalité en matière fiscale, le grief, en ce qu'il est pris de la violation du principe d'égalité découlant du non-respect du principe de légalité en matière fiscale, n'est pas fondé.

B.26.3. Dans la mesure où le grief des parties requérantes concerne une éventuelle différence de traitement qui résulterait de l'application, dans un cas concret, de la mesure attaquée, il y a lieu de constater qu'une telle différence de traitement entre contribuables ne serait pas imputable à la norme législative attaquée puisque cette norme est applicable de la même manière à tous les contribuables qui relèvent de son champ d'application.

Dirigé contre l'application concrète, par l'administration, de la norme attaquée, le moyen n'est dès lors pas recevable puisque la Cour n'est pas compétente pour se prononcer sur une éventuelle différence de traitement qui ne résulte pas de la norme attaquée mais de son application.

B.26.4. Par ailleurs, il appartient au juge compétent d'apprécier, dans un cas concret, si la disposition anti-abus a été appliquée en respectant notamment le principe d'égalité.

B.26.5. Pour le surplus, la mesure attaquée, eu égard à l'objectif poursuivi par le législateur de lutter contre l'abus fiscal, n'est pas sans justification raisonnable.

B.26.6. Il résulte de ce qui précède que l'article 167 attaqué ne viole pas les articles 10, 11 et 172 de la Constitution.

B.27. Dans la mesure où il est pris de la violation des articles 10, 11 et 172 de la Constitution, le premier moyen dans l'affaire n° 5487 n'est pas fondé.

Par ces motifs, la Cour rejette les recours, compte tenu de ce qui est dit en B.15.3.

Ainsi prononcé en langue néerlandaise, en langue française et en langue allemande, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, à l'audience publique du 30 octobre 2013.

Le greffier, F. Meersschaut Le président, M. Bossuyt

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