publié le 02 octobre 2013
Extrait de l'arrêt n° 119/2013 du 7 août 2013 Numéro du rôle : 5501 En cause : la question préjudicielle relative à l'article 1907bis du Code civil, posée par la Cour d'appel de Bruxelles. La Cour constitutionnelle, composée des préside après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet de la question préjudicielle et procéd(...)
COUR CONSTITUTIONNELLE
Extrait de l'arrêt n° 119/2013 du 7 août 2013 Numéro du rôle : 5501 En cause : la question préjudicielle relative à l'article 1907bis du Code civil, posée par la Cour d'appel de Bruxelles.
La Cour constitutionnelle, composée des présidents J. Spreutels et M. Bossuyt, des juges E. De Groot, L. Lavrysen, A. Alen, J.-P. Snappe, J.-P. Moerman, E. Derycke, T. Merckx-Van Goey, P. Nihoul et F. Daoût, et, conformément à l'article 60bis de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, du président émérite R. Henneuse, assistée du greffier F. Meersschaut, présidée par le président émérite R. Henneuse, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet de la question préjudicielle et procédure Par arrêt du 27 septembre 2012 en cause de la SA « Fortis Banque » (actuellement la SA « BNP Paribas Fortis ») contre la SPRL « Medicoeur Albeau », dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour le 12 octobre 2012, la Cour d'appel de Bruxelles a posé la question préjudicielle suivante : « L'article 1907bis du Code civil interprété en ce sens que cette disposition n'est pas applicable aux ouvertures de crédit - et en particulier aux ouvertures de crédit non réutilisable - viole-t-il les articles 10 et 11 de la Constitution, en ce que les emprunteurs sont traités de manière différente alors qu'ils se trouvent dans une situation identique ? ». (...) III. En droit (...) B.1. L'article 1907bis du Code civil dispose : « Lors du remboursement total ou partiel d'un prêt à intérêt il ne peut en aucun cas être réclamé au débiteur, indépendamment du capital remboursé et des intérêts échus, une indemnité de remploi d'un montant supérieur à six mois d'intérêts calculés sur la somme remboursée au taux fixé par la convention ».
Cet article fut inséré dans le chapitre III (« Du prêt à intérêt ») du titre X (« Du prêt ») du Code civil par la loi du 27 juillet 1934 « modifiant et complétant l'article 1907 du Code civil en ce qui concerne l'intérêt conventionnel ».
B.2. Cette disposition trouve son origine dans l'initiative d'une commission spéciale de la Chambre des représentants chargée d'examiner plusieurs propositions de loi relatives au régime hypothécaire. Au cours des travaux de cette commission, il fut précisé : « Profondément émus par les abus qui se pratiquent en matière hypothécaire, abus qui relèvent des pratiques tenant de l'usure la plus abjecte, les membres de la Commission spéciale furent d'avis qu'une législation établissant le contrôle des sociétés hypothécaires s'imposait, et qu'il avait lieu d'envisager les mesures à prendre d'urgence relativement aux sociétés organisant la reconstitution de capitaux empruntés à des tiers, sans que les paiements partiels effectués en cours de contrat dans la caisse de ces sociétés soient opposables aux prêteurs.
Devant la gravité de la situation, la Commission estima devoir prendre une première initiative et elle soumit au Ministre compétent, qui voulut bien marquer son accord, un projet de modifications à l'article 1907 c.c., relatif au prêt à intérêt » (Doc. parl., Chambre, 1933-1934, n° 120, pp. 4 et 5).
Le texte de la commission fut légèrement amendé au cours des débats parlementaires à la Chambre des représentants (Doc. parl., Chambre, 1933-1934, n° 215-216, annexe III; Ann., Chambre, 26 juin 1934, p. 1696).
Le Sénat marqua son accord sur le texte ainsi amendé après avoir rappelé : « Ce projet est issu de la délibération de la Commission spéciale chargée par la Chambre d'examiner dans son ensemble tout ce qui se rapporte à la question dite ' moratoire hypothécaire '. La Commission et la Chambre en ont fait un projet distinct, parce que si la loi sur les termes et délais est une loi temporaire, la loi modifiant l'article 1907 doit, dans la pensée de ses auteurs, constituer une modification définitive de l'article 1907 du Code civil.
Le nouveau projet de loi se rapporte principalement aux prêts hypothécaires remboursables par amortissement et annuités. Ces prêts sont habituellement consentis soit entièrement soit par intervention des sociétés hypothécaires et fort rarement par des bailleurs particuliers. Les dispositions et les calculs de ce genre de contrat sont nécessairement compliqués. La Commission de la Chambre, à très juste titre, a voulu que le débiteur puisse parfaitement se rendre compte des charges qu'il assume et empêcher que des sociétés ou des bailleurs de fonds profitent de l'ignorance ou de la confiance de débiteurs imparfaitement éclairés » (Doc. parl., Sénat, 1933-1934, n° 165, pp. 1 et 2).
B.3. La Cour est interrogée sur la compatibilité avec les articles 10 et 11 de la Constitution de l'article 1907bis du Code civil si celui-ci est interprété comme ne s'appliquant qu'aux contrats de prêt et non aux contrats d'ouverture de crédit et, en particulier, aux contrats d'ouverture de crédit non réutilisable.
Selon le juge a quo, le contrat d'ouverture de crédit en cause est un contrat consensuel, qui ne peut être assimilé au contrat de prêt.
C'est dans cette interprétation que la Cour répond à la question préjudicielle.
B.4. A la différence d'un contrat d'ouverture de crédit, qui est un contrat consensuel en vertu duquel les fonds ne sont pas mis à la disposition immédiate du crédité, mais peuvent être utilisés lorsque et dans la mesure où ce dernier le jugerait nécessaire, moyennant paiement à la fois d'une commission et d'un intérêt, s'il s'agit d'une somme d'argent, le contrat de prêt est un contrat réel en vertu duquel le prêteur transfère en une seule fois la totalité du montant prêté à l'emprunteur, contre remboursement, avec intérêt, à une date déterminée ou à des dates d'échéance, et qui est soumis à certaines règles impératives spécifiques établies au titre X du Code civil.
B.5. La Cour doit examiner si la différence de traitement est raisonnablement justifiée, en tenant compte de ce qu'en matière socio-économique, le législateur dispose d'une grande marge d'appréciation.
B.6.1. Il ressort des travaux préparatoires de la loi du 27 juillet 1934 précitée que l'article 1907bis du Code civil entend protéger, pour l'essentiel, les débiteurs de prêts hypothécaires contre les pratiques jugées abusives de bailleurs de fonds professionnels.
Bien que la volonté du législateur fut d'assurer la protection d'une catégorie particulière d'emprunteurs, le libellé même de la disposition ainsi que son insertion au sein du titre X du Code civil imposent d'admettre que la disposition en cause s'applique à l'ensemble des contrats de prêt, et non uniquement aux prêts hypothécaires.
B.6.2. En fixant à six mois d'intérêt le montant maximal de l'indemnité de remploi due par l'emprunteur au prêteur, le législateur a limité la liberté contractuelle des parties au contrat de prêt.
B.6.3. Selon les travaux préparatoires de la disposition en cause, l'objectif du législateur était essentiellement de prémunir les emprunteurs peu versés dans le domaine du crédit contre les indemnités de remploi abusives exigées des bailleurs de fonds professionnels.
A cet égard, il convient de tenir compte de ce que, poursuivant un même objectif, le législateur protège également certaines catégories d'emprunteurs contre l'imposition d'indemnités de remploi excessives, même lorsque ces emprunteurs n'ont pas conclu un prêt au sens du titre X du Code civil.
Ainsi, l'article 12, § 1er, alinéa 5, de la loi du 4 août 1992 relative au crédit hypothécaire dispose que l'indemnité de remploi due par le débiteur qui rembourse anticipativement un tel crédit, ne peut excéder trois mois d'intérêt. L'article 23 de la loi du 12 juin 1991 relative au crédit à la consommation prévoit, lui aussi, un mécanisme régulateur de l'indemnité de remploi susceptible d'être exigée par le prêteur en cas de remboursement anticipé du crédit par le consommateur. Il en va de même de l'article 27bis de la même loi pour le cas où le consommateur est contraint de rembourser anticipativement son crédit.
De plus, l'article 8, 2°, de l'arrêté royal n° 225 du 7 janvier 1936 « réglementant les prêts hypothécaires et organisant le contrôle des entreprises de prêts hypothécaires » limite à six mois d'intérêt le montant maximal de l'indemnité de remploi susceptible d'être exigé par le prêteur hypothécaire.
B.6.4. Compte tenu de l'objectif poursuivi par le législateur, il est justifié que la limite à la liberté contractuelle, imposée par la disposition en cause, n'ait pas été étendue aux contrats d'ouverture de crédit traditionnellement utilisés dans les relations d'affaires.
Sans doute, en pratique, le contrat d'ouverture de crédit non réutilisable présente-t-il d'importantes analogies avec un contrat de prêt. Il ne s'y assimile toutefois pas parfaitement, ni d'un point de vue juridique, ni d'un point de vue économique. En effet, le contrat d'ouverture de crédit permet au crédité de différer la mise en possession effective des fonds et, partant, le paiement des intérêts.
En outre, l'acceptation par le crédité d'une indemnité de remploi élevée pourrait lui permettre d'obtenir un taux d'intérêt plus avantageux.
En toute hypothèse, les similitudes existant entre ces deux contrats ne sont pas de nature, à elles seules, à imposer au législateur d'étendre la mesure dérogatoire au droit commun des obligations, prévue à l'article 1907bis du Code civil, à tout type de contrat analogue, sans égard pour le contexte économique particulier dans lequel il y fait recours.
Il ne saurait être reproché au législateur d'avoir fixé certaines priorités et de n'avoir dérogé au droit commun des obligations qu'afin de protéger les catégories d'emprunteurs qu'il a pu considérer comme les plus faibles.
Compte tenu de la large marge d'appréciation dont dispose le législateur, les articles 10 et 11 de la Constitution ne feraient toutefois pas davantage obstacle à ce qu'il étende la protection contre les indemnités de remploi excessives, contenue à l'article 1907bis du Code civil, aux contrats d'ouverture de crédit.
B.6.5. Pour le surplus, il y a lieu de relever que, dans le cadre d'un contrat d'ouverture de crédit, le crédité n'est pas dépourvu de tout moyen de droit afin de lutter contre les pratiques abusives du créditeur. En effet, il n'est pas exclu qu'il puisse mettre en cause la responsabilité de son bailleur de fonds, lorsque ce dernier exige une indemnité de remploi manifestement excessive.
B.7. La question préjudicielle appelle une réponse négative.
Par ces motifs, la Cour dit pour droit : L'article 1907bis du Code civil ne viole pas les articles 10 et 11 de la Constitution.
Ainsi prononcé en langue française et en langue néerlandaise, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, à l'audience publique du 7 août 2013.
Le greffier, F. Meersschaut Le président, R. Henneuse