publié le 17 août 2012
Extrait de l'arrêt n° 77/2012 du 14 juin 2012 Numéro du rôle : 5192 En cause : la question préjudicielle concernant l'article 58, § 2, alinéa 6, du décret de la Région flamande du 7 mai 2004 relatif à l'organisation matérielle et au fonc La Cour constitutionnelle, composée des présidents M. Bossuyt et R. Henneuse, et des juges E. De(...)
COUR CONSTITUTIONNELLE
Extrait de l'arrêt n° 77/2012 du 14 juin 2012 Numéro du rôle : 5192 En cause : la question préjudicielle concernant l'article 58, § 2, alinéa 6, du décret de la Région flamande du 7 mai 2004 relatif à l'organisation matérielle et au fonctionnement des cultes reconnus, posée par le Conseil d'Etat.
La Cour constitutionnelle, composée des présidents M. Bossuyt et R. Henneuse, et des juges E. De Groot, L. Lavrysen, A. Alen, J.-P. Snappe, E. Derycke, J. Spreutels, P. Nihoul et F. Daoût, assistée du greffier F. Meersschaut, présidée par le président M. Bossuyt, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet de la question préjudicielle et procédure Par arrêt n° 214.697 du 19 juillet 2011 en cause de Guido Robeyns contre la Région flamande, avec comme partie intervenante Jo Vermaelen, dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour le 29 juillet 2011, le Conseil d'Etat a posé la question préjudicielle suivante : « L'article 58, § 2, alinéa 6, du décret du 7 mai 2004 relatif à l'organisation matérielle et au fonctionnement des cultes reconnus viole-t-il les articles 10 et 11 de la Constitution, combinés avec l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme garantissant l'accès à un juge, en ce que cette disposition prévoit, en cas d'envoi tardif de la décision de maintien par le ' conseil d'église ', une nullité intervenant d'office, plus précisément sans décision d'annulation dont le bénéficiaire de la décision originaire suspendue puisse demander l'annulation en justice, alors que cette personne intéressée dispose d'une faculté de recours devant le Conseil d'Etat dans l'hypothèse où la décision de maintien a été envoyée en temps utile et que la décision originaire suspendue est annulée par un arrêté motivé du Gouvernement flamand ? ». (...) III. En droit (...) B.1. En vertu de l'article 58, § 2, du décret de la Région flamande du 7 mai 2004 relatif à l'organisation matérielle et au fonctionnement des cultes reconnus, le gouverneur de province peut, par arrêté motivé, suspendre l'exécution d'une décision par laquelle le « conseil d'église » ou l'administration fabricienne centrale viole la loi ou porte préjudice à l'intérêt général.
L'arrêté de suspension doit être envoyé à la fabrique d'église et à l'administration fabricienne centrale dans un délai de trente jours qui prend cours le jour qui suit la réception du procès-verbal par le gouverneur de province. Le procès-verbal fait mention de la suspension en marge de la décision en question. Le « conseil d'église » ou l'administration fabricienne centrale peut retirer ou maintenir la décision suspendue régulièrement.
L'article 58, § 2, alinéa 6, du décret du 7 mai 2004 règle le maintien de la décision suspendue; il dispose : « Le conseil d'église ou l'administration [fabricienne] centrale, selon le cas, peut par décision motivée maintenir la décision suspendue dans un délai de cent jours qui prend cours le jour qui suit l'envoi de la décision de suspension. Dans ce cas, la décision de maintien sera envoyée, sous peine de nullité de la décision suspendue, au plus tard le dernier jour de ce délai au Gouvernement flamand moyennant copie au collège des bourgmestre et échevins, au gouverneur de province et à l'organe représentatif agréé ».
B.2.1. Lorsque le « conseil d'église » ou l'administration fabricienne centrale ne maintient pas dans les délais la décision suspendue, ou communique tardivement sa décision de maintien, la décision suspendue est par conséquent nulle de plein droit.
Selon l'interprétation de la juridiction a quo, telle qu'elle ressort de la question préjudicielle, le bénéficiaire de la décision suspendue du « conseil d'église » ou de l'administration fabricienne centrale ne peut pas contester la nullité de plein droit de celle-ci devant le Conseil d'Etat.
B.2.2. L'article 59 du décret du 7 mai 2004 dispose : « Le Gouvernement flamand peut, par arrêté motivé, annuler la décision du conseil d'église ou de l'administration [fabricienne] centrale sur la base des motifs définis à l'article 58.
La décision d'annulation doit être transmise à la fabrique d'église et à l'administration [fabricienne] centrale dans un délai de trente jours qui prend cours le jour qui suit la réception du procès-verbal par le gouverneur de province ou, le cas échéant, dans un délai de trente jours qui prend cours le jour qui suit la réception de la décision de maintien par le Gouvernement flamand.
Le procès-verbal fera mention de l'annulation en marge de la décision en question.
Le Gouvernement flamand notifiera sans délai la décision d'annulation au gouverneur de province, à l'autorité communale et à l'organe représentatif agréé.
A l'expiration du délai visé à l'alinéa deux, la suspension est abrogée d'office ».
Lorsque le « conseil d'église » ou l'administration fabricienne centrale maintient la décision suspendue et envoie sa décision de maintien dans les délais, le Gouvernement flamand peut sur la base de cette disposition, par arrêté motivé, annuler la décision maintenue pour avoir enfreint la loi ou avoir porté préjudice à l'intérêt général. Le bénéficiaire de la décision suspendue mais maintenue du « conseil d'église » ou de l'administration fabricienne centrale peut, dans ce cas, contester l'arrêté d'annulation du Gouvernement flamand devant le Conseil d'Etat.
B.2.3. La question préjudicielle porte sur la compatibilité avec les articles 10 et 11 de la Constitution, combinés avec l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, de la différence de traitement, quant à l'accès à la justice, qui résulte de l'article 58, § 2, alinéa 6, du décret du 7 mai 2004, tel qu'il est interprété par le juge a quo.
La Cour examine, en règle, la disposition en cause dans l'interprétation qu'en donne le juge a quo. S'il s'avère que, dans cette interprétation, la disposition viole la Constitution, la Cour peut examiner si elle est compatible avec la Constitution dans une autre interprétation.
B.3.1. Le droit d'accès au juge, qui constitue un aspect essentiel du droit à un procès équitable, est fondamental dans un Etat de droit.
Par conséquent, une différence de traitement en matière d'accès au juge doit être raisonnablement justifiée.
Les personnes qui se trouvent dans la même situation ont en principe le droit d'être jugées selon les mêmes règles en ce qui concerne la compétence et la procédure.
B.3.2. Si elle est interprétée en ce sens qu'elle ne permet pas au bénéficiaire de la décision suspendue d'en contester la nullité de plein droit devant le Conseil d'Etat lorsque le « conseil d'église » ou l'administration fabricienne centrale ne maintient pas dans les délais la décision suspendue, ou a envoyé tardivement sa décision de maintien, la disposition en cause porte atteinte de manière discriminatoire au droit fondamental d'accès à la justice.
Dans cette interprétation, la question préjudicielle appelle une réponse affirmative.
B.4.1. La disposition en cause peut aussi être interprétée autrement.
La nullité de plein droit de la décision suspendue constitue un effet différé de la décision du gouverneur de province de suspendre, par arrêté motivé, l'exécution d'une décision par laquelle le « conseil d'église » ou l'administration fabricienne centrale enfreint la loi ou porte préjudice à l'intérêt général.
Le « conseil d'église » ou l'administration fabricienne centrale peut éviter cette nullité en maintenant la décision suspendue dans un délai de cent jours et en envoyant sa décision de maintien au plus tard le dernier jour de ce délai. Le bénéficiaire de la décision suspendue ne peut pas lui-même en empêcher la nullité de plein droit.
B.4.2. Toutefois, le bénéficiaire peut contester devant le Conseil d'Etat la nullité de plein droit de la décision suspendue, dès l'expiration du délai de cent jours dans lequel la décision suspendue pouvait être maintenue.
Lorsque la décision suspendue a été maintenue par une décision envoyée tardivement et que le bénéficiaire de la décision suspendue est, comme en l'espèce, déjà requérant devant le Conseil d'Etat à l'encontre de l'arrêté d'annulation du Gouvernement flamand qui se révèle sans objet en raison de la nullité de plein droit de la décision suspendue, ce bénéficiaire peut prendre connaissance de cette nullité de plein droit par la consultation du dossier administratif et des pièces de procédure.
Etant donné que la nullité, qui s'applique de plein droit, ne constitue rien d'autre que l'effet différé de la décision précitée du gouverneur de province, cette décision peut être contestée devant le Conseil d'Etat dans les soixante jours de cette prise de connaissance, soit par un recours distinct, soit en étendant l'objet du recours initial.
La différence de traitement est dans ce cas inexistante.
B.5. Dans cette interprétation, la question préjudicielle appelle une réponse négative.
B.6. Il appartient au Conseil d'Etat d'apprécier si la possibilité de recours mentionnée en B.4.2 était en l'occurrence suffisamment prévisible pour que le droit fondamental d'accès à la justice soit garanti au bénéficiaire de la décision suspendue.
Par ces motifs, la Cour dit pour droit : - Interprété en ce sens qu'il ne permet pas au bénéficiaire de la décision suspendue d'en contester la nullité de plein droit devant le Conseil d'Etat lorsque le « conseil d'église » ou l'administration fabricienne centrale n'a pas maintenu dans les délais la décision suspendue, ou a envoyé sa décision de maintien tardivement, l'article 58, § 2, alinéa 6, du décret de la Région flamande du 7 mai 2004 relatif à l'organisation matérielle et au fonctionnement des cultes reconnus viole les articles 10 et 11 de la Constitution. - Interprétée en ce sens qu'elle autorise le bénéficiaire de la décision suspendue à en contester la nullité de plein droit devant le Conseil d'Etat lorsque le « conseil d'église » ou l'administration fabricienne centrale n'a pas maintenu dans les délais la décision suspendue, ou a envoyé sa décision de maintien tardivement, la même disposition ne viole pas les articles 10 et 11 de la Constitution.
Ainsi prononcé en langue néerlandaise et en langue française, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, à l'audience publique du 14 juin 2012.
Le greffier, F. Meersschaut Le président, M. Bossuyt