Etaamb.openjustice.be
Arrêt
publié le 09 mars 2007

Extrait de l'arrêt n° 8/2007 du 11 janvier 2007 Numéro du rôle : 3999 En cause : les questions préjudicielles relatives à l'article 221, § 1 er , de la loi générale sur les douanes et accises, coordonnée par l'arrêté royal du La Cour d'arbitrage, composée des présidents A. Arts et M. Melchior, et des juges L. Lavrysen, J(...)

source
cour d'arbitrage
numac
2007200639
pub.
09/03/2007
prom.
--
moniteur
https://www.ejustice.just.fgov.be/cgi/article_body(...)
Document Qrcode

COUR D'ARBITRAGE


Extrait de l'arrêt n° 8/2007 du 11 janvier 2007 Numéro du rôle : 3999 En cause : les questions préjudicielles relatives à l'article 221, § 1er, de la loi générale sur les douanes et accises, coordonnée par l'arrêté royal du 18 juillet 1977, posées par le Tribunal correctionnel de Termonde.

La Cour d'arbitrage, composée des présidents A. Arts et M. Melchior, et des juges L. Lavrysen, J.-P. Snappe, J.-P. Moerman, E. Derycke et J. Spreutels, assistée du greffier P.-Y. Dutilleux, présidée par le président A. Arts, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet des questions préjudicielles et procédure Par jugement du 15 mai 2006 en cause du ministre des Finances et du ministère public contre H. Baglietto et autres, dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour d'arbitrage le 14 juin 2006, le Tribunal correctionnel de Termonde a posé les questions préjudicielles suivantes : 1. « L'article 221, § 1er, de la loi générale relative aux douanes et accises du 18 juillet 1977 (Moniteur belge du 21 septembre 1977), ci-après dénommée L.G.D.A., viole-t-il les articles 10 et 11 de la Constitution ainsi que l'article 6.1 de la Convention européenne des droits de l'homme, dans la mesure où il ne laisse au juge répressif aucune marge pour apprécier l'amende qui y est prévue, égale au décuple des droits fraudés, alors que les dispositions pénales de droit commun, en prévoyant un minimum et un maximum ou l'application de circonstances atténuantes, offrent au juge répressif la possibilité de déterminer lui-même dans une certaine mesure le taux de la peine en fonction des circonstances concrètes de la cause et des principes généraux de droit, parmi lesquels le principe de proportionnalité ? »; 2. « L'article 221, § 1er, de la L.G.D.A. viole-t-il les articles 10 et 11 de la Constitution et l'article 6.1 de la Convention européenne des droits de l'homme, dans la mesure où il ne permet pas au juge répressif, en cas d'application de circonstances atténuantes, de modérer l'amende qui y est prévue, égale au décuple des droits fraudés, alors qu'il laisse cette latitude à l'administration, laquelle est autorisée, en vertu de l'article 263 de la L.G.D.A., à transiger en l'espèce en présence de circonstances atténuantes ? »; 3. « L'article 221, § 1er, de la L.G.D.A. viole-t-il les articles 10 et 11 de la Constitution et l'article 6.1 de la Convention européenne des droits de l'homme, dans la mesure où il n'offre pas au juge répressif la possibilité de modérer l'amende qui y est prévue, égale au décuple des droits fraudés, selon l'importance de la fraude constatée, alors que l'article 239 de la L.G.D.A. prévoit, pour une fraude comparable, une amende égale au décuple ou au double des droits fraudés, en fonction de l'importance de la fraude ? ». (...) III. En droit (...) B.1. L'article 221, § 1er, de la loi générale sur les douanes et accises, coordonnée par l'arrêté royal du 18 juillet 1977, (en abrégé : « L.G.D.A. ») énonce : « Dans les cas prévus par l'article 220, les marchandises seront saisies et confisquées, et les contrevenants encourront une amende égale au décuple des droits fraudés, calculée d'après les droits les plus élevés de douanes ou d'accises ».

B.2. L'article 221, § 1er, de la L.G.D.A. prévoit une amende invariable, égale au décuple des droits fraudés, sans que soient prévues une peine minimale et une peine maximale entre lesquelles le juge pourrait choisir. La disposition litigieuse ne permet pas davantage au juge de prendre en compte des circonstances atténuantes.

L'article 221, § 1er, de la L.G.D.A. restreint dès lors la liberté d'appréciation du juge pour ce qui est de la peine à infliger.

Le juge a quo demande à la Cour, par trois questions préjudicielles, d'examiner si cette disposition viole les articles 10 et 11 de la Constitution et l'article 6.1 de la Convention européenne des droits de l'homme, lus en combinaison.

La première question préjudicielle invite la Cour à opérer une comparaison par rapport au droit pénal commun, qui permet généralement au juge de déterminer la peine dans les limites d'une peine minimale et maximale fixées par la loi et de tenir compte de circonstances atténuantes pour infliger une sanction en deçà du minimum légal (articles 79 à 85 du Code pénal).

La deuxième question préjudicielle invite la Cour à comparer les pouvoirs du juge répressif avec ceux de l'Administration des douanes et accises, laquelle peut, par application de l'article 263 de la L.G.D.A., transiger, notamment à propos de l'amende « toutes et autant de fois que l'affaire sera accompagnée de circonstances atténuantes, et qu'on pourra raisonnablement supposer que l'infraction doit être attribuée plutôt à une négligence ou erreur qu'à l'intention de fraude préméditée ».

La troisième question compare l'amende égale au décuple des droits éludés, prévue à l'article 221, § 1er, de la L.G.D.A., à l'amende prévue à l'article 239 de la L.G.D.A., qui énonce : « § 1er. Lorsqu'à la vérification en détail de marchandises d'accises acheminées sous régime d'accise vers une destination autorisée, il sera constaté un manquant par rapport à la déclaration en matière d'accise ou au document d'accise délivré, le déclarant ou le titulaire du document délivré encourra, de ce chef, une amende égale au décuple de l'accise due sur la quantité manquante. § 2. L'amende prévue au § 1er sera réduite au double de l'accise due sur la quantité reconnue manquante lorsque celle-ci n'excédera pas un douzième de la quantité déclarée ou mentionnée au document. § 3. Indépendamment des amendes prévues aux § § 1er et 2, les droits d'accise sur la quantité reconnue manquante devront être acquittés ».

B.3. L'article 221, § 1er, de la L.G.D.A. s'inscrit dans le cadre du droit pénal douanier, qui relève du droit pénal spécial et par lequel le législateur, sur la base d'un système spécifique de recherche et de poursuite pénales, entend combattre l'ampleur et la fréquence des fraudes dans une matière particulièrement technique relative à des activités souvent transfrontalières et régie en grande partie par une abondante réglementation européenne. La constatation des infractions en matière de douanes et accises est souvent rendue difficile par le nombre de personnes qui interviennent dans le commerce et par la mobilité des marchandises sur lesquelles les droits sont dus.

Dans ce cadre, le législateur a assorti d'amendes très lourdes les infractions en matière de douanes et accises pour empêcher que des fraudes soient commises en vue d'obtenir les gains énormes qu'elles peuvent engendrer. En vue de justifier la lourdeur de l'amende, il a toujours été soutenu que celle-ci non seulement constituerait une peine individuelle assortie d'un caractère fortement dissuasif pour l'auteur, mais viserait également à rétablir l'ordre économique perturbé et à assurer la perception des impôts dus. Le fait de permettre au juge répressif de tenir compte de circonstances atténuantes serait incompatible avec l'objectif consistant à réprimer la fraude fiscale.

B.4. Puisqu'elles portent essentiellement sur la compétence du juge répressif pour fixer le taux de la peine et l'adapter aux circonstances concrètes de la cause en modérant l'amende visée à l'article 221, § 1er, de la L.G.D.A., les trois questions préjudicielles sont traitées conjointement.

B.5.1. Sous la réserve qu'il ne peut prendre une mesure manifestement déraisonnable, le législateur démocratiquement élu peut vouloir déterminer lui-même la politique répressive et exclure ainsi le pouvoir d'appréciation du juge.

Le législateur a toutefois opté à diverses reprises pour l'individualisation des peines, en abandonnant au juge un choix, limité par un maximum et un minimum, quant à la sévérité de la peine, en lui permettant de tenir compte de circonstances atténuantes qui l'autorisent à infliger une peine inférieure au minimum légal et en l'autorisant à accorder des mesures de sursis et de suspension du prononcé.

B.5.2. L'impossibilité pour le juge d'adoucir la peine en deçà des limites fixées par la disposition en cause provient de ce qu'en l'absence d'une disposition expresse dans la loi pénale particulière, les dispositions du Code pénal relatives aux circonstances atténuantes ne peuvent être appliquées (article 100 du Code pénal).

B.5.3. Il appartient au législateur d'apprécier s'il est souhaitable de contraindre le juge à la sévérité quand une infraction nuit particulièrement à l'intérêt général, spécialement dans une matière qui, comme en l'espèce, donne lieu à une fraude importante. Cette sévérité peut concerner non seulement le niveau de la peine pécuniaire, mais aussi la faculté offerte au juge d'adoucir la peine en deçà des limites fixées s'il existe des circonstances atténuantes.

La Cour ne pourrait censurer pareil choix que si celui-ci était manifestement déraisonnable ou si la disposition litigieuse avait pour effet de priver une catégorie de prévenus du droit à un procès équitable devant une juridiction impartiale et indépendante, garanti par l'article 6.1 de la Convention européenne des droits de l'homme.

B.6.1. La manière dont l'amende est déterminée par l'article 221, § 1er, de la L.G.D.A. répond aux objectifs poursuivis par le législateur tels qu'ils ont été exposés en B.3.

B.6.2. La Cour doit cependant examiner la comparaison qui est faite, dans la deuxième question préjudicielle, entre l'impossibilité, pour le juge répressif, de tenir compte de circonstances atténuantes et la faculté laissée à l'administration, par l'article 263 de la L.G.D.A., de transiger s'il existe de telles circonstances.

B.7.1. Aux termes de l'article 263 de la L.G.D.A., il pourra être transigé, par l'administration, notamment en ce qui concerne l'amende, « toutes et autant de fois que l'affaire sera accompagnée de circonstances atténuantes, et qu'on pourra raisonnablement supposer que l'infraction doit être attribuée plutôt à une négligence ou erreur qu'à l'intention de fraude préméditée ».

B.7.2. Le fait que le juge pénal n'a pas une compétence équivalente à celle que l'article 263 de la L.G.D.A. confère à l'administration n'est cependant pas compatible avec l'article 6.1 de la Convention européenne des droits de l'homme et avec le principe général de droit pénal qui exige que rien de ce qui appartient au pouvoir d'appréciation de l'administration n'échappe au contrôle du juge.

B.7.3. Il est vrai que, dans toutes les matières où elle est permise, la transaction met fin à l'action publique sans contrôle du juge. Mais le prévenu peut généralement, si la transaction ne lui est pas proposée ou s'il la refuse, faire valoir devant un juge l'existence de circonstances atténuantes.

En l'espèce, le prévenu est libre d'accepter la transaction qui lui serait proposée par l'administration mais s'il la refuse, ou si elle ne lui est pas proposée, il ne pourra jamais faire apprécier par un juge s'il existe des circonstances atténuantes justifiant que l'amende soit réduite en deçà du montant fixé par la loi.

B.7.4. Il est vrai également que le juge peut ordonner la suspension du prononcé de la condamnation ou le sursis à l'exécution des peines, en application de la loi du 29 juin 1964Documents pertinents retrouvés type loi prom. 29/06/1964 pub. 27/11/2009 numac 2009000776 source service public federal interieur Loi concernant la suspension, le sursis et la probation. - Coordination officieuse en langue allemande fermer concernant la suspension, le sursis et la probation. Mais les pouvoirs confiés au juge par cette loi ne sont pas les mêmes que ceux qu'il tient de l'article 85 du Code pénal et que la L.G.D.A. confie à l'administration.

B.8. Les questions préjudicielles appellent une réponse affirmative.

Par ces motifs, la Cour dit pour droit : L'article 221, § 1er, de la loi générale sur les douanes et accises, coordonnée par l'arrêté royal du 18 juillet 1977, viole les articles 10 et 11 de la Constitution, lus en combinaison avec l'article 6.1 de la Convention européenne des droits de l'homme, en ce que cette disposition ne permet pas au juge pénal, s'il existe des circonstances atténuantes, de modérer l'amende qu'elle prévoit.

Ainsi prononcé en langue néerlandaise et en langue française, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d'arbitrage, à l'audience publique du 11 janvier 2007.

Le greffier, P.-Y. Dutilleux.

Le président, A. Arts.

^