Etaamb.openjustice.be
Arrêt
publié le 10 août 2011

Extrait de l'arrêt n° 95/2011 du 31 mai 2011 Numéro du rôle : 4958 En cause : la question préjudicielle relative aux articles 152 et 185 du Code d'instruction criminelle, posée par le Tribunal correctionnel de Bruxelles. La Cour constitut composée des présidents R. Henneuse et M. Bossuyt, et des juges E. De Groot, L. Lavrysen, J.-P. Sna(...)

source
cour constitutionnelle
numac
2011203744
pub.
10/08/2011
prom.
--
moniteur
https://www.ejustice.just.fgov.be/cgi/article_body(...)
Document Qrcode

COUR CONSTITUTIONNELLE


Extrait de l'arrêt n° 95/2011 du 31 mai 2011 Numéro du rôle : 4958 En cause : la question préjudicielle relative aux articles 152 et 185 du Code d'instruction criminelle, posée par le Tribunal correctionnel de Bruxelles.

La Cour constitutionnelle, composée des présidents R. Henneuse et M. Bossuyt, et des juges E. De Groot, L. Lavrysen, J.-P. Snappe, J.-P. Moerman, E. Derycke, J. Spreutels, T. Merckx-Van Goey et F. Daoût, assistée du greffier P.-Y. Dutilleux, présidée par le président R. Henneuse, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet de la question préjudicielle et procédure Par jugement du 2 juin 2010 en cause de Y.J. contre le procureur du Roi, dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour le 10 juin 2010, le Tribunal correctionnel de Bruxelles a posé la question préjudicielle suivante : « Les articles 152 et 185 du Code d'instruction criminelle autorisant la prise d'un jugement par défaut réputé contradictoire contre le prévenu qui n'aura pas comparu ou n'aura pas été représenté à la suite d'un jugement de comparution personnelle mais avait comparu ou était représenté à l'audience d'introduction, lu isolément ou en comparaison notamment avec l'article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950, approuvée par la loi du 13 mai 1955 garantissant notamment le droit d'accès à un tribunal et le droit d'être informé clairement des règles qui lui sont appliquées, violent-ils les articles 10 et 11 de la Constitution, considérés isolément ou combinés avec l'article 6 de la Convention de sauvegarde des droits de l'homme et des libertés fondamentales, signée à Rome le 4 novembre 1950, approuvée par la loi du 13 mai 1955, en ce qu'ils n'autorisent pas le condamné qui a fait défaut après avoir comparu à l'audience d'introduction ou qui y était représenté, à former opposition contre la décision rendue par défaut suite à un jugement de comparution personnelle alors que le prévenu qui a toujours fait défaut et n'a jamais été représenté pourra former opposition contre la décision rendue par défaut à son encontre ? ». (...) III. En droit (..) B.1.1. L'article 152 du Code d'instruction criminelle, inséré dans le livre II, titre I, chapitre I traitant de la compétence des tribunaux de police, dispose : « § 1er. Le prévenu, la partie civilement responsable et la partie civile comparaîtront en personne ou par un avocat. § 2. Le tribunal pourra, en tout état de cause, sans que sa décision puisse être l'objet d'aucun recours, ordonner la comparution en personne. Le jugement ordonnant cette comparution sera signifié à la partie qu'il concerne à la requête du ministère public, avec citation à comparaître à la date fixée par le tribunal.

Si le prévenu ne comparaît pas en personne ou par un avocat, après avoir comparu à l'audience d'introduction conformément au § 1er, le jugement rendu sera réputé contradictoire et sera signifié au prévenu à la requête du ministère public. Un mandat d'amener peut être décerné à l'égard du prévenu ».

B.1.2. L'article 185 du Code d'instruction criminelle, inséré dans le livre II, titre I, chapitre II traitant de la compétence des tribunaux correctionnels, dispose : « § 1er. Le prévenu, la partie civilement responsable et la partie civile comparaîtront en personne ou par un avocat. § 2. Le tribunal pourra, en tout état de cause, sans que sa décision puisse être l'objet d'aucun recours, ordonner la comparution en personne. Le jugement ordonnant cette comparution sera signifié à la partie qu'il concerne à la requête du ministère public, avec citation à comparaître à la date fixée par le tribunal.

Si le prévenu ne comparaît pas en personne ou par un avocat, après avoir comparu à l'audience d'introduction conformément au § 1er, le jugement rendu sera réputé contradictoire et sera signifié au prévenu à la requête du ministère public. Un mandat d'amener peut être décerné à l'égard du prévenu ».

B.2. Il ressort des éléments du dossier et de la décision de renvoi que la personne qui fait opposition devant le juge a quo au jugement la condamnant, pourtant réputé contradictoire, n'a pas personnellement comparu lorsque sa cause fut introduite devant le tribunal correctionnel mais était représentée par son avocat et que le tribunal a rendu une ordonnance de comparution personnelle. A l'audience qui suivit, la cause a été prise en délibéré en l'absence du prévenu et de son conseil. Il en résulte qu'un jugement réputé contradictoire a été rendu.

Le juge a quo demande à la Cour si les dispositions du Code d'instruction criminelle précitées qui autorisent que soit rendu un jugement par défaut réputé contradictoire contre le prévenu qui n'aura pas comparu ou n'aura pas été représenté à la suite d'un jugement ordonnant sa comparution personnelle mais avait comparu ou était représenté à l'audience d'introduction violent les articles 10 et 11 de la Constitution, lus isolément ou en combinaison avec l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme, en ce qu'elles n'autorisent pas le condamné, dans cette hypothèse, à faire opposition alors que le prévenu qui a toujours fait défaut et n'a jamais été représenté peut former opposition contre la décision rendue par défaut à son encontre.

B.3.1. Les articles 152 et 185 du Code d'instruction criminelle ont, dans leur forme actuelle, été introduits par la loi du 12 février 2003Documents pertinents retrouvés type loi prom. 12/02/2003 pub. 28/03/2003 numac 2003009168 source service public federal justice Loi modifiant le Code d'instruction criminelle en ce qui concerne le défaut et abrogeant l'article 421 du même Code fermer « modifiant le Code d'instruction criminelle en ce qui concerne le défaut et abrogeant l'article 421 du même Code ». Cette modification a été introduite à la suite du constat, par la Cour européenne des droits de l'homme dans son arrêt Van Geyseghem du 21 janvier 1999, de la violation, par la Belgique, des articles 6.1 et 6.3, c), de la Convention européenne des droits de l'homme (Doc. parl., Chambre, 2002-2003, DOC 50-0651/004, pp. 5 à 7).

B.3.2. Les articles 152 et 185 du Code d'instruction criminelle consacrent désormais la règle selon laquelle le prévenu peut se faire représenter par un avocat, que ce soit en première instance, en degré d'appel ou sur opposition. Par contre, les jugements qui seront prononcés après qu'un avocat sera intervenu pour assurer la défense d'un prévenu défaillant auront un caractère contradictoire et ne pourront donc pas faire l'objet d'une opposition.

B.4.1. Si la possibilité de comparaître par avocat devient la règle, une exception est inscrite au paragraphe 2 des articles 152 et 185 du Code d'instruction criminelle, aux termes de laquelle le tribunal peut toujours, s'il le souhaite, ordonner la comparution personnelle du prévenu.

L'alinéa 2 du paragraphe 2 des articles 152 et 185 du Code d'instruction criminelle dispose que le jugement à intervenir est réputé contradictoire si le prévenu a comparu - en personne ou par avocat - à l'audience d'introduction mais ne comparaît plus ni en personne ni par avocat à l'audience à laquelle l'affaire a été remise en vue d'obtenir sa comparution personnelle.

B.4.2. Au cours des travaux préparatoires, la question s'est posée de savoir si ce mécanisme de jugement réputé contradictoire créait une discrimination entre le prévenu qui se présente ou se fait représenter par son avocat à l'audience d'introduction puis ne se présente plus et celui qui décide de ne pas venir du tout, car la sanction pourrait être disproportionnée et en outre entraîner un effet pervers, les justiciables préférant ne pas venir pour se ménager la voie de l'opposition (Doc. parl., Sénat, 2002-2003, n° 2-1356/2, pp. 2 et 3).

Le ministre de la Justice a répondu : « [...] [Celui] qui, après avoir comparu ou s'être fait représenter à la première audience, décide de ne plus le faire, alors que le tribunal estime nécessaire de l'entendre, est considéré comme se soustrayant volontairement à la suite des débats.

C'est pourquoi une sanction spécifique, étant le caractère réputé contradictoire des débats, est prévue dans ce seul cas » (ibid., p. 5).

B.5. La comparution d'un prévenu revêt une importance capitale en raison tant du droit de celui-ci à être entendu que de la nécessité de contrôler l'exactitude de ses affirmations et de les confronter avec les dires de la victime, dont il y a lieu de protéger les intérêts, ainsi que ceux des témoins (CEDH, 23 novembre 1993, Poitrimol c.

France, § 35; 13 février 2001, Krombach c. France, § 84; 14 juin 2001, Medenica c. Suisse, § 54; 13 janvier 2011, Drakos c. Grèce, § 35).

Si le droit national autorise le déroulement d'un procès nonobstant l'absence de l'accusé, ce dernier doit pouvoir obtenir ultérieurement qu'une juridiction statue à nouveau, après l'avoir entendu, sur le bien-fondé de l'accusation en fait comme en droit, lorsqu'il n'est pas établi qu'il a renoncé à son droit de comparaître et de se défendre, ni qu'il a eu l'intention de se soustraire à la justice (CEDH, grande chambre, 1er mars 2006, Sejdovic c. Italie, § 82; 1er mars 2011, Faniel c. Belgique, § 26).

Le législateur doit pouvoir décourager des abstentions injustifiées, à condition que les sanctions ne se révèlent pas disproportionnées et que le prévenu ne soit pas privé du droit à l'assistance d'un défenseur (CEDH, Sejdovic c. Italie, précité, § 92).

B.6.1. Il ressort des travaux préparatoires mentionnés en B.4.2 que le législateur a entendu, dans la seule hypothèse visée par les dispositions en cause, éviter que le prévenu ne se soustraie volontairement à la suite des débats. Comme le prévenu a comparu en personne ou par un avocat à l'audience d'introduction, il est suffisamment informé de la procédure pénale engagée à son encontre. En outre, le jugement ordonnant sa comparution en personne lui est signifié à la requête du ministère public, avec citation à comparaître à la date fixée par le tribunal. En cas d'empêchement légitime, il lui est donc loisible, ainsi qu'à son conseil, d'en informer à temps le tribunal. Enfin, un jugement réputé contradictoire ne peut être rendu si, au lieu de comparaître en personne, le prévenu comparaît uniquement par un avocat.

B.6.2. Le condamné par un jugement réputé contradictoire conserve la possibilité, en interjetant appel, d'être rejugé. Il a donc la faculté d'être présent à l'audience en degré d'appel et d'obtenir une nouvelle décision sur le bien-fondé de l'accusation, en fait comme en droit. (Voir CEDH, décision, 9 septembre 2003, Jones c. Royaume-Uni; Sejdovic c. Italie, précité, § 85) B.7. Il découle de ce qui précède que les dispositions en cause ne portent pas une atteinte disproportionnée aux droits du prévenu et que la différence de traitement mentionnée en B.2 n'est pas dépourvue de justification raisonnable.

B.8. La question préjudicielle appelle une réponse négative.

Par ces motifs, la Cour dit pour droit : En ce qu'ils autorisent que soit rendu un jugement réputé contradictoire à l'égard du prévenu qui n'a pas comparu en personne ou par un avocat, les articles 152 et 185 du Code d'instruction criminelle ne violent pas les articles 10 et 11 de la Constitution, lus isolément ou en combinaison avec l'article 6 de la Convention européenne des droits de l'homme.

Ainsi prononcé en langue française et en langue néerlandaise, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, à l'audience publique du 31 mai 2011.

Le greffier, P.-Y. Dutilleux.

Le président, R. Henneuse.

^