publié le 30 septembre 2013
Extrait de l'arrêt n° 78/2013 du 6 juin 2013 Numéro du rôle : 5483 En cause : la question préjudicielle concernant l'article 63, § 3, des lois relatives à la police de la circulation routière, coordonnées par l'arrêté royal du 16 mars 1 La Cour constitutionnelle, composée des présidents M. Bossuyt et R. Henneuse, et des juges E. De(...)
COUR CONSTITUTIONNELLE
Extrait de l'arrêt n° 78/2013 du 6 juin 2013 Numéro du rôle : 5483 En cause : la question préjudicielle concernant l'article 63, § 3, des lois relatives à la police de la circulation routière, coordonnées par l'arrêté royal du 16 mars 1968, posée par le Tribunal de police de Gand.
La Cour constitutionnelle, composée des présidents M. Bossuyt et R. Henneuse, et des juges E. De Groot, L. Lavrysen, J.-P. Moerman, E. Derycke et P. Nihoul, assistée du greffier F. Meersschaut, présidée par le président M. Bossuyt, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet de la question préjudicielle et procédure Par jugement du 7 septembre 2012 en cause du ministère public contre D.V., dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour le 19 septembre 2012, le Tribunal de police de Gand a posé la question préjudicielle suivante : « L'article 63, § 3, de la loi relative à la police de la circulation routière viole-t-il les articles 10 et 11 de la Constitution en imposant aux agents de l'autorité visés à l'article 59, § 1er, de la même loi de faire subir un prélèvement sanguin aux personnes visées aux 1° et 2° du même article de la même loi, à la demande de celles-ci, à titre de contre-expertise, lorsqu'il a été décelé chez elles un taux d'alcool par litre d'air alvéolaire expiré d'au moins 0,35 milligrammes, alors que cette même possibilité de demander une contre-expertise et l'obligation pour les agents de l'autorité compétents de donner suite à une telle demande ne sont pas légalement prévues lorsque le demandeur est une personne chez qui un taux d'alcool d'au moins 0,22 mais de moins de 0,35 milligrammes par litre d'air alvéolaire expiré a été mesuré, alors que ce dernier taux d'alcool peut aussi donner lieu à une condamnation pénale (certes plus légère) de l'intéressé ? » (...) III. En droit (...) B.1.1. La question préjudicielle concerne l'article 63, § 3, des lois relatives à la police de la circulation routière, coordonnées par l'arrêté royal du 16 mars 1968 (ci-après : la loi relative à la police de la circulation routière), qui dispose : « Les agents de l'autorité visés à l'article 59, § 1er, font subir un prélèvement sanguin par un médecin requis à cet effet aux personnes visées aux 1° et 2° du même paragraphe, à la demande de celles-ci et à titre de contre-expertise si l'analyse de l'haleine obtenue après application de l'article 59, § 3, mesure une concentration d'alcool d'au moins 0,35 milligramme par litre d'air alvéolaire expiré ».
B.1.2. L'article 59 de la loi relative à la police de la circulation routière, auquel la disposition en cause fait référence, est libellé comme suit : « § 1er. Les officiers de police judiciaire auxiliaires du procureur du Roi [et] le personnel du cadre opérationnel de la police fédérale et locale peuvent imposer un test de l'haleine qui consiste à souffler dans un appareil qui détecte le niveau d'imprégnation alcoolique dans l'air alvéolaire expiré : 1° à l'auteur présumé d'un accident de roulage ou à toute personne qui a pu contribuer à le provoquer, même si elle en est la victime;2° à toute personne qui, dans un lieu public, conduit un véhicule ou une monture ou accompagne un conducteur en vue de l'apprentissage;3° à toute personne qui, dans un lieu public, s'apprête à conduire un véhicule ou une monture ou s'apprête à accompagner un conducteur en vue de l'apprentissage. § 2. Les agents de l'autorité visés au § 1er peuvent, dans les mêmes circonstances, imposer, sans test de l'haleine préalable, une analyse de l'haleine consistant à souffler dans un appareil qui mesure la concentration d'alcool dans l'air alvéolaire expiré. § 3. A la demande des personnes visées au § 1er, 1° et 2°, à qui une analyse de l'haleine a été imposée, il est procédé immédiatement à une deuxième analyse et, si la différence entre ces deux résultats est supérieure aux prescriptions en matière de précision arrêtées par le Roi, à une troisième analyse.
Si la différence éventuelle entre deux de ces résultats n'est pas supérieure aux prescriptions en matière de précision ci-avant, il est tenu compte du résultat le plus bas.
Si la différence est supérieure, il est considéré qu'il n'a pu être procédé à l'analyse de l'haleine. § 4. Les appareils utilisés pour le test de l'haleine et pour l'analyse de l'haleine doivent être homologués, aux frais des fabricants, importateurs ou distributeurs qui demandent l'homologation, conformément aux dispositions arrêtées par le Roi, qui peut en outre fixer des modalités particulières d'utilisation de ces appareils ».
B.2. Il est demandé à la Cour si l'article 63, § 3, de la loi relative à la police de la circulation routière est compatible avec les articles 10 et 11 de la Constitution en ce qu'il impose aux officiers de police judiciaire auxiliaires du procureur du Roi et au personnel du cadre opérationnel de la police fédérale et locale de faire subir un prélèvement sanguin aux personnes visées, à la demande de celles-ci, à titre de contre-expertise, si l'analyse de l'haleine révèle une concentration d'alcool d'au moins 0,35 milligramme par litre d'air alvéolaire expiré, alors que tel n'est pas le cas si l'analyse de l'haleine révèle une concentration d'alcool supérieure à 0,22 milligramme mais inférieure à 0,35 milligramme par litre d'air alvéolaire expiré.
B.3. La disposition en cause fait naître une différence de traitement entre, d'une part, les personnes chez qui une analyse de l'haleine révèle une concentration d'alcool d'au moins 0,35 milligramme par litre d'air alvéolaire expiré et, d'autre part, les personnes chez qui une analyse de l'haleine révèle une concentration d'alcool supérieure à 0,22 milligramme mais inférieure à 0,35 milligramme par litre d'air alvéolaire expiré, en ce que seule la première catégorie de personnes dispose du droit à une contre-expertise sous la forme d'un prélèvement sanguin.
B.4. Cette différence de traitement repose sur le critère de la concentration d'alcool par litre d'air alvéolaire expiré, mesurée par une analyse de l'haleine de ces personnes.
B.5.1. La disposition en cause trouve son origine dans la loi du 18 juillet 1990 « modifiant la loi relative à la police de la circulation routière, coordonnée le 16 mars 1968 et la loi du 21 juin 1985 relative aux conditions techniques auxquelles doivent répondre tout véhicule de transport par terre, ses éléments, ainsi que les accessoires de sécurité ».
Il ressort des travaux préparatoires qu'en adoptant cette loi, le législateur « [avait] la ferme intention [d']améliorer la sécurité sur les routes », notamment en augmentant « les risques de se faire prendre et les sanctions qui en découlent » (Doc. parl., Chambre, 1989-1990, n° 1062/1, p. 5).
B.5.2. En ce qui concerne l'alcool au volant, les travaux préparatoires énoncent ce qui suit : « Actuellement, le taux punissable est fixé à 0,8 g par litre de sang et la preuve de l'infraction ne peut être établie que par une analyse sanguine.
La prise de sang ne pouvant être effectuée que par un médecin, la procédure est extrêmement difficile à mettre en oeuvre sur le terrain; elle entraîne notamment de très nombreuses pertes de temps pour les services de police et de gendarmerie.
Il est proposé de remplacer la prise de sang par une analyse de l'haleine au moyen d'appareils électroniques.
De tels appareils sont déjà en service dans plusieurs pays voisins notamment en Autriche, en France, aux Pays-Bas et au Royaume-Uni.
Le groupe de travail interministériel qui a préparé la modification de la législation dans ce domaine, a chargé un comité scientifique d'une étude approfondie de ces appareils électroniques.
Il ressort clairement du rapport de ce comité scientifique que l'analyse de l'haleine est aussi valable que l'analyse de sang pour déterminer l'état d'imprégnation alcoolique d'un conducteur et que ces appareils sont d'une grande fiabilité. [...] Le résultat de l'analyse est donné très rapidement par affichage digital. Pour éviter toute contestation ultérieure, le résultat sera également imprimé et joint au procès-verbal.
Afin de contrôler l'imprégnation alcoolique sur le terrain, le contrôle de l'haleine, qui consiste actuellement en l'utilisation d'un ballon comportant un réactif chimique, sera remplacé par un appareil portatif électronique, qui donnera une première appréciation du taux d'alcool dans l'air expiré.
Si le taux d'imprégnation alcoolique punissable est atteint ou dépassé, le résultat donné par cet appareil de dépistage sera confirmé par l'appareil analyseur d'haleine décrit ci-avant. [...] La police et la gendarmerie n'auront pas le choix entre l'analyse de l'haleine et la prise de sang. Elles devront procéder à l'analyse d'air expiré et ne pourront recourir à la prise de sang que dans les cas expressément prévus » (Doc. parl., Chambre, 1989-1990, n° 1062/1, pp. 7-8).
B.5.3. Il en ressort que le législateur, s'appuyant sur le rapport d'un comité scientifique, a considéré que « l'analyse de l'haleine est aussi valable que l'analyse du sang pour déterminer l'état d'imprégnation alcoolique d'un conducteur » et que les appareils en question « sont d'une grande fiabilité », ce qui n'est pas réfuté par le prévenu devant le juge a quo.
Pour garantir la fiabilité des appareils utilisés, le législateur a du reste prévu qu'ils doivent être homologués conformément aux dispositions arrêtées par le Roi, qui peut en outre fixer des modalités particulières d'utilisation de ces appareils (article 59, § 4, de la loi relative à la police de la circulation routière). En exécution de cette disposition, l'arrêté royal du 21 avril 2007 relatif aux appareils de test et aux appareils d'analyse de l'haleine prévoit notamment que les appareils d'analyse de l'haleine doivent être soumis à une approbation de modèle, à une vérification primitive, à une vérification périodique et à un contrôle technique.
B.5.4. Il ressort également des travaux préparatoires cités que le législateur a remplacé le prélèvement sanguin par une analyse de l'haleine parce qu'une « prise de sang ne [peut] être effectuée que par un médecin », de sorte que ce prélèvement « entraîne de très nombreuses pertes de temps pour les services de police et de gendarmerie ». Le résultat d'une analyse de l'haleine est en revanche « donné très rapidement par affichage digital ».
B.6. Eu égard au postulat du législateur selon lequel la fiabilité de l'analyse de l'haleine a été démontrée scientifiquement et compte tenu des motifs précités concernant l'efficacité des contrôles d'alcoolémie, il n'est pas sans justification raisonnable, eu égard aux objectifs mentionnés en B.5.1, que le prélèvement sanguin ait, en principe, été remplacé par une analyse de l'haleine.
B.7. Le prélèvement sanguin a néanmoins été maintenu dans des situations spécifiques, notamment lorsque les autres méthodes de mesure de l'imprégnation alcoolique ne peuvent être mises en oeuvre (article 63, § 1er, de la loi relative à la police de la circulation routière) et lorsqu'une personne chez qui une analyse de l'haleine révèle une concentration d'alcool d'au moins 0,35 milligramme par litre d'air alvéolaire expiré demande qu'il soit procédé à une contre-expertise, sous la forme d'un prélèvement sanguin (article 63, § 3).
B.8.1. Les travaux préparatoires relatifs à la loi du 18 juillet 1990, précitée, font apparaître que la limitation du droit à une contre-expertise sous la forme d'un prélèvement sanguin aux cas dans lesquels une analyse de l'haleine révèle une concentration d'alcool d'au moins 0,35 milligramme par litre d'air alvéolaire expiré s'explique par le fait que la loi prévoit des peines plus lourdes pour ces cas d'imprégnation alcoolique (Doc. parl., Sénat, 1989-1990, n° 967-2, p. 21).
B.8.2. L'article 34 de la loi relative à la police de la circulation routière est libellé comme suit : « § 1. Est puni d'une amende de 25 euros à 500 euros quiconque, dans un lieu public, conduit un véhicule ou une monture ou accompagne un conducteur en vue de l'apprentissage, alors que l'analyse de l'haleine mesure une concentration d'alcool par litre d'air alvéolaire expiré, d'au moins 0,22 milligramme et inférieure à 0,35 milligramme ou que l'analyse sanguine révèle une concentration d'alcool par litre de sang d'au moins 0,5 gramme et inférieure à 0,8 gramme.
En cas de récidive dans les trois ans à dater d'un jugement antérieur portant condamnation et passé en force de chose jugée, ces peines sont doublées. § 2. Est puni d'une amende de 200 euros à 2 000 euros : 1° quiconque, dans un lieu public, conduit un véhicule ou une monture ou accompagne un conducteur en vue de l'apprentissage, alors que l'analyse de l'haleine mesure une concentration d'alcool d'au moins 0,35 milligramme par litre d'air alvéolaire expiré ou que l'analyse sanguine révèle une concentration d'alcool d'au moins 0,8 gramme par litre de sang; [...] ».
L'article 36 de cette loi dispose : « Est puni d'un emprisonnement d'un mois à deux ans et d'une amende de 400 euros à 5 000 euros, ou d'une de ces peines seulement, et d'une déchéance du droit de conduire un véhicule à moteur d'une durée de trois mois au moins et cinq ans au plus ou à titre définitif, quiconque, après une condamnation par application de l'article 34, § 2, de l'article 35 ou de l'article 37bis, § 1er, commet dans les trois années à dater d'un jugement antérieur portant condamnation et passé en force de chose jugée, une nouvelle infraction à une de ces dispositions.
En cas de nouvelle récidive dans les trois années depuis la deuxième condamnation, les peines d'emprisonnement et d'amende prévues ci-dessus peuvent être doublées ».
B.8.3. Les amendes diffèrent donc sensiblement - tant en ce qui concerne les minima que les maxima - selon que la concentration d'alcool mesurée par litre d'air alvéolaire expiré est égale ou supérieure à 0,35 milligramme, ou inférieure à 0,35 milligramme. En outre, les personnes pour lesquelles une analyse de l'haleine révèle une concentration d'alcool d'au moins 0,35 milligramme par litre d'air alvéolaire expiré peuvent être punies d'un emprisonnement en cas de récidive, ce qui n'est pas le cas pour l'autre catégorie de personnes.
D'après les travaux préparatoires relatifs à la loi du 18 juillet 1990, cette différenciation trouve sa justification dans le constat que le risque d'accident augmente fortement lorsque le taux d'alcool est d'au moins 0,35 milligramme par litre d'air alvéolaire expiré (Doc. parl., Chambre, 1989-1990, n° 1062/1, p. 9).
B.9. La différenciation au niveau de l'échelle des peines est liée à la réglementation concernant la perception immédiate, contenue dans la loi relative à la police de la circulation routière. Pour les formes plus légères d'imprégnation alcoolique, l'article 65, § 1er, de cette loi impose aux agents verbalisants de proposer au conducteur concerné le paiement immédiat d'une somme.
L'on peut en déduire que le législateur a voulu, aussi souvent que possible, régler les formes plus légères d'imprégnation alcoolique par la perception immédiate d'une somme - qui, en vertu de l'article 65, § 1er, précité, est égale à l'amende minimale visée à l'article 34, § 1er, majorée des décimes additionnels -, sans toutefois porter atteinte au droit du conducteur concerné de ne pas accepter la proposition de payement immédiat.
B.10. Le législateur, qui souhaitait instaurer un système de contrôle d'alcoolémie pouvant être appliqué de manière satisfaisante et efficace, a pu supposer qu'il n'était pas nécessaire, eu égard notamment à la fiabilité de l'analyse de l'haleine, de prévoir un droit à une contre-expertise sous la forme d'un prélèvement sanguin pour les personnes chez qui une forme plus légère d'imprégnation alcoolique est décelée, parce qu'il s'agit, dans ce cas, d'une infraction moins grave et que la possibilité de réclamer une deuxième voire, le cas échéant, une troisième analyse de l'haleine, comme le prévoit l'article 59, § 3, de la loi relative à la police de la circulation routière, garantit suffisamment les droits de défense. La limitation du droit à une contre-expertise sous la forme d'un prélèvement sanguin aux cas dans lesquels est mesurée une concentration d'alcool d'au moins 0,35 milligramme par litre d'air alvéolaire expiré n'est pas disproportionnée par rapport aux objectifs poursuivis et est raisonnablement justifiée.
B.11. La question préjudicielle appelle une réponse négative.
Par ces motifs, la Cour dit pour droit : L'article 63, § 3, des lois relatives à la police de la circulation routière, coordonnées par l'arrêté royal du 16 mars 1968, ne viole pas les articles 10 et 11 de la Constitution.
Ainsi prononcé en langue néerlandaise et en langue française, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, à l'audience publique du 6 juin 2013.
Le greffier, F. Meersschaut Le président, M. Bossuyt