publié le 01 septembre 2008
Extrait de l'arrêt n° 88/2008 du 27 mai 2008 Numéro du rôle : 4319 En cause : la question préjudicielle concernant les articles 21, § 6, et 33ter, § 1 er , 1°, a), du décret de la Région flamande du 23 janvier 1991 relati La Cour constitutionnelle, composée des présidents M. Bossuyt et M. Melchior, et des juges P. Ma(...)
COUR CONSTITUTIONNELLE
Extrait de l'arrêt n° 88/2008 du 27 mai 2008 Numéro du rôle : 4319 En cause : la question préjudicielle concernant les articles 21, § 6, et 33ter, § 1er, 1°, a), du décret de la Région flamande du 23 janvier 1991 relatif à la protection de l'environnement contre la pollution due aux engrais, posée par le Tribunal de première instance de Bruxelles.
La Cour constitutionnelle, composée des présidents M. Bossuyt et M. Melchior, et des juges P. Martens, R. Henneuse, E. De Groot, L. Lavrysen et J.-P. Snappe, assistée du greffier P.-Y. Dutilleux, présidée par le président M. Bossuyt, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet de la question préjudicielle et procédure Par jugement du 16 octobre 2007 en cause de Daniël Laleman contre la « Vlaamse Landmaatschappij » (Société flamande terrienne) et la Région flamande, dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour le 24 octobre 2007, le Tribunal de première instance de Bruxelles a posé la question préjudicielle suivante : « Les articles 21, § 6, et 33ter, § 1er, 1°, a) du décret flamand du 23 janvier 1991 relatif à la protection de l'environnement contre la pollution due aux engrais violent-ils les articles 10, 11 et 172 de la Constitution en ce que l'exploitant d'un élevage de bétail ou d'une exploitation agricole dont la teneur en nutriments dépasse 300 kg d'anhydride phosphorique ou auquel il n'a pas été attribué de teneur en nutriments se voit imposer une redevance complémentaire (SH1) calculée sur la production totale d'effluents d'élevage exprimée en azote et en anhydride phosphorique, alors que les producteurs dont la production ne dépasse pas 300 kg d'anhydride phosphorique bénéficient d'une exonération totale ? ». (...) III. En droit (...) B.1. Le décret de la Région flamande du 23 janvier 1991 relatif à la protection de l'environnement contre la pollution due aux engrais a été en grande partie abrogé par le décret du 22 décembre 2006 concernant la protection des eaux contre la pollution par les nitrates à partir de sources agricoles. Pour répondre à la question préjudicielle, la Cour doit toutefois prendre en considération le premier décret cité, tel qu'il était applicable pour les exercices d'imposition 2003 et 2004.
B.2.1. Le décret du 23 janvier 1991 vise à protéger l'environnement contre la pollution due à la production et à l'utilisation d'engrais (article 2). L'imposition de « redevances » est une des mesures qui doivent permettre d'atteindre cet objectif (chapitre VII). Le décret prévoit une « redevance de base », une « redevance d'écoulement » et une « redevance complémentaire ».
B.2.2. La « redevance de base » s'applique, en ce qui concerne les exercices d'imposition 2003 et 2004, à tout producteur dont l'entreprise a produit, durant l'année civile écoulée, une quantité d'effluents d'élevage supérieure à 300 kg d'anhydride phosphorique (article 21, § 1er), à tout producteur ou utilisateur qui épand des engrais chimiques sur le sol (article 21, § 3), à tout producteur ou utilisateur qui épand d'autres engrais que des effluents d'élevage ou des engrais chimiques (article 21, § 2) et à tout importateur d'excédents d'engrais (article 21, § 5).
La « redevance d'écoulement » est applicable à tout producteur qui a « échangé » des effluents d'élevage au cours de l'année civile écoulée, par l'entremise de la « Mestbank » (article 21, § 4).
La « redevance complémentaire » est perçue à charge de tout producteur qui a produit plus d'effluents d'élevage que la teneur en nutriments (article 21, § 6, 1°) ou qui n'a pas satisfait à l'obligation de transformation d'engrais ou à l'obligation d'exportation (article 21, § 6, 2°).
B.2.3. La notion de teneur en nutriments a été introduite afin de lutter contre l'augmentation de la production d'effluents d'élevage au niveau de l'entreprise. Il s'agit de la quantité maximale d'effluents d'élevage, exprimée en kilogrammes d'azote et d'anhydride phosphorique, qu'une exploitation agricole ou un élevage de bétail peut produire (article 33ter, § 1er, 1°, a).
La teneur en nutriments est attribuée individuellement à chaque exploitation agricole, élevage ou partie d'élevage de bétail qui satisfait à la définition d'« élevage de bétail existant » (au sens de l'article 2, 7°) et dont il a été fait déclaration chaque année, à intervalles réguliers et dans les délais, au moins depuis l'exercice d'imposition 1995, à la « Mestbank ». Elle est fixée sur la base de la quantité d'engrais produite au cours des années 1995, 1996 ou 1997, l'année où la production a été la plus élevée étant prise en considération (article 33bis, § 1er).
B.2.4. Les producteurs dont la production d'effluents d'élevage ne dépasse pas 300 kg d'anhydride phosphorique sont en principe exemptés des règles fixées à l'article 33ter, § 1er, 1°, en ce qui concerne la limitation de la production d'effluents d'élevage (article 33bis, § 8).
B.3.1. Le juge a quo demande à la Cour si le calcul de la « redevance complémentaire » viole les articles 10, 11 et 172 de la Constitution « en ce que l'exploitant d'un élevage de bétail ou d'une exploitation agricole dont la teneur en nutriments dépasse 300 kg d'anhydride phosphorique ou auquel il n'a pas été attribué de teneur en nutriments se voit imposer une redevance complémentaire (SH1) calculée sur la production totale d'effluents d'élevage exprimée en azote et en anhydride phosphorique, alors que les producteurs dont la production ne dépasse pas 300 kg d'anhydride phosphorique bénéficient d'une exonération totale ».
B.3.2. Les articles 10 et 11 de la Constitution garantissent le principe d'égalité et de non-discrimination. L'article 172 de la Constitution est une application particulière de ce principe en matière fiscale.
B.3.3. L'article 21, § 6, 1°, du décret du 23 janvier 1991 disposait : « Il est levé une redevance complémentaire SH1 et SH2 dont le produit revient intégralement à la Mestbank, à charge de chaque producteur : 1° ayant produit plus d'effluents d'élevage que la teneur en éléments nutritionnels, visée à l'article 33bis ;le montant de cette redevance complémentaire SH1 est calculé à l'aide de la formule suivante : SH1 = ((MPBFn - NHn) x Xspn) + ((MPFp) - NHp) x Xspp), où : - MPBFn = la production brute forfaitaire d'effluents d'élevage, exprimée en kg de N, à savoir le produit de la densité moyenne du bétail dans l'élevage de bétail et/ou l'exploitation agricole au cours de l'année civile écoulée et les quantités d'excrétion brutes forfaitaires correspondantes par animal, exprimées en kg de N, telles que fixées à l'article 5, § 1er; - MPFp = la production forfaitaire d'effluents d'élevage, exprimée en kg de P2O5, à savoir le produit de la densité moyenne du bétail dans l'élevage de bétail ou l'exploitation agricole au cours de l'année civile écoulée et les quantités d'excrétion brutes forfaitaires correspondantes par animal, exprimées en kg de P2O5, telles que fixées a l'article 5, § 1er. Si le producteur applique le régime de bilan nutritif du type bilan d'excrétion d'engrais, il est appliqué pour l'espèce animale autres porcs, ayant un poids de 20 à 110 kg, la valeur de 5,33 kg P2O5 par animal et par an; à moins que les quantités d'excrétion ne soient supérieures. Dans ce cas les quantités d'excrétion réelles obtenues dans le bilan d'excrétion d'engrais sont utilisées; - NHn = la teneur en éléments nutritionnels N, exprimée en kg de N, conformément à la définition de l'article 33bis ; - NHp = la teneur en éléments nutritionnels P2O5, exprimée en kg de P2O5, conformément à la définition de l'article 33bis ; - Xspn = le taux de la redevance complémentaire pour la production N supérieure à la teneur en éléments nutritionnels NHn; - Xspp = le taux de la redevance complémentaire pour la production de P2O5 supérieure à la teneur en éléments nutritionnels NHp ».
B.3.4. L'article 33ter, § 1er, 1°, a), du décret du 23 janvier 1991 disposait : « § 1er. Pour ce qui concerne l'exploitation d'exploitations agricoles et d'élevages de bétail, les règles suivantes sont d'application : l° jusqu'au 31 décembre 2006 inclus : a) un exploitant est tenu de limiter le nombre d'animaux, tel que visé a l'article 5, dans son exploitation agricole et/ou son élevage et/ou leurs parties de sorte que la production d'effluents d'élevage ne dépasse pas la teneur en éléments nutritionnels attribuée à l'exploitation agricole et/ou à l'élevage de bétail et/ou à leurs parties, à moins qu'il ne s'agisse du transfert d'un quota laitier engendrant une diminution équivalente du quota laitier de l'élevage cédant le quota laitier;».
B.4.1. Selon le Gouvernement flamand, la différence de traitement ne découle pas des dispositions en cause et la question préjudicielle ne serait pas pertinente pour trancher le litige soumis au juge a quo.
B.4.2. La différence de traitement en cause porte sur la base de la « redevance complémentaire », qui découle directement des dispositions soumises à la Cour, et plus précisément sur le fait que les articles 21, § 6, 1°, et 33ter, § 1er, 1°, a), précités ne prévoient pas d'exonération de cette redevance pour les 300 premiers kilogrammes d'anhydride phosphorique.
Le juge a quo observe à cet égard que les producteurs dont la production d'effluents d'élevage ne dépasse pas 300 kg d'anhydride phosphorique sont en principe exonérés de la redevance complémentaire (article 33bis, § 8).
Par conséquent, il n'est pas nécessaire, en l'espèce, que la norme qui est comparée aux dispositions soumises à la Cour, aux fins de constater une différence de traitement, soit expressément mentionnée dans la question préjudicielle.
B.4.3. Dès lors que la partie demanderesse devant le juge a quo est soumise à la « redevance complémentaire » et que la base de cette redevance peut être influencée par la réponse à la question préjudicielle, cette question ne peut être considérée comme étant manifestement dénuée de pertinence pour trancher le litige.
Il ressort toutefois du jugement de renvoi qu'il n'a pas été attribué de teneur en nutriments à la partie demanderesse devant le juge a quo, de sorte que la Cour doit limiter son examen à cette hypothèse.
B.5.1. Il appartient au législateur décrétal de fixer la base de la « redevance complémentaire ». Il dispose en la matière d'une marge d'appréciation étendue.
Lorsqu'il établit la base de redevances telles que celles qui sont prévues par les dispositions en cause, il doit pouvoir faire usage de catégories qui, nécessairement, n'appréhendent la diversité des situations qu'avec un certain degré d'approximation. Le recours à ce procédé n'est pas déraisonnable en soi; il convient néanmoins d'examiner s'il en va de même pour la manière dont le procédé a été utilisé.
B.5.2. La redevance complémentaire a pour objet d'éviter le dépassement de la teneur en nutriments et d'éviter ainsi un accroissement de la production d'engrais au niveau de l'entreprise.
Comme la Cour l'a rappelé dans son arrêt n° 107/2005 du 22 juin 2005, il peut se concevoir que, accessoirement à l'objectif fiscal qu'il poursuit, le législateur s'efforce d'influencer dans certaines matières le comportement des contribuables, ce qui peut justifier un taux particulièrement élevé d'imposition. Il en est ainsi, par exemple, de taxes qui veulent dissuader le consommateur d'utiliser des produits jetables ou préjudiciables à l'environnement (voir en ce sens les arrêts nos 11/94, 3/95, 4/95, 5/95, 6/95, 7/95, 8/95, 9/95, 10/95, 30/99, 195/2004 en matière d'écotaxes), qui visent à pénaliser des comportements illicites (voir les arrêts nos 44/2000, 28/2003 et 72/2004 en matière de commissions secrètes) ou qui tendent à freiner des activités tolérées mais nuisibles (voir l'arrêt n° 100/2001 en matière de jeux et paris).
B.5.3. En l'espèce, il n'apparaît pas que le législateur décrétal aurait fixé la base de la redevance complémentaire d'une manière déraisonnable.
Tout d'abord, il a prévu une exception pour les producteurs qui ont pu limiter leur production d'effluents d'élevage à moins de 300 kg d'anhydride phosphorique.
Ensuite, il a accordé aux producteurs dont la production d'effluents d'élevage dépasse ce seuil, mais qui satisfont à la définition d'élevage de bétail existant et qui ont fait une déclaration à la « Mestbank » dans les délais et à intervalles réguliers au moins depuis l'exercice d'imposition 1995, une teneur en nutriments qui sert de base au calcul de la redevance. Seule la quantité d'engrais produit qui dépasse la teneur en nutriments est soumise à la redevance complémentaire.
Lorsqu'un producteur a dépassé le seuil de 300 kg d'anhydride phosphorique, d'une part, et n'a pas satisfait aux conditions d'octroi d'une teneur en nutriments, d'autre part, le législateur décrétal peut, afin de ne pas compromettre l'effet dissuasif de la redevance complémentaire, faire intervenir l'ensemble de la production d'engrais de ce producteur dans la base d'imposition et il n'est pas tenu de prévoir une exemption de la redevance complémentaire pour les 300 premiers kilogrammes d'anhydride phosphorique.
B.5.4. Par ailleurs, ainsi que le relève également le juge a quo, les redevances complémentaires sont « parfaitement proportionnées aux objectifs poursuivis » et le demandeur devant le juge a quo ne démontre pas « que les redevances entraveraient de manière déraisonnable la gestion normale de l'exploitation, de sorte qu'il ne saurait être question d'une violation du principe de proportionnalité ».
B.6. La question préjudicielle appelle une réponse négative.
Par ces motifs, la Cour dit pour droit : Les articles 21, § 6, 1°, et 33ter, § 1er, 1°, a), du décret de la Région flamande du 23 janvier 1991 relatif à la protection de l'environnement contre la pollution due aux engrais, tels qu'ils étaient applicables pour les exercices d'imposition 2003 et 2004, ne violent pas les articles 10, 11 et 172 de la Constitution en ce qu'ils ne prévoient pas, pour le redevable auquel n'a pas été attribuée une teneur en nutriments, une exemption de la redevance complémentaire pour les 300 premiers kilogrammes d'anhydride phosphorique, lorsque sa production d'engrais dépasse cette quantité.
Ainsi prononcé en langue néerlandaise et en langue française, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989, à l'audience publique du 27 mai 2008.
Le greffier, Le président, P.-Y. Dutilleux. M. Bossuyt.