publié le 06 mai 2005
Extrait de l'arrêt n° 63/2005 du 23 mars 2005 Numéros du rôle : 2970 et 2971 En cause : la question préjudicielle concernant les articles 15 à 18 de la loi du 22 juillet 1991 relative à la Loterie Nationale, posée par le Conseil d'Etat. composée des présidents A. Arts et M. Melchior, et des juges P. Martens, R. Henneuse, M. Bossuyt, E(...)
Extrait de l'arrêt n° 63/2005 du 23 mars 2005 Numéros du rôle : 2970 et 2971 En cause : la question préjudicielle concernant les articles 15 à 18 de la loi du 22 juillet 1991 relative à la Loterie Nationale, posée par le Conseil d'Etat.
La Cour d'arbitrage, composée des présidents A. Arts et M. Melchior, et des juges P. Martens, R. Henneuse, M. Bossuyt, E. De Groot, L. Lavrysen, A. Alen, J.-P. Snappe, J.-P. Moerman, E. Derycke et J. Spreutels, assistée du greffier P.-Y. Dutilleux, présidée par le président A. Arts, après en avoir délibéré, rend l'arrêt suivant : I. Objet de la question préjudicielle et procédure Par arrêts nos 128.940 et 128.939 du 8 mars 2004 en cause de l'a.s.b.l. « Europees Centrum voor Opera en Vocale Kunst » contre l'Etat belge, la Loterie Nationale et la Communauté flamande, dont les expéditions sont parvenues au greffe de la Cour d'arbitrage le 2 avril 2004, le Conseil d'Etat a posé la question préjudicielle suivante : « Les articles 15 à 18 de la loi du 22 juillet 1991 relative à la Loterie Nationale violent-ils ou violaient-ils les règles établies par la Constitution ou en vertu de celle-ci pour déterminer les compétences respectives de l'Etat, des communautés et des régions et, en particulier, l'article 127, § 1er, 1°, de la Constitution et l'article 4 de la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles, dans la mesure où les articles 15 et 16 de la loi du 22 juillet 1991 sont interprétés en ce sens qu'ils permettent ou permettaient au Roi de déterminer, parmi les fins d'utilité publique auxquelles sont affectés les bénéfices de la Loterie Nationale, des fins qui relèvent de la compétence des communautés, telles que le développement des arts et des lettres, la vie musicale, les musées et les bibliothèques, ainsi que l'enrichissement du patrimoine culturel et le développement de la vie culturelle en général, ou de celle des régions, et d'affecter à cette fin, dans le plan de répartition des bénéfices, un montant à répartir, et dans la mesure où les articles 17 et 18 de la même loi donnent compétence au Ministre des Finances pour décider, conformément à ce plan de répartition, de l'affectation concrète de la part du plan de répartition des bénéfices destinée à ces fins d'utilité publique, en octroyant des subventions à des projets ou à des organisations, sur la proposition de la communauté concernée ou de la région concernée ? La réponse à cette question serait-elle différente si l'on considérait qu'à cette occasion, le Ministre n'est pas seulement lié négativement par l'absence d'une proposition de subvention au bénéfice d'un tel projet ou organisation, en ce sens qu'il ne pourrait alors octroyer à ce projet ou cette proposition aucune part des bénéfices de la Loterie Nationale, mais qu'il est aussi lié positivement, en ce sens qu'il est lié par la proposition faite en la matière et ne peut par conséquent octroyer que la subvention proposée, ni plus ni moins ? ».
Ces affaires, inscrites sous les numéros 2970 et 2971 du rôle de la Cour, ont été jointes. (...) III. En droit (...) B.1. Les dispositions en cause de la loi du 22 juillet 1991 relative à la Loterie Nationale, figurant au chapitre II « De l'affectation des bénéfices de la Loterie Nationale », énonçaient, au moment où elles étaient applicables aux litiges soumis au Conseil d'Etat : «
Art. 15.Les bénéfices de la Loterie Nationale sont affectés au financement de programmes d'aide aux pays en développement et à des fins d'utilité publique déterminées par arrêté royal délibéré en Conseil des Ministres.
Une dotation annuelle, dont le montant est fixé par arrêté royal délibéré en Conseil des Ministres, est octroyée à la Caisse nationale des calamités et, sans préjudice de l'article 18, à la Fondation Roi Baudouin.
Art. 16.Conformément aux règles visées à l'article 15, le Roi détermine annuellement, sur la proposition du Ministre des Finances et par arrêté délibéré en Conseil des Ministres, le plan de répartition des bénéfices. Le plan de répartition distingue les différentes fins d'utilité publique concernées. Il précise, s'il échet, les modalités selon lesquelles les autres Ministres seront associés à sa mise en oeuvre.
Art. 17.Le Ministre des Finances procède, conformément au plan de répartition et après avoir recueilli l'avis du conseil d'administration, à l'affectation des bénéfices.
Art. 18.Dans la mesure où des bénéfices de la Loterie Nationale sont répartis à des fins d'utilité publique à la réalisation desquelles d'autres pouvoirs publics contribuent, leur affectation est décidée par le Ministre des Finances sur la proposition de ces pouvoirs publics selon des modalités fixées d'un commun accord ».
La loi du 22 juillet 1991, qui a été modifiée par les lois du 21 décembre 1994 et du 2 janvier 2001, a été abrogée par l'article 44 de la loi du 19 avril 2002 relative à la rationalisation du fonctionnement et de la gestion de la Loterie Nationale (Moniteur belge , 4 mai 2002).
La répartition des bénéfices de la Loterie Nationale est actuellement réglée par l'article 62bis de la loi spéciale du 16 janvier 1989 relative au financement des communautés et des régions, inséré par l'article 41 de la loi spéciale du 13 juillet 2001 portant refinancement des communautés et extension des compétences fiscales des régions (Moniteur belge , 3 août 2001), qui énonce : « A partir de l'année budgétaire 2002, il est établi chaque année un montant correspondant à 27,44 % du bénéfice à répartir de la Loterie Nationale, comme prévu par arrêté royal délibéré en Conseil des Ministres.
Le montant obtenu en application de l'alinéa 1er est réduit chaque année d'un montant correspondant à 0,8428 % du montant obtenu en application de l'alinéa 1er.
Le montant obtenu en application de l'alinéa 2 est réparti chaque année entre la Communauté française et la Communauté flamande selon la part de chaque communauté dans le total du montant obtenu en application de l'article 36, 1° et 2°, pour les deux communautés réunies.
Les montants susvisés sont versés au moyen d'avances qui, le 30 juin et le 31 décembre de l'exercice concerné, ne peuvent excéder respectivement 50 % et 80 % de la répartition provisoire des bénéfices de la Loterie Nationale comme prévu en Conseil des Ministres ».
B.2. La juridiction a quo demande à la Cour si les articles 15 à 18 de la loi du 22 juillet 1991 violent les règles qui sont établies par la Constitution ou en vertu de celle-ci pour déterminer les compétences respectives de l'Etat, des communautés et des régions, en tant que les dispositions litigieuses permettaient au Roi d'affecter les bénéfices de la Loterie Nationale à des fins qui relèvent de la compétence des communautés ou des régions et de déterminer pour ce faire dans le plan de répartition des bénéfices un montant à répartir, et permettaient au Ministre fédéral des Finances de décider, conformément audit plan de répartition des bénéfices, de leur affectation concrète et d'octroyer des subventions, sur proposition de la communauté ou de la région concernée, à des organisations et projets concrets. La juridiction a quo mentionne en particulier l'article 127, § 1er, alinéa 1er, 1°, de la Constitution et l'article 4 de la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles comme dispositions répartitrices de compétences au regard desquelles la Cour doit contrôler les dispositions litigieuses.
Accessoirement, la juridiction a quo demande à la Cour d'examiner si la réponse à cette question serait différente si le Ministre était lié, non seulement par l'absence de proposition de subventionner un projet concret ou une organisation concrète, mais également par le montant de la subvention qui est, le cas échéant, proposée.
B.3. Les travaux préparatoires de la loi du 22 juillet 1991 font apparaître que l'affectation, visée à l'article 15, « à des fins d'utilité publique déterminées par arrêté royal délibéré en Conseil des Ministres » portait également sur des fins d'utilité publique à la réalisation desquelles d'autres autorités que l'autorité fédérale contribuent aussi (Doc. parl., Sénat, 1990-1991, n° 1296-1, p. 13), et en particulier celles poursuivies par les communautés.
Ainsi a-t-il été précisé dans l'exposé des motifs que l'article 15 « vise des projets financés en commun par plusieurs pouvoirs publics » (ibid., p. 14). S'agissant des fins subventionnées, il a été précisé qu'il y a « des affectations qui concernent des compétences strictement nationales, mais également un certain nombre d'objectifs qui ressortissent à des matières communautaires » (Doc. parl., Sénat, 1990-1991, n° 1296-2, p. 14). Ensuite, il fut notamment précisé : « Une partie des bénéfices nets de la Loterie Nationale est affectée au secteur culturel par le biais de l'arrêté royal du 23 août 1982 » (Doc. parl., Chambre, 1990-1991, n° 1656/3, p. 11).
Afin d'éviter d'éventuelles objections de constitutionnalité, l'article 18 de la loi a garanti la participation des autorités matériellement compétentes : « L'article 18 du projet de loi permet de trouver une solution pratique pour le subventionnement de matières ressortissant aux communautés et aux régions. Cette disposition vient en réalité confirmer la pratique de concertation officieuse à laquelle recourent déjà le Ministre des Finances et les Exécutifs communautaires pour les subsides que la Loterie Nationale octroie au secteur culturel » (Doc. parl., Sénat, 1990-1991, n° 1296-2, p. 15; voy. également p. 25 et Doc. parl., Chambre, 1990-1991, n° 1656/3, pp. 12-13).
B.4. Aux termes de l'article 127, § 1er, alinéa 1er, 1°, de la Constitution, les Conseils de la Communauté française et de la Communauté flamande règlent par décret, chacun pour ce qui le concerne, les matières culturelles, qui sont précisées à l'article 4 de la loi spéciale du 8 août 1980 de réformes institutionnelles.
De la lecture conjointe de ces dispositions et de l'article 175, alinéa 2, de la Constitution, aux termes duquel les Conseils de la Communauté française et de la Communauté flamande règlent par décret, chacun pour ce qui le concerne, l'affectation de leurs recettes, il ressort que la fixation des moyens financiers d'une politique culturelle relève de l'acte de « régler » les matières culturelles.
B.5. La Loterie Nationale est un établissement public fédéral doté de la personnalité juridique - qui est aujourd'hui une société anonyme de droit public -, relevant de la catégorie C visée à l'article 1er de la loi du 16 mars 1954 relative au contrôle de certains organismes d'intérêt public, placé sous la tutelle du Ministre des Finances, qui affecte notamment les bénéfices de cet établissement à des fins d'utilité publique fixées par arrêté royal délibéré en Conseil des Ministres, parmi lesquelles des organisations et projets culturels. En vertu des dispositions litigieuses, éclairées par l'exposé explicite de leur ratio legis dans les travaux préparatoires, des moyens financiers fédéraux sont destinés, chaque année, en tant que subventions, notamment à des organisations et projets relatifs à des matières qui ne relèvent pas exclusivement de la compétence matérielle de l'autorité fédérale, en particulier à des matières culturelles qui relèvent de la compétence des communautés.
B.6. Une telle affectation de fonds appartenant à l'autorité fédérale ne peut se faire qu'en exécution d'une loi spéciale. L'article 62bis de la loi spéciale du 16 janvier 1989, introduit par la loi spéciale du 13 juillet 2001, cité en B.1, donne un fondement légal, conforme aux règles répartitrices de compétences, au financement, par l'autorité fédérale, d'activités dont la réglementation relève de la compétence des communautés.
B.7. Le législateur spécial n'ayant pas donné à l'article 62bis une portée rétroactive, cette disposition ne peut fournir un fondement légal aux subventions qui ont été accordées avant son entrée en vigueur.
B.8. Il convient de tenir compte de ce que la loi du 22 juillet 1991 ne faisait que confirmer une pratique suivie avant les réformes de l'Etat de 1988 et 1989, que cette pratique n'a pas retenu l'attention du législateur spécial lorsqu'il a adopté la loi spéciale du 16 janvier 1989 relative au financement des communautés et des régions et que le législateur ordinaire a cru qu'elle « [répondait] parfaitement » aux exigences des lois spéciales du 8 août 1988 et du 16 janvier 1989 (Doc. parl., Chambre, 1990-1991, n° 1656/3, p. 13). D'ailleurs, la section de législation du Conseil d'Etat a estimé que la réglementation n'était pas contraire « au principe d'exclusivité des compétences de l'Etat, des communautés et des régions », dès lors qu'il s'agissait « de projets financés en commun par plusieurs pouvoirs publics » (Doc. parl., Sénat, 1990-1991, n° 1296-1, p. 38).
B.9. La loi en cause, qui n'a été en vigueur que de 1991 à 2001 et qui est aujourd'hui abrogée, doit donc être considérée comme ayant permis de poursuivre une pratique, favorable au développement de la culture.
Ce n'est que postérieurement à la publication et à la mise en oeuvre de cette loi qu'il apparut, ainsi que le constate le rapport de la Commission pour le fonctionnement des nouvelles structures fédérales, qu'elle posait un problème de constitutionnalité, en ce qu'elle pouvait permettre des « interférences ' indirectes ' dans les compétences (essentiellement culturelles) des communautés, liées à la politique de subventionnement de la Loterie Nationale ». Cette constatation, qui se fondait sur l'enseignement de l'arrêt de la Cour n° 54/96 du 3 octobre 1996, amenait la Commission à formuler la conclusion suivante : « La commission se rallie à la proposition de suggérer une concertation entre l'autorité fédérale et les entités fédérées en vue de régler valablement, d'un point de vue constitutionnel, le problème de l'octroi de subventions à des organismes communautaires ou régionaux.Il ne s'agit pas de supprimer ces subventions, mais de les légaliser. La question de la répartition pourra aussi être réglée à ce stade » (Doc. parl., Sénat, 1998-1999, n° 1-1333/1, pp. 483, 484 et 487).
Ce problème a été réglé, pour l'avenir, par l'article 62bis précité de la loi spéciale du 16 janvier 1989, introduit par la loi spéciale du 13 juillet 2001.
B.10. Compte tenu de ces éléments, il peut être admis que, dans l'attente de la loi spéciale qui allait donner un fondement légal à une pratique favorable au développement de la culture, cette pratique ait pu se poursuivre selon le système entériné par la loi du 22 juillet 1991. Cette conclusion s'impose d'autant plus que ce système ne permettait en aucune façon de contrarier la politique des communautés en matière culturelle. L'autorité fédérale se bornait à mettre à la disposition des projets ou des organisations désignés par les communautés des moyens en vue de la réalisation de leurs objectifs : loin d'empiéter sur des compétences qui ne sont pas les siennes, l'autorité fédérale respectait les choix faits par les autorités compétentes.
B.11. Les questions préjudicielles appellent, par conséquent, une réponse négative, étant entendu que cette réponse prend en considération les éléments spécifiques décrits en B.8 à B.10 mais sans toutefois remettre en cause les principes énoncés en B.4 à B.6.
B.12.1. La partie requérante devant la juridiction a quo estime en outre que la Cour doit constater d'office que l'autorité fédérale doit satisfaire à l'article 10 de la loi du 16 juillet 1973Documents pertinents retrouvés type loi prom. 16/07/1973 pub. 15/06/2011 numac 2011000326 source service public federal interieur Loi garantissant la protection des tendances idéologiques et philosophiques. - Coordination officieuse en langue allemande fermer garantissant la protection des tendances idéologiques et philosophiques.
B.12.2. La Cour n'est pas compétente pour contrôler les dispositions en cause au regard de la loi précitée du 16 juillet 1973.
Par ces motifs, la Cour dit pour droit : Sous la réserve exprimée en B.11, les articles 15 à 18 de la loi du 22 juillet 1991 relative à la Loterie Nationale ne violent pas les règles répartitrices de compétences.
Ainsi prononcé en langue néerlandaise et en langue française, conformément à l'article 65 de la loi spéciale du 6 janvier 1989 sur la Cour d'arbitrage, à l'audience publique du 23 mars 2005.
Le greffier, P.-Y. Dutilleux.
Le président, A. Arts.