publié le 02 septembre 2005
Extrait de l'arrêt n° 135/2005 du 19 juillet 2005 Numéro du rôle : 3190 En cause : la question préjudicielle concernant l'article 11, § 5, de l'arrêté royal n° 38 du 27 juillet 1967 organisant le statut social des travailleurs indépend La Cour d'arbitrage, composée des présidents A. Arts et M. Melchior, et des juges M. Bossuyt, A.(...)
COUR D'ARBITRAGE
Extrait de l'arrêt n° 135/2005 du 19 juillet 2005 Numéro du rôle : 3190 En cause : la question préjudicielle concernant l'article 11, § 5, de l'arrêté royal n° 38 du 27 juillet 1967 organisant le statut social des travailleurs indépendants, posée par le Tribunal du travail de Courtrai.
La Cour d'arbitrage, composée des présidents A. Arts et M. Melchior, et des juges M. Bossuyt, A. Alen, J.-P. Snappe, E. Derycke et J. Spreutels, assistée du greffier P.-Y. Dutilleux, présidée par le président A. Arts, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet de la question préjudicielle et procédure Par jugement du 3 décembre 2004 en cause de l'a.s.b.l. Acerta Sociaal Verzekeringsfonds contre F. Meyfroidt, dont l'expédition est parvenue au greffe de la Cour d'arbitrage le 8 décembre 2004, le Tribunal du travail de Courtrai a posé la question préjudicielle suivante : « L'article 11, § 5, de l'arrêté royal n° 38 du 27 juillet 1967 organisant le statut social des travailleurs indépendants, tel qu'il était en vigueur jusqu'au 31 décembre 2002, viole-t-il les articles 10 et 11 de la Constitution lorsqu'il réclame à la personne pensionnée qui cumule sa pension de retraite avec une activité professionnelle autorisée des cotisations qui, à revenu égal, sont plus élevées lorsque cette personne a charge d'enfant que lorsqu'elle n'a pas cette charge, parce que l'article 11, § 5, en cause a pour conséquence que le calcul des cotisations dues sur le revenu annuel que la personne pensionnée qui exerce une activité autorisée, en qualité d'indépendant, cumule avec la prestation dont elle bénéficie, dépend d'un plafond différent selon que cette personne a ou non charge d'enfant, lorsque celui qui bénéficie d'une pension de retraite s'est engagé à ne pas dépasser la limite de revenus prévue pour un pensionné sans charge d'enfant, de sorte que la personne pensionnée ayant charge d'enfant doit, à revenu égal, payer des cotisations plus élevées que la personne pensionnée sans charge d'enfant ? ». (...) III. En droit (...) Quant à l'objet de la question préjudicielle B.1.1. L'article 11 de l'arrêté royal n° 38 du 27 juillet 1967 organisant le statut social des travailleurs indépendants (ci-après l'arrêté royal n° 38) règle le mode de calcul des cotisations des indépendants assujettis à l'arrêté royal.
Selon l'article 11, § 2, alinéa 3, de cet arrêté, « le calcul des cotisations dues pour une année déterminée se fait sur la base des revenus professionnels [...] afférents à l'exercice d'imposition dont le millésime désigne la deuxième année civile précédant immédiatement celle au cours de laquelle les cotisations sont dues ».
L'article 11, § 5, alinéa 1er, de cet arrêté concerne le calcul des cotisations dues par les personnes pensionnées qui continuent à exercer une activité professionnelle indépendante dans les limites autorisées par la loi. Cette disposition, telle qu'elle s'appliquait au litige soumis au juge a quo, était libellée comme suit : « Lorsqu'une pension de retraite ou de survie ou un avantage en tenant lieu, pour le paiement desquels interviennent des conditions relatives à l'exercice d'une activité professionnelle, est effectivement payable à l'assujetti en vertu du régime de pension des travailleurs indépendants ou d'un autre régime de pension, l'application des §§ 2 et 3 ne peut avoir pour effet de faire cotiser l'intéressé, à partir du trimestre au cours duquel cette pension ou cet avantage prend cours, sur un revenu supérieur à 112,99 p.c. du revenu annuel que l'intéressé peut, pour l'année en cause, cumuler avec la prestation dont il bénéficie ».
B.1.2. Cette disposition a pour effet que, sauf lorsque l'application de l'article 11, § 2, est plus avantageuse, la cotisation d'un bénéficiaire de pension qui exerce une activité professionnelle indépendante limitée est calculée sur le revenu annuel maximal que l'intéressé peut cumuler avec la prestation dont il bénéficie.
Ce revenu annuel maximal est déterminé par l'article 107, § 2, A, 2°, de l'arrêté royal du 22 décembre 1967 portant règlement général relatif à la pension de retraite et de survie des travailleurs indépendants. Conformément à l'article 107, § 3, B, alinéa 2, dudit arrêté, ce montant est majoré lorsque le bénéficiaire a la charge principale d'au moins un enfant.
B.1.3. Ainsi, la personne assujettie à l'article 11, § 5, de l'arrêté royal n° 38 qui a la charge principale d'au moins un enfant et qui peut par conséquent cumuler un revenu annuel maximal plus élevé avec sa prestation, est redevable d'une cotisation plus élevée que la personne qui n'a pas d'enfant à charge, même si, dans la pratique, le revenu réel de la première personne n'est pas supérieur au revenu annuel maximal que la seconde personne peut cumuler avec sa prestation. Le juge a quo demande à la Cour si cette différence de traitement est compatible avec les articles 10 et 11 de la Constitution.
B.2.1. Selon le Conseil des ministres, le juge a quo interroge en réalité la Cour sur la différence de traitement qui résulterait du fait que la modification de l'article 11, § 5, de l'arrêté royal n° 38 par les lois-programmes des 2 août 2002 et 24 décembre 2002 n'est applicable qu'aux montants dus pour la période postérieure au 31 décembre 2002.
B.2.2. Les lois-programmes des 2 août 2002 et 24 décembre 2002 ont complété comme suit l'article 11, § 5, alinéa 1er : « En ce qui concerne les montants dus pour la période postérieure au 31 décembre 2002, le bénéficiaire d'une pension de retraite ou de survie ou d'un avantage en tenant lieu qui a la charge principale d'au moins un enfant peut toutefois demander à ne cotiser que sur 112,99 p.c. du revenu annuel qu'il aurait pu, pour l'année en cause, cumuler avec la prestation dont il bénéfice s'il n'avait pas d'enfant à charge, à condition de s'engager à ne pas dépasser cette limite de revenus.
Le Roi définit ce qu'on entend par la charge principale d'un enfant, détermine les modalités de cette demande et l'incidence du non respect de l'engagement ».
B.2.3. Les parties devant la Cour ne peuvent modifier ou faire modifier la portée de la question préjudicielle posée par le juge a quo. Il n'est dès lors pas possible de donner suite à l'argument du Conseil des ministres, qui équivaut à une reformulation de l'objet de la question préjudicielle.
Quant au fond B.3. Conformément à l'article 11, § 2, de l'arrêté royal n° 38, le calcul des cotisations dues par les indépendants se fait sur la base des revenus professionnels de la troisième année antérieure, fixés en vertu de la législation fiscale. La base de calcul des montants des cotisations dues n'est donc pas le revenu réel de l'indépendant au moment où les cotisations sont exigibles, mais celui d'une année de référence antérieure de trois ans.
B.4. Cependant, lorsque l'intéressé, dans les limites fixées par l'article 107 de l'arrêté royal du 22 décembre 1967 portant règlement général relatif à la pension de retraite et de survie des travailleurs indépendants, cumule une activité professionnelle indépendante avec une pension de retraite, l'application de cette règle peut avoir pour effet que les cotisations dont il est redevable sont calculées sur la base des revenus qu'il a perçus au moment où il n'était pas encore à la retraite. Ceci pourrait entraîner une disproportion entre la charge des cotisations et les revenus de l'exercice en cours.
B.5. Pour y remédier, l'article 11, § 5, alinéa 1er, en cause de l'arrêté royal n° 38, tel qu'il s'appliquait au litige soumis au juge a quo, disposait que la cotisation due ne pouvait être supérieure à celle à payer sur un revenu s'élevant à 112,99 p.c. du revenu annuel que l'intéressé peut cumuler avec la prestation dont il bénéficie.
Cette disposition contient dès lors une dérogation à la règle prévue à l'article 11, § 2, de l'arrêté royal n° 38, au profit de l'assujetti qui cumule sa pension de retraite avec une activité indépendante. Le calcul de la cotisation se fait ainsi sur un revenu qui correspond davantage à celui dont l'intéressé bénéficie au moment où la cotisation est due.
B.6. A cet égard, l'utilisation par le législateur d'un montant forfaitaire - le revenu annuel maximal que l'assujetti peut cumuler avec sa pension - sur lequel la cotisation sera calculée, le cas échéant, tient au fait que le revenu réel de l'intéressé n'est pas connu au moment où la cotisation est due.
Le législateur n'a pas non plus souhaité instaurer un système de paiements provisoires, suivis de régularisations. Il ressort du rapport au Roi précédant l'arrêté royal n° 38 que les objectifs poursuivis étaient d'opérer une rationalisation fondamentale en recherchant des bases financières saines, en mettant fin aux différences de mode de calcul des cotisations dans les secteurs des pensions, des allocations familiales et de l'assurance soins de santé et en réduisant en conséquence des frais administratifs qui étaient très élevés, toute économie dans ce domaine permettant une augmentation proportionnelle des avantages alloués (Moniteur belge du 29 juillet 1967, pp. 8071 et 8072). L'article 11, § 5, en cause s'inscrit dans le cadre de cet objectif de simplification administrative, puisqu'une seule opération permet de procéder au calcul et à la perception des cotisations.
Ce sont au demeurant les mêmes considérations qui ont donné lieu à la règle fixée à l'article 11, § 2, alinéa 3, de l'arrêté royal n° 38, selon laquelle le calcul des cotisations dues par les indépendants se fait sur la base des revenus professionnels de la troisième année antérieure, fixés en vertu de la législation fiscale, règle dont la Cour a considéré dans son arrêt n° 100/99 du 15 septembre 1999 qu'elle ne violait pas les articles 10 et 11 de la Constitution.
B.7. L'application de la disposition en cause a pour effet de faire naître une différence de traitement entre un assujetti qui a la charge principale d'au moins un enfant et un assujetti qui n'a pas d'enfant à charge : puisque le revenu annuel maximal que la première catégorie peut cumuler avec la prestation qu'elle reçoit est supérieur à celui de la seconde catégorie, la cotisation due est plus élevée, même si le revenu réel de l'intéressé ne dépasse pas le revenu annuel maximal de la seconde catégorie.
B.8. Cette distinction repose sur un critère objectif, à savoir le revenu annuel maximal qu'un assujetti peut cumuler avec sa prestation en qualité de bénéficiaire d'une pension.
Le critère est pertinent par rapport à l'objectif poursuivi, et les effets de la mesure litigieuse ne sont pas disproportionnés à celui-ci. En effet, il n'est pas déraisonnable que le législateur, qui entendait faire davantage correspondre le revenu sur la base duquel se fait le calcul des cotisations avec le revenu dont l'assujetti bénéficie au moment où cette cotisation est due, parte du postulat que la personne qui a la charge principale d'au moins un enfant et qui peut cumuler avec sa prestation un revenu annuel maximal supérieur à celui d'une personne sans enfant à charge, doit payer une cotisation plus élevée.
B.9. La possibilité que le revenu réel d'une personne qui a la charge principale d'au moins un enfant n'excède pas le revenu annuel maximal qu'une personne sans enfant à charge peut cumuler avec sa pension de retraite n'y change rien. Lorsque le législateur, qui souhaitait, pour les raisons mentionnées en B.6, que le calcul et la perception des cotisations se fassent au moyen d'une seule opération, fixe le mode de calcul de ces cotisations, il doit pouvoir faire usage de catégories qui, nécessairement, n'appréhendent la diversité des situations qu'avec un certain degré d'approximation.
B.10. Enfin, il ne peut être déduit de la simple modification d'une réglementation légale que l'ancienne législation serait inconstitutionnelle.
B.11. La question préjudicielle appelle une réponse négative.
Par ces motifs, la Cour dit pour droit : L'article 11, § 5, de l'arrêté royal n° 38 du 27 juillet 1967 organisant le statut social des travailleurs indépendants, avant sa modification par l'article 63 de la loi-programme du 2 août 2002Documents pertinents retrouvés type loi-programme prom. 02/08/2002 pub. 29/08/2002 numac 2002003381 source ministere des finances Loi-programme fermer et par l'article 2 de la loi-programme (I) du 24 décembre 2002, ne viole pas les articles 10 et 11 de la Constitution.
Ainsi prononcé en langue néerlandaise et en langue française, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d'arbitrage, à l'audience publique du 19 juillet 2005.
Le greffier, P.-Y. Dutilleux.
Le président, A. Arts.