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Arrêt
publié le 09 mars 2007

Extrait de l'arrêt n° 28/2007 du 21 février 2007 Numéro du rôle : 3931 En cause : le recours en annulation des articles 1 er et 2, c), du décret de la Communauté française du 20 juillet 2005 relatif aux droits complémentaires per La Cour d'arbitrage, composée des présidents M. Melchior et A. Arts, et des juges P. Martens, R.(...)

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Extrait de l'arrêt n° 28/2007 du 21 février 2007 Numéro du rôle : 3931 En cause : le recours en annulation des articles 1er et 2, c), du décret de la Communauté française du 20 juillet 2005 relatif aux droits complémentaires perçus dans l'enseignement supérieur non universitaire, introduit par l'ASBL « Fédération des Etudiant(e)s Francophones » et autres.

La Cour d'arbitrage, composée des présidents M. Melchior et A. Arts, et des juges P. Martens, R. Henneuse, M. Bossuyt, E. De Groot, L. Lavrysen, A. Alen, J.-P. Snappe, J.-P. Moerman, E. Derycke et J. Spreutels, assistée du greffier P.-Y. Dutilleux, présidée par le président M. Melchior, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet du recours et procédure Par requête adressée à la Cour par lettre recommandée à la poste le 28 février 2006 et parvenue au greffe le 1er mars 2006, un recours en annulation des articles 1er et 2, c), du décret de la Communauté française du 20 juillet 2005 relatif aux droits complémentaires perçus dans l'enseignement supérieur non universitaire (publié au Moniteur belge du 31 août 2005, deuxième édition) a été introduit par l'ASBL « Fédération des Etudiant(e)s Francophones », dont le siège social est établi à 1210 Bruxelles, chaussée de Haecht 25, Aurian Bourguinon, demeurant à 1325 Chaumont-Gistoux, rue du Fief de Liège 8, et Lionel Mulpas, demeurant à 7300 Boussu, rue Ferrer 42. (...) II. En droit (...) B.1. Il apparaît de l'ensemble de la requête que le recours porte sur les articles 1er et 2, c), du décret de la Communauté française du 20 juillet 2005 relatif aux droits complémentaires perçus dans l'enseignement supérieur non universitaire. Ces dispositions énoncent : «

Article 1er.Les droits perçus par les Hautes Ecoles, les Ecoles supérieures des Arts et les Instituts supérieurs d'Architecture jusqu'à l'année académique 2004-2005 incluse, complémentairement au minerval imposé par l'article 12, § 2, alinéa 1er et 2, de la loi du 29 mai 1959 modifiant certaines dispositions de la législation de l'enseignement ne seront en aucune façon remboursés.

L'alinéa 1er n'est pas applicable : 1° aux droits complémentaires qui auraient été perçus en violation des articles 12, § 2, alinéas 3 à 5, de la même loi;2° aux remboursements ordonnés par des décisions de justice rendues à la suite d'une action introduite devant les cours et tribunaux avant le 5 juillet 2005;3° aux droits qui excèdent un montant maximum par année académique correspondant à sept fois le montant du minerval imposé par l'article 12, § 2, alinéa 1er et 2, précités.

Art. 2.A l'article 12, § 2, de la loi du 29 mai 1959 modifiant certaines dispositions de la législation de l'enseignement, modifié par la loi du 5 août 1978, l'arrêté royal n° 462 du 17 septembre 1986, et les décrets des 12 juillet 1990, 9 septembre 1996 et 2 décembre 1996, sont apportées les modifications suivantes : [...] c) le § 2 est complété par les alinéas suivants : ' Pour l'année académique 2005-2006, ne sont pas considérés comme perception d'un droit complémentaire, les frais appréciés au coût réel afférents aux biens et services fournis individuellement à l'étudiant. Ces frais sont mentionnés dans le règlement des études propre à chaque établissement. Ils ne peuvent excéder les montants imposés par les établissements pour l'année académique 2004-2005.

Pour l'année académique 2006-2007 et les années académiques suivantes, le Gouvernement fixe, respectivement, pour les Hautes Ecoles, les Ecoles supérieures des Arts et les Instituts supérieurs d'Architecture la liste des frais appréciés au coût réel afférents aux biens et services fournis aux étudiants qui ne sont pas considérés comme perception d'un droit complémentaire. Ces frais sont mentionnés dans le règlement des études propre à chaque établissement. ' » B.2.1. L'article 12, § 2, de la loi du 29 mai 1959 modifiant certaines dispositions de la législation de l'enseignement, ainsi modifié, disposait, dans la rédaction qui lui a été donnée par le décret attaqué : « § 2. Un minerval est imposé aux étudiants des établissements d'enseignement supérieur de plein exercice de type court et de type long.

Le Gouvernement fixe le montant de ce minerval : 1° dans l'enseignement supérieur de type court, entre 124 EUR et 161 EUR; 2° [...] 3° dans l'enseignement supérieur de type long, entre 248 EUR et 372 EUR;4° à 50 EUR pour l'inscription à une agrégation de l'enseignement secondaire supérieur ou à une épreuve complémentaire. En ce qui concerne les étudiants bénéficiant d'une allocation octroyée par le service d'allocations d'études de la Communauté française en vertu de la loi du 19 juillet 1971 relative à l'octroi d'allocations et de prêts d'études et du décret du 7 novembre 1983 réglant pour la Communauté française les allocations et les prêts d'études coordonné le 7 novembre 1983, ainsi que les étudiants titulaires d'une attestation de boursier délivrée par l'administration générale de la Coopération au Développement, ces montants sont ramenés respectivement à 25 EUR dans l'enseignement supérieur de type court, et à 37 EUR dans l'enseignement supérieur de type long. Pour les étudiants visés dans le présent alinéa, il ne peut être prélevé de droits complémentaires en plus du minerval qui leur est appliqué.

Pour les étudiants qui ne sont pas visés à l'alinéa 3, ces droits complémentaires ne peuvent excéder le montant de 422 euros pour l'enseignement supérieur de type long et de 282 euros pour l'enseignement supérieur de type court. En outre, ces droits complémentaires ne peuvent excéder les montants imposés par les établissements pour l'année académique 2004-2005. Les commissaires du Gouvernement vérifient le respect de la présente disposition.

Les plafonds fixés à l'alinéa 4 sont diminués chaque année académique de dix pour cent du montant initial.

Pour les étudiants de condition modeste, ces plafonds sont diminués chaque année académique de vingt pour cent du montant initial. Le Gouvernement définit ce qu'il y a lieu d'entendre par étudiant de condition modeste.

Pour les étudiants qui ne sont pas visés à l'alinéa 3, qui demandent à être inscrits dans une haute école et pour lesquels l'article 8 du décret du 9 septembre 1996 relatif au financement des hautes écoles organisées ou subventionnées par la Communauté française s'applique, il ne peut y avoir de différence de traitement par rapport aux étudiants demandant leur inscription dans une même catégorie de la même haute école, qui ne sont pas visés à l'alinéa 3 et pour lesquels l'article 8 du décret du 9 septembre 1996 précité ne s'applique pas.

Pour les étudiants qui ne sont pas visés à l'alinéa 3, qui demandent à être inscrits dans un établissement d'enseignement artistique supérieur ou supérieur artistique, visé à l'article 6, § 1er, du décret du 5 août 1995 portant diverses mesures en matière d'enseignement supérieur et pour lesquels l'article 9 du décret du 5 août 1995 précité s'applique, il ne peut y avoir de différence de traitement par rapport aux étudiants demandant leur inscription dans une même section du même établissement d'enseignement artistique supérieur ou supérieur artistique visé à l'alinéa 6, § 1er, du décret du 5 août 1995 précité, qui ne sont pas visés à l'article 3 et pour lesquels l'article 9 du décret du 5 août 1995 précité ne s'applique pas.

Les montants visés au présent paragraphe sont liés à l'indice des prix à la consommation, selon la formule suivante : Montant de base x indice du mois de novembre précédant l'ouverture de l'année académique concernée;Indice de novembre 1991 [Le Gouvernement] fixe le mode de recouvrement du minerval.

Pour l'année académique 2005-2006, ne sont pas considérés comme perception d'un droit complémentaire, les frais appréciés au coût réel afférents aux biens et services fournis individuellement à l'étudiant.

Ces frais sont mentionnés dans le règlement des études propre à chaque établissement. Ils ne peuvent excéder les montants imposés par les établissements pour l'année académique 2004-2005.

Pour l'année académique 2006-2007 et les années académiques suivantes, le Gouvernement fixe, respectivement, pour les Hautes Ecoles, les Ecoles supérieures des Arts et les Instituts supérieurs d'Architecture la liste des frais appréciés au coût réel afférents aux biens et services fournis aux étudiants qui ne sont pas considérés comme perception d'un droit complémentaire. Ces frais sont mentionnés dans le règlement des études propre à chaque établissement ».

B.2.2. L'article 12, § 2, précité a été ensuite modifié, notamment, par le décret du 20 juillet 2006 relatif aux droits et aux frais perçus dans l'enseignement supérieur non universitaire. Comme s'accordent à le reconnaître les parties dans leurs mémoires complémentaires, cette modification est sans incidence sur le présent recours en annulation, si ce n'est, comme l'indique le Gouvernement de la Communauté française, en ce que l'article 12, § 2, alinéa 11, de la loi du 29 mai 1959 (ajouté par le décret du 20 juillet 2005), qui règle les frais appréciés au coût réel pouvant être réclamés aux étudiants pour l'année académique 2006-2007 et les années académiques suivantes, voit son application modalisée par l'article 12, § 2, alinéa 15 (ajouté par le décret du 20 juillet 2006), qui fixe un plafond au montant total pouvant, pour ces années académiques, être réclamé aux étudiants au titre de minerval, de droits complémentaires et de frais appréciés au coût réel.

B.3.1. D'après ses statuts, la « Fédération des Etudiant(e)s Francophones » a notamment pour objet « de rassembler, d'informer, d'exprimer, de défendre les intérêts et de concrétiser l'opinion des étudiant(e)s inscrit(e)s dans les établissements d'enseignement supérieur situés en Communauté française de Belgique [...] sur tous les problèmes mettant en cause, de près ou de loin, leurs droits, devoirs, intérêts pédagogiques, sociaux, culturels et économiques ainsi que leurs droits immatériels en jouant le rôle d'organe représentatif, voire actif, auprès de l'opinion publique et des autorités compétentes à tous les niveaux de décisions tant à l'intérieur qu'à l'extérieur de l'Etat belge ».

B.3.2. Les autres requérants affirment être des étudiants inscrits dans un établissement d'enseignement auquel s'applique la disposition attaquée.

B.3.3. Le recours introduit par une a.s.b.l. qui a pour objet la défense des intérêts des étudiants des établissements supérieurs visés par le décret attaqué est recevable à l'égard de dispositions qui, comme en l'espèce, ont pour objet d'exclure le remboursement de droits perçus par ces établissements (article 1er) et de permettre à ceux-ci de percevoir des sommes représentant les frais afférents aux biens et services fournis à l'étudiant (article 2, c).

B.3.4. Dès lors que le recours est recevable en ce qui concerne l'une des parties requérantes, la Cour ne doit pas examiner s'il l'est aussi en ce qui concerne les autres.

Quant à l'article 1er du décret attaqué B.4.1. Les parties requérantes reprochent à l'article 1er de valider les droits perçus, par les établissements d'enseignement qu'il vise, complémentairement au minerval imposé par l'article 12, § 2, alinéas 1er et 2, de la loi du 29 mai 1959. Elles font valoir que cette disposition violerait les articles 10, 11 et 24 de la Constitution lus en combinaison avec les articles 2.1 et 13 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels et avec l'article 2 du Premier Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme, en ce que ces dispositions imposeraient l'instauration progressive de la gratuité de l'enseignement supérieur (et, par là, un effet de standstill ) et s'opposeraient à une validation ayant des effets discriminatoires et portant atteinte au principe de légalité.

B.4.2. La validation des droits visés par l'article 1er du décret attaqué implique, rétroactivement, celle de mesures prises par les établissements d'enseignement qui les ont perçus.

B.4.3. La non-rétroactivité des lois est une garantie qui a pour but de prévenir l'insécurité juridique et qui exige que le contenu du droit soit prévisible et accessible, de sorte que chacun puisse prévoir, de manière raisonnable, les conséquences d'un acte déterminé, au moment où cet acte se réalise.

La rétroactivité des lois ne peut être justifiée que lorsqu'elle est indispensable pour réaliser un objectif d'intérêt général.

B.4.4. L'exposé des motifs du projet devenu le décret attaqué indique : « Dans un jugement prononcé le 10 février 2005, le tribunal de première instance de Namur a dit pour droit que la perception par une Haute Ecole [...] de ' droits complémentaires au minerval (à l'exclusion des droits administratifs) 'était ' illégale '.

Ce jugement considère en effet que le législateur a ' laissé subsister une situation de flou juridique, tolérant donc la situation de fait existante, sauf en ce qui concerne les étudiants bénéficiaires d'allocations d'études ' » (Doc. parl., Parlement de la Communauté française, 2004-2005, n° 143/1, p. 3).

Selon le même exposé des motifs, l'article 58 du décret du 9 septembre 1996 relatif au financement des hautes écoles organisées ou subventionnées par la Communauté française a été présenté d'une manière qui a pu permettre à celles-ci d'estimer pouvoir percevoir des droits complémentaires au minerval. L'article 58 précité modifiait en effet l'article 12, § 2, de la loi du 29 mai 1959 et interdisait, en ce qui concerne les étudiants boursiers, de prélever des droits complémentaires en plus du minerval qui leur est appliqué. On lit à ce propos, dans l'exposé des motifs précité : « Cette disposition a pu être interprétée par les Hautes Ecoles comme leur reconnaissant le droit de percevoir à charge des étudiants non bénéficiaires de bourses ou d'allocations d'études, des droits complémentaires au minerval. Telle avait d'ailleurs été la lecture qu'en avait faite la section de législation du Conseil d'Etat dans l'avis rendu sur cet avant-projet (doc. P.C.F., n° 97-1, 1995-1996, p. 42). Au cours de la discussion en commission ou en séance plénière, aucun propos n'est venu démentir cette interprétation » (Doc. parl., Parlement de la Communauté française, 2004-2005, n° 143/1, p. 4).

Le même exposé des motifs constate encore que si les droits en cause devaient être remboursés par les établissements qui les ont perçus au-delà du minerval prévu par la loi du 29 mai 1959, un grand nombre d'entre eux seraient contraints de fermer leurs portes, de sorte que la disposition attaquée est présentée comme répondant à « un motif impérieux d'intérêt général, à savoir la survie des établissements d'enseignement qui serait menacée si le jugement du tribunal de première instance de Namur devait faire jurisprudence et que les étudiants qui ont acquitté ces droits venaient en grand nombre en exiger le remboursement » (ibid., p. 5).

En réponse à l'avis du Conseil d'Etat qui admettait le caractère adéquat de la justification de la validation législative en cause, mais suggérait de motiver davantage les implications financières négatives d'un éventuel remboursement des droits, il fut indiqué : « Les implications financières d'un remboursement massif des droits d'inscription complémentaires sont potentiellement les suivantes : le montant estimé des droits perçus étant d'environ euro 15.000.000 par an et la prescription pour réclamer ces droits devant les juridictions de 10 ans, l'impact potentiel si tous les étudiants introduisaient un recours et obtenaient in fine gain de cause serait de euro 150.000.000, hors indexation et intérêts judiciaires.

Ce montant est à comparer avec le budget annuel des Hautes Ecoles qui est de euro 310.000.000.

Il est évident que les écoles ne pourraient absorber le contrecoup d'une succession de recours qui aboutiraient à des décisions de remboursement.

Par ailleurs, outre le remboursement, certains établissements devraient subir une réduction brutale de leurs recettes de parfois plus de 10 % ce qui nuirait de manière considérable à la qualité de l'enseignement dispensé et à la stabilité de l'encadrement pédagogique » (ibid., p. 7).

B.4.5. La première critique des parties requérantes concerne l'obligation de standstill en matière d'instauration progressive de la gratuité de l'enseignement qui découlerait des dispositions qu'elles invoquent.

B.4.6. L'article 24, § 3, de la Constitution dispose en son alinéa 1er : « Chacun a droit à l'enseignement dans le respect des libertés et droits fondamentaux. L'accès à l'enseignement est gratuit jusqu'à la fin de l'obligation scolaire ».

B.4.7. L'article 13 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels dispose notamment : « 1. Les Etats parties au présent Pacte reconnaissent le droit de toute personne à l'éducation. Ils conviennent que l'éducation doit viser au plein épanouissement de la personnalité humaine et du sens de sa dignité et renforcer le respect des droits de l'homme et des libertés fondamentales. Ils conviennent en outre que l'éducation doit mettre toute personne en mesure de jouer un rôle utile dans une société libre, favoriser la compréhension, la tolérance et l'amitié entre toutes les nations et tous les groupes raciaux, ethniques ou religieux et encourager le développement des activités des Nations Unies pour le maintien de la paix. 2. Les Etats parties au présent Pacte reconnaissent qu'en vue d'assurer le plein exercice de ce droit : a) L'enseignement primaire doit être obligatoire et accessible gratuitement à tous;b) L'enseignement secondaire sous ses différentes formes, y compris l'enseignement secondaire technique et professionnel, doit être généralisé et rendu accessible à tous par tous les moyens appropriés et notamment par l'instauration progressive de la gratuité;c) L'enseignement supérieur doit être rendu accessible à tous en pleine égalité, en fonction des capacités de chacun, par tous les moyens appropriés et notamment par l'instauration progressive de la gratuité;d) L'éducation de base doit être encouragée ou intensifiée, dans toute la mesure possible, pour les personnes qui n'ont pas reçu d'instruction primaire ou qui ne l'ont pas reçue jusqu'à son terme;e) Il faut poursuivre activement le développement d'un réseau scolaire à tous les échelons, établir un système adéquat de bourses et améliorer de façon continue les conditions matérielles du personnel enseignant. [...] ».

La lecture de l'article 13.2 précité fait apparaître que l'« enseignement primaire », l'« enseignement secondaire sous ses différentes formes » et l'« enseignement supérieur » font l'objet de dispositions et de traitements distincts. L'enseignement primaire doit « être obligatoire et accessible gratuitement à tous »; l'enseignement secondaire doit « être généralisé et rendu accessible à tous »; l'enseignement supérieur doit « être rendu accessible à tous en pleine égalité, en fonction des capacités de chacun ».

En ce qui concerne l'enseignement primaire, la gratuité est un objectif qui doit être immédiatement réalisé.

En ce qui concerne l'enseignement secondaire et l'enseignement supérieur, les objectifs inscrits dans le Pacte doivent être poursuivis « par tous les moyens appropriés et notamment par l'instauration progressive de la gratuité ».

B.4.8. L'article 2.1 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels dispose : « Chacun des Etats parties au présent Pacte s'engage à agir, tant par son effort propre que par l'assistance et la coopération internationales, notamment sur les plans économique et technique, au maximum de ses ressources disponibles, en vue d'assurer progressivement le plein exercice des droits reconnus dans le présent Pacte par tous les moyens appropriés, y compris en particulier l'adoption de mesures législatives ».

B.4.9. La lecture combinée des articles 2.1 et 13.2 du Pacte fait apparaître que l'égalité d'accès - envisagée par le Pacte - à l'enseignement secondaire et à l'enseignement supérieur doit être instaurée progressivement dans les Etats contractants, en tenant compte des possibilités économiques et de la situation des finances publiques spécifique à chacun de ces Etats, et non pas selon des conditions temporelles strictement uniformes.

Les litterae b) et c) de l'article 13.2 du Pacte ne font donc pas naître un droit à l'accès gratuit à l'enseignement autre que primaire.

Ces dispositions s'opposent toutefois à ce que la Belgique, après l'entrée en vigueur du Pacte à son égard - le 21 juillet 1983 -, prenne des mesures qui iraient à l'encontre de l'objectif de l'accès en pleine égalité à l'enseignement supérieur qui doit être réalisé, notamment, par l'instauration progressive de la gratuité.

B.4.10. L'article 2 du Premier Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme dispose : « Nul ne peut se voir refuser le droit à l'instruction. L'Etat, dans l'exercice des fonctions qu'il assumera dans le domaine de l'éducation et de l'enseignement, respectera le droit des parents d'assurer cette éducation et cet enseignement conformément à leurs convictions religieuses et philosophiques ».

B.4.11. Un minerval était perçu en 1983 pour l'accès à l'enseignement supérieur de type court et de type long. Selon l'exposé du ministre, « [il était] fixé à 250 francs pour l'enseignement supérieur non universitaire de type court depuis 1958 et à 5 000 francs, pour l'enseignement supérieur non universitaire de type long depuis 1978 » (Doc. parl., Parlement de la Communauté française, 1989-1990, n° 147/2, p. 3).

L'obligation de standstill, résultant du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels et mentionnée en B.4.9, n'implique pas que ces droits ne puissent être augmentés, postérieurement à 1983, en fonction notamment, d'une part, d'une appréciation raisonnable de l'évolution du coût de la vie, de celle du produit national et de l'élévation du revenu moyen par habitant, par rapport à l'époque où ils ont été fixés et, d'autre part, de motifs liés à l'intérêt général mentionnés notamment à l'article 2.1 du Pacte, en particulier en fonction des ressources disponibles.

B.4.12. Compte tenu des motifs avancés pour justifier la validation critiquée, exposés en B.4.4, la mesure en cause ne porte pas une atteinte injustifiée à l'obligation de standstill définie en B.4.9.

En effet, d'une part, l'absence d'une telle mesure a pu raisonnablement être jugée de nature à menacer la survie des établissements scolaires qu'elle concerne - ce qui constitue l'objectif d'intérêt général évoqué en B.4.3 -, alors que mettre ces établissements en graves difficultés financières pourrait être de nature à porter au droit à l'enseignement une atteinte bien plus grande que celle que l'article 1er porte au but d'assurer progressivement la gratuité de cet enseignement. Il y a lieu, à cet égard, d'observer que les droits complémentaires ont été perçus sur la base d'une mesure prise tant par l'autorité à laquelle s'imposait l'obligation définie en B.4.9 que par les établissements d'enseignement dont le décret attaqué vise à garantir la survie et qui ont pu se méprendre, ainsi que cela a été exposé en B.4.4, sur la possibilité qu'ils avaient de percevoir ou non, de manière régulière, des droits complémentaires.

D'autre part, la mesure critiquée par les requérants est accompagnée de garanties tendant à éviter qu'elle ait des effets disproportionnés, telles qu'elles sont énumérées à l'article 1er, alinéa 2, du décret attaqué, notamment en s'abstenant d'intervenir dans les procédures qui seraient pendantes devant les juridictions. Elle est aussi accompagnée, pour l'avenir, de dispositions visant à limiter progressivement le montant des droits complémentaires perçus jusqu'à leur suppression pure et simple (article 2, a) et b), du décret attaqué) et à accorder aux établissements d'enseignement concernés une « allocation d'aide à la démocratisation de l'accès à l'enseignement supérieur » (articles 3 à 5 du décret attaqué).

Par ailleurs, l'article 2 du Premier Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme n'établit nullement le principe de la gratuité de l'enseignement. Le moyen ne peut donc être retenu en ce qu'il dénonce une violation de l'article 24 de la Constitution combiné avec cette disposition.

B.4.13. La deuxième critique des parties requérantes concerne le principe d'égalité en ce que la validation des droits en cause porterait sur des droits complémentaires dont le montant varie d'un établissement d'enseignement à l'autre, créant ainsi autant de différences de traitement injustifiées entre les étudiants.

Le législateur décrétal a constaté qu'il était nécessaire de faire obstacle au remboursement des droits complémentaires afin de garantir la survie financière des établissements qui les ont perçus; il a pu raisonnablement considérer que le montant de ces droits a été déterminé par ces établissements en fonction de leurs besoins financiers propres. Ces besoins ne sont pas uniformes puisque le contenu de l'enseignement et les projets pédagogiques varient d'un établissement à l'autre, même pour des options identiques. Dès lors, le législateur décrétal n'a pas pris une mesure portant une atteinte disproportionnée aux droits des intéressés en validant, dans les limites qu'il a fixées, la perception de ces droits complémentaires.

B.4.14. La troisième critique des parties requérantes concerne le plafond en deçà duquel, conformément à l'article 1er, alinéa 2, 3°, les droits complémentaires ne sont pas remboursés.

Les travaux préparatoires du décret indiquent à cet égard : « [...], ce plafond a été fixé en tenant compte de plusieurs critères : - la nécessité de ne pas mettre trop d'établissements en trop grande difficulté, dans un souci impérieux d'intérêt général, à savoir la préservation du service public d'enseignement - une étude des droits actuellement perçus.

Celle-ci a fait apparaître que le montant des compléments qui peuvent être actuellement perçus sous le vocable ' droits d'inscription complémentaire ' varient de euro 0 à 620 tandis que ceux perçus sous le vocable ' frais administratifs ' varient de euro 0 à 1 150.

L'addition de ces deux montants donne un plafond total en sus du minerval qui pourrait théoriquement atteindre euro 1 770 en plus du minerval. Un plafond fixé à 7 fois le minerval de type court équivaut à euro 1 120, ce qui est inférieur au montant théorique ainsi calculé.

La mesure est donc raisonnable » (Doc. parl., Parlement de la Communauté française, 2004-2005, n° 143/1, p. 7; dans le même sens, n° 143/6, p. 6).

Le plafond défini par la disposition attaquée ne peut donc être considéré comme ayant été déterminé d'une manière dépourvue de toute pertinence. Il est vrai que les parties requérantes observent que le document n° 5 joint au mémoire de la Communauté française, et indiquant les montants réclamés par les divers établissements concernés au titre de droits d'inscription complémentaire et de frais administratifs au cours de l'année académique 2004-2005, montre, d'une part, que les montants maximaux sont, respectivement, de 620 euros et de 995,40 euros et, d'autre part, que le montant maximal cumulé des uns et des autres s'élève à 995,40 euros - certains établissements ne perçoivent qu'un seul type de montant -, ce qui est en deçà du montant de 1 120 euros mentionné par les travaux préparatoires. Toutefois, indépendamment même du fait que les travaux préparatoires précités ne mentionnent pas l'année académique à laquelle se rapportent les montants qu'ils citent, l'on peut admettre que le législateur décrétal, constatant que certains établissements percevaient à la fois des droits d'inscription complémentaires et des frais administratifs, ait estimé devoir prendre en compte un montant maximal cumulé.

B.4.15. La quatrième critique des parties requérantes porte sur le principe de légalité, en ce que l'article 1er du décret attaqué ne répondrait pas aux exigences de l'article 24, § 5, de la Constitution.

La Cour constate que la disposition attaquée fixe elle-même les éléments permettant de déterminer la mesure dans laquelle le remboursement des droits complémentaires est écarté.

B.4.16. Le moyen n'est pas fondé.

Quant à l'article 2, c), du décret attaqué B.5.1. Les parties requérantes reprochent à l'article 2, c), de permettre aux établissements d'enseignement qu'il vise de porter en compte, en plus des droits complémentaires, les frais appréciés au coût réel afférents aux biens et services fournis individuellement à l'étudiant. Elles font valoir que cette disposition viole les articles 10, 11 et 24 de la Constitution lus en combinaison avec les articles 2.1 et 13 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels et avec l'article 2 du Premier Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme, en ce que ces dispositions imposeraient l'instauration progressive de la gratuité de l'enseignement supérieur, et, par là, un effet de standstill, et s'opposeraient à ce que le montant des frais en cause puisse varier d'un établissement à l'autre en violation du principe d'égalité et à ce qu'ils soient déterminés par les établissements ou par le Gouvernement, en violation du principe de légalité.

B.5.2. Les sommes dont le payement peut être exigé en vertu de l'article 2, c), du décret attaqué représentent le coût des biens et services qu'il vise. Elles sont ainsi destinées à permettre aux établissements d'enseignement de couvrir des dépenses spécifiques qu'ils exposent pour les étudiants et ne concernent donc pas l'accès aux études supérieures. Contrairement à ce qu'affirment les requérants, la disposition qui les prévoit n'est pas incompatible avec l'article 24, § 3, de la Constitution lu en combinaison avec l'article 13 du Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels et avec l'obligation de standstill mentionnée en B.4.9.

B.5.3. Les requérants critiquent aussi l'article 2, c), en ce que les frais qu'il vise pourraient varier d'un établissement à l'autre et créer ainsi une rupture d'égalité entre les étudiants et en ce qu'ils ne sont pas fixés par le législateur décrétal.

B.5.4. En prévoyant que les frais en cause doivent être appréciés au coût réel, le législateur décrétal s'est exprimé avec suffisamment de précision et une évaluation manifestement déraisonnable pourrait être censurée par le juge. Compte tenu du caractère de ces sommes, le législateur décrétal a pu charger le Gouvernement d'en établir la liste (à partir de l'année académique 2006-2007) afin d'en permettre l'adaptation à l'évolution des besoins plus rapidement que si le vote d'un décret modificatif s'avérait chaque fois nécessaire. A cet égard, la circonstance que le décret du 20 juillet 2006 visé en B.2.2 modifie l'article 12, § 2, de la loi du 29 mai 1959 afin de fixer, à l'alinéa 15, un plafond au montant total pouvant être réclamé aux étudiants aux titre de minerval, de droits complémentaires et de frais appréciés au coût réel, n'implique pas que les dispositions antérieures, qui ne fixaient pas un tel plafond et qui font l'objet du recours, seraient contraires aux dispositions visées par le moyen, l'inconstitutionnalité d'une règle ancienne ne pouvant se déduire de sa seule modification par une règle nouvelle. Enfin, dès lors que les coûts exposés par les établissements d'enseignement pour les biens et services fournis aux étudiants peuvent ne pas être uniformes compte tenu de ce que l'enseignement, les cours et le matériel pédagogique peuvent varier d'un établissement à l'autre, même pour des options identiques, leur prise en charge par ceux-ci peut varier de la même manière sans porter une atteinte discriminatoire aux droits des intéressés.

B.5.5. Le moyen n'est pas fondé.

Par ces motifs, la Cour rejette le recours.

Ainsi prononcé en langue française, en langue néerlandaise et en langue allemande, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d'arbitrage, à l'audience publique du 21 février 2007.

Le greffier, P.-Y. Dutilleux.

Le président, M. Melchior.

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