publié le 05 août 2008
Extrait de l'arrêt n° 92/2008 du 26 juin 2008 Numéro du rôle : 4252 En cause : le recours en annulation de l'article 2 de la loi du 26 avril 2007 portant des dispositions en matière de baux à loyer, introduit par l'ASBL « Syndicat National La Cour constitutionnelle, composée des présidents M. Bossuyt et M. Melchior, et des juges P. Ma(...)
Extrait de l'arrêt n° 92/2008 du 26 juin 2008 Numéro du rôle : 4252 En cause : le recours en annulation de l'article 2 de la loi du 26 avril 2007Documents pertinents retrouvés type loi prom. 26/04/2007 pub. 05/06/2007 numac 2007009538 source service public federal justice Loi portant des dispositions en matière de baux à loyer fermer portant des dispositions en matière de baux à loyer, introduit par l'ASBL « Syndicat National des Propriétaires et Copropriétaires » et autres.
La Cour constitutionnelle, composée des présidents M. Bossuyt et M. Melchior, et des juges P. Martens, R. Henneuse, E. De Groot, L. Lavrysen, A. Alen, J.-P. Snappe, J.-P. Moerman, E. Derycke, J. Spreutels et T. Merckx-Van Goey, assistée du greffier P.-Y. Dutilleux, présidée par le président M. Bossuyt, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet du recours et procédure Par requête adressée à la Cour par lettre recommandée à la poste le 27 juin 2007 et parvenue au greffe le 29 juin 2007, un recours en annulation de l'article 2 de la loi du 26 avril 2007Documents pertinents retrouvés type loi prom. 26/04/2007 pub. 05/06/2007 numac 2007009538 source service public federal justice Loi portant des dispositions en matière de baux à loyer fermer portant des dispositions en matière de baux à loyer (publiée au Moniteur belge du 5 juin 2007) a été introduit par l'ASBL « Syndicat National des Propriétaires et Copropriétaires », dont le siège social est établi à 1000 Bruxelles, rue de la Violette 43, l'ASBL « Eigenaarsbelang », dont le siège social est établi à 2000 Anvers, Mechelseplein 25, l'ASBL « Koninklijk Algemeen Eigenaarsverbond », dont le siège social est établi à 9000 Gand, Vrijheidslaan 4, et l'ASBL « De Eigenaarsbond », dont le siège social est établi à 2000 Anvers, Otto Veniusstraat 28.
La demande de suspension de la même disposition, introduite par les mêmes parties requérantes, a été rejetée par l'arrêt n° 112/2007 du 26 juillet 2007, publié au Moniteur belge du 7 septembre 2007. (...) II. En droit (...) B.1. Le recours en annulation est dirigé contre l'article 2 de la loi du 26 avril 2007Documents pertinents retrouvés type loi prom. 26/04/2007 pub. 05/06/2007 numac 2007009538 source service public federal justice Loi portant des dispositions en matière de baux à loyer fermer portant des dispositions en matière de baux à loyer (ci-après : la loi du 26 avril 2007Documents pertinents retrouvés type loi prom. 26/04/2007 pub. 05/06/2007 numac 2007009538 source service public federal justice Loi portant des dispositions en matière de baux à loyer fermer), qui dispose : « Dans le Code civil, livre III, titre VIII, chapitre II, section 2, insérée par la loi du 20 février 1991, il est inséré un article 1erbis, rédigé comme suit : '
Art. 1erbis.Tout bail tombant sous la présente section affectant la résidence principale du preneur doit être établi dans un écrit qui devra contenir indépendamment de toutes autres modalités : l'identité de toutes les parties contractantes, la date de prise en cours, la désignation de tous les locaux et parties d'immeuble couvrant l'objet locatif et le montant du loyer.
La partie contractante la plus diligente pourra, faute d'exécution dans les huit jours d'une mise en demeure signifiée par lettre recommandée à la poste ou par exploit d'huissier, contraindre l'autre partie par voie procédurale s'il échet à dresser, compléter ou signer une convention écrite selon l'alinéa 1er et requérir si besoin que le jugement vaudra bail écrit.
La compétence du juge est limitée par l'existence préalable d'un contrat oral entre les parties.
Sans préjudice des alinéas 2 et 3, les baux oraux conclus avant l'entrée en vigueur du présent article restent soumis à la présente section. ' ».
Quant à la portée du recours B.2. En ce que les parties requérantes critiquent la mesure attaquée parce qu'elle s'applique également aux chambres d'étudiants, le recours est irrecevable, puisque cette matière n'est pas réglée par l'article 2 de la loi du 26 avril 2007Documents pertinents retrouvés type loi prom. 26/04/2007 pub. 05/06/2007 numac 2007009538 source service public federal justice Loi portant des dispositions en matière de baux à loyer fermer, présentement attaqué, mais par l'article 98 de la loi du 25 avril 2007Documents pertinents retrouvés type loi prom. 25/04/2007 pub. 08/05/2007 numac 2007201376 source service public federal chancellerie du premier ministre Loi portant des dispositions diverses (1) fermer portant des dispositions diverses (IV), dont l'annulation n'est pas demandée dans cette affaire.
Quant au fond En ce qui concerne le premier moyen B.3. Selon les parties requérantes, la disposition attaquée violerait le principe d'égalité et de non-discrimination, parce qu'elle n'impose l'obligation de rédiger un écrit que pour les baux qui concernent la résidence principale du preneur, tandis que cette obligation ne s'applique pas aux autres sortes de baux.
B.4.1. Le Conseil des ministres considère que les législations en matière de bail d'habitation, de bail commercial et de bail à ferme sont à ce point différentes - en ce qui concerne, entre autres, les formalités, les droits et obligations des parties, les possibilités et les délais de congé - que la catégorie des preneurs et des bailleurs dans le secteur du bail d'habitation ne peut être comparée à celles des preneurs et bailleurs dans les autres secteurs, tels que ceux du bail commercial et du bail à ferme.
B.4.2. La situation des preneurs et des bailleurs de baux d'habitation ne diffère pas de celle des preneurs et des bailleurs d'autres sortes de baux, tels que le bail commercial et le bail à ferme, au point que ces catégories ne pourraient être utilement comparées entres elles, en ce qui concerne l'obligation d'établir une convention écrite, dans le cadre d'un contrôle au regard du principe d'égalité et de non-discrimination.
La circonstance que les législations distinctes présentent des différences - en ce qui concerne, notamment, les formalités à respecter, les droits et les devoirs des parties et le régime du congé - n'y change rien, dès lors que toutes les catégories de preneurs et de bailleurs concluent des conventions en vertu desquelles les seconds mettent un bien immobilier temporairement à la disposition des premiers.
B.5.1. Selon les travaux préparatoires de la loi du 26 avril 2007Documents pertinents retrouvés type loi prom. 26/04/2007 pub. 05/06/2007 numac 2007009538 source service public federal justice Loi portant des dispositions en matière de baux à loyer fermer : « La loi de 1991 réglemente les baux dits de résidence principale.
Rien, en l'état actuel de notre législation, n'oblige de mettre par écrit les contrats auxquels cette loi s'applique. Ainsi, outre le fait que les parties n'ont pas de protection tant vis-à -vis des tiers qu'entre eux, ces baux ne peuvent donc pas être enregistrés puisqu'on ne peut qu'enregistrer qu'un acte écrit.
Or, pour mener une politique cohérente et efficace en matière de loyers, une connaissance approfondie du marché locatif est indispensable.
Il est légitime de penser que tant que l'ensemble des baux ne seront pas enregistrés, il sera impossible de récolter les éléments pertinents.
Ainsi, l'obligation du bail écrit constitue donc un préalable à la généralisation de l'enregistrement.
Dans le but de pouvoir mettre en oeuvre une politique cohérente en matière de loyer mais aussi en matière de protection des parties, il est nécessaire de modifier le Code civil en insérant un article 1erbis dans le Livre III, titre VIII, chapitre 2, section 2. Cet article rendra obligatoire le bail écrit pour les résidences principales et kots d'étudiants.
Ce bail devra impérativement contenir, outre toutes les autres modalités, l'identité des parties contractantes, la date de prise en cours, la désignation du bien ou des parties du bien visé, le montant du loyer » (Doc. parl., Chambre, 2006-2007, DOC 51-2874/001, p. 3).
B.5.2. Au cours des travaux préparatoires de la loi du 25 avril 2007Documents pertinents retrouvés type loi prom. 25/04/2007 pub. 08/05/2007 numac 2007201376 source service public federal chancellerie du premier ministre Loi portant des dispositions diverses (1) fermer portant des dispositions diverses (IV), la ministre de la Justice a déclaré : « L'accord de Gouvernement prévoit que la loi sur les baux soit évaluée ' en recherchant un meilleur équilibre entre droits et devoirs des locataires et des propriétaires '. L'accord de Gouvernement, par ailleurs, constatait que l'accès au logement devenait ' de plus en plus difficile pour les familles nombreuses ou pour les familles n'ayant pas de revenus ou alors des revenus modestes '. [...] Ces modifications [de la loi du 20 février 1991] sont donc le fruit d'une longue maturation et reflètent deux impératifs que toutes les parties s'étaient fixés : - un meilleur équilibre entre les droits des propriétaires et des locataires; - faciliter l'accès au logement.
Dans la première catégorie de mesures, on peut citer les dispositions suivantes reprises dans le présent projet de loi : - obligation du bail écrit; [...] Rendre le bail écrit obligatoire permet, d'une part, de mieux protéger les parties mais aussi de rendre plus transparent le marché locatif.
En effet, la Chambre a adopté, dans le cadre de la loi-programme, une disposition rendant gratuit et obligatoire l'enregistrement du contrat de bail. Évidemment, cet enregistrement ne peut avoir lieu que si le bail est écrit.
Il est légitime de penser que tant que l'ensemble des baux ne seront pas enregistrés, il sera impossible de récolter les éléments pertinents. Ainsi, l'obligation du bail écrit constitue donc un préalable à la généralisation de l'enregistrement, que le gouvernement facilite en le rendant d'une part gratuit et en ouvrant d'autre part la voie à l'enregistrement informatique » (Doc. parl., Chambre, 2006-2007, DOC 51-2873/020, pp. 8-10; Doc. parl., Sénat, 2006-2007, 3-2121/4, pp. 6-7).
B.6. Il ressort des travaux préparatoires précités que l'obligation de rédiger un écrit pour les baux qui concernent la résidence principale du preneur est considérée comme une condition préalable à la généralisation de l'enregistrement de ces conventions.
Il apparaît aussi qu'en imposant l'obligation de rédiger un contrat écrit qui est ensuite enregistré, le législateur vise à mieux protéger les parties et à pouvoir mener une politique cohérente et efficace en matière de location d'habitations.
B.7.1. La Cour doit examiner si la mesure critiquée viole le principe d'égalité et de non discrimination en ce qu'elle s'applique uniquement aux baux visés dans la disposition attaquée et non aux autres baux, tels que le bail commercial et le bail à ferme.
B.7.2. Contrairement à la législation qui régit les conventions de location d'immeubles qui ne sont pas destinés à la résidence principale du preneur, la mesure attaquée contribue à réaliser le droit à un logement décent garanti par l'article 23, alinéa 3, 3°, de la Constitution.
L'article 23 de la Constitution dispose : « Chacun a le droit de mener une vie conforme à la dignité humaine.
A cette fin, la loi, le décret ou la règle visée à l'article 134 garantissent, en tenant compte des obligations correspondantes, les droits économiques, sociaux et culturels, et déterminent les conditions de leur exercice.
Ces droits comprennent notamment : [...] 3° le droit à un logement décent; [...] ».
B.7.3. Le législateur peut en outre tenir compte du fait que dans le secteur du bail d'habitation, contrairement à la plupart des autres secteurs de location de biens immobiliers, telle la location de bureaux, d'entrepôts, d'immeubles commerciaux et de terrains agricoles, le preneur se trouve souvent dans une position socio-économique inférieure à celle du bailleur, ce qui justifie une protection supplémentaire du preneur d'un bien immobilier destiné à sa résidence principale. Au demeurant, l'obligation de rédiger un écrit vise également à mieux protéger les droits du bailleur.
B.7.4. En prévoyant l'obligation d'un écrit pour les seuls baux relatifs à la résidence principale du preneur et en n'imposant pas cette obligation pour les autres contrats de location de biens immeubles, tels que le bail commercial ou le bail à ferme, le législateur ne viole pas le principe d'égalité et de non discrimination, étant donné qu'il existe une justification objective et raisonnable à cette différence de traitement.
B.8. Le premier moyen n'est pas fondé.
En ce qui concerne le second moyen B.9. Selon les parties requérantes, la disposition attaquée violerait les articles 10, 11 et 16 de la Constitution parce qu'elle instaurerait une différence de traitement entre les preneurs et bailleurs qui ont conclu un contrat écrit et les preneurs et bailleurs auxquels le juge impose une convention par jugement ayant valeur de bail écrit. Un tel jugement ne correspondrait pas nécessairement à la volonté des parties, de sorte que ces parties ne bénéficieraient pas des mêmes droits et garanties qu'en cas de convention conclue par elles-mêmes.
B.10. Selon les travaux préparatoires de la disposition attaquée : « Il sera en outre établi qu'en cas de non-signature du bail par l'une des deux parties, l'autre partie pourra contraindre l'autre partie à l'exécution, par mise en demeure par voie recommandée, par exploit d'huissier ou, le cas échéant, si besoin est, requérir un jugement qui vaudra bail écrit; et ce nonobstant tous autres droits à requérir d'éventuelles indemnités extra-contractuelles pour préjudice encouru dudit fait.
Dans ce dernier cas, comme le souligne le Conseil d'Etat dans son avis, la simple intention d'établir un bail ne pourra pas suffire.
Ainsi, par exemple, un juge ne pourra, en cours de négociation entre les parties sur le contrat de bail, fixer un des éléments sur lequel les parties ne parviennent pas à s'entendre. Il faut, dans tous les cas, qu'un contrat de bail oral soit préexistant à la saisine du juge pour que ce dernier puisse agir. Le juge ne transformera donc pas une volonté en contrat » (Doc. parl., Chambre, 2006-2007, DOC 51-2874/001, pp. 3-4).
B.11. Le juge qui prononce un jugement ayant valeur de bail écrit ne peut le faire que lorsqu'il considère qu'il existe suffisamment de preuves de l'existence d'un contrat de bail verbal.
En outre, un tel jugement ne peut porter que sur les quatre éléments limitativement énumérés dans la disposition attaquée, à savoir l'identité de toutes les parties contractantes, la date à laquelle la convention prend cours, la désignation de tous les locaux et parties d'immeuble qui font l'objet de la location ainsi que le montant du loyer. Le juge ne peut prendre ces éléments en considération dans son jugement que pour autant qu'il considère que leur existence est prouvée selon les règles de droit commun en matière d'administration de la preuve. La tâche du juge se limite par conséquent à consigner par écrit les droits et obligations convenus oralement par les parties concernant les éléments précités. Il n'appartient pas au juge de substituer sa volonté à celle des parties contractantes.
Il résulte de ce qui précède que la disposition attaquée est compatible avec le principe d'égalité et de non-discrimination, dès lors qu'elle n'aboutit pas à ce qu'un jugement ayant valeur de bail écrit ne prévoirait pas des garanties analogues à celles d'une convention conclue par les parties contractantes elles-mêmes. Dans les deux cas, la volonté de ces parties sera déterminante pour fixer ou faire fixer leurs droits et obligations respectifs.
B.12. A supposer que la législation attaquée constitue une ingérence dans le droit de propriété garanti par l'article 16 de la Constitution et par l'article 1er du Premier Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme, le législateur doit réaliser un juste équilibre entre les impératifs de l'intérêt général et ceux de la protection du droit au respect des biens. Il doit exister un rapport raisonnable de proportionnalité entre les moyens employés et le but poursuivi.
La réglementation relative aux baux à loyer occupe une place centrale dans les politiques sociales et économiques des sociétés modernes; sauf lorsque cette réglementation peut causer, pour une catégorie de personnes, la perte de leur habitation, auquel cas le pouvoir d'appréciation du législateur est moins étendu (CEDH, 13 mai 2008, Mc Cann c. Royaume-Uni, § 50) la Cour, compte tenu de l'obligation faite aux législateurs par l'article 23, alinéa 3, 3°, de la Constitution de garantir le droit à un logement décent, doit respecter l'appréciation de ces législateurs quant à l'intérêt général, sauf si cette appréciation est manifestement déraisonnable.
Le législateur a pu considérer que les règles antérieures, qui ne prévoyaient pas l'obligation de rédiger un bail écrit ni la possibilité de faire prononcer, le cas échéant, par le juge un jugement ayant valeur de bail écrit, ne répondaient pas de façon satisfaisante à son objectif de mener une politique cohérente et efficace en matière de bail d'habitation et que la mesure attaquée devait être prise afin de pouvoir atteindre mieux cet objectif.
Il s'ensuit que la disposition attaquée ne porte pas une atteinte disproportionnée au droit de propriété des parties requérantes.
B.13. Le second moyen n'est pas fondé.
Par ces motifs, la Cour rejette le recours sous réserve de ce qui est mentionné en B.11.
Ainsi prononcé en langue néerlandaise, en langue française et en langue allemande, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989, à l'audience publique du 26 juin 2008.
Le greffier, P.-Y. Dutilleux.
Le président, M. Bossuyt.