publié le 15 octobre 2013
Extrait de l'arrêt n° 100/2013 du 9 juillet 2013 Numéro du rôle : 5482, 5507 et 5519 En cause : les questions préjudicielles relatives à l'article 134 du Code des impôts sur les revenus 1992, posées par le Tribunal de première instance d'Arlo La Cour constitutionnelle, composée des présidents J. Spreutels et M. Bossuyt, des juges A. Alen(...)
COUR CONSTITUTIONNELLE
Extrait de l'arrêt n° 100/2013 du 9 juillet 2013 Numéro du rôle : 5482, 5507 et 5519 En cause : les questions préjudicielles relatives à l'article 134 du Code des impôts sur les revenus 1992, posées par le Tribunal de première instance d'Arlon.
La Cour constitutionnelle, composée des présidents J. Spreutels et M. Bossuyt, des juges A. Alen, J.-P. Snappe, E. Derycke et T. Merckx-Van Goey, et, conformément à l'article 60bis de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, du président émérite R. Henneuse, assistée du greffier P.-Y. Dutilleux, présidée par le président émérite R. Henneuse, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet de la question préjudicielle et procédure a. Par jugement du 5 septembre 2012 en cause de Philippe Jadoul et Christine Jacqmart contre l'Etat belge, SPF Finances, dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour le 14 septembre 2012, le Tribunal de première instance d'Arlon a posé la question préjudicielle suivante : « L'article 134 du Code des impôts sur les revenus [1992] éventuellement combiné avec l'article 140 du même Code et avec l'article 23 par.2 de la convention préventive de la double imposition entre la Belgique et le Grand-Duché de Luxembourg viole-t-il les articles 10 et 11 de la Constitution; en ce qu'il prévoit, pour les couples pour lesquels une imposition commune est établie, l'imputation du supplément de quotité exemptée pour enfant à charge dans le chef de celui qui a le revenu imposable le plus élevé, même lorsque ce revenu est exempté en application d'une convention préventive de la double imposition, entraînant ainsi la perte de cet avantage fiscal; alors que, les couples vivant en ménage de fait, pour lesquels des impositions distinctes sont établies, peuvent choisir celui dans le chef duquel il y a lieu d'imputer le supplément de quotité exempté pour enfant à charge, ce qui permet, lorsque l'un bénéficie de revenus exemptés en application d'une convention préventive de la double imposition supérieurs à ceux de son partenaire, de mettre l'enfant à charge de ce dernier évitant ainsi la perte de cet avantage fiscal ? ». b. Par jugement du 17 octobre 2012 en cause de Albert Stebel et Nicole Bomble contre l'Etat belge, SPF Finances, dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour le 25 octobre 2012, le Tribunal de première instance d'Arlon a posé la question préjudicielle suivante : « L'article 134 du Code des impôts sur les revenus 1992, éventuellement combiné avec l'article 140 du même Code et avec l'article 23 par.2 de la convention préventive de la double imposition entre la Belgique et le Grand-Duché de Luxembourg viole-t-il les articles 10 et 11 de la Constitution; en ce qu'il prévoit pour les conjoints que les majorations visées aux articles 132 et 133, 2° et 3° sont imputées par priorité sur la part du revenu de celui des conjoints qui a les revenus professionnels les plus élevés même lorsque ce revenu est exempté en application d'une convention préventive de la double imposition, entraînant ainsi la perte de cet avantage fiscal; alors que, les couples vivant en ménage de fait, pour lesquels des impositions distinctes sont établies, peuvent choisir celui dans le chef duquel il y a lieu d'imputer le supplément de quotité exemptée pour enfant à charge, ce qui permet, lorsque l'un bénéficie de revenus exemptés en application d'une convention préventive de la double imposition supérieurs à ceux de son partenaire, de mettre l'enfant à charge de ce dernier évitant ainsi la perte de cet avantage fiscal ? ». c. Par jugement du 14 novembre 2012 en cause de Philippe Jadoul et Christine Jacqmart contre l'Etat belge, SPF Finances, dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour le 22 novembre 2012, le Tribunal de première instance d'Arlon a posé la question préjudicielle suivante : « L'article 134 du Code des impôts sur les revenus [1992] éventuellement combiné avec l'article 140 du même Code et avec l'article 23 par.2 de la convention préventive de la double imposition entre la Belgique et le Grand-Duché de Luxembourg viole-t-il les articles 10 et 11 de la Constitution; en ce qu'il prévoit, pour les couples pour lesquels une imposition commune est établie, l'imputation du supplément de quotité exemptée pour enfant à charge dans le chef de celui qui a le revenu imposable le plus élevé, même lorsque ce revenu est exempté en application d'une convention préventive de la double imposition, entraînant ainsi la perte de cet avantage fiscal; alors que, les couples vivant en ménage de fait, pour lesquels des impositions distinctes sont établies, peuvent choisir celui dans le chef duquel il y a lieu d'imputer le supplément de quotité exemptée pour enfant à charge, ce qui permet, lorsque l'un bénéficie de revenus exemptés en application d'une convention préventive de la double imposition supérieurs à ceux de son partenaire, de mettre l'enfant à charge de ce dernier évitant ainsi la perte de cet avantage fiscal ? ».
Ces affaires, inscrites sous les numéros 5482, 5507 et 5519 du rôle de la Cour, ont été jointes. (...) III. En droit (...) B.1.1. Tel qu'il est applicable à l'exercice d'imposition 2002, l'article 134 du Code des impôts sur les revenus 1992 (CIR 1992) dispose : « Le montant de base visé à l'article 131, 2°, est imputé sur celle des parts du revenu visées à l'article 127, qui constitue les revenus du conjoint concerné ou qui les comprend. Lorsqu'une desdites parts est inférieure à 4.240 EUR (montant de base 3.250 EUR), le solde est imputé sur l'autre part du revenu.
Les majorations visées aux articles 132 et 133, 2° et 3°, sont ensuite imputées par priorité sur la part du revenu de celui des conjoints qui a les revenus professionnels les plus élevés. Lorsque cette part du revenu est inférieure au total desdites majorations, le solde est imputé sur l'autre part du revenu.
La quotité du revenu exemptée est imputée sur les tranches successives du revenu, en commençant par la première ».
Pour l'exercice d'imposition 2004, l'article est complété comme suit : « § 1er. Le montant de base visé à l'article 131, 2°, est imputé sur celle des parts du revenu visées à l'article 127, qui constitue les revenus du conjoint concerné ou qui les comprend. Lorsqu'une desdites parts est inférieure au montant visé à l'article 131, 2°, le solde est imputé sur l'autre part du revenu.
Les majorations visées aux articles 132 et 133, 2° et 3°, sont ensuite imputées par priorité sur la part du revenu de celui des conjoints qui a les revenus professionnels les plus élevés. Lorsque cette part du revenu est inférieure au total desdites majorations, le solde est imputé sur l'autre part du revenu. § 2. La quotité du revenu exemptée d'impôt est imputée par contribuable sur les tranches successives du revenu, en commençant par la première. § 3. La partie de la quotité du revenu exemptée d'impôt qui n'est pas imputée après application des §§ 1er et 2, dans la mesure où elle concerne les suppléments visés à l'article 132, alinéa 1er, 1° à 6°, convertie en un crédit d'impôt remboursable.
Le crédit d'impôt est égal à la partie de la quotité du revenu exemptée d'impôt qui peut être convertie en application de l'alinéa 1er, multipliée par le taux d'imposition applicable à la tranche de revenus correspondante, avec un maximum de 340 EUR (montant de base 250 EUR) par enfant à charge ».
B.1.2. Tel qu'il est applicable à l'exercice d'imposition 2002, l'article 140 du même Code dispose : « Lorsque plusieurs contribuables imposables distinctement font partie d'un même ménage, les personnes visées à l'article 136 qui font également partie de ce ménage sont considérées comme étant à charge du contribuable qui assume en fait la direction du même ménage.
Toutefois, dans l'éventualité où le montant net des ressources de ce dernier contribuable, majorées de celles des personnes à sa charge, n'atteint pas autant de fois 1.960 EUR (montant de base 1.500 EUR) que le ménage compte de personnes à charge plus une, ce contribuable peut renoncer à considérer comme étant à sa charge autant de personnes qu'il lui manque de fois 1.960 EUR (montant de base 1.500 EUR) de ressources et ces personnes sont alors considérées comme étant à charge de celui des autres contribuables faisant partie du ménage qui contribue le plus à leur entretien ».
B.1.3. L'article 23 de la convention préventive de la double imposition entre la Belgique et le Luxembourg dispose : « [...] § 2. En ce qui concerne les résidents de la Belgique, la double imposition est évitée de la manière suivante : 1° les revenus provenant du Luxembourg - à l'exclusion des revenus visés aux 2° et 3° - et les éléments de fortune situés au Luxembourg, qui sont imposables dans cet Etat en vertu des articles précédents, sont exemptés d'impôts en Belgique.Cette exemption ne limite pas le droit de la Belgique de tenir compte, lors de la détermination du taux de ses impôts, des revenus et des éléments de fortune ainsi exemptés; [...] ».
B.1.4. Quant à la réduction pour revenus d'origine étrangère, l'article 155 du CIR 1992 dispose : « Les revenus exonérés en vertu de conventions internationales préventives de la double imposition sont pris en considération pour la détermination de l'impôt, mais celui-ci est réduit proportionnellement à la partie des revenus exonérés dans le total des revenus. [...] ».
B.2. Il ressort des faits des causes pendantes devant le juge a quo, des motifs des décisions de renvoi et des dispositions précitées que la Cour est invitée à statuer sur la compatibilité, avec les articles 10 et 11 de la Constitution, de l'article 134, § 1er, précité, du CIR 1992, en ce que cette disposition introduirait, même lorsque le revenu d'un époux ou d'un cohabitant légal est exempté conformément à l'article 23, § 2, 1°, précité, de la convention préventive de la double imposition entre la Belgique et le Luxembourg, une différence de traitement entre les couples mariés et les cohabitants, d'une part, et les couples vivant en cohabitation de fait, d'autre part.
La disposition en cause a pour effet d'imputer le supplément de quotité exemptée pour enfant à charge dans le chef du contribuable qui a le revenu imposable le plus élevé, ce qui, selon le juge a quo, ferait perdre l'avantage fiscal aux couples mariés et aux cohabitants légaux alors que, selon l'article 140 du CIR 1992, tel qu'il est appliqué par l'administration fiscale, les cohabitants de fait ont le choix de déterminer lequel d'entre eux prend l'enfant à charge. La Cour est donc invitée à se prononcer sur la compatibilité au regard du principe d'égalité et de non-discrimination du critère retenu par le législateur pour déterminer lequel des conjoints ou des cohabitants légaux, d'une part, ou des cohabitants de fait, d'autre part, peut imputer l'avantage fiscal pour enfant à charge.
B.3. Les travaux préparatoires de la loi du 10 août 2001Documents pertinents retrouvés type loi prom. 10/08/2001 pub. 20/09/2001 numac 2001003402 source ministere des finances Loi portant réforme de l'impôt des personnes physiques fermer portant réforme de l'impôt des personnes physiques font apparaître qu'un des axes du projet consiste à poursuivre un but de « neutralité à l'égard des choix de vie » (Doc. parl., Chambre, 2000-2001, DOC 50-1270/001, pp. 7, 68; ibid., 1270/006, p. 7; Doc. parl., Sénat, 2000-2001, n° 2-832/3, p. 3). La réforme fiscale vise à : « supprimer les mesures défavorables aux couples mariés et envisage de permettre aux cohabitants qui ont conclu une déclaration de cohabitation légale de bénéficier des avantages liés au mariage.
Concrètement, la réforme implique : des tranches exonérées d'impôt identiques pour les mariés, les cohabitants et les isolés; [...] » (Doc. parl., Chambre, 2000-2001, DOC 50-270/001, p. 7; ibid., 1270/006, pp. 9-10). « L'assimilation au niveau du droit fiscal a pour conséquence que les avantages fiscaux dont bénéficiaient les personnes mariées par rapport aux cohabitants sont dès à présent accordés aux cohabitants légaux » (ibid., 1270/001, p. 8).
B.4.1. S'agissant des contribuables mariés ou cohabitants légaux, l'article 134, § 2, précité, du CIR 1992 impute par priorité au conjoint qui a le revenu imposable le plus élevé la quotité exemptée majorée pour enfant à charge.
S'agissant des cohabitants de fait ayant à charge des enfants communs, l'article 140, alinéa 1er, du CIR 1992 accorde au cohabitant assumant en fait la direction du ménage le droit d'imputer la quotité exemptée majorée en cause.
B.4.2. Sous réserve du critère retenu pour déterminer lequel des conjoints ou cohabitants légaux, d'une part, ou des cohabitants de fait, d'autre part, peut bénéficier de l'avantage fiscal, la solution retenue par le législateur dans l'article 134, § 2, du CIR 1992, pour les premiers, et dans l'article 140, alinéa 1er, pour les seconds, est la même, à savoir l'imputation à un seul des conjoints, des cohabitants légaux ou des cohabitants de fait du bénéfice de l'avantage pour enfant à charge.
B.5. Le juge a quo invite la Cour à se prononcer sur la différence de traitement entre les contribuables mariés ou cohabitants légaux, d'une part, et les cohabitants de fait, d'autre part, qui découle de l'application de deux critères différents de détermination du bénéficiaire de l'avantage fiscal, en particulier lorsque l'époux ou le cohabitant légal percevant les plus hauts revenus est exempté conformément à la convention préventive de la double imposition entre la Belgique et le Luxembourg.
B.6. La situation juridique d'un cohabitant marié ou ayant fait une déclaration de cohabitation légale diffère de celle d'un cohabitant qui n'est ni marié, ni cohabitant légal, tant en ce qui concerne ses obligations vis-à -vis de son cohabitant qu'en ce qui concerne sa situation patrimoniale.
Ces différences peuvent, lorsqu'elles sont liées au but de la mesure, justifier une différence de traitement entre ces deux catégories de cohabitants.
B.7.1. Au regard de l'objectif décrit en B.3, le législateur a pu raisonnablement décider d'appliquer aux cohabitants de fait le critère de la direction du ménage. Ce critère n'implique, en effet, aucune immixtion dans la vie privée des intéressés, ceux-ci pouvant indiquer à l'administration fiscale lequel d'entre eux doit être considéré comme assumant la direction du ménage.
B.7.2. De même, le législateur a pu raisonnablement, au regard du même objectif de neutralité vis-à -vis des choix de vie et d'absence d'immixtion dans la vie privée, présumer que le contribuable marié et le cohabitant légal percevant le revenu le plus élevé contribuent davantage à l'entretien des enfants à charge du couple, de sorte qu'ils puissent bénéficier de l'imputation en cause.
B.7.3. La Cour observe encore, comme elle l'a rappelé dans son arrêt n° 57/2001 du 8 mai 2001, que l'administration peut, à titre subsidiaire, apprécier le choix opéré par les cohabitants de fait, selon des critères objectifs, notamment s'il s'avérait que le choix opéré par les cohabitants avait pour effet que la quotité exemptée soit imputée deux fois.Ainsi, dans l'hypothèse où un cohabitant de fait percevrait des revenus plus élevés exemptés sur la base de la convention préventive de la double imposition précitée, l'article 140, alinéa 1er, du CIR 1992 n'empêche pas l'administration de refuser le bénéfice de l'imputation litigieuse au cohabitant de fait percevant un revenu inférieur taxé en Belgique.
B.8.1. S'il est exact que, en application de l'article 155 du CIR 1992, précité, les revenus exonérés en vertu de conventions internationales préventives de la double imposition sont pris en considération pour la détermination de la base imposable, ceci n'a pas pour conséquence, contrairement à ce que le juge a quo constate, que le contribuable marié, le cohabitant légal ou le cohabitant de fait perde nécessairement le bénéfice de l'exemption. En effet, ces contribuables auront, le cas échéant, pu bénéficier au Luxembourg de cet avantage. Il appartient au juge du fond de vérifier, à cet égard, la situation des contribuables qui contestent l'imposition.
B.8.2. Ainsi, dès lors que le choix a été opéré par le législateur de n'accorder le bénéfice de l'avantage qu'à un seul contribuable, qu'il soit marié, cohabitant légal ou cohabitant de fait, toute autre solution en faveur des conjoints mariés ou des cohabitants légaux au motif que, lorsque le conjoint ou le cohabitant légal est exempté sur la base de l'article 23, § 2, 1°, précité de la convention préventive de la double imposition entre la Belgique et le Luxembourg, le conjoint qui touche le revenu le plus faible perd le bénéfice de l'imputation, serait discriminatoire par rapport à la situation des couples mariés et des cohabitants légaux et par rapport aux autres contribuables isolés, y compris les cohabitants de fait qui ne perçoivent que des revenus en Belgique. Il serait, en effet, contraire au principe d'égalité et de non-discrimination que certains contribuables puissent bénéficier deux fois de la réduction pour enfant à charge.
Tel n'est pas l'objet de la convention préventive de la double imposition, qui vise à éviter que deux contribuables soient imposés deux fois par deux Etats différents sur un même revenu mais n'a en aucun cas pour but de leur permettre de bénéficier de la réduction pour enfant à charge dans chacun des deux Etats parties à la Convention.
B.9. Il résulte de ceci que la différence de traitement soulevée dans la question préjudicielle n'existe pas.
B.10. La question préjudicielle appelle une réponse négative.
Par ces motifs, la Cour dit pour droit : L'article 134 du Code des impôts sur les revenus 1992 ne viole pas les articles 10 et 11 de la Constitution.
Ainsi prononcé en langue française et en langue néerlandaise, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, à l'audience publique du 9 juillet 2013.
Le greffier, P.-Y. Dutilleux Le président, R. Henneuse