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Arrêt
publié le 17 août 2010

Extrait de l'arrêt n° 61/2010 du 27 mai 2010 Numéro du rôle : 4776 En cause : la question préjudicielle relative à l'article 56 du décret flamand du 19 décembre 1998 contenant diverses mesures d'accompagnement du budget 1999 La Cour constitutionnelle, composée des présidents M. Bossuyt et M. Melchior, et des juges A. Al(...)

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COUR CONSTITUTIONNELLE


Extrait de l'arrêt n° 61/2010 du 27 mai 2010 Numéro du rôle : 4776 En cause : la question préjudicielle relative à l'article 56 du décret flamand du 19 décembre 1998 contenant diverses mesures d'accompagnement du budget 1999 (dégâts au revêtement routier à la suite de surcharges), posée par le Conseil d'Etat.

La Cour constitutionnelle, composée des présidents M. Bossuyt et M. Melchior, et des juges A. Alen, J.-P. Snappe, J.-P. Moerman, J. Spreutels et T. Merckx-Van Goey, assistée du greffier P.-Y. Dutilleux, présidée par le président M. Bossuyt, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet de la question préjudicielle et procédure Par arrêt n° 196.325 du 24 septembre 2009 en cause de Maurits Lootens contre la Région flamande, dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour le 5 octobre 2009, le Conseil d'Etat a posé la question préjudicielle suivante : « L'article 56 du décret du 19 décembre 1998 contenant diverses mesures d'accompagnement du budget 1999 (décret sur les masses sous les essieux), modifié par les décrets des 29 décembre 1999, 19 décembre 2003 et 24 juin 2005, combiné avec les articles 57 et suivants du décret sur les masses sous les essieux, interprété en ce sens que le dépassement par la masse au sol sous un des essieux du maximum autorisé par le contrôle technique de plus de cinq pour cent implique une présomption légale d'endommagement interdit du revêtement routier, viole-t-il les articles 10 et 11 de la Constitution, combinés avec l'article 6.2 de la Convention européenne des droits de l'homme et avec l'article 14.2 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, en ce qu'il déroge, pour une catégorie déterminée de citoyens, au principe selon lequel la charge de la preuve repose sur la partie poursuivante ? ». (...) III. En droit (...) La disposition en cause B.1.1. La disposition en cause fait partie du chapitre XIV, « Dégâts au revêtement routier à la suite de surcharges », du décret flamand du 19 décembre 1998 contenant diverses mesures d'accompagnement du budget 1999, qui vise à combattre les dommages causés à l'infrastructure routière par la formation d'ornières (Doc. parl., Parlement flamand, 1998-1999, n° 1214/8, p. 5). Selon le Gouvernement flamand, le poids excessif par essieu des véhicules surchargés constitue la principale cause de la formation d'ornières (ibid. ).

Les dispositions du chapitre précité prévoient une interdiction générale de causer des dégâts au revêtement routier en excédant la masse maximale au sol autorisée sous l'un des essieux (article 56).

Les infractions à cette interdiction sont punies d'une peine de prison et/ou d'amendes progressives (article 57). En cas de condamnation pour cause d'infraction à l'article 56, une cotisation forfaitaire est due au « Vlaams Infrastructuurfonds » (article 58). Des amendes administratives peuvent également être infligées pour les infractions visées à l'article 56 (articles 59 à 60quinquies ). Enfin, des mesures de contrôle sont prévues (articles 61 et 62).

B.1.2. L'article 56 litigieux du décret flamand du 19 décembre 1998, avant sa modification par l'article 145 du décret flamand du 12 décembre 2008 portant diverses mesures en matière d'énergie, d'environnement, de travaux publics, d'agriculture et de pêche, disposait : « Il est interdit de causer des dégâts au revêtement routier se trouvant sur une voie publique avec un véhicule dont la masse au sol en dessous d'un des essieux excède de plus de 5 % le maximum autorisé par le contrôle technique.

Cette interdiction n'est pas applicable aux titulaires d'une autorisation pour transports exceptionnels tels que visés à l'article 48 de l'arrêté royal du 1er décembre 1975 portant règlement général sur la police de la circulation routière, moyennant versement préalable d'une cotisation forfaitaire au Fonds flamand de l'Infrastructure. Le Gouvernement flamand fixe les modalités de ces cotisations.

Cette cotisation forfaitaire ne peut dépasser l'amende minimale en cas d'excédent de poids de plus de 3 000 kg visée à l'article 57 ».

B.1.3. L'article 57 du même décret, avant sa modification par l'article 146 du décret précité du 12 décembre 2008, disposait : « § 1er. Les infractions à l'article 56 sont sanctionnées d'une peine de prison de huit jours jusqu'à un an et une amende pécuniaire progressive ou de l'une de ces peines seulement.

L'amende s'élève à : 1° 50 euros à 5 000 euros en cas de surcharge de moins de 500 kg;2° 100 euros à 10 000 euros en cas de surcharge de 500 kg à moins de 1 000 kg;3° 200 euros à 20 000 euros en cas de surcharge de 1 000 kg à moins de 1 500 kg;4° 300 euros à 30 000 euros en cas de surcharge de 1 500 kg à moins de 2 000 kg;5° 500 euros à 50 000 euros en cas de surcharge de 2 000 kg à moins de 3 000 kg;6° 750 euros à 75 000 euros en cas de surcharge de 3 000 kg et plus; § 2. Les dispositions du [livre Ier du] Code pénal, y compris le chapitre VII et l'article 85 sont applicables aux infractions définies à l'article 56 ».

B.1.4. L'article 59 du même décret, avant sa modification par l'article 147 du décret précité du 12 décembre 2008, disposait : « § 1. Les fonctionnaires désignés par le Gouvernement flamand peuvent infliger pour l'infraction visée à l'article 56 une amende administrative conformément aux règles définies ci-après. § 2. Le montant de l'amende administrative est égal à l'amende minimale correspondant à la surcharge prévue par l'article 57, majorée des décimes additionnels.

En cas de circonstances atténuantes, l'inspecteur-contrôleur des routes ou le Gouvernement flamand peuvent, après avoir entendu le contrevenant ou, le cas échéant, l'entreprise, infliger une amende administrative inférieure aux montants minimums.

Si un contrevenant commet à nouveau une infraction à l'article 56 dans la période de référence positive, l'amende administrative peut être fixée au double de l'amende minimum en fonction de la surcharge telle que fixée à 57, majoré des décimes additionnels. § 3. L'inspecteur des routes informe l'inspecteur-contrôleur des routes des infractions qu'il a constatées et, s'il y a lieu, des perceptions immédiates visées par le § 6. L'inspecteur-contrôleur des routes notifie, dans les trente jours de la réception du procès-verbal, au Procureur du Roi, la décision de procéder a la perception immédiate ou, en l'absence d'une telle mesure, son intention d'infliger une amende administrative.

Le Procureur du Roi communique son intention d'engager une poursuite pénale dans les nonante jours de la réception de cette notification à l'inspecteur-contrôleur des routes. S'il est besoin, ce délai peut être prolongé une seule fois de trente jours.

Lorsque le Procureur du Roi déclare qu'il engage une poursuite, la possibilité de prononcer une amende administrative s'éteint. En cas de perception immédiate de l'amende administrative, celle-ci est remboursée. § 4. Toute personne compétente autre que celles dont question au § 3 du présent article informe le Procureur du Roi des infractions qu'elle a constatées et, s'il y a lieu, des perceptions immédiates visées par le § 6. Le Procureur du Roi communique sa position à l'inspecteur-contrôleur des routes dans les nonante jours de la réception de la notification de l'infraction. S'il est besoin, ce délai peut être prolongé une seule fois de trente jours.

L'inspecteur-contrôleur des routes peut prononcer une amende administrative, lorsque le Procureur du Roi décide de ne pas engager une poursuite pénale et lorsqu'il n'y a pas eu de perception immédiate. La décision en la matière est communiquée dans les trente jours au Procureur du Roi. Si l'inspecteur-contrôleur des routes décide de ne pas prononcer une amende administrative ou s'il omet de communiquer son intention y relative en temps utile, la possibilité d'infliger une amende administrative s'éteint. § 5. L'entreprise est civilement responsable du paiement de l'amende administrative imposée aux personnes pour lesquelles elle est responsable conformément à l'article 1384 du Code civil. § 6. Si le contrevenant ou l'entreprise a un domicile ou une résidence fixe en Belgique, les personnes compétentes visées au § 1er et au § 4 peuvent percevoir l'amende administrative immédiatement, avec l'accord du contrevenant.

Si le contrevenant ou l'entreprise a n'a pas de domicile ou de résidence fixe en Belgique, l'amende administrative doit obligatoirement être perçue immédiatement par les personnes compétentes visées au § 1er et au § 4.

Ces sommes sont données en consignation. Les modalités de la perception immédiate et de la consignation des amendes administratives sont arrêtées par le Gouvernement flamand.

Le contrevenant ou l'entreprise sans domicile ou résidence fixe en Belgique est tenu de donner en consignation une somme supplémentaire, destinée à couvrir l'éventuelle amende et la contribution de solidarité. Le montant de cette somme ainsi que les modalités de perception et de consignation sont arrêtés par le Gouvernement flamand. § 7. Si le contrevenant ou l'entreprise n'a pas de domicile ou de résidence fixe en Belgique, le véhicule conduit par le contrevenant est retenu à ses frais, risques et périls jusqu'à remise en consignation des sommes visées au § 6, alinéas deux et quatre, et justification du paiement des frais éventuels de conservation du véhicule.

Si les sommes visées a l'alinéa premier ne sont pas données en consignation dans les nonante-six heures à compter de la constatation de l'infraction, la saisie du véhicule peut être ordonnée par le ministère public.

Un avis de saisie est envoyé au contrevenant ou à l'entreprise et au propriétaire du véhicule dans les deux jours ouvrables.

Le véhicule reste aux risques et frais du contrevenant ou de l'entreprise pendant la durée de la saisie.

La saisie est levée après justification du paiement des sommes à consigner visées au § 6, alinéas deux et quatre, et des frais éventuels de conservation du véhicule ».

Quant au fond B.2. La juridiction a quo demande si l'article 56 du décret flamand du 19 décembre 1998 est compatible avec les articles 10 et 11 de la Constitution, combinés avec l'article 6.2 de la Convention européenne des droits de l'homme et avec l'article 14.2 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques, en ce que cette disposition contiendrait une présomption légale de détérioration prohibée du revêtement routier.

B.3.1. L'article 6.2 de la Convention européenne des droits de l'homme et l'article 14.2 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques se rapportent à la présomption d'innocence.

B.3.2. Les présomptions légales ne sont en principe pas contraires à ces dispositions conventionnelles (dans ce sens : CEDH, 7 octobre 1988, Salabiaku c. France, § 28; 20 mars 2001, Telfner c. Autriche, § 16). Elles doivent toutefois être raisonnablement proportionnées à l'objectif légitime poursuivi (CEDH, 23 juillet 2002, Janosevic c.

Suède, § 101; 23 juillet 2002, Västberga Taxi Aktiebolag et Vulic c.

Suède, § 113), en prenant en compte de la gravité de l'enjeu et en préservant les droits de la défense (CEDH, 4 octobre 2007, Anghel c.

Roumanie, § 62).

B.4.1. L'article 56, alinéa 1er, du décret flamand du 19 décembre 1998, tel qu'il a été remplacé par l'article 3 du décret flamand du 19 décembre 2003 contenant diverses mesures d'accompagnement du budget 2004, disposait : « Il est interdit de causer des dégâts au revêtement routier en excédant les poids maximums autorisés ou les poids sous les essieux maximums autorisés comme prévus par les articles 18, §§ 1er, 2 ou 32bis de l'arrêté royal du 15 mars 1968 portant règlement général sur les conditions techniques auxquelles doivent répondre les véhicules automobiles, leurs remorques, pièces et dispositifs de sécurité ».

B.4.2. Le principe de cette disposition était qu'il existe un lien de cause à effet entre, d'une part, le dépassement des normes fédérales concernant les masses autorisées sous les essieux et, d'autre part, l'endommagement du revêtement routier. Les travaux préparatoires font référence, sur ce point, à une étude réalisée notamment par le Centre de recherches routières (Doc. parl., Parlement flamand, 1998-1999, n° 1214/8, p. 6).

B.5.1. L'article 9, 1°, du décret flamand du 24 juin 2005 contenant diverses mesures d'accompagnement de l'ajustement du budget 2005 a remplacé, dans la disposition précitée, les termes « en excédant les poids maximums autorisés ou les poids sous les essieux maximums autorisés comme prévus par les articles 18, §§ 1er, 2 ou 32bis de l'arrêté royal du 15 mars 1968 portant règlement général sur les conditions techniques auxquelles doivent répondre les véhicules automobiles, leurs remorques, pièces et dispositifs de sécurité » par les termes « se trouvant sur une voie publique avec un véhicule dont la masse au sol en dessous d'un des essieux excède de plus de 5 % le maximum autorisé par le contrôle technique ».

B.5.2. Cette modification a été justifiée comme suit : « L'incrimination a été adaptée par rapport à la version précédente du décret, de sorte que seules les surcharges par essieu seront désormais réprimées. Il n'est plus explicitement renvoyé pour cela aux normes techniques fédérales. Il est toutefois encore fait référence à la masse maximale des essieux autorisée par le contrôle technique. Une surcharge de moins de 5 % par essieu est tolérée. Ce n'est que lorsqu'un des essieux est en surcharge de plus de 5 % qu'un procès-verbal peut être rédigé. En effet, il y a lieu de tenir compte de la masse après correction (c'est-à-dire après déduction de la tolérance technique de l'appareil de mesure).

Une surcharge par rapport à la masse totale n'est plus punissable qu'en tant qu'infraction aux normes techniques fédérales.

La détérioration du revêtement routier survient en effet principalement lorsqu'un essieu est plus lourdement chargé que ce qui est légalement prévu. Des études scientifiques ont déjà démontré cela à plusieurs reprises.

Cependant, la détérioration ne doit pas forcément consister en un dommage apparent tel que des trous, des fissures ou la formation d'ornières. Ce ne sont là que quelques-unes des manifestations extérieures les plus courantes des dommages visés dans cet article; les dégâts réels se manifestent davantage par une diminution de la durée de vie de la route. Lors de l'aménagement des routes, il est en effet tenu compte de certaines charges auxquelles le revêtement routier doit pouvoir résister pendant sa durée de vie. Toute charge anormale a donc pour conséquence que le revêtement routier atteint plus vite la fin de sa durée de vie et doit donc être remplacé plus rapidement, ce qui entraîne des frais et des embarras de circulation.

Les dégâts (supplémentaires) augmentent proportionnellement à la puissance quatre de la charge par essieu » (Doc. parl., Parlement flamand, 2004-2005, n° 334/1, p. 6).

B.6. La modification de la disposition en cause par l'article 9, 1°, précité du décret flamand du 24 juin 2005 ne permet pas de déduire qu'il n'existerait pas de lien de cause à effet entre la surcharge du véhicule et la détérioration des routes. Le législateur décrétal entend précisément donner suite aux études scientifiques dont il ressort que cette détérioration du revêtement routier résulte principalement de la surcharge d'un essieu. Eu égard à ces études, la surcharge d'un essieu du véhicule constitue une indication fondée de ce que l'infraction, à savoir causer des dommages au revêtement routier, a été commise.

B.7. En outre, ni le texte de la disposition en cause ni ses travaux préparatoires ne permettent de déduire qu'une présomption irréfragable de dégâts causés au revêtement routier serait établie en cas de dépassement de 5 p.c. de la masse au sol maximale autorisée sous les essieux. La disposition contient uniquement un allégement de la charge de la preuve qui pèse sur le ministère public.

B.8. La question préjudicielle appelle une réponse négative.

Par ces motifs, la Cour dit pour droit : L'article 56 du décret flamand du 19 décembre 1998 contenant diverses mesures d'accompagnement du budget 1999 ne viole pas les articles 10 et 11 de la Constitution, combinés avec l'article 6.2 de la Convention européenne des droits de l'homme et avec l'article 14.2 du Pacte international relatif aux droits civils et politiques.

Ainsi prononcé en langue néerlandaise et en langue française, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour constitutionnelle, à l'audience publique du 27 mai 2010.

Le greffier, Le président, P.-Y. Dutilleux. M. Bossuyt.

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