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Arrêt
publié le 07 avril 2009

Extrait de l'arrêt n° 27/2009 du 18 février 2009 Numéro du rôle : 4439 En cause : les questions préjudicielles relatives aux articles 608 et 610, alinéa 1 er , du Code judiciaire et à l'article 14, § 1 er , des lois s La Cour constitutionnelle, composée des présidents M. Bossuyt et M. Melchior, et des juges P. Ma(...)

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COUR CONSTITUTIONNELLE


Extrait de l'arrêt n° 27/2009 du 18 février 2009 Numéro du rôle : 4439 En cause : les questions préjudicielles relatives aux articles 608 et 610, alinéa 1er, du Code judiciaire et à l'article 14, § 1er, des lois sur le Conseil d'Etat, coordonnées le 12 janvier 1973, posées par le Conseil d'Etat.

La Cour constitutionnelle, composée des présidents M. Bossuyt et M. Melchior, et des juges P. Martens, L. Lavrysen, A. Alen, J.-P. Snappe, J.-P. Moerman, E. Derycke, J. Spreutels et T. Merckx-Van Goey, assistée du greffier P.-Y. Dutilleux, présidée par le président M. Bossuyt, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet des questions préjudicielles et procédure Par arrêt n° 179.794 du 18 février 2008 en cause de Guido Soetemans contre l'Etat belge, dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour le 28 février 2008, le Conseil d'Etat a posé les questions préjudicielles suivantes : « 1. L'article 610, alinéa 1er, du Code judiciaire, combiné avec l'article 1088 du même Code, interprété en ce sens qu'une décision d'un procureur du Roi concernant les missions d'un magistrat du ministère public peut être attaquée devant la Cour de cassation au moyen d'un recours en annulation que seul le procureur général près la Cour de cassation peut introduire, sur les instructions du ministre de la Justice, et combiné avec l'article 14, § 1er, des lois sur le Conseil d'Etat, coordonnées le 12 janvier 1973, interprété en ce sens que le magistrat concerné du ministère public ne peut introduire un recours contre une telle décision auprès du Conseil d'Etat, viole-t-il les articles 10 et 11 de la Constitution, en ce qu'il crée, en ce qui concerne l'accès au Conseil d'Etat, une différence non justifiable entre les magistrats du ministère public et les fonctionnaires des administrations ? 2. L'article 608 du Code judiciaire, interprété en ce sens qu'une décision du procureur du Roi concernant les missions d'un magistrat du ministère public peut être attaquée par l'intéressé devant la Cour de cassation au moyen d'un pourvoi en cassation, et l'article 14, § 1er, des lois sur le Conseil d'Etat, coordonnées le 12 janvier 1973, interprété en ce sens que l'intéressé ne peut introduire un recours en annulation contre cette décision auprès du Conseil d'Etat, violent-ils les articles 10 et 11 de la Constitution, en ce qu'ils créent, en ce qui concerne l'accès au Conseil d'Etat, une différence non justifiable entre les magistrats du ministère public et les fonctionnaires des administrations ? ». (...) III. En droit (...) Quant à l'étendue des questions préjudicielles B.1. La décision d'un procureur du Roi concernant les missions d'un magistrat du ministère public constitue, en règle, une mesure d'ordre intérieur insusceptible de recours.

Il ressort toutefois des motifs de l'arrêt qui interroge la Cour que la décision attaquée devant le Conseil d'Etat pourrait avoir été prise en raison du comportement de l'intéressé et pourrait par conséquent constituer une sanction disciplinaire déguisée.

La Cour limite son examen à cette hypothèse.

Quant à l'article 14 des lois coordonnées sur le Conseil d'Etat B.2.1. Les questions préjudicielles demandent à la Cour si l'article 14, § 1er, des lois sur le Conseil d'Etat, coordonnées le 12 janvier 1973, viole les articles 10 et 11 de la Constitution, interprété en ce sens qu'une décision d'un procureur du Roi concernant les missions d'un magistrat du ministère public, qui pourrait constituer une sanction disciplinaire déguisée, ne peut faire l'objet de la part de ce dernier d'un recours en annulation auprès du Conseil d'Etat, alors que « les fonctionnaires des administrations » qui font l'objet d'une décision similaire peuvent, eux, introduire un tel recours.

B.2.2. L'article 14, § 1er, des lois coordonnées sur le Conseil d'Etat dispose : « La section [du contentieux administratif] statue par voie d'arrêts sur les recours en annulation pour violation des formes soit substantielles, soit prescrites à peine de nullité, excès ou détournement de pouvoir, formés contre les actes et règlements : 1° des diverses autorités administratives;2° des assemblées législatives ou de leurs organes, en ce compris les médiateurs institués auprès de ces assemblées, de la Cour des comptes et de la Cour d'arbitrage, du Conseil d'Etat et des juridictions administratives ainsi que des organes du pouvoir judiciaire et du Conseil supérieur de la Justice relatifs aux marchés publics et aux membres de leur personnel. L'article 159 de la Constitution s'applique également aux actes et règlements visés au 2° ».

B.2.3. En vertu de cette disposition, le Conseil d'Etat n'est compétent pour connaître d'un recours en annulation que si l'acte attaqué peut être considéré soit comme un acte d'une autorité administrative au sens de l'article 14, § 1er, alinéa 1er, 1°, soit comme un acte d'une des autorités énumérées à l'article 14, § 1er, alinéa 1er, 2°, pour autant qu'il s'agisse dans ce dernier cas d'un acte relatif à un marché public ou concernant un membre du personnel de l'autorité concernée.

Le Conseil d'Etat, juge a quo, constate que le procureur du Roi est une autorité judiciaire et non une autorité administrative et qu'il ne relève donc pas de l'article 14, § 1er, alinéa 1er, 1°, des lois coordonnées sur le Conseil d'Etat. Il constate également que les termes le « personnel » des « organes du pouvoir judiciaire » ne visent pas les magistrats eux-mêmes mais le personnel administratif des greffes et des parquets, de sorte que, sur la base de l'article 14, § 1er, alinéa 1er, 2°, des lois coordonnées sur le Conseil d'Etat, il n'est pas davantage compétent pour connaître d'un recours en annulation d'une décision d'un procureur du Roi concernant les missions d'un magistrat du ministère public.

B.2.4. Aux termes de l'article 151, § 1er, de la Constitution, « le ministère public est indépendant dans l'exercice des recherches et poursuites individuelles, sans préjudice du droit du ministre compétent d'ordonner des poursuites et d'arrêter des directives contraignantes de police criminelle, y compris en matière de politique de recherche et de poursuites ».

B.2.5. L'officier du ministère public a la qualité de magistrat et, en cette qualité, il participe à l'administration de la justice, ce qui le différencie fondamentalement des fonctionnaires.

B.2.6. Cette différence justifie que le législateur ne confie pas au Conseil d'Etat le contrôle des actes d'un procureur du Roi concernant les missions d'un magistrat du ministère public.

Un recours contre une telle décision ne pourrait être ouvert devant un organe extérieur à l'ordre judiciaire sans, à la fois, mettre en cause l'indépendance du ministère public dans un domaine qui regarde sa propre organisation et son propre fonctionnement et entraver l'exercice des fonctions de gestion désormais confiées aux chefs de corps.

B.3. En ce qu'il ne permet pas à un officier du ministère public d'exercer, devant le Conseil d'Etat, un recours dirigé contre la décision du procureur du Roi concernant les missions qu'il lui confie, et qui pourrait constituer une sanction disciplinaire déguisée, l'article 14 des lois coordonnées sur le Conseil d'Etat n'est pas incompatible avec les articles 10 et 11 de la Constitution.

Quant aux articles 608, 610 et 1088 du Code judiciaire B.4.1. La première question préjudicielle porte également sur l'article 610, alinéa 1er, du Code judiciaire, combiné avec l'article 1088 du même Code, interprété en ce sens que la décision d'un procureur du Roi concernant les missions d'un officier du ministère public peut être attaquée devant la Cour de cassation au moyen d'un recours en annulation que seul le procureur général près la Cour de cassation peut introduire, sur les instructions du ministre de la Justice.

La seconde question préjudicielle concerne également l'article 608 du Code judiciaire, interprété en ce sens que la décision d'un procureur du Roi concernant les missions d'un magistrat du ministère public peut être attaquée devant la Cour de cassation au moyen d'un pourvoi.

B.4.2. L'article 610, alinéa 1er, du Code judiciaire dispose : « Sans préjudice de l'article 14, § 1er, des lois sur le Conseil d'Etat, coordonnées le 12 janvier 1973, la Cour de cassation connaît des demandes en annulation des actes par lesquels les juges et les officiers du ministère public, ainsi que les autorités disciplinaires des officiers publics et ministériels et du barreau auraient excédé leurs pouvoirs ».

B.4.3. Cette disposition doit être lue en combinaison avec l'article 1088 du même Code, aux termes duquel, entre autres, les actes des officiers du ministère public peuvent être dénoncés à la Cour de cassation, pour cause d'excès de pouvoir, par le procureur général près cette Cour, sur les instructions du ministre de la Justice.

L'intéressé lui-même ne dispose donc pas de la qualité pour introduire la demande en annulation visée à l'article 610.

B.4.4. Dans l'espèce qui a donné lieu aux questions préjudicielles, le Conseil d'Etat interprète les articles 610 et 1088 du Code judiciaire en ce sens que la décision d'un procureur du Roi concernant les missions d'un magistrat du ministère public ne peut faire l'objet d'aucun autre recours qu'une demande en annulation introduite par le procureur général près la Cour de cassation sur les instructions du ministre de la Justice.

B.4.5. Dans un arrêt du 31 mai 2001 (Pas., 2001, n° 328), la Cour de cassation a confirmé explicitement l'interprétation selon laquelle le magistrat du ministère public, d'une part, ne peut porter sa cause devant le Conseil d'Etat et, d'autre part, n'a pas qualité pour la porter devant la Cour de cassation.

B.4.6. Il découle de ce qui précède que les articles 610 et 1088 du Code judiciaire ne permettent pas à un officier du ministère public d'exercer, devant la Cour de cassation, un recours contre la décision du procureur du Roi concernant les missions qui lui sont confiées et qui pourrait constituer une sanction disciplinaire déguisée.

B.5.1. L'article 608 du Code judiciaire dispose : « La Cour de cassation connaît des décisions rendues en dernier ressort qui lui sont déférées pour contravention à la loi ou pour violation des formes, soit substantielles, soit prescrites à peine de nullité ».

B.5.2. Comme l'observe le juge a quo, la Cour a constaté, dans son arrêt n° 33/94 du 26 avril 1994, en se référant à un arrêt de la Cour de cassation du 21 novembre 1991 (Pas., 1992, I, n° 153), qu'une décision d'un chef de corps du ministère public peut, en application de l'article 608 du Code judiciaire, faire l'objet d'un pourvoi en cassation que la personne intéressée peut former elle-même.

B.5.3. Le pourvoi en cassation est une voie de recours extraordinaire permettant à une partie de demander l'annulation, pour contravention à la loi ou pour violation des formes, soit substantielles, soit prescrites à peine de nullité, de décisions rendues en dernier ressort. A cet égard, la Cour ne connaît pas du fond des affaires.

B.5.4. Dans l'arrêt précité du 31 mai 2001, la Cour de cassation, saisie d'un pourvoi introduit contre une décision d'un président d'un tribunal de commerce, a jugé : « Attendu que, d'une part, l'acte attaqué a pour objet, conformément à l'article 316 du Code judiciaire, de régler l'ordre de service du tribunal de commerce de Bruxelles pendant l'année judiciaire 2000-2001;

Que, d'autre part, aucune procédure disciplinaire n'a été suivie contre la demanderesse et que le président du tribunal de commerce ne lui a, par l'acte attaqué, donné ni l'avertissement qui, parmi les peines disciplinaires limitativement énumérées à l'article 405, alinéa 1er, du Code judiciaire, est la seule qui, en vertu de l'article 412, 2°, de ce code, ressortit à sa compétence ni une autre de ces peines;

Attendu qu'il n'est pas au pouvoir de la Cour d'examiner les faits dont la demanderesse prétend déduire qu'une sanction disciplinaire déguisée lui aurait été infligée;

Attendu que l'acte attaqué est une mesure d'ordre intérieur ne présentant pas le caractère des décisions visées aux articles 608 et 609, 1°, du Code judiciaire qui peuvent faire l'objet d'un pourvoi en cassation; ».

B.5.5. Même si l'article 608 du Code judiciaire, selon l'interprétation mentionnée dans la question préjudicielle, donnait compétence à la Cour de cassation pour connaître d'un pourvoi contre une décision du procureur du Roi prise à l'égard d'un magistrat du ministère public, la Cour de cassation ne pourrait, en raison de la portée limitée d'un pourvoi en cassation, examiner les faits dont il serait déduit que la décision d'un procureur du Roi concernant les missions confiées à un magistrat du ministère public constitue une sanction disciplinaire déguisée.

B.6. Il découle de ce qui précède que la décision d'un procureur du Roi concernant les missions confiées à un magistrat du ministère public ne peut faire l'objet d'aucun recours utile, même lorsqu'une telle décision pourrait constituer une sanction disciplinaire déguisée.

B.7. Cette absence de tout recours n'est pas compatible avec les articles 10 et 11 de la Constitution mais cette discrimination n'a son siège ni dans l'article 14 des lois coordonnées sur le Conseil d'Etat ni dans les articles 608, 610 et 1088 du Code judiciaire. Elle provient de ce qu'aucune disposition du Code judiciaire ne permet d'exercer un recours.

En effet, l'article 405 du Code judiciaire énumère les peines disciplinaires qui peuvent être infligées aux magistrats et l'article 415 désigne les autorités compétentes pour connaître des appels formés contre ces peines, mais aucune disposition n'ouvre un recours contre une mesure d'ordre intérieur qui constituerait une sanction disciplinaire déguisée.

B.8. Les questions préjudicielles appellent une réponse négative.

B.9. Il appartient au législateur d'apprécier à quel type de recours doit donner lieu la décision d'un procureur du Roi concernant les missions d'un magistrat du ministère public qui pourrait constituer une sanction disciplinaire déguisée et d'organiser ce recours au sein de l'ordre judiciaire.

Par ces motifs, la Cour dit pour droit : - L'article 610, alinéa 1er, du Code judiciaire, combiné avec l'article 1088 du même Code et avec l'article 14, § 1er, des lois sur le Conseil d'Etat, coordonnées le 12 janvier 1973, ne viole pas les articles 10 et 11 de la Constitution. - L'article 608 du Code judiciaire et l'article 14, § 1er, des lois sur le Conseil d'Etat, coordonnées le 12 janvier 1973, ne violent pas les articles 10 et 11 de la Constitution.

Ainsi prononcé en langue néerlandaise et en langue française, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989, à l'audience publique du 18 février 2009.

Le greffier, P.-Y. Dutilleux.

Le président, M. Bossuyt.

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