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Arrêt
publié le 12 octobre 2005

Extrait de l'arrêt n° 150/2005 du 28 septembre 2005 Numéro du rôle : 3193 En cause : le recours en annulation de l'article 5 du décret de la Région flamande du 7 mai 2004 « modifiant le décret sur l'Electricité du 17 juillet 2000, en ce qui La Cour d'arbitrage, composée des présidents A. Arts et M. Melchior, et des juges L. Lavrysen, A(...)

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12/10/2005
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COUR D'ARBITRAGE


Extrait de l'arrêt n° 150/2005 du 28 septembre 2005 Numéro du rôle : 3193 En cause : le recours en annulation de l'article 5 du décret de la Région flamande du 7 mai 2004 « modifiant le décret sur l'Electricité du 17 juillet 2000, en ce qui concerne le système des certificats d'électricité écologique, et portant interprétation de l'article 37, § 2, du même décret », introduit par la s.a. Electrabel Customer Solutions et autres.

La Cour d'arbitrage, composée des présidents A. Arts et M. Melchior, et des juges L. Lavrysen, A. Alen, J.-P. Moerman, E. Derycke et J. Spreutels, assistée du greffier P.-Y. Dutilleux, présidée par le président A. Arts, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet du recours et procédure Par requête adressée à la Cour par lettre recommandée à la poste le 7 décembre 2004 et parvenue au greffe le 9 décembre 2004, un recours en annulation de l'article 5 du décret de la Région flamande du 7 mai 2004 « modifiant le décret sur l'Electricité du 17 juillet 2000, en ce qui concerne le système des certificats d'électricité écologique, et portant interprétation de l'article 37, § 2, du même décret » (publié au Moniteur belge du 8 juin 2004), a été introduit par la s.a.

Electrabel Customer Solutions, dont le siège social est établi à 1000 Bruxelles, boulevard du Régent 8, la s.a. Electrabel, dont le siège social est établi à 1000 Bruxelles, boulevard du Régent 8, la société de droit allemand RWE Solutions AG, faisant élection de domicile à 1160 Bruxelles, boulevard Tedesco 7, et la société de droit allemand RWE Trading GmbH, faisant élection de domicile à 1160 Bruxelles, boulevard Tedesco 7. (...) II. En droit (...) Quant à la disposition entreprise B.1. Le décret de la Région flamande du 17 juillet 2000 relatif à l'organisation du marché de l'électricité (ci-après : le décret sur l'électricité) a instauré un système de certificats d'électricité verte destiné à encourager l'utilisation de sources d'énergie renouvelables. Un certificat d'électricité verte est un bien immatériel cessible faisant apparaître qu'un producteur a produit, au cours d'une année déterminée, une quantité déterminée d'électricité en faisant usage de sources d'énergie renouvelables.

B.2. Les parties requérantes sont des fournisseurs d'électricité qui sont soumis à l'obligation de produire des certificats d'électricité verte. Elles n'ont cependant pas respecté cette obligation pour les années civiles 2002 et 2003.

B.3. L'article 37 du décret sur l'électricité énonce : « § 1er. Sans préjudice des autres mesures prévues par le présent décret ou l'une [lire : l'un] de ses arrêtés d'exécution, l'autorité de régulation peut enjoindre à toute personne physique ou morale établie en Région flamande de se conformer aux dispositions spécifiques du présent décret ou de ses arrêtés d'exécution dans le délai qu'elle détermine. Si cette personne reste en défaut à l'expiration du délai, l'autorité de régulation peut, la personne entendue ou dûment convoquée, lui infliger une amende administrative.

L'amende ne peut être, par jour calendaire [lire : par jour calendrier], inférieure de [lire : à] mille deux cent cinquante euros ni supérieure à cent mille euros, ni, au total, supérieure à deux millions d'euros ou 3 pour cent du chiffre d'affaires que la personne en cause a réalisé sur le marché flamand de l'électricité au cours du dernier exercice clôturé, si ce dernier montant est supérieur.

La poursuite criminelle dans le sens de l'article 36 exclut [lire : Les poursuites pénales au sens de l'article 36 excluent] l'amende administrative, pour ce qui concerne les faits poursuivis, même si la poursuite a [lire : les poursuites ont] abouti à un acquittement. § 2. Sans préjudice du § 2 [lire : 1er], le tarif de l'amende administrative pour une infraction à l'article 23, § 1er, est de 75 euros par certificat manquant le 31 mars 2003 et de 100 euros par certificat manquant le 31 mars 2004. A partir du 31 mars 2005, l'amende est portée à 125 euros par certificat manquant. [...] ».

B.4. Conformément à l'article 37, § 2, l'« Autorité de régulation flamande pour le marché de l'électricité et du gaz » (« Vlaamse Reguleringsinstantie voor de Elektriciteits- en Gasmarkt », ci-après : VREG) a décidé d'infliger aux parties requérantes une amende administrative par certificat d'électricité verte manquant pour les années civiles 2002 et 2003, soit, au total, quelque 24,2 millions d'euros. La VREG estimait que la disposition précitée ne lui laissait pas de liberté d'appréciation en l'espèce.

Les parties requérantes ont attaqué la décision de la VREG devant le Conseil d'Etat et devant le Tribunal de première instance de Bruxelles. Elles considèrent que l'article 37, § 2, du décret sur l'électricité n'affecte pas le pouvoir discrétionnaire de la VREG, déduit de l'article 37, § 1er, d'infliger ou non une amende. L'article 37, § 2, fixerait uniquement le montant de l'amende en cas de manquement à l'obligation de produire un certain nombre de certificats d'électricité verte.

B.5. La disposition actuellement attaquée porte : « A l'article 37, § 2, du même décret, les mots ' sans préjudice du ' sont expliqués [lire : doivent s'entendre] comme suit : ' à l'exclusion du ' ».

Dans l'arrêt n° 25/2005, la Cour a constaté que cette disposition interprétative avait un effet rétroactif sans que des circonstances exceptionnelles le justifient et elle a annulé cette disposition en tant qu'elle s'appliquait aux années civiles antérieures à l'année 2004.

B.6. Contrairement à ce que soutient le Gouvernement flamand, les parties requérantes justifient de l'intérêt requis à l'annulation d'une disposition qui peut avoir une incidence sur le montant des amendes auxquelles elles peuvent être soumises. L'exception déduite de l'absence de capacité d'ester en justice ne permet pas non plus à la Cour de conclure à l'irrecevabilité de la demande, à l'issue de l'examen des pièces produites par les parties requérantes.

Quant au premier moyen B.7. Le premier moyen est pris de la violation des articles 10 et 11 de la Constitution, lus ou non en combinaison avec son article 13 et avec l'article 6.1 de la Convention européenne des droits de l'homme.

Les parties requérantes font valoir que la disposition entreprise, en raison de son effet rétroactif, tend à influencer l'issue d'instances pendantes et qu'elle aura également pour effet à l'avenir que les justiciables qui se voient infliger une amende sur la base de l'article 37, § 2, du décret sur l'électricité seront privés du droit d'accès au juge.

B.8. Par suite de l'arrêt n° 25/2005 mentionné en B.5, le grief qui reproche à la disposition entreprise son effet rétroactif n'a plus d'objet.

B.9.1. En vertu de la disposition entreprise, telle qu'elle a été partiellement annulée, l'article 37, § 2, du décret sur l'électricité doit être appliqué, à partir de l'année civile 2004, sans tenir compte de l'article 37, § 1er, du même décret. Cela signifie qu'à compter du 31 mars 2005, l'amende pour chaque certificat manquant est fixée à 125 euros.

Ainsi que la Cour l'a déjà relevé dans son arrêt n° 25/2005, les travaux préparatoires de l'article 37, § 2, originaire, du décret du 17 juillet 2000 sur l'électricité définissent comme suit son objet : « L'article 37, § 2, règle l'infliction d'une amende administrative, étant entendu qu'aucun pouvoir d'appréciation n'est conféré à l'autorité puisque la hauteur de l'amende et la manière dont celle-ci est calculée sont mentionnées explicitement dans le décret. Ce faisant, il n'a pas été prévu de procédure d'appel et un recours est ouvert auprès du Conseil d'Etat, qui peut éventuellement annuler cette décision. Le cas échéant, la suspension de la mesure peut être demandée » (Doc. parl., Parlement flamand, 1999-2000, n° 285/1, p. 29).

Il ressort également des travaux préparatoires relatifs à ladite norme que le délai de dix jours accordé à la personne ou la personne morale intéressée, en vertu de l'article 37, § 5, du décret, pour faire valoir ses arguments contraires auprès de l'autorité de régulation, lorsqu'elle n'est pas d'accord avec la peine imposée aux termes du § 2, permet tout au plus d'éviter les fautes techniques, telles que le mauvais comptage de certificats, sans que cela puisse avoir pour effet d'attribuer un quelconque pouvoir d'appréciation à l'autorité de régulation (Doc. parl., Parlement flamand, 1999-2000, n° 285/1, p. 29).

A l'occasion de la modification de l'article 37, § 2, opérée par le décret attaqué, le législateur décrétal a rappelé que : « Si la VREG disposait d'une compétence non liée pour infliger ou non une amende administrative, la sécurité juridique s'en trouverait amoindrie, l'efficacité du système, indispensable en raison de l'obligation contractée sur le plan international, et, partant, l'objectif du décret en seraient ébranlés et l'incitation à produire de l'énergie verte serait remise en question.

Ceci irait totalement à l'encontre de la volonté du législateur décrétal et du but du système des certificats d'électricité verte prévu dans le décret sur l'électricité » (Doc. parl., Parlement flamand, 2003-2004, n° 2188/1, p. 9).

B.9.2. En dépit de l'utilisation des termes « amende administrative » et « infraction » à l'article 37, § 2, le législateur a, au moyen de cette disposition, instauré une mesure régulatrice, adaptée aux exigences du marché de l'électricité, qui doit inciter les intéressés à respecter leurs obligations en matière de distribution d'électricité générée à partir de sources d'énergie renouvelables, de sorte que les objectifs internationaux et européens applicables à la Belgique et à la Région flamande en ce qui concerne la part d'énergie renouvelable puissent être atteints. Le montant de l'« amende administrative » a été fixé non seulement en fonction du surcoût escompté pour la production d'électricité verte en comparaison d'autres formes d'électricité, mais également en fonction de la nécessité d'encourager en permanence les intéressés à acquérir suffisamment de certificats d'électricité verte, plutôt que de se contenter de payer l'« amende ».

La mesure a un caractère non seulement incitatif, mais également compensatoire, en tant que ses recettes sont versées au « Fonds Hernieuwbare Energiebronnen » qui utilise ces ressources pour financer des projets et des mesures favorisant l'utilisation d'énergie renouvelable.

B.9.3. Contrairement à ce que les parties requérantes soutiennent, la disposition entreprise ne porte pas atteinte au droit d'accès au juge pour contester une décision de la VREG fondée sur l'article 37, § 2, du décret sur l'électricité. Il n'est pas prévu de recours juridictionnel spécifique contre cette décision mais les recours du droit commun subsistent.

B.9.4. Etant donné que, afin d'éviter une concurrence déloyale entre les entreprises qui satisfont à leurs obligations en matière de production de certificats d'électricité verte et celles qui n'y satisfont pas, la VREG ne se voit conférer aucun pouvoir d'appréciation concernant l'infliction des « amendes administratives » visées à l'article 37, § 2, le contrôle juridictionnel d'une telle décision se limitera nécessairement à vérifier si les conditions légales pour les infliger, en ce compris l'absence de force majeure, ont ou non été remplies, sans pouvoir moduler en aucune manière ces « amendes ». Un tel contrôle juridictionnel ne saurait être jugé incompatible avec l'article 6.1 de la Convention européenne des droits de l'homme.

B.10. Enfin, les parties requérantes soutiennent encore que, contrairement aux justiciables qui se voient infliger une amende pour manquement à une obligation découlant du décret sur l'électricité autre que la production d'un nombre suffisant de certificats d'électricité verte, elles ne sont pas entendues au préalable par la VREG. A compter de l'année civile 2004, la VREG est obligée d'infliger l'amende fixée par le législateur décrétal lorsqu'elle constate la production d'un nombre insuffisant de certificats d'électricité verte.

Si la personne physique ou morale concernée n'est pas d'accord avec la sanction, elle peut, dans les dix jours suivant la notification, informer la VREG de ses arguments contraires par lettre recommandée.

La VREG peut révoquer sa décision ou adapter le montant de « l'amende administrative » si les arguments contraires se révèlent fondés (article 37, § 5, du décret sur l'électricité).

Puisque, par suite de la disposition attaquée, c'est uniquement lors de l'infliction des amendes administratives sur la base de l'article 37, § 2, du décret sur l'électricité que la VREG ne dispose plus d'un pouvoir d'appréciation, la procédure écrite prévue par l'article 37, § 5, offre une garantie suffisante pour exclure les erreurs matérielles lors du calcul du montant de ces amendes.

B.11. Le moyen ne peut être accueilli.

Quant au second moyen B.12. Le second moyen est pris de la violation des articles 10 et 11 de la Constitution, lus ou non en combinaison avec son article 16 et avec l'article 1er du Premier protocole additionnel à la Convention européenne des droits de l'homme. Les parties requérantes font valoir que la disposition entreprise porte atteinte à leur droit de propriété en ce qu'elle les priverait du droit de contester les amendes infligées.

B.13. Sans devoir examiner si le droit de propriété est en cause en l'espèce, la réponse au premier moyen fait apparaître que la disposition entreprise ne porte pas atteinte au droit des parties requérantes de soumettre au juge les amendes infligées sur la base de l'article 37, § 2, du décret sur l'électricité, en sorte que le grief est dénué de fondement.

B.14. Le moyen ne peut être accueilli.

Par ces motifs, la Cour rejette le recours.

Ainsi prononcé en langue néerlandaise, en langue française et en langue allemande, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d'arbitrage, à l'audience publique du 28 septembre 2005.

Le greffier, P.-Y. Dutilleux.

Le président, A. Arts.

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