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Arrêt
publié le 23 juin 2006

Extrait de l'arrêt n° 92/2006 du 7 juin 2006 Numéro du rôle : 3715 En cause : le recours en annulation du décret de la Région wallonne du 10 novembre 2004 « instaurant un système d'échange de quotas d'émission de gaz à effet de serre, créan La Cour d'arbitrage, composée des présidents M. Melchior et A. Arts, et des juges P. Martens, M.(...)

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COUR D'ARBITRAGE


Extrait de l'arrêt n° 92/2006 du 7 juin 2006 Numéro du rôle : 3715 En cause : le recours en annulation du décret de la Région wallonne du 10 novembre 2004 « instaurant un système d'échange de quotas d'émission de gaz à effet de serre, créant un Fonds wallon Kyoto et relatif aux mécanismes de flexibilité du Protocole de Kyoto », introduit par la SA Cockerill Sambre et la SA de droit luxembourgeois Arcelor.

La Cour d'arbitrage, composée des présidents M. Melchior et A. Arts, et des juges P. Martens, M. Bossuyt, E. De Groot, L. Lavrysen, A. Alen, J.-P. Snappe, J.-P. Moerman et J. Spreutels, assistée du greffier P.-Y. Dutilleux, présidée par le président M. Melchior, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet du recours et procédure Par requête adressée à la Cour par lettre recommandée à la poste le 2 juin 2005 et parvenue au greffe le 3 juin 2005, la SA Cockerill Sambre, dont le siège social est établi à 4102 Seraing, Quai d'Ougnée 14, et la SA de droit luxembourgeois Arcelor, qui a fait élection de domicile à 1000 Bruxelles, rue Bréderode 13, ont introduit un recours en annulation du décret de la Région wallonne du 10 novembre 2004 « instaurant un système d'échange de quotas d'émission de gaz à effet de serre, créant un Fonds wallon Kyoto et relatif aux mécanismes de flexibilité du Protocole de Kyoto » (publié au Moniteur belge du 2 décembre 2004).

Le Gouvernement wallon et le Gouvernement flamand ont introduit des mémoires, les parties requérantes ont introduit un mémoire en réponse et le Gouvernement wallon et le Gouvernement flamand ont également introduit des mémoires en réplique.

Par ordonnance du 31 janvier 2006, la Cour a déclaré l'affaire en état et fixé l'audience au 1er mars 2006 après avoir invité les parties à exposer, dans un mémoire complémentaire à introduire le 23 février 2006 au plus tard, et dont elles échangeraient une copie dans le même délai, leur point de vue quant à l'incidence sur la procédure pendante devant la Cour d'arbitrage du recours introduit par une des parties requérantes devant le Tribunal de première instance des Communautés européennes contre la directive 2003/87/CE. (...) III. En droit (...) Quant à la recevabilité du recours B.1. Le Gouvernement wallon et le Gouvernement flamand soutiennent que les parties requérantes n'auraient pas intérêt au recours, l'essentiel des griefs qu'elles imputent au décret de la Région wallonne du 10 novembre 2004 « instaurant un système d'échange de quotas d'émission de gaz à effet de serre, créant un Fonds wallon Kyoto et relatif aux mécanismes de flexibilité du Protocole de Kyoto » découlant en réalité soit de la directive 2003/87/CE du Parlement européen et du Conseil du 13 octobre 2003 « établissant un système d'échange de quotas d'émission de gaz à effet de serre dans la Communauté européenne et modifiant la directive 96/61/CE du Conseil », soit des arrêtés du Gouvernement wallon pris en exécution du décret précité.

B.2.1. S'il est exact que des actes réglementaires ont dû être pris et devront l'être, en application du décret entrepris, qui sont susceptibles d'affecter les parties requérantes, le décret qu'elles entreprennent pose, en application de la directive précitée, des règles relatives au fonctionnement du système d'échange des quotas d'émission, en ce compris les règles relatives à l'élaboration d'un plan d'allocation, à l'allocation, à la délivrance et à la gestion des quotas d'émission de gaz à effet de serre. Le décret entrepris établit aussi les sanctions en cas d'infraction aux obligations qu'il contient. Il est de ce fait susceptible d'affecter défavorablement la première partie requérante qui a donc intérêt à en demander l'annulation.

B.2.2. La première exception d'irrecevabilité est rejetée.

B.3. La deuxième partie requérante, la société mère de la première partie requérante, a intérêt à l'annulation du décret entrepris dès lors que celui-ci peut faire obstacle aux restructurations du groupe métallurgique qu'elle prévoit et que, par conséquent, le décret peut nuire aux intérêts économiques de cette partie.

La deuxième exception d'irrecevabilité est rejetée.

Quant à la recevabilité du mémoire du Gouvernement wallon B.4. Les parties requérantes font valoir que le mémoire du Gouvernement wallon serait irrecevable, ayant été déposé par « la Région wallonne, représentée par le Ministre Benoît Lutgen ». Il s'ensuivrait que n'ayant pas été déposé par la personne désignée par l'article 85 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d'arbitrage, à savoir le Gouvernement wallon, il devrait être écarté des débats.

B.5. Il apparaît que le mémoire en réponse et le mémoire en réplique ont été introduits en application de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d'arbitrage, en réponse à la notification du recours adressée au Gouvernement wallon, conformément à l'article 76, § 4, de la même loi spéciale. Bien qu'il soit écrit dans le préambule du premier mémoire introduit que c'est la Région wallonne qui agit, il apparaît de la lecture des pièces déposées par le Gouvernement wallon que ces mémoires ont été rédigés et introduits en vertu d'une décision du Gouvernement, lequel a chargé son ministre de l'Environnement d'exécuter celle-ci.

L'exception d'irrecevabilité est rejetée.

Quant à la recevabilité du mémoire du Gouvernement flamand B.6. Les parties requérantes font valoir que le mémoire du Gouvernement flamand serait irrecevable à défaut d'avoir été déposé dans le délai de quarante-cinq jours prévu par l'article 85 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d'arbitrage. Elles soutiennent que le cachet de la poste indiquerait que l'envoi a été effectué le 2 août 2005 alors que celui-ci aurait dû l'être le 1er août. Elles en déduisent que le mémoire est irrecevable en vertu de l'article 86 de la loi spéciale précitée.

B.7. Les différentes mentions apposées par les services postaux sur l'envoi du mémoire laissant planer une incertitude, le mémoire ne doit pas être écarté des débats.

L'exception d'irrecevabilité est rejetée.

Quant à la portée du recours B.8.1. Les parties requérantes demandent l'annulation totale du décret de la Région wallonne du 10 novembre 2004 précité. Cependant, leurs moyens étant dirigés et développés uniquement à l'encontre des articles 5, 7 et 12 du décret précité, la Cour limite son contrôle à ces trois articles.

B.8.2. L'article 5 du décret entrepris dispose : « Pour chaque année de la période de référence, le Gouvernement arrête la partie de la quantité totale de quotas destinée à être allouée initialement aux exploitants des établissements. Ces quotas leur sont délivrés au plus tard le 28 février de chaque année de la période de référence.

Le Gouvernement peut retirer ou modifier la décision de délivrance à titre gratuit des quotas par tranche d'un an, en ce qui concerne la ou les années qui restent à courir dans la période de référence considérée, en cas de : 1° cessation définitive de l'exploitation d'un établissement;2° arrêt de l'exploitation pour une durée d'au moins deux ans d'une installation ou d'une activité;3° modification notable conduisant une installation ou une activité à ne plus être visée par le système d'échange de quotas d'émission de gaz à effet de serre spécifiés;4° caducité du permis d'environnement. Les quotas non délivrés en vertu de l'alinéa précédent sont versés dans la réserve de quotas destinée à être allouée aux nouveaux entrants.

Le Gouvernement peut fixer des modalités d'exécution du présent article ».

L'article 7 du décret entrepris dispose : « § 1er. Toute personne peut détenir des quotas.

Les quotas peuvent être transférés entre personnes titulaires d'un compte dans un registre : 1° sur le territoire de l'Union européenne; 2° sur le territoire de l'Union européenne et celles titulaires d'un registre dans des pays tiers, à la condition que les quotas aient fait l'objet d'une reconnaissance mutuelle avec ces pays tiers, en application de l'article 12, § 3, de la directive 2003/87/C.E. précitée. § 2. Les quotas délivrés au sein de l'Union européenne en vertu de plans d'allocation adoptés en application de la directive précitée et les quotas délivrés dans des pays tiers qui ont fait l'objet d'une reconnaissance mutuelle en application de la directive précitée sont automatiquement reconnus aux fins du respect des obligations incombant aux exploitants, en application du § 3. § 3. Les quotas sont valables pour toute la période de référence pour laquelle ils ont été alloués, pour autant qu'ils n'aient pas été restitués ou annulés. § 4. Au plus tard le 30 avril de chaque année, l'exploitant d'un établissement dans lequel interviennent une ou des installations ou activités désignées par le Gouvernement émettant des gaz à effet de serre spécifiés restitue au Gouvernement, sur la base d'une déclaration des émissions de gaz à effet de serre vérifiée, le nombre de quotas correspondant aux émissions spécifiées totales de l'établissement au cours de l'année civile écoulée.

L'exploitant fournit, au plus tard pour le 30 avril de chaque année, au Gouvernement un rapport décrivant la manière dont il a géré ses émissions de gaz à effet de serre spécifiés. § 5. Quatre mois après le début d'une nouvelle période de référence, le Gouvernement annule les quotas de la période de référence antérieure qui ne sont plus valables et qui n'auraient pas été restitués et annulés conformément au § 3.

A partir de la période qui débute le 1er janvier 2013, le Gouvernement délivre des quotas aux personnes pour la période en cours, afin de remplacer tous les quotas de la période de référence précédente qu'elles détenaient et qui ont été annulés conformément à l'alinéa 1er. § 6. Le Gouvernement peut à tout moment annuler des quotas à la demande de la personne qui les détient. § 7. Le Gouvernement peut fixer les modalités d'application du présent article ».

L'article 12 du décret entrepris dispose : « § 1er. Tout exploitant qui, au plus tard le 30 avril de chaque année, ne restitue pas un nombre de quotas suffisant pour couvrir ses émissions de gaz à effet de serre spécifiés de l'année précédente est tenu de payer une amende sur les émissions excédentaires : 1° pour la première période de référence, l'amende est fixée à 40 euros pour chaque tonne d'équivalent-dioxyde de carbone émise par un établissement pour laquelle l'exploitant n'a pas restitué de quotas;2° pour les périodes de référence suivantes, l'amende est de 100 euros pour chaque tonne d'équivalent-dioxyde de carbone émise par un établissement pour laquelle l'exploitant n'a pas restitué de quotas. § 2. Le paiement de l'amende ne libère pas l'exploitant de l'obligation de restituer un nombre de quotas égal aux émissions excédentaires au plus tard lors de la restitution des quotas correspondant à l'année civile suivante. § 3. Tant que l'exploitant ne les restitue pas conformément à l'article 7, les quotas qu'il détient ne peuvent être cédés à partir du 1er mai, à concurrence de la quantité considérée par le Gouvernement comme devant être restituée. § 4. Les modalités de perception de l'amende sont fixées par le Gouvernement.

Ces amendes sont versées dans le fonds visé à l'article 13. § 5. Le nom de l'exploitant qui est en défaut de restituer suffisamment de quotas est publié au Moniteur belge . § 6. Le Gouvernement arrête les modalités d'application du présent article ».

Quant au fond B.9. Le décret attaqué transpose, pour la Région wallonne, la directive 2003/87/CE du Parlement européen et du Conseil du 13 octobre 2003 « établissant un système d'échange de quotas d'émission de gaz à effet de serre dans la Communauté et modifiant la directive 96/61/CE du Conseil ». Cette directive s'inscrit dans la perspective de la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques signée à Rio de Janeiro, lors de la conférence tenue du 3 au 14 juin 1992, approuvée par la décision 94/69/CE du Conseil du 15 décembre 1993 et ratifiée par la Belgique, le 16 janvier 1996 (Moniteur belge du 2 avril 1997). L'objet de la Convention-cadre est de stabiliser les concentrations de gaz à effet de serre dans l'atmosphère à un niveau qui empêche toute perturbation anthropique dangereuse du système climatique.

Le 11 décembre 1997 a été signé le Protocole de Kyoto à la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques.

Celui-ci a été approuvé par la décision 2002/358/CE du Conseil relative à l'approbation, au nom de la Communauté européenne, du Protocole de Kyoto à la Convention-cadre des Nations Unies citée ci-dessus et ratifié par la Belgique le 31 mai 2002.

La Communauté européenne et les Etats membres sont convenus de remplir conjointement leurs engagements de réduire leurs émissions anthropiques de gaz à effet de serre, dans des conditions économiquement efficaces et performantes. Tel est l'objet de la directive 2003/87/CE précitée (article 1). Chaque installation qui entre dans le champ d'application de la directive (annexe I) et émettant des gaz à effet de serre (annexe II) doit, depuis le 1er janvier 2005, être titulaire d'une autorisation d'émettre pareils gaz (article 4). Parallèlement, chaque exploitant d'une installation titulaire d'une autorisation se voit attribuer un nombre de quotas (article 11), un quota autorisant son titulaire à émettre une tonne de gaz à effet de serre spécifié (article 3, a)). La méthode d'allocation des quotas choisie par la directive écarte, avant la mise en route du marché, la mise aux enchères de ces quotas puisque les Etats membres doivent allouer gratuitement et directement aux exploitants concernés les quotas à l'exception de 5 pour cent de ceux-ci pendant les trois premières années et de 10 pour cent pour la période de cinq ans qui débute le 1er janvier 2008 (article 10). A la fin de chaque année civile, le titulaire de l'autorisation doit justifier, auprès de l'autorité compétente, chacune de ses émissions de gaz à effet de serre par la restitution d'un nombre équivalent de quotas (article 12, paragraphe 3). Des sanctions sont prévues en vue de faire respecter cette obligation.

Les quotas sont librement transférables soit entre personnes dans la Communauté soit entre personnes dans la Communauté et personnes ressortissantes de pays tiers où ces quotas sont reconnus (article 12, paragraphe 1). Ainsi, le système mis en place par la directive pour permettre aux exploitants de respecter leur obligation de restitution de quotas offre-t-il à ces derniers une alternative : soit ils réduisent leurs émissions de gaz à effet de serre, soit ils acquièrent des quotas supplémentaires dont la valeur est établie par le marché.

Chaque Etat membre doit élaborer, pour chaque période de référence, un plan national d'allocation de quotas (article 9) destiné à déterminer la quantité de quotas à attribuer ainsi que leur répartition entre les différentes exploitations visées par la directive.

Le 8 mars 2004, un accord a été signé entre l'Etat fédéral et les régions, aux termes duquel chaque région est responsable de la transposition de la directive pour son territoire. La Région wallonne est, aux termes de cet accord, tenue de réduire ses émissions de 1990 de 7,5 p.c.; la Région flamande, de 5,2 p.c. et la Région de Bruxelles-Capitale, de 3,475 p.c.

Le 27 janvier 2005, le Gouvernement wallon a pris un arrêté fixant le plan wallon des quotas d'émission de gaz à effet de serre. Aux termes de ce plan, le montant total de quotas d'émission attribués pour la première période est de 25.868.639 pour 128 sites concernés. Le même jour, le Gouvernement wallon a pris un arrêté fixant l'attribution initiale des quotas d'émission de gaz à effet de serre pour chaque exploitant concerné pour la période 2005-2007. Cet arrêté a été publié au Moniteur belge du 10 février 2005.

Quant au premier moyen B.10. Le premier moyen est pris de la violation du principe d'égalité et de non-discrimination garanti par les articles 10 et 11 de la Constitution, de son article 16, lu en combinaison avec l'article 1er du Premier Protocole additionnel de la Convention européenne des droits de l'homme, ainsi, enfin, que de l'article 6, § 1er, VI, alinéa 3, de la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles.

Les parties requérantes reprochent au système de quotas d'émission de gaz à effet de serre, tel qu'il résulte de la directive 2003/87/CE du 13 octobre 2003 précité et que transpose le décret wallon du 10 novembre 2004, d'opérer une discrimination entre les installations et activités relevant des secteurs de l'énergie, de la production et de la transformation de métaux ferreux, de l'industrie minérale et d'autres secteurs (notamment de la fabrication de papier et de carton), qui sont soumises à ce système, et certaines entreprises non couvertes - celles qui relèvent de la production de métaux non ferreux et chimique. Les parties requérantes soutiennent que ces dernières émettent une quantité de gaz à effet de serre au moins équivalente à celle émise par le secteur de l'acier dont elles relèvent, que les deux types de situation seraient comparables, que la différence de traitement ne reposerait sur aucun critère objectif et raisonnable et que les mesures mises en place seraient disproportionnées au regard de l'objectif tant de la directive que du décret entrepris.

Les parties requérantes considèrent que ce même système porte atteinte, sans justification raisonnable et de manière disproportionnée, à leur droit de propriété, d'une part, et à leur liberté de commerce et d'industrie, d'autre part. L'exploitation de leurs usines de production d'acier serait, en effet, considérablement affectée par le système de quotas d'émission. Au prix du marché actuel du quota d'émission, le bénéfice de la première partie requérante serait entièrement absorbé par le coût complémentaire qu'engendrerait l'acquisition de quotas supplémentaires, rendant ainsi impossibles les investissements normaux. Elles estiment encore que le système des sanctions établi par la directive et transposé par le décret est disproportionné et impose lui aussi des charges injustifiées aux entreprises concernées.

Enfin, les parties requérantes considèrent que le système mis en place porterait atteinte à la sécurité juridique : seuls les opérateurs soumis au système d'échange des quotas d'émission devraient faire face aux incertitudes que crée la réglementation dénoncée, à l'exclusion des opérateurs non concernés.

Les parties requérantes considèrent que les violations ainsi relevées des règles du droit constitutionnel par le décret attaqué résultent de la transposition en droit interne de la directive 2003/87/CE dont la validité doit être appréciée au regard du droit communautaire primaire. C'est pourquoi elles estiment que la Cour est tenue de poser à la Cour de justice des Communautés européennes la question préjudicielle suivante : « La directive 2003/87/CE du Parlement européen et du Conseil du 13 octobre 2003 établissant un système d'échange de quotas d'émission de gaz à effet de serre dans la Communauté européenne et modifiant la directive 96/61/CE, en particulier les articles 4, 6, § 3, e), 12, § 3, 9, 16, §§ 2-4°, lus en combinaison avec l'article 2 de l'annexe I et 1 de l'annexe III, viole-t-elle les droits fondamentaux de propriété et d'exercer une activité économique, les principes d'égalité et non-discrimination, le principe de proportionnalité et les principes de sécurité juridique et de protection des droits des individus contenus dans le droit communautaire, en ce que ladite Directive : - inclut dans son champ d'application les activités pour la production de fonte et d'acier alors que sont exclues des activités concurrentes émettrices d'une quantité supérieure ou similaire de gaz à effet de serre, en l'occurrence les industries de l'aluminium et chimique (production de plastique); - de par l'inclusion dans son champ d'application, des secteurs de la production de fonte et d'acier, vise l'acier en tant que matériau, alors que les émissions des gaz à effet de serre du matériau plastique ne sont pas prises en compte, ni partiellement, ni entièrement, parce que ni l'industrie chimique, ni celle du traitement des déchets, ne sont visées par la Directive; - inclut dans son champ d'application les activités pour la production de fonte et d'acier alors que, dans l'état actuel de la technologie, il leur est impossible de réduire de façon significative leurs émissions de gaz à effet de serre; - impose aux producteurs de fonte et d'acier des obligations financières considérables et indéterminées, surtout en vue de ce que, d'une part, ils ne disposent pas de la faculté technologique de réduire leurs émissions de gaz à effet de serre d'une manière significative et, d'autre part ils sont confrontés à une situation concurrentielle aiguë et d'une clientèle concentrée, et que ces producteurs ne sont plus à même d'organiser leur activité économique avec la sécurité juridique nécessaire ? ».

B.11. En vertu de l'article 234, premier alinéa, du Traité instituant la Communauté européenne, « la Cour de justice est compétente pour statuer, à titre préjudiciel : [...] b) sur la validité et l'interprétation des actes pris par les institutions de la Communauté et par la BCE [...] ».

Les deuxième et troisième alinéas du même article disposent : « Lorsqu'une telle question est soulevée devant une juridiction d'un des Etats membres, cette juridiction peut, si elle estime qu'une décision sur ce point est nécessaire pour rendre son jugement, demander à la Cour de justice de statuer sur cette question.

Lorsqu'une telle question est soulevée dans une affaire pendante devant une juridiction nationale dont les décisions ne sont pas susceptibles d'un recours juridictionnel de droit interne, cette juridiction est tenue de saisir la Cour de justice ».

B.12.1. La directive 2003/87/CE est une mesure de protection de l'environnement fondée sur l'article 175 du Traité CE. L'article 176 du Traité CE dispose : « Les mesures de protection arrêtées en vertu de l'article 175 ne font pas obstacle au maintien et à l'établissement, par chaque Etat membre, de mesures de protection renforcées. Ces mesures doivent être compatibles avec le présent traité. Elles sont notifiées à la Commission ».

B.12.2. Aux termes du quinzième considérant de la directive visée ci-dessus, « le champ d'application du système communautaire peut donc être étendu aux émissions de gaz à effet de serre autres que le dioxyde de carbone, notamment dans la métallurgie de l'aluminium ou de l'industrie chimique ». Aux termes du seizième considérant, « la présente directive ne devrait pas empêcher les Etats membres de maintenir ou d'établir des systèmes d'échange nationaux réglementant les émissions de gaz à effet de serre provenant, soit d'activités autres que celles qui sont énumérées à l'annexe I ou qui sont incluses dans le système communautaire, soit d'installations temporairement exclues du système communautaire ». Enfin, le vingt-quatrième considérant dispose qu'« il peut être recouru à la fiscalité au niveau national pour limiter les émissions des installations qui sont exclues temporairement ».

B.12.3. Il en résulte que la directive 2003/87/CE n'empêche en aucune manière les Etats membres d'étendre à d'autres activités le champ d'application du régime établi de l'échange des quotas d'émission de gaz à effet de serre ou, à défaut, de prévoir des mesures fiscales appropriées.

B.13. Dès lors que, contrairement à ce qu'allèguent les parties requérantes, la directive 2003/87/CE n'empêche en aucun cas le législateur décrétal wallon d'étendre le champ d'application du régime relatif aux quotas d'émission de gaz à effet de serre à d'autres activités et que, partant, elle ne saurait être à l'origine des griefs imputés dans le premier moyen à la norme qui fait l'objet du contrôle par la Cour dans l'actuel recours, il ne peut être fait droit à la demande de poser la question préjudicielle que les parties requérantes formulent dans ce premier moyen, la question n'étant pas pertinente.

Compte tenu du pouvoir d'appréciation qui est laissé par la directive au législateur décrétal de la manière dont il doit transposer la norme communautaire, la validité des dispositions du décret entrepris doit être contrôlée au regard des seules dispositions invoquées au moyen.

B.14. Aux termes de son article 1er, alinéa 2, le décret wallon du 10 novembre 2004 entrepris « établit un système d'échange de quotas d'émission de gaz à effet de serre, dans des conditions économiquement efficaces et performantes », et il habilite le Gouvernement wallon à adopter un plan d'allocation des quotas d'émission de gaz à effet de serre, conformément aux principes qu'il édicte (article 3, § 1er) et dans le respect des dispositions communautaires (article 3, §§ 2, 7 et 8).

Il ressort de l'article 2 du décret et de l'exposé des motifs (Doc. parl., Parlement wallon, S.E. 2004, n° 7-1, pp. 6-7) que le décret n'entend pas s'écarter des choix faits par la directive 2003/87/CE précitée dans ses annexes I et II, ni en ce qui concerne les catégories d'activités visées par le régime des quotas qu'il établit, ni en ce qui concerne les gaz à effet de serre visés.

B.15. Selon les travaux préparatoires de la directive 2003/87/CE (COM (2001) 581 final, pp.10 et 11), le champ d'application du régime des quotas d'émission de gaz a été déterminé en tenant compte du double objectif de l'instauration de ce dernier, à savoir réduire les émissions de gaz à effet de serre, et ce dans des conditions économiquement efficaces et performantes.

Ainsi, le choix des gaz visés est déterminé par leur mesurabilité, celle-ci étant tributaire de leur diffusion : de ce point de vue, le dioxyde de carbone (CO2), seul gaz finalement retenu parmi les six gaz à effet de serre cités dans l'annexe II, est celui dont les émissions sont le plus facilement mesurables. Il a aussi été décidé de distinguer les gaz selon leur provenance : seuls les gaz provenant d'activités collectives (« upstream ») sont visés, à l'exclusion des gaz provenant d'émissions individuelles (« downstream »), tels ceux émis par les véhicules automobiles ou les gaz provenant de la consommation des ménages.

Quant au choix des activités économiques visées, seules celles qui émettent, en grande quantité, du CO2 ont été, dans un premier temps, retenues, compte tenu de la mesurabilité de ce gaz mais aussi de ce qu'il représente 46 p.c. des gaz à effet de serre émis dans l'Union européenne.

Le critère sur la base duquel certaines activités ont été choisies plutôt que d'autres est donc objectif.

Il peut être admis que, dans une première phase de la lutte contre les émissions de gaz à effet de serre, la Région wallonne ait, dans l'esprit de la directive européenne, limité le champ d'application du régime d'échange des quotas d'émission aux activités produisant la plus grande quantité de dioxyde de carbone. Les industries de métaux non ferreux et les industries chimiques qui ne sont pas visées émettent soit des gaz à effet de serre moins facilement mesurables, soit du C02 en quantité beaucoup plus réduite.

La différence de traitement est aussi proportionnée à l'objectif visé : il a été tenu compte, pour l'attribution des quotas, de la réalité industrielle, eu égard à l'objectif Kyoto qui est imparti à l'Etat belge et, en particulier, à la Région wallonne, cet objectif environnemental devant être considéré comme participant d'un intérêt public supérieur.

B.16. Les mêmes considérations valent en ce qui concerne la violation alléguée de la liberté de commerce et d'industrie et du droit de propriété des parties requérantes sur leurs usines de production d'acier.

Les limitations que le régime des quotas impose en l'espèce aux parties requérantes ne portent en rien atteinte à leur droit de propriété sur les installations qu'elles exploitent et ne les empêchent en aucune façon de définir une politique industrielle et économique. S'il est vrai que cette politique pourra nécessiter certaines adaptations afin de répondre aux exigences du régime des quotas, celles-ci sont, pour les motifs exposés en B.15, raisonnables et proportionnées à l'objectif visé.

Il convient en particulier d'observer qu'en ce qui concerne le régime des sanctions établi par l'article 12 du décret entrepris, qui transpose à cet égard le système de l'article 16 de la directive, les amendes qui peuvent être perçues en cas de non-restitution, par un exploitant, du nombre de quotas suffisant pour couvrir ses émissions de gaz à effet de serre spécifiés de l'année précédente constituent une mesure régulatrice, adaptée aux exigences du système d'échange des quotas d'émission de gaz à effet de serre, qui doit inciter les intéressés à respecter leurs obligations en matière de réduction d'émission de gaz à effet de serre, de sorte que les objectifs internationaux et européens applicables à la Belgique et à la Région wallonne en ce qui concerne cette réduction puissent être atteints. Le montant des amendes a été fixé non seulement en fonction du surcoût escompté nécessité par la réduction des gaz à effet de serre émis, mais également en fonction de la nécessité d'encourager en permanence les intéressés soit à acquérir suffisamment de quotas d'émission pour répondre aux exigences du décret, soit à modifier leur comportement afin de diminuer l'émission de gaz nocifs, plutôt que de se contenter de payer les amendes. La sanction ainsi prévue a un caractère non seulement incitatif, mais également compensatoire, en tant qu'aux termes de l'article 12, § 4, du décret entrepris, « ces amendes sont versées dans le fonds visé à l'article 13 » (le Fonds wallon Kyoto) qui utilise ces ressources pour financer des projets et des mesures favorisant la réduction des émissions de gaz à effet de serre.

B.17. Enfin, la Cour n'est pas compétente pour contrôler directement le respect d'un principe de sécurité juridique. En ce que la violation de ce principe serait alléguée en corrélation avec la violation du principe d'égalité et de non-discrimination, le grief ne serait pas fondé pour les motifs exposés en B.15.

B.18. Le premier moyen ne peut être accueilli.

Quant au deuxième moyen B.19. Le deuxième moyen est pris de la violation des articles 10, 11 et 16 de la Constitution et de l'article 1er du Premier Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme par l'article 5, alinéas 2 à 4, du décret entrepris en ce qu'il autorise le Gouvernement à retirer ou à modifier la décision de délivrance des quotas notamment en cas de cessation définitive de l'exploitation ou d'un arrêt de l'exploitation pour une durée d'au moins deux ans. Cette violation pourrait s'accompagner d'une violation de la directive 2003/87/CE dont une interprétation pourrait être, selon les parties requérantes, qu'elle interdirait que des quotas d'émission soient retirés dans les conditions précitées.

B.20. Les parties requérantes demandent, dès lors, à la Cour, avant de statuer sur le deuxième moyen, de poser à la Cour de justice des Communautés européennes une question préjudicielle en interprétation de la directive 2003/87/CE ainsi formulée : « La Directive 2003/87/CE du Parlement européen et du Conseil du 13 octobre 2003 établissant un système d'échange de quotas d'émission de gaz à effet de serre dans la Communauté européenne et modifiant la Directive 96/61/CE, plus spécialement ses articles 11, 12 et 29 ainsi que le critère 10 de l'annexe III doivent-ils être interprétés de telle sorte que l'Etat membre peut autoriser son Gouvernement à retirer ou modifier la décision de délivrance de quotas à titre gratuit par tranche d'un an, en ce qui concerne la ou les années qui restent à courir pendant la période de référence en cas de 1) cessation définitive de l'exploitation de l'établissement, 2) arrêt de l'exploitation pour une durée d'au moins deux ans d'une installation ou d'une activité, 3) modification notable conduisant une installation ou une activité à ne plus être visée par le système d'échange de quotas d'émission de gaz à effets de serre spécifiés et 4) caducité du permis d'environnement ? ».

B.21. Lorsqu'une question, qui porte sur l'interprétation du droit communautaire, est soulevée dans une affaire pendante devant une juridiction nationale dont les décisions ne sont pas susceptibles d'un recours juridictionnel de droit interne, cette juridiction est tenue, conformément à l'article 234, troisième alinéa, du Traité C.E., de poser cette question à la Cour de justice. Ce renvoi n'est cependant pas nécessaire lorsque cette juridiction a constaté « que la question soulevée n'est pas pertinente ou que la disposition communautaire en cause a déjà fait l'objet d'une interprétation de la part de la Cour ou que l'application correcte du droit communautaire s'impose avec une telle évidence qu'elle ne laisse place à aucun doute raisonnable » (C.J.C.E., 6 octobre 1982, S.R.L. CILFIT et autres c. Ministère italien de la Santé, 283/81, Rec., 1982, p. 3415).

B.22. Selon la directive, chaque Etat membre doit, pour la période de trois ans qui commence le 1er janvier 2005, allouer à tous les exploitants d'installations qui entrent dans son champ d'application des quotas d'émission sur la base d'un plan national d'allocation élaboré en application de l'article 9 de la directive, conformément à l'article 10 et en tenant compte des observations formulées par le public (article 11, paragraphe 1).

Le plan national d'allocation précise la quantité totale de quotas qu'il a l'intention d'allouer pour la période considérée ainsi que la manière dont il se propose de les allouer. Le plan doit se fonder sur des critères objectifs et transparents, incluant les critères énumérés à l'annexe III, en tenant dûment compte des observations formulées par le public (article 9, paragraphe 1). Les plans nationaux d'allocation sont examinés au sein du comité visé à l'article 23, paragraphe 1 (article 9, paragraphe 2). La Commission peut rejeter ce plan ou une partie de celui-ci en cas d'incompatibilité avec les critères énoncés à l'annexe III ou avec les dispositions de l'article 10 et ce, dans les trois mois qui suivent la notification d'un plan national par un Etat membre (article 9, paragraphe 3).

B.23. La directive détermine le mode d'allocation de la quantité totale des quotas d'émission avec le plus de précision possible parce que le système des quotas d'émission disponibles doit tenir compte de l'obligation pour l'Etat membre de limiter ses émissions en vue de réaliser les objectifs que la Communauté européenne et les Etats membres se sont engagés ensemble à atteindre dans le cadre du Protocole de Kyoto à la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques. Le premier critère de l'annexe III de la directive précise que la quantité totale de quotas à allouer « n'est pas supérieure à celle nécessaire, selon toute vraisemblance, à l'application stricte des critères fixés dans la présente annexe ».

Pour la période allant jusqu'à 2008, la quantité totale doit être compatible avec un scénario aboutissant à ce que chaque Etat membre puisse atteindre, voire faire mieux que l'objectif qui lui a été assigné en vertu de la décision 2003/358/CE et du Protocole de Kyoto.

Le sixième critère précise, ensuite, que le plan doit contenir des confirmations sur les moyens qui permettront aux nouveaux entrants de commencer à participer au système communautaire dans l'Etat membre concerné.

A cela s'ajoute que, conformément à l'article 10 de la directive, les Etats membres doivent allouer au moins 95 p.c. des quotas à titre gratuit, pour la période qui commence le 1er janvier 2005.

B.24. Compte tenu de ce que la directive tend à déterminer avec le plus de précision possible le mode d'allocation de la quantité totale de quotas d'émission, dans le respect des critères énumérés dans son annexe III, on ne peut pas interpréter la directive - en raison des contraintes qu'elle impose et en l'absence de disposition expresse en sens contraire - comme interdisant de retirer et ensuite d'ajouter à la réserve pour les nouveaux entrants les quotas d'émission non utilisés pendant l'année qui suit (a) la cessation définitive de l'exploitation d'un établissement, (b) l'arrêt de l'exploitation pour une durée d'au moins deux ans, (c) la modification notable d'une installation conduisant à ce qu'elle ne soit plus visée par le système, (d) la caducité du permis d'environnement.

Il convient enfin d'observer que la plupart des plans nationaux d'allocation qui ont été approuvés par la Commission européenne comprennent ce même type de dispositions.

Il résulte de ce qui précède que la manière d'appliquer correctement le droit communautaire s'impose avec une telle évidence qu'elle ne laisse place à aucun doute raisonnable, de sorte qu'il n'est pas nécessaire de poser à la Cour de justice des Communautés européennes la question suggérée.

B.25. Le décret entrepris comme la directive 2003/87/CE font une distinction entre l'autorisation qui est donnée à une exploitation d'émettre des gaz à effet de serre et l'allocation à cette exploitation, une fois l'autorisation obtenue, d'un certain nombre de quotas d'émission. Ce sont les articles 5 et 6 de la directive qui prescrivent dans quelles conditions se fait la délivrance de cette autorisation et le contenu de celle-ci. Cette autorisation prend la forme, dans le décret de la Région wallonne, d'un permis d'environnement, tel qu'il est visé notamment à l'article 2, 4°, a) et b), et 7°, ou à l'article 5, 4°.

B.26. Conformément à l'article 10 de la directive 2003/87/CE, les quotas d'émission sont alloués, selon l'article 5, alinéa 2, du décret, à titre gratuit et par tranche d'un an. Cette allocation se fait, aux termes de l'article 4 du même décret, sur la base du plan wallon d'allocation qui doit, selon l'article 3 du décret, être adopté dans le respect du droit national, communautaire et international.

L'allocation se fonde sur des critères objectifs et transparents, en particulier ceux repris à l'annexe III précitée de la directive. Le même article 5, alinéa 2, précise aussi que le Gouvernement peut retirer ou modifier la délivrance de ces quotas dans quatre cas, dont celui de la cessation définitive de l'exploitation.

B.27.1. Contrairement à ce que soutiennent les parties requérantes, l'exploitant visé par le décret n'est pas encore propriétaire des quotas qui lui avaient été alloués initialement par application de l'article 4, § 1er, alinéa 2, du décret entrepris mais qui ne lui ont pas encore été délivrés par application de l'article 5, alinéa 1er, du même décret. La non-délivrance, pour une nouvelle période d'un an, de quotas qui lui avaient certes été alloués initialement mais qui ne lui ont pas encore été effectivement délivrés, ne peut pas davantage être considérée comme une expropriation au sens de l'article 16 de la Constitution.

Par ailleurs, l'exploitant sait, au moment où les quotas d'émission lui sont initialement alloués par application de l'article 4, § 1er, alinéa 2, que ceux-ci peuvent, pour une période à venir, lui être « retirés » (c'est-à-dire : peuvent ne pas lui être délivrés effectivement) dans les quatre hypothèses visées à l'article 5, alinéa 2. En outre, il peut encore échanger les quotas qui lui ont été effectivement délivrés pour l'année en cours, mais qui n'ont pas été utilisés. Il est vrai qu'une fois effectivement délivré, le quota devient un bien négociable puisqu'aux termes du décret (article 7) et de la directive (article 12), toute personne (physique ou morale) peut détenir des quotas et que ceux-ci peuvent être transférés selon les règles prescrites par les deux dispositions précitées. Toutefois, une personne qui a acquis des quotas d'émission et qui, par hypothèse, n'exploite pas un établissement qui émet des gaz à effet de serre n'est pas dans la même situation que l'exploitant à qui sont alloués des quotas d'émission qui doivent être restitués en raison des émissions de gaz à effet de serre qu'il provoque.

B.27.2. Il résulte de ceci que le législateur décrétal pouvait prévoir que les quotas d'émission peuvent « être retirés » aux exploitants, notamment en cas de cessation d'activité. Cette faculté réservée à l'autorité publique est conforme au système de la directive tel qu'il a été exposé en B.23. En particulier, le nombre de quotas d'émission dont l'autorité publique dispose est limité et doit être alloué afin de respecter et de faire respecter les engagements auxquels elle est tenue, en vue de réduire les émissions de gaz à effet de serre sur son territoire. En outre, l'autorité publique doit, aux termes de la directive, veiller à régler la situation des nouveaux entrants (article 11, paragraphe 3). Enfin, le système des quotas doit être pratiqué dans des conditions économiquement efficaces et performantes (article 1er de la directive et article 1er, alinéa 2, du décret entrepris). Compte tenu de ceci, la Région wallonne peut prévoir que les quotas ainsi repris sont versés dans la réserve de quotas qu'elle a par ailleurs constituée en vue d'être allouée aux nouveaux entrants.

B.27.3. L'article 1er du Premier Protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme ne conduit pas à une autre conclusion, dès lors que cette disposition ne porte pas atteinte « au droit que possèdent les Etats de mettre en vigueur les lois qu'ils jugent nécessaires pour réglementer l'usage des biens conformément à l'intérêt général », ce qui est le cas en l'espèce.

B.28. Le deuxième moyen ne peut être accueilli.

Quant au troisième moyen B.29. Les parties requérantes soutiennent dans le troisième moyen que, dans l'hypothèse où la directive 2003/87/CE doit s'entendre comme autorisant les retraits de quotas d'émission notamment lors de la fermeture d'une exploitation, la directive et l'article 5 du décret qui la transpose seraient contraires à la liberté d'établissement telle qu'elle est garantie par les articles 3 et 43 du Traité CE et que cette méconnaissance est constitutive d'une discrimination entre les entreprises selon qu'elles sont soumises ou non au système d'échange de quotas.

B.30. Les parties requérantes demandent à la Cour qu'elle pose, avant dire droit, à la Cour de justice des Communautés européennes deux questions préjudicielles, la première en validité, la seconde en interprétation de la directive 2003/87/CE : « La Directive 2003/87/CE du 13 octobre 2003 du Parlement européen et du Conseil établissant un système d'échange de quotas d'émission de gaz à effet de serre et modifiant la Directive 96/61/CE du Conseil interprétée dans le sens qu'elle autorise, ou du moins n'interdit pas les Etats membres à retirer ou modifier la décision de délivrance de quotas à titre gratuit par tranche d'un an, en ce qui concerne la ou les années qui restent à courir pendant la période de référence en cas de 1) cessation définitive de l'exploitation de l'établissement, 2) arrêt de l'exploitation pour une durée d'au moins deux ans d'une installation ou d'une activité, 3) modification notable conduisant une installation ou une activité à ne plus être visée par le système d'échange de quotas d'émission de gaz à effets de serre spécifiés et 4) caducité du permis d'environnement, est-elle compatible avec le principe communautaire de la liberté d'établissement dès lors que ce retrait ou cette modification sont susceptibles d'affecter les entreprises qui envisagent la restructuration de leurs activités européennes, celle-ci impliquant la fermeture d'un ou plusieurs sites de production couverts par le système d'échange de quotas d'émission de gaz à effet de serre, et l'accroissement corrélatif de la production d'un autre de leurs sites européens, dans la mesure où il n'est pas garanti que, d'une part, l'entreprise en question sera qualifiée de nouvel entrant selon les critères de l'Etat membre en cause, et d'autre part, la réserve des nouveaux entrants ne sera pas épuisée;et que ces entreprises se verront contraintes, le cas échéant, à se relocaliser en dehors de l'Union européenne ou à maintenir une capacité de production inefficace ? »; « Les articles 3 et 43 du Traité de Rome du 25 mars 1957 instituant la Communauté européenne doivent-ils être interprétés de telle sorte que l'Etat membre peut autoriser son Gouvernement à retirer ou modifier la décision de délivrance de quotas à titre gratuit par tranche d'un an, en ce qui concerne la ou les années qui restent à courir pendant la période de référence en cas de 1) cessation définitive de l'exploitation de l'établissement, 2) arrêt de l'exploitation pour une durée d'au moins deux ans d'une installation ou d'une activité, 3) modification notable conduisant une installation ou une activité à ne plus être visée par le système d'échange de quotas d'émission de gaz à effets de serre spécifiés et 4) caducité du permis d'environnement ? ».

B.31. La réglementation dont il est fait état dans la première question préjudicielle et qui est critiquée dans le moyen figure dans le décret attaqué (article 5) mais non dans la directive 2003/87/CE. La question soulevée par les parties requérantes n'est, par conséquent, pas pertinente pour examiner le bien-fondé du moyen. En raison de la marge de manoeuvre dont dispose le législateur décrétal pour transposer la directive précitée, ce contrôle de l'article 5 entrepris doit se faire en soi, indépendamment des reproches que les parties requérantes font à cette directive, et s'effectuer au seul regard des dispositions de la Constitution invoquées au moyen, lues en combinaison avec les dispositions invoquées du Traité CE. B.32. L'article 3, paragraphe 1, sous c), du Traité CE dispose : « Aux fins énoncées à l'article 2, l'action de la Communauté comporte, dans les conditions et selon les rythmes prévus par le présent traité : [...] c) un marché intérieur caractérisé par l'abolition, entre les Etats membres, des obstacles à la libre circulation des marchandises, des personnes, des services et des capitaux; [...] ».

L'article 43 du Traité CE dispose : « Dans le cadre des dispositions visées ci-après, les restrictions à la liberté d'établissement des ressortissants d'un Etat membre dans le territoire d'un autre Etat membre sont interdites. Cette interdiction s'étend également aux restrictions à la création d'agences, de succursales ou de filiales, par les ressortissants d'un Etat membre établis sur le territoire d'un Etat membre.

La liberté d'établissement comporte l'accès aux activités non salariées et leur exercice, ainsi que la constitution et la gestion d'entreprises, et notamment de sociétés au sens de l'article 48, deuxième alinéa, dans les conditions définies par la législation du pays d'établissement pour ses propres ressortissants, sous réserve des dispositions du chapitre relatif aux capitaux. » B.33. L'article 5 du décret entrepris n'empêche en aucun cas les parties requérantes de s'établir dans un autre Etat membre. La nécessité pour de nouveaux entrants de faire appel à la réserve qui leur est destinée dans l'Etat d'accueil ne résulte pas du retrait des quotas dans l'Etat membre, en l'espèce dans la Région wallonne, en raison de ce qu'une entreprise aurait cessé ses activités dans cette Région, mais découle de ce que l'entreprise qui s'implante dans un autre Etat est tenue d'obtenir, dans cet Etat, une autorisation d'émettre des gaz à effet de serre et, ensuite, dans cet Etat et selon la réglementation en vigueur dans celui-ci, un certain nombre de quotas d'émission. A cet égard, les parties requérantes ne démontrent pas en quoi le décret entrepris les empêcherait de bénéficier de la réserve de nouveaux entrants dans l'Etat membre où elles se délocaliseraient. L'argumentation selon laquelle elles ne rempliraient pas les conditions d'accès à cette réserve repose sur une hypothèse qui, à supposer qu'elle soit vérifiée, n'est en rien imputable à la disposition entreprise du décret.

B.34. Les parties requérantes soutiennent encore que l'article 5 entrepris serait aussi discriminatoire puisque s'il est lu en combinaison avec l'article 43 du Traité CE, les entreprises visées par cette disposition se trouveraient, de manière injustifiée, dans une situation plus difficile que celles qui ne le sont pas.

Comme il a été constaté lors de l'examen du premier moyen, le décret entrepris n'engendre pas de discrimination injustifiée entre les exploitations visées par le décret attaqué et celles qui ne le sont pas. La même justification est pertinente au regard du principe de la liberté d'établissement garanti par l'article 43 du Traité CE. Cette disposition interdit seulement que des restrictions soient mises par les Etats membres à la liberté d'établissement. Il ressort de ce qui est dit en B.33 que la disposition entreprise ne saurait en aucun cas s'analyser comme une restriction interdite par l'article 43.

B.35. Il a été constaté dans la réponse au deuxième moyen que le décret entrepris n'appliquait pas incorrectement la directive 2003/87/CE, et que celle-ci a été adoptée sur la base de l'article 175 du Traité CE. La réponse à la seconde question préjudicielle en interprétation de l'article 43 du Traité CE que les parties requérantes sollicitent de poser ne pourrait remettre en cause les considérations précédentes.

B.36. Le troisième moyen ne peut être accueilli.

Par ces motifs, la Cour rejette le recours.

Ainsi prononcé en langue française, en langue néerlandaise et en langue allemande, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d'arbitrage, à l'audience publique du 7 juin 2006.

Le greffier, P.-Y. Dutilleux.

Le président, M. Melchior.

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