publié le 25 septembre 2013
Extrait de l'arrêt n° 89/2013 du 13 juin 2013 Numéro du rôle : 5420 En cause : la question préjudicielle relative à l'article 124 de la loi-programme du 27 décembre 2006 (délai de recours contre certaines décisions du Fonds amiante), posé(...) La Cour constitutionnelle, composée des présidents R. Henneuse et M. Bossuyt, et des juges A. Al(...)
COUR CONSTITUTIONNELLE
Extrait de l'arrêt n° 89/2013 du 13 juin 2013 Numéro du rôle : 5420 En cause : la question préjudicielle relative à l'article 124 de la loi-programme (I) du 27 décembre 2006 (délai de recours contre certaines décisions du Fonds amiante), posée par le Tribunal du travail de Liège.
La Cour constitutionnelle, composée des présidents R. Henneuse et M. Bossuyt, et des juges A. Alen, J.-P. Snappe, J. Spreutels, T. Merckx-Van Goey et F. Daoût, assistée du greffier F. Meersschaut, présidée par le président R. Henneuse, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet de la question préjudicielle et procédure Par jugement du 31 mai 2012 en cause de Rosario Iandolino contre le Fonds des maladies professionnelles et le Fonds des maladies professionnelles intervenant au nom du Fonds amiante, dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour le 13 juin 2012, le Tribunal du travail de Liège a posé la question préjudicielle suivante : « L'article 124 de la loi-programme du 27 décembre 2006Documents pertinents retrouvés type loi-programme prom. 27/12/2006 pub. 28/12/2006 numac 2006021362 source service public federal chancellerie du premier ministre Loi-programme (1) fermer, crée-t-il une différence de traitement non justifiée par un critère objectif et raisonnable et viole-t-il par là les articles 10 et 11 de la Constitution belge, en ce que le demandeur qui sollicite la reconnaissance d'une maladie professionnelle auprès du FMP dispose d'un délai d'un an pour introduire un recours devant le tribunal du travail contre une décision prise à son égard par le FMP (article 53 des lois coordonnées) alors que le demandeur qui sollicite son indemnisation par le Fonds Amiante doit introduire son recours au tribunal du travail dans un délai de trois mois ? ». (...) III. En droit (...) B.1. La Cour est interrogée sur la compatibilité, avec les articles 10 et 11 de la Constitution, de l'article 124 de la loi-programme du 27 décembre 2006Documents pertinents retrouvés type loi-programme prom. 27/12/2006 pub. 28/12/2006 numac 2006021362 source service public federal chancellerie du premier ministre Loi-programme (1) fermer, en ce qu'il prévoit un délai de trois mois pour l'introduction d'un recours auprès du tribunal du travail contre une décision de refus d'indemnisation du Fonds amiante alors qu'un délai d'un an est prévu pour l'introduction d'un recours auprès du même tribunal contre les décisions prises par le Fonds des maladies professionnelles dans le cadre d'une demande de reconnaissance d'une maladie professionnelle.
B.2.1. D'après le Conseil des ministres, la question préjudicielle invite en réalité la Cour à comparer non pas deux catégories de personnes mais deux régimes de sécurité sociale distincts. Il y aurait donc lieu de conclure à la non-comparabilité des catégories en cause.
B.2.2. La circonstance que les demandes d'indemnisation s'inscrivent dans deux régimes de réparation distincts ne permet pas de conclure que les catégories de personnes visées par la question préjudicielle ne peuvent être comparées. Les personnes visées sollicitent, en effet, dans l'un et l'autre cas, l'indemnisation d'un dommage qui résulte, dans le premier cas, d'une maladie professionnelle et dans le second, d'une maladie causée par une exposition à l'amiante et disposent d'un délai différent pour introduire un recours devant le même tribunal contre la décision de refus qu'elles se sont vu notifier par l'autorité compétente.
B.3.1. L'article 124 en cause s'inscrit dans le chapitre VI de la loi-programme du 27 décembre 2006Documents pertinents retrouvés type loi-programme prom. 27/12/2006 pub. 28/12/2006 numac 2006021362 source service public federal chancellerie du premier ministre Loi-programme (1) fermer, consacré à la création d'un Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante.
Il ressort de l'exposé des motifs que le législateur entendait rencontrer les difficultés vécues par les victimes de l'amiante non indemnisées par le Fonds des maladies professionnelles, en prévoyant une indemnisation au profit non seulement des travailleurs salariés, mais également des travailleurs indépendants, des fonctionnaires ou encore des victimes de l'exposition environnementale (Doc. parl., Chambre, 2006-2007, DOC 51-2773/001, pp. 76-77).
Bien qu'il soit organiquement intégré au Fonds des maladies professionnelles, le Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante est financé par des ressources constituées par une contribution forfaitaire de l'Etat fédéral, des cotisations à charge des employeurs, d'une éventuelle intervention spécifique à prévoir par le Roi pour couvrir les interventions en faveur des travailleurs indépendants, de dotations et de legs ainsi que des récupérations obtenues à la suite d'un droit de subrogation exercé par le Fonds des maladies professionnelles en exécution de la loi.
L'intervention du Fonds amiante est limitée à l'indemnisation des personnes atteintes de deux maladies, en l'occurrence le mésothéliome et l'asbestose, le Roi pouvant étendre l'indemnisation à d'autres maladies dont il est démontré qu'elles sont causées de façon déterminante par l'amiante.
En vertu de l'article 119, § 2, de la loi-programme susdite, les demandeurs doivent apporter la preuve de l'exposition au risque de l'amiante en Belgique.
D'après les articles 120 et 121 de la même loi, l'intervention du Fonds, en cas de décision positive, consiste en une rente mensuelle forfaitaire, dont le montant est fixé par l'article 10 de l'arrêté royal du 11 mai 2007 portant exécution du chapitre VI du titre IV de la loi-programme (I) du 27 décembre 2006 portant création d'un Fonds d'indemnisation des victimes de l'amiante. Cette rente, lorsque le demandeur souffre du mésothéliome, peut être cumulée avec toute prestation sociale accordée en vertu d'une législation belge ou étrangère. L'intervention du Fonds fait, en revanche, l'objet d'une réduction forfaitaire lorsque la victime de la maladie visée par ou en vertu de l'article 118, 2° et 3°, en l'occurrence l'asbestose, bénéficie d'une réparation pour la même affection, en vertu notamment des lois relatives à la prévention des maladies professionnelles et à la réparation des dommages résultant de celles-ci, coordonnées le 3 juin 1970. La rente est due à partir du mois de réception de la demande.
B.3.2. Le régime applicable aux maladies professionnelles est réglé par les lois relatives à la prévention des maladies professionnelles et à la réparation des dommages résultant de celles-ci, coordonnées le 3 juin 1970 (ci-après : les lois coordonnées). Celles-ci énoncent, en leur article 1er, qu'elles ont pour but de régler la réparation des dommages qui résultent de telles maladies et de promouvoir la prévention de celles-ci.
Le Roi est chargé de dresser la liste des maladies professionnelles dont les dommages donnent lieu à réparation (article 30 des lois coordonnées).
L'article 31 des lois coordonnées énumère les différents dommages qui donnent lieu à réparation. Il s'agit : 1° du décès de la victime; 2° de l'incapacité temporaire de travail partielle ou totale; 3° de l'incapacité permanente de travail partielle ou totale; 4° de la cessation temporaire ou définitive de l'activité professionnelle; 5° des frais pour soins de santé, en ce compris les frais de prothèse et d'orthopédie.
Le Fonds des maladies professionnelles, dont l'article 5 des lois coordonnées précise qu'il est une institution publique de sécurité sociale auprès du Service public fédéral Sécurité sociale, est compétent pour statuer sur toute demande de réparation ainsi que sur toute demande de révision d'indemnités acquises. Le Roi est chargé de fixer, pour chaque maladie, les délais dans lesquels les demandes doivent être introduites. Toutefois, lorsqu'il s'agit d'une demande relative à une incapacité temporaire, celle-ci doit être introduite au cours de la période d'incapacité de travail ou au cours de la période où se manifestent les symptômes de la maladie professionnelle (article 52 des lois coordonnées).
L'indemnité versée en application de ces lois vise à compenser la perte de salaire due à l'incapacité d'exercer une profession, engendrée par la maladie qui y est liée. L'article 34 des lois coordonnées renvoie, pour le montant de cette indemnité, à l'article 22 de la loi du 10 avril 1971Documents pertinents retrouvés type loi prom. 10/04/1971 pub. 17/10/2014 numac 2014000710 source service public federal interieur Loi sur les accidents du travail type loi prom. 10/04/1971 pub. 23/03/2018 numac 2018030615 source service public federal interieur Loi sur les accidents du travail type loi prom. 10/04/1971 pub. 11/06/1998 numac 1998000213 source ministere de l'interieur Loi sur les accidents du travail - Traduction allemande fermer sur les accidents du travail. La victime a ainsi droit, à partir du jour qui suit celui du début de l'incapacité de travail, à une indemnité journalière égale à 90 % de la rémunération quotidienne moyenne.
B.4. Les délais dont dispose le demandeur dans l'un et l'autre régime pour introduire un recours auprès du tribunal du travail contre une décision de refus de l'autorité compétente n'ont pas fait l'objet de commentaires particuliers dans les travaux préparatoires des lois qui les ont fixés.
Ainsi, l'exposé des motifs de la loi-programme du 27 décembre 2006Documents pertinents retrouvés type loi-programme prom. 27/12/2006 pub. 28/12/2006 numac 2006021362 source service public federal chancellerie du premier ministre Loi-programme (1) fermer mentionne que « les recours contre les décisions du FMP dans le cadre de l'indemnisation accordée au Fonds amiante relèvent de la compétence du tribunal du travail et doivent être introduits dans les trois mois de la notification de la décision querellée » (Doc. parl., Chambre, 2006-2007, DOC 51-2773/001, p. 81).
Quant au délai d'un an, fixé par l'article 53 des lois coordonnées pour introduire un recours contre les décisions prises par le Fonds des maladies professionnelles dans le cadre de ces lois, il trouve son origine dans l'article 50 de la loi du 24 décembre 1963 relative à la réparation des dommages résultant des maladies professionnelles et de la prévention de celles-ci, alors explicité comme suit : « Les recours sont ouverts à la victime et à ses ayants droit. Ils doivent être introduits dans l'année suivant la date de la notification de la décision administrative » (Doc. parl., Sénat, 1962-1963, n° 237, p. 37).
B.5.1. Comme le souligne le Conseil des ministres dans son mémoire, le délai de trois mois constitue le délai usuel de recours à l'encontre des décisions prises par les institutions de sécurité sociale.
L'article 23 de la loi du 11 avril 1995 visant à instituer « la charte » de l'assuré social (Moniteur belge, 6 septembre 1995) dispose en effet : « Sans préjudice des délais plus favorables résultant des législations spécifiques, les recours contre les décisions prises par les institutions de sécurité sociale compétentes en matière d'octroi, de paiement ou de récupération de prestations, doivent, à peine de déchéance, être introduits dans les trois mois de leur notification ou de la prise de connaissance de la décision par l'assuré social en cas d'absence de notification.
Sans préjudice des délais plus favorables résultant des législations spécifiques, tout recours en reconnaissance d'un droit à l'encontre d'une institution de sécurité sociale doit également, à peine de déchéance, être introduit dans un délai de trois mois à dater de la constatation de la carence de l'institution ».
En fixant un délai de trois mois à l'article 124 en cause pour les recours contre les décisions du Fonds amiante, le législateur n'a pas entendu déroger au régime général ainsi fixé.
B.5.2. Un tel délai n'est pas déraisonnable dès lors qu'il s'agit pour le demandeur de prouver son exposition au risque de l'amiante dans le cadre d'une procédure qui requiert l'intervention d'un Fonds spécialement compétent pour intervenir dans le cadre des maladies strictement énumérées par la loi-programme et qui ne peut aboutir qu'à une réparation forfaitaire.
Le législateur a pu considérer par ailleurs qu'un délai plus long s'imposait pour l'introduction d'un recours contre les décisions du Fonds des maladies professionnelles prises dans le cadre des lois relatives à la prévention des maladies professionnelles et à la réparation des dommages qui en résultent. Cette procédure implique, en effet, la reconnaissance d'une maladie pour laquelle il s'agit de prouver qu'elle est en lien avec l'exercice d'une profession et qu'elle a engendré une perte de revenus dont le montant doit lui-même être évalué, et dont les symptômes peuvent encore évoluer.
B.6. Compte tenu de la logique propre des deux systèmes décrite en B.3 et de la nature des demandes en cause qui nécessitent un examen différent des autorités administratives compétentes, il n'est pas porté atteinte de manière injustifiée aux droits du demandeur qui sollicite une indemnisation du Fonds amiante pour introduire un recours auprès du tribunal du travail contre une décision de refus le concernant.
B.7. La question préjudicielle appelle une réponse négative.
Par ces motifs, la Cour dit pour droit : L'article 124 de la loi-programme (I) du 27 décembre 2006 ne viole pas les articles 10 et 11 de la Constitution.
Ainsi prononcé en langue française et en langue néerlandaise, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, à l'audience publique du 13 juin 2013.
Le greffier, F. Meersschaut Le président, R. Henneuse