publié le 17 octobre 2011
Extrait de l'arrêt n° 119/2011 du 30 juin 2011 Numéro du rôle : 5048 En cause : la question préjudicielle concernant l'article 21, § 2, alinéa 3, du décret flamand du 10 juillet 2008 relatif à l'hébergement touristique, posée par le pré La Cour constitutionnelle, composée des présidents M. Bossuyt et R. Henneuse, et des juges E. De(...)
COUR CONSTITUTIONNELLE
Extrait de l'arrêt n° 119/2011 du 30 juin 2011 Numéro du rôle : 5048 En cause : la question préjudicielle concernant l'article 21, § 2, alinéa 3, du décret flamand du 10 juillet 2008 relatif à l'hébergement touristique, posée par le président du Tribunal de première instance de Louvain.
La Cour constitutionnelle, composée des présidents M. Bossuyt et R. Henneuse, et des juges E. De Groot, L. Lavrysen, J.-P. Moerman, T. Merckx-Van Goey et P. Nihoul, assistée du greffier P.-Y. Dutilleux, présidée par le président M. Bossuyt, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet de la question préjudicielle et procédure Par ordonnance du 4 octobre 2010 en cause de Harry Bruffaerts contre « Toerisme Vlaanderen » et la Région flamande, dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour le 26 octobre 2010, le président du Tribunal de première instance de Louvain, siégeant comme en référé, a posé la question préjudicielle suivante : « L'article 21, § 2, alinéa 3, du décret du 10 juillet 2008 relatif à l'hébergement touristique viole-t-il l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme et les articles 10, 11, 144 et 145 de la Constitution, en désignant le président du tribunal de première instance siégeant en référé comme juridiction compétente lorsqu'il s'agit d'attaquer la mesure de fermeture, en ce que, de cette manière, l'exécutabilité par provision ne peut plus être contestée, alors que ceci serait possible si le juge ordinaire pouvait être saisi de l'affaire, comme c'est le cas lorsqu'une amende administrative est imposée ? ». (...) III. En droit (...) B.1.1. La question préjudicielle porte sur l'article 21, § 2, alinéa 3, du décret flamand du 10 juillet 2008 relatif à l'hébergement touristique (ci-après : le décret sur l'hébergement).
La disposition en cause fait partie du chapitre IV (« Contrôle et sanctions ») de ce décret.
L'article 21, § 1er, alinéa 1er, du décret sur l'hébergement habilite les agents de police mentionnés dans cette disposition et les personnes désignées par le Gouvernement flamand à ordonner, dans les cas énumérés aux points 1° à 3° de cette disposition, la cessation immédiate de l'exploitation, après mise en demeure écrite préalable et après avoir offert à l'intéressé ou à son délégué le droit d'être entendu.
L'article 22 du décret sur l'hébergement dispose qu'une amende administrative de 250 à 25 000 euros peut être infligée à l'exploitant, dans les mêmes cas et dans quelques autres situations.
La Région flamande et l'agence « Toerisme Vlaanderen » exposent que le régime des sanctions est graduel, en ce sens qu'en fonction de la gravité de l'infraction, une amende administrative peut d'abord être imposée, ensuite un ordre de fermeture et enfin l'apposition de scellés.
B.1.2. L'article 21, § 2, du décret sur l'hébergement, dont seul l'alinéa 3 est en cause, dispose : « § 2. Les constatations de cessation de l'exploitation sont consignées dans un procès-verbal dressé conformément à l'article 20.
Une copie de ce procès-verbal est transmise au Ministre flamand chargé du tourisme, par lettre recommandée, par fax ou par voie électronique, si cela fournit un récépissé du destinataire.
Sous peine de déchéance, l'ordre de cessation de l'exploitation doit être confirmé par le Ministre flamand chargé du tourisme, dans un délai de quinze jours calendaires de la réception du procès-verbal par le Ministre et après avoir offert à l'intéressé ou le cas échéant à son délégué le droit d'être entendu. Cette confirmation est envoyée dans les cinq jours ouvrables aux personnes visées à l'article 20, par lettre recommandée, par fax ou par voie électronique, si cela fournit un récépissé du destinataire.
En cas de contestation, la suppression de la mesure peut être demandée au moyen d'une procédure, comme en référé. La demande est portée devant le président du tribunal de première instance du ressort dans lequel l'hébergement touristique se situe. La Partie IV, Livre II, Titre VI du Code judiciaire s'applique à l'introduction et au traitement de l'action ».
B.2. En application de cette dernière disposition, la partie demanderesse devant le juge a quo demande la levée de l'ordre de cessation immédiate de son exploitation.
Elle dénonce notamment le fait que, dès lors que l'action doit être intentée devant le président du tribunal de première instance par une procédure comme en référé, elle n'a pas l'occasion de présenter ses arguments concernant l'exécution provisoire, nonobstant opposition ou appel, de la décision que prendra le président, alors que cette possibilité existe devant le juge ordinaire.
Le président a accédé à sa demande de poser une question préjudicielle concernant la compatibilité de la disposition en cause avec l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme et avec les articles 10, 11, 144 et 145 de la Constitution.
B.3.1. Dans son mémoire en réponse, la partie demanderesse devant le juge a quo suggère que la question soit reformulée afin de prendre également en compte son grief selon lequel la cessation immédiate de son exploitation viole le droit de propriété garanti par l'article 1er du Premier Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme. L'article 13 de la Convention européenne des droits de l'homme serait également violé, parce qu'aucun contrôle de pleine juridiction n'aurait pu être exercé préalablement à la mesure.
B.3.2. La Cour ne saurait accéder à la demande de reformulation, dès lors que les parties devant la Cour ne peuvent modifier ou faire modifier le contenu des questions préjudicielles.
B.4.1. Les parties défenderesses devant le juge a quo font valoir que la réponse à la question n'est pas pertinente pour trancher le litige soumis au juge a quo et que la question n'appelle dès lors aucune réponse.
B.4.2. Il appartient en principe au juge qui pose la question préjudicielle d'examiner si la réponse à la question est pertinente pour trancher le litige qui lui est soumis. Ce n'est que si tel n'est manifestement pas le cas que la Cour peut décider que la question n'appelle pas de réponse.
Or, la question est pertinente dans l'hypothèse où la partie demanderesse devant le juge a quo succombe et reste soumise à la mesure de cessation immédiate de son exploitation, la décision du président du tribunal de première instance étant exécutoire par provision, même si la partie demanderesse devant le juge a quo interjetait appel de cette décision.
B.5. Selon les termes de la question préjudicielle, la Cour doit exercer un contrôle au regard de « l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme et [des] articles 10, 11, 144 et 145 de la Constitution ».
La Cour n'est pas compétente pour exercer un contrôle direct au regard des articles 144 et 145 de la Constitution ni au regard de l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme.
La Cour, qui est compétente pour exercer un contrôle direct au regard du principe d'égalité et de non-discrimination garanti par les articles 10 et 11 de la Constitution, peut effectivement répondre à la question de savoir s'il y a en l'espèce une discrimination concernant le droit à un procès équitable, garanti par l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, dès lors que la partie demanderesse devant le juge a quo fait valoir qu'elle ne bénéficie pas du droit à un débat contradictoire au sujet du caractère exécutoire de la décision de justice à venir, en cas d'opposition ou d'appel.
En revanche, rien n'indique en quoi les articles 10 et 11, combinés avec les articles 144 et 145, de la Constitution, seraient en l'occurrence méconnus.
B.6. Le juge a quo demande s'il est discriminatoire que la demande de levée de la mesure de cessation soit tranchée par une décision du président du tribunal de première instance, statuant comme en référé, sans que l'intéressé puisse débattre contradictoirement de l'exécution provisoire de cette décision, nonobstant opposition ou appel, alors qu'un tel débat peut avoir lieu devant le juge ordinaire, comme en cas de recours contre les amendes administratives prévues par le décret sur l'hébergement.
B.7.1. L'article 1397 du Code judiciaire dispose : « Sauf les exceptions prévues par la loi et sans préjudice de la règle énoncée à l'article 1414, l'opposition formée contre le jugement définitif et l'appel de celui-ci en suspendent l'exécution ».
L'article 1398 de ce même Code ajoute que, sauf les exceptions prévues par la loi, le juge peut accorder l'exécution provisoire du jugement et que l'exécution du jugement a lieu aux risques et périls de la partie qui la poursuit et sans préjudice des règles du cantonnement.
Il s'ensuit que, devant le juge ordinaire, les parties peuvent en principe demander l'exécution provisoire de la décision à prendre et peuvent dès lors débattre de l'effet suspensif ou non de l'opposition ou de l'appel de cette décision.
L'exploitant d'un hébergement touristique peut, conformément à l'article 22, § 5, du décret sur l'hébergement, contester les éventuelles amendes administratives devant le tribunal de première instance. Il est expressément prévu qu'un tel recours est suspensif.
Conformément à l'article 1397 du Code judiciaire, l'opposition ou l'appel suspendent l'exécution de la décision du tribunal de première instance, sauf si le tribunal en autorise l'exécution provisoire.
B.7.2. En revanche, le recours contre la mesure de cessation immédiate de l'exploitation doit, conformément à la disposition en cause, être formé devant le président du tribunal de première instance, qui statue « comme en référé ».
L'article 21, § 2, alinéa 2, in fine, du décret sur l'hébergement dispose que la partie IV, livre II, titre VI (« Introduction et instruction de la demande en référé »), du Code judiciaire s'applique à l'introduction et au traitement de l'action. L'article 1039, qui fait partie de ce titre, dispose en son alinéa 1er : « Les ordonnances sur référé ne portent préjudice au principal. Elles sont exécutoires par provision, nonobstant opposition ou appel, et sans caution, si le juge n'a pas ordonné qu'il en serait fourni une ».
B.7.3. Les parties défenderesses devant le juge a quo font valoir que l'ordre de cessation est, en tant que décision administrative unilatérale, déjà en soi immédiatement exécutoire et que le recours introduit devant le président du tribunal de première instance n'est pas suspensif. Si la partie demanderesse devant la juridiction a quo succombe, l'ordre de cessation demeure exécutoire, selon ces parties, en raison de la nature de cet ordre et indépendamment de l'intervention du juge, prévue par la disposition en cause.
B.7.4. Il existe toutefois un doute quant au caractère suspensif du recours auprès du président du tribunal de première instance.
En ce qui concerne les recours formés contre les sanctions administratives, l'article 22, § 5, du décret sur l'hébergement dispose expressément que ces recours sont suspensifs.
En ce qui concerne les recours contre un ordre de cessation de l'exploitation, l'article 21 du décret sur l'hébergement ne le prévoit pas expressément.
Au cours des travaux préparatoires de cette disposition, il a néanmoins été déclaré que, tout comme pour le recours contre une amende administrative : « Le recours est également suspensif » (Doc. parl., Parlement flamand, 2007-2008, n° 1547/4, p. 9).
B.7.5. Si la disposition en cause est interprétée en ce sens que le recours introduit devant le président du tribunal de première instance contre la mesure de cessation immédiate de l'exploitation est suspensif, il est effectivement pertinent, pour savoir si cette disposition est compatible avec les articles 10 et 11 de la Constitution, de comparer la situation de la partie qui conteste une amende administrative devant le tribunal de première instance et qui peut présenter ses arguments sur la question de savoir si la décision à prendre sera exécutoire par provision nonobstant opposition ou appel, à la situation d'une partie - comme l'intéressé dans l'affaire soumise au juge a quo - qui introduit un recours devant le président du tribunal de première instance contre la mesure de cessation immédiate de l'exploitation et qui sera confrontée, sans discussion, à une décision immédiatement exécutoire, même si elle faisait opposition ou interjetait appel de cette décision.
B.8. Le législateur décrétal a raisonnablement pu estimer qu'il convenait, en raison de la nature de la mesure de cessation de l'exploitation d'un hébergement touristique, de prévoir une possibilité de recours devant le président du tribunal de première instance, siégeant comme en référé, alors que le recours contre l'amende administrative peut être formé devant le juge ordinaire.
En effet, la nature de la mesure de cessation de l'exploitation justifie que, par dérogation à la procédure ordinaire, le recours puisse être formé devant le juge de l'ordre judiciaire qui est le mieux placé pour prendre des décisions urgentes, selon la procédure accélérée prévue dans la partie IV, livre II, titre VI (« Introduction et instruction de la demande en référé »), du Code judiciaire.
B.9. Il est vrai que cette réglementation a pour conséquence, conséquence qui est critiquée dans la question préjudicielle, que la décision du président du tribunal de première instance statuant sur un recours contre une mesure de cessation immédiate de l'exploitation d'un site d'hébergement touristique est exécutoire par provision nonobstant opposition ou appel.
Compte tenu de la nature de la mesure sur laquelle porte la contestation, la circonstance que la décision de justice prise à cet égard ait un effet immédiat qui ne peut être suspendu par le simple fait de l'opposition ou de l'appel et sans qu'un débat contradictoire sur ce point doive être possible, n'est pas dénuée de justification.
Par ailleurs, la possibilité de débattre de l'exécution provisoire connaît d'autres exceptions, dès lors que l'article 1398 du Code judiciaire dispose que le juge peut accorder l'exécution provisoire du jugement « sauf les exceptions prévues par la loi ». L'article 1039 du Code judiciaire, qui concerne l'exécution provisoire des ordonnances rendues en référé, constitue une de ces exceptions. De même, l'article 1397 du Code judiciaire dispose que la règle selon laquelle l'opposition ou l'appel suspend l'exécution de jugements peut faire l'objet d'exceptions.
B.10. En l'espèce, le droit au contradictoire de l'intéressé n'a pas subi une atteinte disproportionnée.
La mesure de cessation de l'exploitation est entourée d'une série de garanties visant à protéger les droits de défense du justiciable visé par une telle mesure.
En règle, cette mesure ne peut être prise que lorsqu'il s'avère que le résultat visé ne peut être atteint par des amendes administratives, que l'intéressé a pu contester devant le juge tant avant qu'après l'infliction de la mesure de cessation (article 22, §§ 3 à 5, du décret sur l'hébergement).
De même, la mesure de cessation ne peut être imposée qu'après une mise en demeure écrite préalable et après avoir donné à l'intéressé ou à son délégué la possibilité d'être entendu (article 21, § 1er, alinéa 1er, du décret sur l'hébergement). La mesure doit en outre être confirmée dans un bref délai par le ministre compétent, après que celui-ci ait aussi offert à l'intéressé ou à son délégué le droit d'être entendu (article 21, § 2, alinéa 2, du décret sur l'hébergement).
Enfin, la disposition en cause prévoit un droit de recours, selon une procédure accélérée, devant le président du tribunal de première instance.
B.11. La question préjudicielle appelle une réponse négative.
Par ces motifs, la Cour dit pour droit : L'article 21, § 2, alinéa 3, du décret flamand du 10 juillet 2008 relatif à l'hébergement touristique ne viole pas les articles 10 et 11 de la Constitution, lus isolément ou combinés avec l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme.
Ainsi prononcé en langue néerlandaise et en langue française, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, à l'audience publique du 30 juin 2011.
Le greffier, P.-Y. Dutilleux.
Le président, M. Bossuyt.